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lundi 31 mai 2010

Sommeil. Philippe Desportes - Victor Hugo - Leconte de Lisle - Arthur Rimbaud - Poésie / Cerveau et Psychologie

Un sujet: le sommeil. Des poètes: Philippe Desportes, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Arthur Rimbaud. Un magazine: «L’essentiel Cerveau&Psychologie no 2, Le sommeil et ses troubles». Lisons à reculons et entre les lignes pour former un tout: Inspirée par «L’essentiel Cerveau&Psychologie no 2, Le sommeil et ses troubles» je vous présente des poèmes sur le… sommeil. Aucun ne vous fera bâiller, aucun ne vous fera cogner des clous… Au contraire, chaque poème tiendra votre esprit en éveil.

Lundi, ce 31 mai 2010. Mai s'enfuit talonné par Juin.
C'est la folle course à relais du temps, un mois en chasse un autre
comme le jour chasse la nuit, et la nuit, le jour.

Au fait, dites-moi, Frère Jacques dormez-vous… du sommeil du juste, un sommeil paisible et profond? Amis lecteurs et lectrices, le Marchand de sable saupoudre-t-il vos nuits d’un sommeil calme et réparateur ou agité et fatiguant? Et dire que l’on passe 1/3 de notre vie les yeux fermés, dans un état physiologique ralenti, alors que la folle du logis s’agite au cœur de l’activité onirique*. Rêves, cauchemars; insomnie, hypersomnie… Mais, qui ou quoi préside ce cérémonial… vital?

Qui? C’est Morphée, fils d’Hypnos. Le dieu ailé parcourt la terre et touche les mortels d’une fleur de pavot pour les endormir. À moins que ce soit Hypnos lui-même, frère jumeau de la Mort. Grâce à ses courtes, et élégantes, ailes attachées à ses tempes, il vole rapidement au secours des mortels qui réclament le sommeil. J’avoue que j’ai une préférence pour Morphée… au cas où Hypnos m’enverrait son frère jumeau.

Quoi? C’est le cerveau. À défaut de dieu ailé, nous avons des structures cérébrales, l’hypothalamus et le thalamus qui secrètent des hormones, et qui président au cycle éveil – sommeil- rêve. Et l’horloge biologique? «La sérotonine joue aussi un rôle important dans le sommeil parce qu’elle sert à fabriquer la mélatonine. La mélatonine, qui est produite durant la nuit, joue un rôle fondamental dans la régulation de notre horloge biologique. Elle est responsable de l’ensemble du cycle veille / sommeil, alors que la sérotonine participe plus spécifiquement à l’éveil, à l’initiation du sommeil ainsi qu’au sommeil paradoxal.» (1)


Le sommaire de «L’essentiel Cerveau&Psychologie no 2, Le sommeil et ses troubles»

  1. Le sommeil : un enjeu de société
  2. Le bâillement : un comportement universel
  3. Les clés du sommeil
  4. Veille et sommeil : un équilibre dynamique
  5. Dormir pour se souvenir
  6. Comportement alimentaire et sommeil
  7. Caféine et vigilance
  8. La clé des rêves
  9. Dans le labyrinthe des cauchemars
  10. Un sommeil anormalement agité
  11. Un sommeil fatigant
  12. Une insomnie plurielle
  13. Le somnambulisme
  14. Le syndrome des jambes sans repos
  15. Terrassé par le sommeil : les hypersomnies
  16. Insomnie et troubles psychiques
  17. Pour ne plus compter les moutons

Les poèmes de Philippe Desportes, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Arthur Rimbaud.


  1. Sommeil, paisible fils de la Nuit solitaire
  2. C'est la nuit; la nuit noire, assoupi et profonde
  3. Le sommeil de Leïlah
  4. Le dormeur du Val
  5. Prière au sommeil

Sommeil, paisible fils de la Nuit solitaire
Sommeil, paisible fils de la Nuit solitaire,
Père calme, nourricier de tous les animaux,
Enchanteur gracieux, doux oubli de nos maux,
Et des esprits blessés l'appareil salutaire :

Dieu favorable à tous, pourquoi m'es-tu contraire ?
Pourquoi suis-je tout seul rechargé de travaux,
Or que l'humide nuit guide ses noirs chevaux,
Et que chacun jouit de ta grâce ordinaire ?

Ton silence où est-il ? ton repos et ta paix,
Et ces songes volant comme un nuage épais,
Qui des ondes d'Oubli vont lavant nos pensées ?

