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vendredi 26 mars 2010

Malaise existentiel - Chanson québécoise - Isabelle Matte/ PUL - Le Devoir

Un article du journal Le Devoir, «La complainte du vide intérieur» par Frédérique Doyon, attirait dernièrement mon attention, un titre qui pique la curiosité... De quoi s'agit-il donc? «L’anthropologue Isabelle Matte. écrit la journaliste, constate que la chanson québécoise actuelle semble exprimer une perte du lien social, du sentiment d’appartenance. Sous des airs souvent joyeux, nos artistes chantent la perte de sens et le cul-de-sac de la surconsommation (…)» (1).

Le malaise existentiel
«Si la chanson est le reflet d’une société, le Québec ne va pas bien du tout. Le mal de vivre, le ras-le-bol face à la surconsommation, l’impasse du pays toujours à venir et en devenir: voilà les thèmes qui reviennent inlassablement dans la chanson québécoise. En fait, on est à des années-lumière d’une chanson-phare des années 1970 interprétée par Renée Claude, C’est le début d’un temps nouveau, où, en résumé, le bonheur était la seule vertu et où l’infini n’effrayait pas, bien au contraire. Que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui pour que le malaise existentiel imprègne à ce point la chanson québécoise?», écrit Renée Larochelle dans le journal Au fil des événements. (2)
Isabelle Matte, qui participait à une table ronde, répond à cette question complexe qu'elle a examinée à fond. (2)

Perte du lien social, du sentiment d'appartenance

«Jusqu’à la Révolution tranquille, le catholicisme était le liant de la société, dit Isabelle Matte. Aujourd’hui, la société de consommation a remplacé la religion. Cette nostalgie d’un monde perdu est très présente dans les chansons écrites par des artistes nés après le baby-boom, donc après 1960. Bien sûr, le retour en arrière n’est pas souhaité et ce n’est ni de la messe ni de la confession dont le Québec s’ennuie, mais bien du ciment social qui caractérisait la société québécoise de l’époque.»
«Il y a des choses qui n'ont pas été digérées.»

La chanson québécoise, baromètre du malaise existentiel
La rue principale, chanson des Colocs, qui dépeint la métamorphose d’un village du Lac Saint-Jean, autrefois tricoté serré entre «la Coop, le gaz bar, la Caisse pop, le croque-mort», en un lieu désert et déserté après la construction d’un centre d’achats.

Dans En Berne, les Cow-Boys fringants effectuent une charge féroce contre le Québec contemporain, tirant à bout portant sur le manque d’idéal et de solidarité des Québécois qui, le cul assis su’l statu quo, se gavent de poutine et de téléromans. Ils en concluent que Si c’est ça l’Québec moderne/Ben moi j’mets mon drapeau en berne/ Et j’emmerde tous les bouffons qui nous gouvernent.

Le groupe Loco Locass, lui, parle de la nécessité de mettre quelque chose là où Dieu, jadis, remplissait l’espace: Dieu est mort, faut bien qu’on le remplace/Qu’on remplace le vide qui prend toute la place. Dans Groove Grave, le groupe associe directement le mal de vivre et le vide à la société de consommation: Y’a quelque chose de pourri au royaume du trademark/Dieu est mort, faut bien qu’on le remplace/Qu’on remplace le vide qui prend toute la place/

Un malaise sans issue
Selon Isabelle Matte, c’est l’idée selon laquelle il n’existe pas d’issue à ce malaise qui rend cette insatisfaction différente de celle de la jeunesse d’une autre époque. En somme, un monde s’est évanoui mais il n’a été remplacé par aucun autre.

La critique du capitalisme et d'un monde qui tourne à vide fait partie du discours dominant et populaire. La chanson québécoise actuelle en témoigne. Les textes regorgent de références apocalyptiques en forme de quête de sens, L'Échec du matériel de Daniel Bélanger est en tête de liste.

Une place au soleil

La chanson Dégénération, écrite par le groupe Mes Aïeux, témoigne bien des misères existentielles vécues par les jeunes qui, malgré un mode de vie plus facile et un bien-être matériel plus grand que celui de leurs ancêtres, peinent à trouver leur place au soleil.

(...) «Dans Dégénération, le passé n’est pas idéalisé, personne n’est dupe. Mais les gens ont pris à bras-le-corps cette chanson car ce passé proposait des liens significatifs entre les personnes.»

Cette nostalgie, Mme Matte la perçoit comme saine et positive, écrit Frédérique Doyon. D'une part, elle reflète l'intensité toute particulière avec laquelle a été vécue la Révolution tranquille au Québec, période de contestation politique, de révolution sexuelle doublée d'un mouvement de sécularisation en mode accéléré. D'autre part, elle dénote une curiosité nouvelle, un «désir de se lier à ce passé [longtemps évacué et que les jeunes connaissent souvent mal, note-t-elle], de jeter un pont, de faire partie d'une continuité.»

Le Québec, l'Irlande et... Daniel Bélanger*
Pour Isabelle Matte dont la thèse porte sur la rapidité du déclin du catholicisme au Québec et en Irlande, le chanteur Daniel Bélanger, avec son album intitulé «L’échec du matériel» (2007), est l’artiste ayant le plus su mettre en paroles et en musique l’angoisse et la tristesse ambiantes avec, en filigrane, cette idéologie du marché envahissant l’esprit et l’existence: Comme il est partout/Mais surtout dans ses valises/Avant de disparaître/Dieu vend ses églises.


Un discours sur le monde
«Dans les productions culturelles d'ici, il y a un réel souci d'où on s'en va, dit-elle en citant notamment la trilogie du cinéaste Bernard Émond sur les vertus théologales. Je trouve nos artistes intelligents, ils ont un discours sur le monde qu'on se doit d'entendre. Il faut les écouter...» (1)

Malaise existentiel et discours apocalyptique dans la jeune chanson québécoise
C'est le titre du chapitre 9, signé par Isabelle Matte, dans le livre publié aux PUL -Presses de l'Université Laval- sous la direction de Robert Mager et Serge Cantin. Les 3 sous-titres du chapitre se lisent ainsi: Le décryptage d'une impasse; Une inversion structurelle; Daniel Bélanger, Weber québécois (p.165 à 180).

«Ce changement radical des visions du monde, Isabelle Matte l'attribue à l'"inversion structurelle" qui s'est opérée avec la Révolution tranquille.
"Nous parlons, dit-elle, du passage d'un catholicisme englobant une bonne partie de la réalité sociale et existentielle des Québécois à une religion qui se doit d'être choisie par l'individu. Le passage, donc, d'une société largement traditionnelle à une société de consommation post-industrielle», écrit-elle, un peu à contre-courant de ses collègues-auteurs qui tentent plutôt de relativiser l'impact de la Révolution tranquille pour montrer la persistance d'un sens religieux qui s'est simplement diversifié"(1)

Quant à moi, je trouve la position d'Isabelle Matte plus juste que celle de ses co-auteurs -si nombreux et si savants soient-ils. Elle me semble plus près des «réalités» québécoises. Ce n'est pas par hasard si les «gens ordinaires», de tous âges, s'approprient, entre autres, les chansons ici nommées, ces chansons qui disent tout haut, et si bien, ce que bien des gens pensent, et ressentent. Évidemment, il revient à chacun de se faire une opinion, cela va de soi.
La lecture de la table des matières et de la quatrième de couverture donnent une idée du contenu du livre. Le PDF est ici. Livre à feuilleter en librairie pour s'en faire une meilleure idée.

