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vendredi 29 janvier 2010

Marie Darrieussecq - Camille Laurens / Yannick Haenel - Claude Lanzmann - Annette Wieviorka / Polémique.

La polémique entre Marie Darrieussecq et Camille Laurens amène l'une et l'autre à publier un livre y faisant écho. Marie Darrieussecq avance à visage découvert dans «Rapport de police. Accusations et autres modes de surveillance de la fiction», un essai de 368p. chez POL. Pour Camille Laurens, c'est dans un roman à clefs qu'elle règle ses comptes, «Romance nerveuse». La polémique entre les 2 romancières court sur les fils de presse. Impossible de l'éviter: chacune revient sur «l'affaire», une accusation de plagiat -rien de moins- de Camille Laurens contre Marie Darieusseq. Devant la virulence des propos, leur éditeur commun, Paul Otchakovsky-Laurens (sans lien de parenté), le patron des éditions P.O.L, décide de ne plus publier Camille Laurens, qui passe chez Gallimard.

Marie Darrieussecq versus Camille Laurens. Polémique.

Tout d'abord, en 1998, Marie NDiaye accuse Marie Darrieussecq de "singerie", lui reprochant de s'être inspirée de deux de ses livres pour l'un de ses romans. Marie Darieusseq, qui publiait «Naissance des fantômes»(1) lui répond, en substance, que les fantômes ne lui appartiennent pas.
«Lors de l'affaire Marie NDiaye, Philippe Sollers m'avait dit:
"Faites très attention. C'est une tentative d'assassinat".»


En 2007, Marie Darrieussecq publie «Tom est mort», un roman dans lequel elle imagine la mort de son fils. Douze ans auparavant, Camille Laurens avait publié «Philippe» portant sur le deuil de son «fils mort-né (il a vécu exactement deux heures et dix minutes)». Un récit, ou témoignage, sur un drame poignant.

Camille Laurens l'accuse alors de «plagiat psychique». Un nouveau concept.. qui revient à dire: un écrivain n'a pas le droit d'écrire à propos d'un drame qu'il n'a pas personnellement vécu. A fortiori, si un autre écrivain a déjà publié un livre qui relate son cas vécu. Oups! Dérapage en vue... Que serait le littérature sans l'imagination créatrice des écrivains et écrivaines. Autofiction, autobiographie, récit, témoignage...? Du vécu, et le mien prime sur le tien? Quid!!!
À bas le concept de «plagiat psychique» forgé de toutes pièces!

Sauf exception, j'avoue que je n'aurais pas grand-chose à me mettre sous l'œil. Que serait les écrivains de romans policiers, de polars, à l'aune du «plagiat psychique»? D'Edgard Allan Poe, en passant par Agatha Christie, Patricia Highsmith et bien d'autres, jusqu'à James Ellroy... Terrifiant!(2)
Pitié pour les écrivains de polars !

Pour clore le sujet, je vous présente le texte d'un critique pour chacun des livres. Si vous les avez lus, ces livres, c'est encore mieux... Ce sont 2 textes différents, portant sur le même sujet -la mort d'un enfant et la douleur de la mère-, publiés chez le même éditeur, POL, dans la collection «Fiction». Il suffit de savoir lire pour s'en rendre compte.

Philippe, Camille Laurens, POL, collection Fiction, 1995, 80 pages. Repris chez Folio (Poche) en 2008.
«Philippe est né le 7 février 1994 à Dijon -clinique Sainte-Marthe. Le lendemain, je suis allée avec Yves, son père, le voir à la morgue", lit-on dans le premier chapitre de Philippe intitulé "Souffrir". Philippe est le fils mort-né (il a vécu exactement deux heures et dix minutes) de Camille Laurens. La mort aurait pu être évitée. L'obstétricien qui a procédé à son accouchement n'est pas intervenu quand il le fallait. Même si "le malheur est toujours un secret", parce que les mots restent en deçà, Camille Laurens s'est mise à écrire : c'est son seul moyen de défense. Elle décrit avec précision, dans le chapitre intitulé "Comprendre" le déroulement de son accouchement, et notamment l'évolution du rythme cardiaque de l'enfant, qui, mis en perspective avec des extraits du rapport d'expertise, accable l'action, ou plus exactement l'inaction de son médecin.
Il faut malgré tout continuer à "vivre", titre du chapitre suivant, où elle cite les différentes réactions des autres après cette mort, réactions peu courageuses en règle générale. Enfin, le verbe "Ecrire" ouvre le dernier chapitre. "On écrit pour faire vivre les morts, dit-elle, et aussi, peut-être, comme lorsqu'on était petit, pour faire mourir les traîtres."Philippe" transmet au lecteur le dégoût de ces traîtres", médecins suffisants, incompétents, meurtriers.
Mais dans les quelques pages finales, une conception de l'écriture s'exprime aussi. Pour soigner comme pour écrire, il faut avoir un regard aigu, une sensibilité aux signes les plus subtils et une grande capacité à les réfléchir" Le livre aurait pu s'achever sur un chapitre intitulé "Publier". Pourquoi Camille Laurens a-t-elle décidé, hormis pour "rendre justice", de publier ce texte, éminemment -mais presque forcément- bouleversant? Et par-là même de l'intégrer à son œuvre, qui comptait jusque-là trois romans sans aucun caractère autobiographique? Parce que "Philippe" -nous le disons au risque de choquer- est aussi un superbe texte littéraire, qui exauce le vœu de Camille Laurens : "Pleurez, vous qui lisez, pleurez: que vos larmes tirent Philippe du néant."»
[Le Matricule des Anges, le mensuel de la littérature contemporaine]