Ô frère de la Mort, que tu m'es ennemi !
Je t'invoque au secours, mais tu es endormi,
Et j'ards, toujours veillant, en tes horreurs glacées.
Philippe Desportes (1546-1606)


C'est la nuit ; la nuit noire, assoupie et profonde
C'est la nuit ; la nuit noire, assoupie et profonde.
L'ombre immense élargit ses ailes sur le monde.
Dans vos joyeux palais gardés par le canon,
Dans vos lits de velours, de damas, de linon,
Sous vos chauds couvre-pieds de martres zibelines,
Sous le nuage blanc des molles mousselines,
Derrière vos rideaux qui cachent sous leurs plis
Toutes les voluptés avec tous les oublis,
Aux sons d'une fanfare amoureuse et lointaine,
Tandis qu'une veilleuse, en tremblant, ose à peine
Éclairer le plafond de pourpre et de lampas,
Vous, duc de Saint-Arnaud, vous, comte de Maupas,
Vous, sénateurs, préfets, généraux, juges, princes,
Toi, César, qu'à genoux adorent tes provinces,
Toi qui rêvas l'empire et le réalisas,
Dormez, maîtres... - Voici le jour. Debout, forçats !
Victor Hugo (1802-1885)


Le sommeil de Leïlah

Ni bruits d'aile, ni sons d'eau vive, ni murmures ;
La cendre du soleil nage sur l'herbe en fleur,
Et de son bec furtif le bengali siffleur
Boit, comme un sang doré, le jus des mangues mûres.

Dans le verger royal où rougissent les mûres,
Sous le ciel clair qui brûle et n'a plus de couleur,
Leïlah, languissante et rose de chaleur,
Clôt ses yeux aux longs cils à l'ombre des ramures.

Son front ceint de rubis presse son bras charmant ;
L'ambre de son pied nu colore doucement
Le treillis emperlé de l'étroite babouche.

Elle rit et sommeille et songe au bien-aimé,
Telle qu'un fruit de pourpre, ardent et parfumé,
Qui rafraîchit le cœur en altérant la bouche.
Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)


Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud (1854-1891)

Prière au sommeil
Somme, doux repos de nos yeux.
Aimé des hommes et des dieux,
Fils de la Nuit et du Silence,
Qui peux les esprits délier,
Qui fais les soucis oublier,
Endormant toute violence.

Approche, ô Sommeil désiré !
Las ! c'est trop longtemps demeuré :
La nuit est à demi passée,
Et je suis encore attendant
Que tu chasses le soin mordant,
Hôte importun de ma pensée.

Clos mes yeux, fais-moi sommeiller,
Je t'attends sur mon oreiller,
Où je tiens la tête appuyée :
Je suis dans mon lit sans mouvoir,
Pour mieux ta douceur recevoir,
Douceur dont la peine est noyée.

Hâte-toi, Sommeil, de venir :
Mais qui te peut tant retenir ?
Rien en ce lieu ne te retarde,
Le chien n'aboie ici autour,
Le coq n'annonce point le jour,
On n'entend point l'oie criarde.

Un petit ruisseau doux-coulant
A dos rompu se va roulant,
Qui t'invite de son murmure,
Et l'obscurité de la nuit,
Moite, sans chaleur et sans bruit,
Propre au repos de la nature.

Chacun hors que moi seulement,
Sent ore quelque allégement
Par le doux effort de tes charmes :
Tous les animaux travaillés
Ont les yeux fermés et ciliés,
Seuls les miens sont ouverts aux larmes.

Si tu peux, selon ton désir,
Combler un homme de plaisir
Au fort d'une extrême tristesse,
Pour montrer quel est ton pouvoir,
Fais-moi quelque plaisir avoir
Durant la douleur qui m'oppresse.

Si tu peux nous représenter
Le bien qui nous peut contenter,
Séparé de longue distance,
Ô somme doux et gracieux !
Représente encore à mes yeux
Celle dont je pleure l'absence.

Que je voie encor ces soleils,
Ce lis et ces boutons vermeils,
Ce port plein de majesté sainte ;
Que j'entr'oie encor ces propos,
Qui tenaient mon cœur en repos,
Ravi de merveille et de crainte.

Le bien de la voir tous les jours
Autrefois était le secours
De mes nuits, alors trop heureuses ;
Maintenant que j'en suis absent,
Rends-moi par un songe plaisant
Tant de délices amoureuses.

Si tous les songes ne sont rien,
C'est tout un, ils me plaisent bien :
J'aime une telle tromperie.
Hâte-toi donc, pour mon confort;
On te dit frère de la Mort,
Tu seras père de ma vie.

Mais, las ! je te vais appelant,
Tandis la nuit en s'envolant
Fait place à l'aurore vermeille :
O Amour ! tyran de mon cœur,
C'est toi seul qui par ta rigueur
Empêches que je ne sommeille.