L'échec du matériel, chanson de Daniel Bélanger

Plus je m'assure sur la vie et sur les choses
Je me réveille chaque jour plus angoissé
Les objets me hantent
Je fais des cauchemars de brocantes où tout s'enfuit.
En sursaut, je me réveille

Devant l'échec du matériel
Devant l'échec

On peut me priver d'amour, mais pas de posséder
Plutôt vendre mon âme et puis mourir
Ma valeur marchande à la bourse de l'enfer est à la hausse à chaque angoisse qui me ronge

Devant l'échec du matériel
Devant l'échec

Faire marche arrière, entreprendre un demi-tour est bien au dessus de mes forces déployées
à faire ce que doit, ce que les choses attendent de moi à maintenir le monde avant qu'il ne s'effondre

Devant l'échec du matériel
Devant l'échec
Devant l'échec du matériel
Devant l'échec
[Écoutez de courts extraits sur Archambault musique, ici]

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* Ce titre rappelle, et salue, le magnifique livre de Victor-Lévy Beaulieu «Le Québec, l'Irlande et les mots».
[] (1) Le Devoir, «La complainte du vide intérieur» par Frédérique Doyon, l'article est ici.
[] (2) Au fil des événements, «L'échec du matériel» par Renée Larochelle, l'article est ici.
Oeuvre. Mythes et poésie du vide, de Kader Attia

samedi 20 mars 2010

Crime et châtiment - Musée d'Orsay - Musée Eden / Dostoïevski

«Crime et châtiment»: l'exposition en cours au Musée d'Orsay de Paris se déroule sous ce thème peu commun. Ce projet, conçu par l'universitaire et homme politique bien connu, Robert Badinter et réalisé par l'historien de l'art, Jean Clair, a reçu l'appui enthousiaste et généreux de Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et ancien directeur du Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM). Précédée par une critique élogieuse, l'exposition -du fait de son caractère exceptionnel- s'annonce comme un évènement majeur. J'y reviendrai. Pour l'instant, je vous invite à embarquer à bord du Transsibérien pour se rendre dans l'Ancienne Russie, la «Russie blanche», chez Dostoïevski. Notre virée se terminera par une visite au Musée Eden, un musée imaginaire, qui s'inscrit dans le même filon: reconstitution de crimes dans la musée, et châtiments -justes ou injustes- au Palais de Justice, à Montréal en 1910.

«Crime et châtiment», de Dostoïevski
D'emblée, on associe «Crime et châtiment» au roman éponyme de Dostoïevski (Fedor Mikkaïlovitch). En bref, Raskolnikov assassine une vieille prêteuse sur gage, Aliona Ivanovna. Loin de libérer qui que ce soit des griffes de l'usurière, son crime prémédité le tourmente et le conduit à la déchéance psychologique et physique, et jusqu'aux portes de la folie: c'est son châtiment. Seuls l'aveu et la punition (la Sibérie) le libérera du poids de son crime. La lecture de ce roman est prenante, on suit les faits et gestes de Raskolnikov, on assiste à son crime, au dévoilement de ses pensées... Son aveu nous soulage, on pousse un long soupir, car on a pitié de lui et de soi-même...

La peinture et le roman
Mais... «La nécessité pour l'artiste de faire saisir le crime d'un coup d'œil entraîne une violence plus grande que dans la littérature. Comparez Zola et Cézanne, Le meurtre, de Cézanne et Thérèse Raquin, de Zola. Le récit est moins intense que la toile, inouïe de brutalité. L'art force à tout rassembler en une seule image. Dostoïevski lui-même n'atteint pas à cela, à cette suprématie de la peinture liée à son instantanéité», dit Jean Clair. Ce qui n'est pas peu dire!

L'acte criminel: gommage et description
Robert Badinter révèle que... «Au cours de ma vie d'avocat, j'ai remarqué une chose à ce propos. Quand je voyais un criminel pour la première fois, je le laissais parler. C'était un moment très intense. Il parlait, il racontait les préparatifs, les mobiles, les armes... Mais presque tous se taisaient à l'instant de raconter l'acte meurtrier lui-même. II y avait un silence, un blanc. Puis il reprenait, mais toujours en gommant l'acte lui-même...»

À cet égard, «Crime et châtiment» de Dostoïevski nous en apprend plus en décrivant le crime même. D'ailleurs, l'acte criminel de Raskolnikov nous inspire frayeur et dégoût: pitié pour la vieille, projection, voyeurisme, complicité... Aurions-nous, en notre for intérieur, une part, si minime soit-elle, d'un Raskolnikov? «Il nous faut reconnaître que tout meurtrier puisse être notre semblable. Le passage à l'acte le différencie certes, mais la frontière est parfois mince et fragile.»

Même si l'image, la représentation visuelle, d'un crime peut susciter des émotions plus intenses qu'une description de l'acte criminel, il n'en demeure pas moins qu'on ne saurait, en aucune manière, réduire le roman de Dostoïevski à cette dimension. C'est l'évidence même... me semble-t-il. La littérature et la peinture livrent un «message» selon le mode d'expression qui lui est propre. En somme, elles se complètent l'une et l'autre plutôt que de s'opposer.

«Crime et châtiment», au Musée d'Orsay.
Je soulignais, il y a un instant, le caractère exceptionnel de «Crime et châtiment» au Musée d'Orsay. C'est que l'exposition présente non seulement des peintures, mais aussi des objets scientifiques et pénitentiaires, en plus de multiplier les regards. Ainsi, les peintres et les objets sont abordés sous les angles de l'art pictural -la vision de l'artiste-, du droit, de la criminologie, de la médecine et de la presse; ils répartis en cinq sous-thèmes, ou chapitres, aux titres évocateurs: Tu ne tueras point, La mort égalitaire, Figures du crime, Le crime et la science, Canards et apaches (journaux, popularité des assassins). Un véritable kaléidoscope de plus de 450 œuvres. Parmi les objets, signalons: des photos policières ou anthropomorphiques, des moulages de tête de criminels, des publications montrant la fascination pour les criminels; une porte de prison et une guillotine recouverte d'un voile noir, ce qui me fait penser à son surnom populaire «la veuve» -il valait mieux ne pas «épouser la veuve»...