Tom est mort, Marie Darieusseq, POL, Collection Fiction, 2007, 246 pages. Repris dans Folio (Poche) 2009.
«La mort de son enfant, nous dit Marie Darrieussecq, c'est la vie qui s'arrête, irrévocablement, puis une autre qui commence, différente, marquée de douleur et de vide, à jamais. 'Tom est mort' n'est pas un témoignage, mais plutôt un exercice littéraire. C'est à peine un roman, mais bien une fiction, écrite avec la conviction et l'implication que l'on pouvait attendre de l'écrivain. Le titre revient comme un leitmotiv, une digression sur la même obsession, la même douleur lancinante. Et il faut avouer que le travail de Marie Darrieussecq impressionne. Pas tant parce qu'il est criant de réalisme, mais surtout pour la maîtrise de l’écriture, la recomposition des sentiments dans un style syncopé, essoufflé, qui transmet plus que le sens des mots la désolation et l'angoisse. Pourtant l'auteur ne verse pas dans la tragédie, par pudeur, peut-être. C'est du deuil, du vide viscéral qu'elle dessine les symptômes. Elle cherche à mettre les mots sur l'indicible, là où le mutisme semble être un refuge acceptable. Elle va jusqu'à comparer, raconter d'autres douleurs pour trouver l'expression juste de cette perte innommable. Il n'y a que le vide, qui fait écho au vide. L'absence dans laquelle on guette le moindre souffle, le signe d'une présence qui ne s'incarne plus.Pour sa maîtrise, son évocation sensible des désordres intérieurs, pour la prouesse toute littéraire et l'empathie la plus franche, la plus humaine, 'Tom est mort' est un livre précieux, qui confirme un talent que l'on soupçonnait déjà fortement.»
[Tomas Flamerion, Évènement]

Et surtout, lisons ces deux romancières, tout en espérant qu'elles en aient fini avec leur querelle... après leur récent livre. Je reviendrai très prochainement sur les deux livres.

Yannick Haenel versus Claude Lanzmann, Annette Wieviorka, et bien d'autres. Polémique.

La querelle entre Marie Darieusseq et Camille Laurens devrait pâlir et prendre le chemin des oubliettes face à la foire d'empoigne entre Yannick Haenel et Claude Lanzmann, Annette Wieviorka, et d'autres encore. Une vaste polémique autour du livre de Yannick Haenel «Jan Karski»; elle s'accentuera dès la parution du livre de Jan Karski, «Mon témoignage devant le monde. Histoire d'un État secret». À commencer par la diffusion du documentaire «Shoah» de Claude Lanzmann sur Arte cette semaine.

Je vous ai déjà dit le peu de bien que je pensais des 2 premières parties du livre de Yannick Haenel... une reprise du texte de Claude Lanzmann, aisément disponible; un résumé du livre de Jan Karski. L'écrivain-résumeur... se fait rattraper par sa facilité.
Je ne me suis pas prononcé alors sur la 3e partie, seule partie fictive... un bien court roman, avec de belles pages sur «Le Cavalier polonais» de Rembrandt. Toutefois, si on place cette partie romanesque en regard des deux autres, il y a un problème de concordance. Par exemple, des idées prêtées à Jan Karski sont historiquement fausses.

On ne le sait que trop... une polémique en balaie une autre, une information en chasse une autre, un drame en remplace un autre, une diversion masque un problème. Dans notre société du «va-vite» et de la nouveauté «forcenée», on gambade d’une idée à l’idée. Ainsi vogue l’actualité en tous domaines.
L’actualité littéraire n’y échappe pas... C’est à qui glissera sur la peau de banane, se fera assommer par la rumeur assassine, étouffera dans l’ambiance empoisonnée.
Dans la polémique autour de Jan Karski, des critiques acerbes, des propos virulents font rage sur internet. Les hostilités sont ouvertes, les passions s'exacerbent. Cette dure polémique rendra bien fade la querelle entre les deux écrivaines.
Ne comptez pas sur moi pour plonger mes belles mains blanches et douces dans ce panier de crabes.

Tout de même... passez un bon vendredi en cette fin de janvier! Bonne journée!
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(1) C'est son 2e roman. «Truismes» l'a déjà rendue célèbre en 1996.
(2) Je fais implicitement référence au hors-série «Le Polar d'Edgar Poe à James Ellroy», Le Magazine Littéraire. Un numéro des plus intéressants (no 17, Juillet-Août 2009). Il présente un long historique du polar, une sélection des meilleurs romans, un hommage à Raymond Chandler, un guide des 50 maîtres du genre, des suggestions de lecture et d'autres chroniques. À lire sans modération.
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