Hé ! quelle étrange cruauté !
Je t'ai donné ma liberté,
Mon cœur, ma vie, et ma lumière,
Et tu ne veux pas seulement
Me donner pour allégement
Une pauvre nuit tout entière ?
Philippe Desportes (1546-1606)

Bonne journée! Merci de me lire.
Cette nuit, et toutes les autres nuits, faites de beaux rêves...
___
* Psitt! La journée se divise en tiers: 1/3 de dodo, 1/3 de boulot, 1/3 de … mais que fait-on, au juste, de l’autre tiers, celui qui nous file entre les doigts?
[] (1) Extrait lu sur http://lecerveau.mcgill.ca : un (beau) site à visiter, sans faute. Il propose 3 niveaux d'apprentissage: cérébral (sic) débutant, cérébral intermédiaire, cérébral avancé. C'est un site pédagogique, abondamment illustré.

dimanche 23 mai 2010

Jude Stéfan - Que ne suis-je Catulle / Lorand Gaspar - Derrière le dos de Dieu / J.-B. Pontalis - En marge des nuits. Poésie

En ce beau dimanche de la fin de mai [il nous en reste encore un...], je vous offre un bouquet de poèmes. Trois grandes pointures, comme aimait à le dire, si joliment et fièrement, Bernard Pivot. Trois nouveaux recueils de trois auteurs, créateurs de beauté: Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle; Lorand Gaspar, Derrière le dos de Dieu; J.-B. Pontalis, En marge des nuits. [Trois publications de Gallimard, Collection blanche].

Les extraits sont accompagnés de courtes notes. À propos de... l'auteur. Au sujet de... traite du recueil. Quid... c'est le «eh ben quoi, ça alors!» qui espère vous surprendre...

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture.
Laissez-vous envahir par la beauté des poèmes.
Laissez-vous bercer par leur musique.



¤¤¤ Jude Stéfan ¤¤¤
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Que ne suis-je Catulle

en ces presque 80 poèmes


court paradis perdu
«coupable de Mort
je ne puis aller au père
mais aux filles et au vin
la loi m’y condamne hélas
depuis Adam le glébeux
que dégrossit Ève le
serpent la tentant à
l’oreille de sa bifide langue
en quel idiome ? Il rampe
ainsi que debout j’erre
en mes décombres
couleur muraille
que l’on rase»
Jude Stéfan, né en 1930
Gallimard, Collection Blanche
122 pages, 2010.

À propos de… Poète et nouvelliste, Jude Stéfan «résume ainsi sa vie de poète "fleurs, femmes, jeunes, arbres, animaux, haine de la médiocrité". Enfin, il termine avec humour en conseillant à Bertrand: "Si vous voulez être poète (mauvaise voie!), il vous faudra vous exercer pendant 10 ans d'abord! Puis, "Hauzez"!"» [Wikipédia].
Jude Stéfan est un pseudonyme que Jacques Dufour a judicieusement choisi. Il s’en explique dans «Le temps qu’il fait» publié en 1993. Ce nom est en référence avec… Jude l’obscur, de Thomas Hardy; avec… Stephen, le héros de Joyce ; avec… steorfan, terme à propos duquel il écrit : «en vieil anglais steorfan veut dire mourir/ et si j’en retranche l’or/ reste ma vie terne».

Au sujet de…
Prenant prétexte d’une remarque que lui fit une lectrice : «Vous n’êtes pas Catulle !», Jude Stéfan revient sur sa vie, son enfance, ses amours, ses lectures, et anticipe sa mort... » [L’éditeur].
«Ce splendide recueil sera peut-être le dernier: «Pauvres hères dans nos campagnes/ qui l'hiver vous pendiez/ à raison/ Vous nous communiez/vous nous en conjurez/ Ne Plus Ecrire» Tel il s'achève. Plus funèbres encore que par le passé, et plus inconsolables, ces poèmes d'adieu paraissent de parfaites épitaphes romaines, aux rythmes allongés et parfois solennels: «Perdue la jeunesse/heureuse comme Thème latin sans tache», disent ces vers, tout centrés sur une majuscule digne, déjà presque oubliée.» [Jacques Drillon, sur BiblioObs].

Quid… Catulle, Caius Valerius Catullus, est un poète romain (82 avant J.-C.-52 avant J.-C.). Les Poésies, Liber Valerii Catulli, est un recueil dû à Gaïus Valerius Catullus (82-52 av. J.-C.), comprenant cent seize pièces, ordonnées à la fois selon leur genre et leur structure métrique: au début et à la fin des poèmes plus courts, des sujets légers, le corps du texte étant formé d'œuvres savantes et plus développées.
Si l'amour pour Lesbie –c'est-à-dire dans la réalité la belle et infidèle Clodia, sœur du tribun Clodius;– domine l'œuvre poétique de Catulle, l'ensemble se présente comme un journal ouvert à tous les aspects de la vie. Celle de l'auteur, faite de bonheurs et de désillusions, hantée par le sentiment de l'inéluctabilité de la mort, nous sert de fil conducteur dans un ouvrage qui se veut exemplaire du destin de chaque homme. Les poèmes chantent à la fois la joie de l'amour et les souffrances de la passion». [Encyclopédie Universalis]