L'obsession française: la guillotine
Et pour cause... «Elle obsède l'époque. La guillotine a été longtemps un spectacle. Sous la Restauration, on exécute à midi en place publique. Puis, peu à peu, c'est au petit matin aux limites de la ville, puis, après 1939, en cachette dans la cour de la prison. Il y a quelque chose d'exceptionnel en elle. Ce qui la rend telle, parmi d'autres moyens de supplicier, c'est l'instant décisif du 21 janvier 1793, la décapitation de Louis XVI. Le corps sacré du roi est profané, le bourreau montre sa tête et l'histoire bascule. La guillotine, depuis lors, reste l'instrument du régicide, donc du parricide. Elle évoque une idole sanglante, chargée d'un mana terrible... Le "rasoir national"... En même temps, on reconnaît en elle le goût des hommes du XVIIIe pour les machines et leur rationalité», explique Robert Badinter.

La guillotine exposée est une «métropolitaine», une vraie de vraie. Elle est montrée telle qu'elle était sur la place de la Révolution, l'actuelle place de la Concorde. Il y a de quoi frissonner... et même perdre la tête! Des têtes qui roulent... il y en a 45! Imaginez, le Musée d'Orsay expose des représentations de 45 têtes coupées! À cet égard, les artistes témoignent d'une obsession: la tête détachée du corps humain. La tête, les yeux fermés, les yeux ouverts... la tête sans corps! La tête de saint Jean-Baptiste offerte à Salomé sur un plateau, par Guercino. Judith décapitant Holopherne, par le Caravage. Géricault, Fieschi, Redon, Hugo... Des images qui fascinent et qui effraient... Sans compter les têtes, célèbres ou anonymes, qui ont roulé au cours de la Révolution française.

Le crime: une fascination
Robert Badinter note que... «Il y a peu de sujets qui soient si abondamment représentés en art que le crime. Dans les musées, plus de la moitié des œuvres le représente! Songez aux martyrs , à la crucifixion, aux guerres! L’amour passionne mais il est beaucoup plus rare et beaucoup plus monotone! Et comment représenter l’acte lui-même? Il y a par contre une variété dans le crime vertigineuse. Indubitablement la violence fascine, parce que, contrairement à l’amour on peut peindre le moment du passage à l’acte. En outre, ici elle est dédoublée puisque nous traitons du crime suivi de son châtiment, qui est un autre crime.» [Entrevue au Figaro]

Le Musée Eden
La représentation de Caïn, le fratricide d'Abel, qui ouvre l'exposition au Musée d'Orsay me ramène au 1er épisode de Musée Eden qui présente des liens de parenté avec l'exposition, comme je l'indiquais plus haut. Plus précisément, je me réfère à la scène où le notaire explique à Camille Corday, héritière du Musée à la suite de l'assassinat de son oncle, la fascination des gens pour les crimes et les criminels. Caïn, Salomé, Judith... la Bible, dit-il, fait état de crimes qui fascinent encore et toujours. Donc, rien de nouveau sous le triste soleil... Les crimes et les châtiments attirent et repoussent, comme les pôles d'un aimant. Il n'est pas surprenant, que la Musée Eden -qui met en scène des crimes, des victimes et des criminels- attire les gens dans la fiction même, et des téléspectateurs et des webspectateurs (l'un de mes néologismes).

Avertissement
Sur la page de la présentation générale de l'exposition, le Musée d'Orsay place un avertissement: «Le musée vous informe que certaines des œuvres présentées dans l’exposition sont susceptibles de heurter la sensibilité des visiteurs (et tout particulièrement du jeune public)». Le même avertissement s'applique, mutatis mutandis, à la série Musée Eden.
Également, dans le but de ne pas heurter la sensibilité de certains de mes lecteurs et lectrices, je ne présente dans ce billet aucune image.

Un trio... infernal. Une catharsis (purgation des mauvais sentiments)
[] «Crime et châtiment», au Musée d'Orsay. À défaut de pouvoir vous y rendre, voyez sur Internet: la présentation générale de l'exposition, en cliquant ici; et, la présentation détaillée, et soignée, qui comprend 5 pages de textes avec illustrations, en cliquant ici.
[] Devant votre écran de télévision ou sur le site Web de la SRC ou à Tou.tv, visionnez une série télévisuelle -de partout (ou presque) dans le monde, Musée Eden. Pour joindre le lien sur Tou.tv, cliquez ici.
[] Lire et relire le roman incomparable de «Crime et châtiment», de Dostoïevski. Il est disponible sur Internet. Pour y retrouver une référence, un passage, bref pour consulter le texte, c'est parfait. Mais pour lire le roman, pour y retrouver «l'atmosphère», rien ne remplace un livre que l'on tient dans ses mains, confortablement installé dans un fauteuil -la porte verrouillée à double tour.
Le Mal existe, faisons le Bien!

Tout de même, souriez... c'est l'équinoxe du printemps!

Mes meilleurs bonjours! À bientôt...
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Sources: Le Monde, Les artistes fascinés par le crime et la justice. L'article est ici.
Le Monde, Robert Badinter: "Ce qui intéresse, c'est la douleur, le supplice, la mort. L'article est ici.
Le Figaro, La fascination du crime vue par les peintres. L'article est ici. On y présente une vidéo.
Libération, "Crime et châtiment" à Orsay: frisson, fascination et effroi. L'article est ici. On y voit la porte des condamnés à mort chargée de graffitis.

lundi 15 mars 2010

La Morta - Jean Ferrat. Un hommage / Poèmes - Aragon

La Morta - Jean Ferrat. Un hommage. La Morta, l’infatigable filandière, a coupé le fil de la vie de Jean Ferrat, le 13 mars 2010. L’implacable sœur de Nona et de Decima -qui, toutes deux, tissent la trame de la destinée de chacun-, le guettait depuis un certain temps, voyant ses jours déclinés. Né le 26 décembre 1930, il avait 79 ans. Les trois Parques ont ainsi scellé la destinée de Jean Ferrat.
Les poètes ne meurent pas… ils nous quittent. De même, on peut dire que Jean Ferrat nous a quittés, car son œuvre, fortement marquée par sa personnalité et ses engagements sincères et courageux, nous reste. Une œuvre unique, inoubliable, immortelle! Sur Internet, on a largement couvert la biographie de Jean Ferrat; quant à moi, je m’en tiendrai à sa carrière, et à ses chansons.


Un mot sur la carrière de Jean Ferrat

La carrière de Jean Ferrat a commencé dans les années 1950. Elle s’est poursuivie, avec des hésitations et des ratés jusqu’en 1956, alors qu’il connaît le succès. Jamais, au cours de ses années de galère, il ne s’est découragé. Au contraire, il a décidé, malgré tout, de se consacrer entièrement à sa musique. Donc, en 1956, il met en musique le poème de Louis Aragon «Les yeux d’Elsa». Une musique à la hauteur du magnifique poème. Chantée par André Claveau, la chanson-poème propulse Jean Ferrat dans la lumière; toutefois, sa notoriété est éphémère… Jean Ferrat sortira définitivement de l’ombre en 1959 avec sa chanson «Ma Môme». Alain Gorager, le génial arrangeur musical, a été l’arrangeur des chansons de Jean Ferrat, une collaboration fructueuse.

J’écoute Jean Ferrat depuis belle lurette. J’aime toutes ses chansons, sa voix chaude, ses «r» qui roulent… j’aime tout, dans un bloc. Mais… tout de même, j’ai mes préférences, vous vous en doutez bien: c’est le Jean Ferrat, fou de poésie. Fou d’Aragon. Pour lui rendre hommage, j’ai donc choisi de vous donner à lire trois textes de Louis Aragon que chantent admirablement Jean Ferrat.


Les poèmes d'Aragon, chantés par Jean Ferrat

Les yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Que serais-je sans toi
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines;
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon;
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines;
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines;
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson;
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne;
Qu'il fait jour à midi, qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes;
N'est-ce pas un sanglot que la déconvenue;
Une corde brisée aux doigts du guitariste;
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe;
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues;
Terre, terre, voici ses rades inconnues.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Aimer à en perdre la raison
Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.

Ah, c'est toujours toi que l'on blesse
C'est toujours ton miroir brisé,
Mon pauvre bonheur ma faiblesse
Toi qu'on insulte et qu'on délaisse
Dans toute chair martyrisée.

Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.

La faim la fatigue et le froid,
Toutes les misères du monde,
C'est par mon amour que j'y crois
En elles je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde.

Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Le 1er décembre 2009, j'ai publié un billet, sur Littéranaute, intitulé «Elsa je t'aime - Aragon - Elsa Triolet. Le Crève-Cœur», qui se terminait ainsi:
Jean Ferrat chante Aragon, de sa voix chaude, juste pour vous... et moi: «Que serais-je sans toi» et «Aimer à en perdre la raison» Le Crève-cœur...

En hommage à Jean Ferrat, je reprends ici la vidéo, et vous invite à relire mon billet, disponible ici.



Je vous souhaite une bonne journée!

dimanche 14 mars 2010

Poésie. Printemps des poètes - Yeats - Wordsworth - Whitman - Ménaché

Poésie. Pour célébrer le «Printemps des poètes», une grande fête des mots, des idées, des sentiments, qui se déroule un peu partout dans le monde, je vous invite à lire 3 grands poètes américains: W.B. Yeats; William Wordsworth; Walt Whitman. Vous lirez, sûrement avec le sourire aux lèvres, les poèmes de Michel Ménaché; sa poésie pleine de fraîcheur... printanière est l'une de mes heureuses découvertes.

À l'enfant qui danse dans le vent
Danse là sur le rivage
Car pourquoi te soucierais-tu
Du vent ou de l'eau qui gronde?
Et après secoue tes cheveux
Qu'ont trempés les gouttes amères.
Tu es jeune, tu ne sais pas
Que l'imbécile triomphe,
Ni qu'on perd l'amour aussitôt
Qu'on l'a gagné, ni qu'est mort
Celui qui œuvrait le mieux, mais laissa
Défaite toute la gerbe.
Ah, pourquoi aurais-tu la crainte
De l'horreur que clame le vent ?
W. B. Yeats, Quarante-cinq poèmes.
traduction d'Yves Bonnefoy,2003

À une alouette
Ménestrel de l'éther et pèlerin des cieux!
Méprises-tu la terre où les soucis abondent?
Ou bien tandis que l'aile aspire, cœur et yeux
Sont-ils au nid, au sol que la rosée inonde?
Ce nid où tu peux redescendre à tout propos,
Musique tue, ailes vibrantes au repos!

Au rossignol des bois laisse l'ombre profonde;
À toi l'intimité d'un lumineux matin
D'où tu fais ruisseler à flots sur notre monde
Une harmonie, encore plus divine d'instinct;
Fidèle - en sage qui monte et garde raison
À ces deux points jumeaux, le Ciel et la Maison!
William Wordsworth, Poèmes
traduction de François-René Daillie, 2001

Chant de la Grand'route
Ici l'efflux de l'âme,
L'efflux de l'âme vient de dedans par des portes enguirlandées, toujours provoquant des questions,
Ces soupirs, pourquoi ? Ces pensées dans l'obscurité, pourquoi ?
Pourquoi y a-t-il des hommes et des femmes dont la proximité fait que la lumière du soleil épanouit mon sang ?
Pourquoi lorsqu'ils me quittent mes pennons de joie retombent-ils flasques et languissants ?
Pourquoi y a-t-il des arbres sous lesquels jamais je ne me promène sans que de vastes et mélodieuses pensées descendent sur moi ?
(Je crois qu'elles pendent là hiver et été sur ces arbres et toujours tombent mûres au moment où je passe ;)
Qu'est-ce donc que j'échange si soudainement avec des étrangers ?
Qu'est-ce donc avec ce cocher alors que je fais route sur le siège à côté de lui ?
Qu'est-ce donc avec ce pêcheur tirant sa seine le long de la rive au moment où j'erre par là et m'arrête ?
Qu'est-ce qui me permet de me livrer au bon vouloir d'une femme ou d'un homme ? Qu'est-ce qui leur permet de se livrer au mien ?
Walt Whitman, Poèmes feuilles d'herbe, édition Gallimard,
traduction de Louis Fabulet, André Gide, Jules Laforgue, Valérie Larbaud, Jean Schlumberger et Francis Vielé-Griffin.

Brise-glace aux parfums de femmes

Pistache citron

Coupe renversée
le plaisir déborde
du calice
de son col ouvert
Sa ligne de hanche
tangue entre deux
rires

Chocolat

Diptyque à deux anses
mains sur les hanches
l’une arbore son rire
et l’autre l’enfant
qu’elle berce déjà
dans le bol
d’amour chaud
de son ventre

Tutti fruti

Triptyque à quatre mains
et chapeaux paraboliques
elles dressent
leurs antennes chercheuses
pour capter les secrets
de l’élégance future
Michel Ménaché

La vitesse
La vitesse
de la lumière
invite le piéton
à mettre sa ville
en mots de feu
ses rêves
en jours de vie
Michel Ménaché

Le compresseur
Le compresseur fait vibrer l'avenue
d'un chant de guerrier
qui exhorte les pavés
à relever le défi
d'une ultime barricade
Michel Ménaché

Je vous souhaite un heureux «Printemps des poètes»... en attendant le printemps de Dame Nature, qui ne saurait tarder....

Bon dimanche!

vendredi 12 mars 2010

L'Étranger - Albert Camus / Écouter - SRC / Lire - Calaméo

L'étranger, roman de Albert Camus. D'ici le 30 mars, à la SRC -par le biais de l'émission «Vous m'en lirez tant», animée par Lorraine Pintal- Albert Camus lit L'étranger. Je possède cet enregistrement historique, et exceptionnel. Je vous assure que c'est une expérience de lecture unique qui saura vous toucher. La voix de Camus, en harmonie avec le texte, nous reste longtemps au creux de l'oreille; elle donne une dimension humaine et une forte intensité au roman.

«Hier, maman est morte.»... les premier mots.

«Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul,
il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution
et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.»... les derniers mots.
Albert Camus, L'Étranger

La lecture est découpée selon les chapitres du livre. Pour chacun des 11 chapitres, je vous indique la durée: vous pourrez ainsi planifier votre «écoute».
Partie I- Chapitre 1... 23:08; Chapitre 2... 08:41; Chapitre 3... 12:30; Chapitre 4... 08:23; Chapitre 5... 08:34; Chapitre 6... 18:42.
Partie II- Chapitre 1... 12:01; Chapitre 2... 14:21; Chapitre 3... 23:15; Chapitre 4... 14:58; Chapitre 5... 23:48.

Noter que le texte intégral est aussi disponible sur YouTube, mais il est divisé en... 18 parties.

Je vous propose d'écouter l'audio en ayant sous les yeux le texte intégral du roman, disponible sur Calaméo (39 p.). Écouter à la SRC et lire sur Calaméo «L'Étranger» d'Albert Camus: une double expérience qui vous plaira, j'en suis certaine.
Vous m'en donnerez des nouvelles...

Pour rejoindre la page de la SRC où se trouvent les liens pour écouter Albert Camus lire, pour vous, L'Étranger, suivez le lien ici.
Le texte de l'Étranger sur Calaméo est ici.

Bonne écoute! Bonne lecture!

mercredi 10 mars 2010

Dossier. Proust, lire et relire - Carnet nomade / Lire, Hors-série / Jean-Yves Tadié- Antoine Compagnon

«Proust, lire et relire». Dans son dernier Carnet nomade, Collette Fellous s'entretient de Marcel Proust avec 3 invités prestigieux: Diane de Margerie; Jean-Yves Tadié; Jacqueline Risset.(1) Elle rencontre brièvement Micha Lescot, jeune acteur de théâtre renommé, qui incarnera Proust (le narrateur) dans «À la recherche du temps perdu», transposé à la télé par Nina Companeez pour France Télévisions et Arte France. Dominique Blanc interprétera le rôle principal de Madame Verdurin. Voilà qui promet!(2)

«Marcel a renouvelé un genre littéraire: le roman. Il y a dans la littérature, un avant et un après Marcel Proust. Et pourtant, il n'est pas inutile de s'armer d'un trousseau de clés pour aborder cette œuvre unique -Proust lui-même l'admettait. Ce trousseau de clés, le voici.» C'est en ces termes que François Busnel, auteur de la page éditoriale, présente le hors-série de Lire consacré à Proust. Personne ne peut passer à côté de Proust, personne ne peut l'ignorer. «Il n'y a pas de "vrai" Proust, ajoute-t-il avec raison. Sauf celui que chaque lecteur imagine.»(3)

Pour cerner l'écrivain et son œuvre, aussi complexes l'un que l'autre, deux guides ne seront pas de trop... d'autant plus, qu'ils se complètent et s'harmonisent. Je vous invite donc à cheminer avec moi, le temps... de ce blogue, puis avec le Carnet nomade à l'oreille (sur le fil RSS ou en Podcast), et la revue Lire, hors-série sur Proust, à la portée de la main.


Colette Fellous. Proust, lire et relire. Carnet nomade.


D'entrée de jeu, Colette Fellous situe l'œuvre en amont: «Dans une lettre à Louis d'Albufera, en mai 1908, bien avant de se mettre à la rédaction de son œuvre somptueuse et unique dans la littérature française, «A la recherche du temps perdu", une œuvre, inachevée et posthume, de trois mille pages, Marcel Proust écrit : "J'ai en train : une étude sur la noblesse, un roman parisien, un essai sur Sainte-Beuve et Flaubert, un essai sur les femmes, un essai sur la Pédérastie (pas facile à publier); une étude sur les vitraux, une étude sur les pierres tombales, une étude sur le roman."
Lire Proust, c'est en effet lire une œuvre totale, un roman qui en contient mille, c'est entrer dans une sensibilité qui éclaire la vôtre, c'est apprendre à mieux regarder, sentir, écouter, aimer, se souvenir, c'est accepter de se plonger dans un univers infini, miroir de notre société, miroir de l'Histoire.»

«Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l'obscurité et du silence»
Marcel Proust, Le Temps retrouvé.


La lecture de Proust par Diane de Margerie. «Proust et l'obscur» (Albin Michel. 2010)
Obscurité. Textes fondateurs. Solitude.

Diane de Margerie sonde l'obscurité qui enveloppe l'œuvre romanesque (mensonge, sadisme, obsession de l'enfance et ses révoltes, passion de l'art) Elle l'explore à partir de La Recherche, mais aussi des premiers textes fondateurs méconnus, Les Plaisirs et les Jours ou Jean Santeuil; elle en note la violence et l'ambivalence.
Dès ses 25 ans, Proust se prépare à la solitude, dit-elle, devient le peintre de la jalousie et l'analyste du sadisme. Pourquoi tant d'obscure révolte contre la mère, sublimée par la suite dans La Recherche? Pourquoi tant de voyeurisme?
«C'est un point de vue personnel et particulier que j'adopte ici où, derrière les faux-semblants, loin des salons et des anecdotes, j'essaie de plonger au cœur ténébreux de son inspiration.»

La lecture de Jacqueline Risset. «Une certaine joie: essai sur Proust» (Hermann 2009)
Désir et profanation. Rêve et réalité. Le mal.

Dans son essai, Jacqueline Risset présente une suite de lectures qui mettent en évidence les rapports entre théorie et fascination, entre désir et profanation. Et traite aussi des illuminations qui préparent l'écriture du grand livre, des lieux, des figures concrètes de l'espace. Elle s'intéresse à l'évolution de l'idée du mal et à la «centralité transgressive» du sommeil.
Dans À la Recherche du temps perdu, dit-elle, toutes les rencontres sont possibles, et tout compte, comme dans les rêves. Qui écoute Proust part à la recherche, et s'efforce de transmettre les saisies, les étapes et les surprises de la poursuite.


Jean-Yves Tadié. «Proust et le roman» (Gallimard, 1986)
Le je et le Temps. Le récit et le roman. La phrase et le rythme.

D'entrée de jeu, Jean-Yves Tadié précise que la création romanesque de Proust s'appuie sur deux formes essentielles, le «je» et le «Temps». La première unifie les perspectives du récit, soumet les héros à un point de vue central; la seconde contrôle le déroulement du roman, l'histoire de la vocation du narrateur et la vie des personnages. Ce sont les deux formes de la sensibilité du romancier, son esthétique transcendantale.
C'est ainsi que se succèdent, explique-t-il, dans une composition savante qui n'est pas sans évoquer le roman proustien, le côté du «je» - des problèmes du narrateur à la peinture des personnages -et le côté du «Temps»- de l'étude du romanesque à celle des techniques du récit -, tandis qu'une analyse charnière concerne l'architecture de l'œuvre, le «je» reconstruisant le «Temps» pour qu'il soit saisi comme l'espace d'un mouvement, et qu'une analyse finale, «Du roman des lois au roman poétique», montre comment, de la phrase jusqu'au récit, une même figure, celle de la métaphore, confère à l'œuvre une forme, la forme de sa forme, qui est aussi un rythme. Jean-Yves Tadié relève que:

«Longtemps, je me suis couché de bonne heure...», c'est ainsi que commence le roman.

«... le Temps», c'est par ces mots que finit le roman (3000 pages plus tard, c'est moi qui parle...).

Je rappelle, en passant, que Jean-Yves Tadié est un spécialiste renommé de Marcel Proust. La biographie -la plus complète et la mieux articulée qui soit- qu'il lui a consacré est un incontournable, «Marcel Proust» (Gallimard, 1996, 960p.).


Lire, Hors-série. À la recherche de... Marcel Proust

Le magazine Lire consacre, comme je vous l'indiquais, un hors-série (no 8) à Marcel Proust, intitulé «A la recherche de... Marcel. Proust», en 4 volets: Dernières confidences (enfance, guerre, amours); Sur ses traces (Paris, Combray...); Le dictionnaire (des personnages); Insolite (20 000 lettres aux USA); on y trouve aussi bien d'autre sujets. Un presque-livre de 98 p, sur papier glacé, avec de belles et nombreuses illustrations.

Dans ce numéro, on peut lire, notamment, un long entretien de Jean-Yves Tadié; et un débat entre celui-ci et Antoine Compagnon. Deux textes importants qui complètent, on ne peut mieux, l'entrevue avec Colette Felloux ainsi que les deux livres de Jean-Yves Tadié, l'essai et la biographie, deux «essentiels».


«Proust, une vie d'écriture». Jean-Yves Tadié, propos recueillis par Philippe Delaroche et Tristan Savin.

Au cours de cet entretien, Jean-Yves Tadié dévoile les liens entre la personnalité et l'œuvre de Proust, entré en littérature dès l'âge de 18 ans. Au-delà de l'adolescence, la vie mondaine, techniques d'écriture, il révèle les fantasmes torturés de l'homme. Voyons quelques thèmes abordés.

Les mots qui reviennent le plus souvent dans la Recherche.
«... on trouve "temps, on trouve "amour et le troisième serait "maman" ou "mort". "Temps est le dernier mot du Temps retrouvé, il est partout. Proust emploie des mots très simples. En fait, Proust est un auteur simple, c'est la réalité qui est complexe.»

Proust est asthmatique, mais il fait de longues phrases. Un paradoxe.
«... Un tiers des phrases de Proust sont longues. Un tiers seulement. Mais elles font impression. Un tiers en revanche sont très courtes, comme par exemple: "Bouleversement de toute ma personne". Il y a chez lui de magnifiques phrases nominales et des phrases courtes.»

Jean-Yves Tadié relève que, chez Proust, il n'y a pas de prix, pas de dates, pas de chiffres, contrairement à Balzac. «Les prix, il considérait que c'était mal élevé. (...) ... les dates, il n'en voulait pas. À cause de cela, on n'est jamais absolument sûr de l'âge de ses personnages. (...).
« Proust a aboli le temps. C'est une technique comme une autre.»
Jean-Yves Tadié

«Écrire, pour lui, est un moment de bonheur.»
Jean-Yves Tadié

Que penser de la postérité de son œuvre.
«Se demander ce qui a vieilli chez Proust, c'est comme se demander ce qui a changé dans un tableau de Rubens. (...) Les grandes œuvres sont des grâces qui touchent.»


Le propre de tous les grands romans est de vous transformer. Débat: Jean-Yves Tadié et Antoine Compagnon.
Les deux spécialistes de Proust débattent de son style, de son influence, des méprises qu'il suscite.

«Le grand changement stylistique tient au passage à la première personne»
Antoine Compagnon

Jean-Yves Tadié pense de même.
Il précisait à Colette Fellous que la création romanesque de Proust s'appuie sur deux formes essentielles, le «je» et le «Temps».

Sur le thème du «comique proustien».
A.C.____ Il me semble surtout lié à la langue. (...)
J.-Y.T.__ Chez Proust, le comique est lié à cette distance ironique qui est aussi un phénomène de culture théâtrale.
A.C.____ Jean-Yves évoque le théâtre. Il faut ajouter la conversation. Avec Proust, quand on rit, c'est un art de la conversation, d'un esprit lié à la conversation.
J.-Y.T.__ En effet, il les tire de l'art de la grande conversation française fait pour aboutir à des mots d'esprit, parfois des cruels. Certains qui fusent dans le salon des Guermantes avaient fait le tour de Paris.

Bonne lecture! À bientôt...
___
[] (1) Colette Fellous, «Proust, lire et relire». Carnet nomade. France culture, Univers Évasion, émission du 07 mars 2010. Pour lire la présentation, cliquer ici. Pour écouter le Podcast, voici le lien rss, ici. Une émission des plus intéressantes.
[] (2) À la recherche du temps perdu: Dominique Blanc et Micha Lescot revisitent l'œuvre de Proust à la télé, sur premiere.fr, ici. Lire l'article «À la recherche du film perdu», Lire, hors-série no 8, Jérôme Serri, «... Avec Raoul Ruiz, Le temps retrouvé s'inscrit dans la durée, sans sentimentalisme, p.12. Un survol de Proust au cinéma.
[] (3) «A la recherche de... Marcel. Proust», le magazine Lire, hors-série no 8, 98p. Et... une recette de madeleines. Et... au recto, une annonce pour la «La Madeleine au beurre frais.
Note. Vous trouverez sur L'Encyclopédie de L'Agora, des liens pour lire les œuvres de Proust en ligne, et de nombreuses autres références. Un excellent dossier. Cliquer ici.

dimanche 7 mars 2010

Feux - Marguerite Yourcenar / Journée internationale de la femme - UNESCO

Pour souligner la Journée internationale de la femme, officialisée par l'UNESCO en 1977, chacun et chacune y va de sa contribution. Les uns choisissent de parler de Simone de Beauvoir, d'autres de Gabrielle Roy . D'autres abordent le rôle de la femme et la mère, Élizabeth Badinter, Lucie Joubert dont les journaux font mention [Le Devoir, Frédérique Doyon(1); La Presse, Anablle Nicoud(2)]. Pour ma part, j'ai choisi «mon» écrivaine préférée: Marguerite Yourcenar. Plus précisément, de son livre Feux. Je vous en dit un mot avant de vous en offrir des extraits.


Feux est une suite de textes, en proses lyriques, en presque-poèmes, inspirés par la mythologie et une certaine notion de l'amour. Textes intercalés d’apophtegmes (paroles ayant valeur de maximes), de notes sur la passion amoureuse. Marguerite Yourcenar raconte à merveille l'histoire «modernisée» de Phèdre, Achille, Patrocle, Antigone, Léna, Marie-Madeleine, Phédon, Clytemnestre, Sappho.

«… les proses lyriques de Feux (1936), ce somptueux chef-d’œuvre, d'une résonance unique dans la production de Marguerite Yourcenar. Dans Feux, des mythes antiques modernisés de façon à faire voler en éclats toute notion de temps et de durée illustrent d'incandescentes pensées sur l'amour et la souffrance, son corollaire. "Produit d'une crise passionnelle" (Préface de Feux), âpre, suppliant et révolté, cet ouvrage glorifie finalement "les valeurs de la passion, qu'elles soient de l'intelligence, de l'âme ou de la chair"(Lettre, 4 janvier 1978). Yvon Bernier (3)

«Dans Feux, où je croyais ne faire que glorifier un amour très concret, ou peut-être exorciser celui-ci, écrit l'auteur, l'idolâtrie de l'être aimé s'associe très visiblement à des passions plus abstraites, mais non moins intenses, qui prévalent parfois sur l'obsession sentimentale et charnelle : dans Antigone ou le choix, le choix d'Antigone est la justice; dans Phédon ou le vertige, le vertige est celui de la connaissance; dans Marie-Madeleine ou le salut, le salut est Dieu. Il n'y a pas là sublimation, comme le veut une formule décidément malheureuse et insultante pour la chair elle-même, mais perception obscure que l'amour pour une personne donnée, si poignant, n'est souvent qu'un bel accident passager, moins réel en un sens que des prédispositions et les choix qui l'antidatent et qui lui survivront.»(4)

«Absent, sa figure se dilate au point d'emplir l'univers. Tu passes à l'état fluide qui est celui des fantômes. Présent, elle se condense; tu atteins à la concentration des métaux les plus lourds, de l'iridium, du mercure. Je meurs de ce poids quand il me tombe sur le cœur.»

Rien à craindre. J'ai touché le fond. Je ne puis tomber plus bas que ton cœur.»

«Où me sauver? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu'en toi.»

«J'ai beau changer: mon sort ne change pas. Toute figure peut être inscrite à l'intérieur d'un cercle.»

«Le crime du fou, c'est qu'il se préfère. Cette préférence impie me répugne chez ceux qui tuent et m'épouvantent chez ceux qui aiment.La créature aimée n 'est plus pour ces avares qu'une pièce d'or où crisper les doigts. Ce n'est plus qu'un dieu: c'est à peine une chose. Je me refuse à faire de toi un objet, même quand je serais l'objet Aimé.»

«Brûlé de plus de feux... Bête fatiguée, un fouet de flammes me cingle les reins. J'ai retrouvé le vrai sens des métaphores de poètes. Je m'éveille chaque nuit dans l'incendie de mon propre sang.»

«Et tu t'en vas? Tu t'en vas?... Non, tu ne t'en vas pas: je te garde... Tu me laisses dans les mains ton âme comme un manteau.»

«Il faut aimer un être pour courir le risque d'en souffrir. Il faut t'aimer beaucoup pour rester capable de te souffrir.»

«On dit: fou de joie. On devrait dire: sage de douleur.»

«Tes cheveux, tes mains, ton sourire rappellent de loin quelqu'un que j'adore. Qui donc? Toi-même».

De l'esprit? Dans la douleur? Il y a bien du sel dans les larmes.»

«Cesser d'être aimée, c'est devenir invisible. Tu ne t'aperçois plus que j'ai un corps.»

Vous appréciez, ou apprécierez, sûrement ces magnifiques textes aux noms évocateurs: Phèdre ou le désespoir; Achille ou le Mensonge; Patrocle ou le Destin; Antigone ou le Choix; Léna ou le Secret; Marie-Madeleine ou le Salut; Phédon ou le Vertige; Clymtemnestre ou le Crime; Sappho ou le Suicide. Une liste qui chante comme un poème.


Ces paroles de Marguerite Yourcenar trouvent-elles un écho en vous? Je le parie...
«À travers la fugue ou la désinvolture inséparables dans ce genre d'aveux quasi publics, certains passages de Feux me semblent aujourd'hui contenir des vérités entrevues de bonne heure, mais qu'ensuite toute la vie n'aura pas été de trop pour essayer de retrouver et d'authentifier. Ce bal masqué a été l'une des étapes d'une prise de conscience.»(2)

Bon dimanche!
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Livre. Marguerite Yourcenar, Feux, coll. L'Imaginaire, Gallimard, Poche (livre et cd), 2007, 216 pages.
Le livre dont je me suis servi pour ce blogue.
Marguerite Yourcenar, Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1982. Bibliographie établie par Yvon Bernier. Feux, p.1073 à p. 1167.
[] (1) Frédérique Doyon, En avoir ou pas. Gare aux Diktats actuels qui tendent à ériger la maternité en idéal féminin et social, Le Devoir. Pour lire l'article, cliquer ici.
[] Vous trouverez une présentation du livre de Lucie Joubert, L'envers du landau, sur Littéranaute, et un lien pour en lire un extrait. Veuillez cliquer ici.
[] (2) Anabelle Nicoud, Le paradoxe de la femme-mère, La Presse. Pour lire l'article sur Cyberpresse, cliquer ici.
[]
(3) Yvon Bernier, Marguerite Yourcenar, itinéraire d'une œuvre. Article lu sur l'Encyclopédie de l'Agora, ici.
[] (4) Extraits tirés de la Préface de Feux, dans Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1982.
[] Note: Les citations sont également tirés de Feux, p.1073 à p. 1167(dans La Pléiade),

mercredi 3 mars 2010

HHhH - Laurent Binet. Goncourt / Premier roman

Prix Goncourt du premier roman, l’énigmatique titre du roman de Laurent Binet, HHhH est un acronyme inventé par les SS qui signifie en allemand : «le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich» (Himmlers Hirn heisst Heydrich). Pire qu’Himmler… Heinrich Luitpold Himmler (1900-1945), maître absolu de la SS, chef de toutes les polices allemandes, des camps de concentration et d’extermination, de la mise en œuvre de la «Solution finale»: le diable en personne, un meurtrier… absolu. HHhH, pire qu’Himmler… Pour reprendre le mot de Bernard Loupias : «… une ordure». Je dirais même, l’ordure d’une ordure…

Reinhard Tristan Eugen Heydrich. «Patron de la Gestapo, créateur des services secrets et de sécurité (SD), planificateur de la «solution finale», protecteur de Bohème-Moravie, surnommé «le bourreau», «la bête blonde», «l’homme le plus dangereux du IIIe Reich». Heydrich avait droit aussi aux surnoms de "Boucher de Prague", une ville où il sema la terreur à partir de 1941, de "bourreau" ou encore de "L'homme au cœur de fer", un petit nom donné par Hitler lui-même, qui appréciait le physique "aryen" d'Heydrich, sa férocité et sa traque impitoyable des Juifs.»

En attendant que le roman soit disponible ici -plus tard en mars- je vous propose un tour d'horizon qui donnera une bonne idée du roman. À la suite de cette revue de presse, je vous signalerai deux articles passionnants, et éclairants, publiés par la radio tchèque «Radio-Praha». Parlons d'abord du livre.

Le livre HHNH, de Laurent Binet
Le livre raconte l’histoire –qui se déroule entre 1938 et 1942- des deux parachutistes tchécoslovaques, Jozef Gabcik et Jan Kubis, qui ont été envoyés par Londres avec la mission d’assassiner Reinhard Heydrich. Une mission à très haut risque, s’il en est une. «Entraînés en Angleterre et largués au-dessus de la campagne près de Prague en 1942, Gabcik et Kubis ont peu de chance de s'en tirer. "Dès le début, tout va de travers", explique Laurent Binet avec un regard admiratif et tendre à l'égard des deux jeunes héros sacrifiés.» Cependant, Gabsick et Kubis réussissent à abattre HHhH dans sa Mercedes.
«Oui, la mort était bien le métier de ce monstre. Elle fut son salaire»
Bernard Loupias

«Il s’ensuit une folle traque qui se termine dans une église du centre de Prague. Trahis par un membre de leur réseau (Karel Curda -que son nom soit effacé- et j’ajoute, maudit), ils meurent les armes à la main dans la crypte de l’église, après une résistance acharnée de huit heures et avoir mis hors de combat un nombre appréciable de SS, sur les 800 qui les cernaient.» (2)


Un roman est une écriture
Comment raconter une histoire vraie, un fait historique, sans dérailler? Dans son roman, Laurent Binet introduit une réflexion sur le rapport entre la réalité et la fiction. Il a évité de romancer…

L’histoire sans romance…
«…le roman aborde l'histoire de ce terrifiant SS, Reichsprotektor de Bohême-Moravie. […] mais ne la romance pas. C'est peut-être là la plus belle réussite de ce livre: il assume l'existence de l'auteur et son attachement à l'Europe centrale, véritable impulsion de ce travail à mi-chemin entre le roman, l'enquête et l'essai littéraire. Le récit fait des allers-retours entre lui et ses personnages ; on peut même dire qu'il est cet aller-retour, tant le questionnement autour de l'écriture et de l'Histoire y est important. Une belle réussite.»

Bernard Loupias revient sur l’idée de ne pas romancer. Ne pas romancer, «refuser ces faux dialogues censés rendre l'histoire plus vivante. En revanche, jouer cartes sur table. Laurent Binet procède par allers-retours dans le temps et l'espace, entre réflexions personnelles et documents historiques, composant peu à peu un puzzle d'où émergent une image de plus en plus nette de ce qui s'est joué ce jour-là, et quelques visages. D'abord, ceux, inoubliables, de ces parachutistes d'un courage inouï. Et celui, terrifiant, du Reichsprotektor de Bohême-Moravie, le SS Reinhard Heydrich, «l'homme le plus dangereux du IIIe Reich», alias «la bête blonde». Un ange de la mort, un pervers, excellent violoniste, en qui Hitler et Himmler -"petit hamster à lunettes, châtain foncé, moustaches, à l'allure somme toute très peu aryenne" - avaient vu l'incarnation du nazi parfait, et qui organisa avec une efficacité effroyable la "solution finale".

Pour sa part, l’éditeur Grasset abonde dans le même sens :
«… L’auteur a rapporté les faits le plus fidèlement possible mais a dû résister à la tentation de romancer. Comment raconter l’Histoire? Cette question conduit parfois l’auteur à se mettre en scène pour rendre compte de ses conditions d’écriture, de ses recherches, de ses hésitations. La vérité historique se révèle à la fois une obsession névrotique et une quête sans fin.»
Il donne des précisions sur la structure du roman :
«Le récit est structuré comme un entonnoir: des chapitres courts relatent différents épisodes en divers lieux et à diverses époques, qui tous convergent vers Prague où s’est déroulé l’attentat.»

«Laurent Binet, habité pendant des années par l'histoire croisée de ces personnages bien réels et l'énorme documentation qu'il a recueillie, entrecoupe son récit d'interrogations sur les mots qu'il emploie pour restituer ce passé, sa difficulté à "passer" au roman. Rien n'est inventé et pourtant: pourquoi écrire qu'Heydrich est assis plutôt que debout, habillé d'un manteau plutôt que d'un imper, que le ciel est noir plutôt que bleu, les parachutistes crispés ou terrorisés..., s'interroge l'auteur. Il introduit aussi sa vie privée dans le livre, au fil de courts dialogues avec une petite amie ou un copain curieux, témoignant ainsi de l'intrusion du livre dans sa vie quotidienne.» Tv5, AFP

Les faits historiques
La radio tchèque «Radio-Praha» a publié les 6 et 20 mai 2009 deux articles, sous la plume de David Alon, deux chapitres de l'histoire. Le premier s'intitule «Attentat contre Heydrich: la préparation». Une histoire haletant, on a la chair de poule. Comme le dit Laurent Binet «Dès le début, tout va de travers.» Par exemple, le pistolet de Gabcik s'enraye et c'est Kubis qui jette une grenade sur la voiture de Heydrich, et le blesse mortellement. Le quartier n'est pas désert... il y a donc nombre de témoins.

Dans le deuxième article, on voit que des Tchèques font tout ce qu'ils peuvent pour retarder l'accès aux soins pour Heydrich grièvement blessé. Par exemple, le marchand de bonbons dont une sympathisante nazie avait arrêté le camion pour transporter le «Protecteur» vide son amion avec une grande lenteur. À l'hôpital, le médecin tchèque hésite. Le personnel allemand ne tardera à le prendre en charge. Heydrich décède de septicémie quelques jours plus tard. Hitler est furieux!

«Seule la trahison de Karel Curda, l'un des parachutistes, permettra à la Gestapo de localiser la cache du commando, dans la crypte de l'église Saint-Cyrille-et-Méthode à Prague.» Une honte!

À sans-cœur... sans-cœur et demi. Selon un témoignage, la femme de Heydrich est restée de marbre à la nouvelle de la mort de son mari. Elle n'a pas assisté à ses funérailles, y déléguant ses 2 fils, elle était occupée à expédier des vivres pour Berlin.

Jozef Gabcik et Jan Kubis,

Sources:
Paperblog