¤¤¤ Lorand Gaspar ¤¤¤

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Derrière le dos de Dieu
«ici ma langue se paralyse
et se creuse l’ouïe –
le corps, la pensée
rôdent dans les ravins calcinés.
Somptueuse nudité qui bâille
dans l’étendue sans mémoire
et le souple fruit de la langue
rendu aux ans de sécheresse –
oracle toujours qui se tait –
sur le même tas de fumier»

«Gisement de ténèbres et d’éclairs
d’immobilité et de mouvement
Gisement d’air qui vibre et de langues
au fond du silence tenace.
Ici un mot, là un geste, une absence
que nous montre, nous épelle l’érosion.
Dénudés sur les routes du Sud
Nous portons plus loin nos gîtes d’énigmes,
Nos quêtes d’aurore dans la nuit—

Entre deux margelles de clarté
Un pléistocène grouillant et obscur.
L’accord ici est hors clavier.
Dans l’écartèlement –bonheur, détresse-
nous accouchons parfois d’une vie vraie
dans l’espace habitable—»

«Les doigts écartent des bords de paupières
Ils cherchent une pente vers les fonds
Ce sont tissages encore et couleurs
La racine des sources : feuillage et rumeurs—»
Lorand Gaspar, né en 1925.
Gallimard, Collection Blanche
120 pages, 2010.

À propos de… Lorand Gaspard est poète, médecin, historien, photographe et traducteur. «Médecine et écriture sont intimement liées dans l'œuvre de Gaspar, tout comme dans la vie de l'homme. Nombre de ses créations évoquent ce lien à la fois invisible et indestructible qui unit le médecin au poète.» Lorand Gaspar est aussi l’auteur d’ouvrage sur les neurosciences. Il «valorise la psychologie et le développement personnel tout autant que l'écriture et la poésie.» [Wikipédia]

Au sujet de… Les poèmes de Lorand Gaspar sont ma-gni-fi-ques. Leur musique qui enchante l’oreille, séduira aussi bien votre esprit que votre cœur, et vous apaisera. Je vous invite donc à lire d’autres poèmes sur le site de Gallimard, en cliquant ici.

Quid… «Derrière le dos de Dieu» : nom donné à cette région de la Transylvanie orientale où se situent les rudes villages des hauts plateaux des Carpates dont mes grands-parents étaient originaires.», écrit Lorand Gaspar.



¤¤¤ J.-B. Pontalis ¤¤¤
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En marge des nuits
«Ce livre fait écho à En marge des jours paru en 2002. Comme lui, il est composé de fragments, comme lui, il a trouvé son point de départ dans de brèves notes que j’inscris parfois dans mes «Cahiers privés».
Mais ici sont évoqués ce que Victor Hugo dans «Choses vues» appelait des «événements de la nuit» des rêves qui redonnent vie aux amis disparus, des rencontres qui, même si elles ont lieu le jour, ont quelque chose d’insolite, des moments d’inquiétante étrangeté où notre identité vacille, ou encore ceux où l’on se demande: «Qu’est-ce que je fais là?».
«La présence de la mort à venir va de pair avec l’attrait pour la vie, avec l’inlassable curiosité qui anime l’enfant avide d’explorer ce qui l’entoure. À cet enfant je donne un nom : Alice.»
Pontalis cite Claude Roy: «Le songe qui m’invente a les yeux grands ouverts / Et je ferme les yeux pour regarder le monde».
J.-B. Pontalis, né en 1924.
Gallimard, Collection blanche
144 pages, 2010.

En marge des jours
« Que ça casse crisse gerbe éclabousse déchire agace tranche
La gelée d'eau la lame de fer le jeu le chignon des orages
Voilà dès ce soir je reprends l'amère question qui déchire
La lune est là j'enrage noir j'ai l'âme arrachée j'interroge
La mer j'interroge le vent les hanches de la pluie l'horizon
Pourquoi pas au point où nous en sommes l'or sur l'épaule
Pourquoi passer par-dessus les oiseaux ou dans le sommeil
Je veux voir l'enfer des couleurs je veux en cendres l'autre
Qui dort parmi les roses ou les crachats qui coulent je veux
Entendre l'envers de l'eau qui enfle sous les seins saoulés
Quand la mort remonte l'escalier des veines il est temps de
Ce jeu amer au bout de la nuit intelligible quand les femmes
Se dénouent qu'elles avouent leurs cheveux lourds comme
Cette question avec laquelle on enlève leurs robes chaudes
Pour tenter de comprendre l'effarant intérieur des ombres »
J.-B. Pontalis
Gallimard, Collection blanche
128 pages, 2002

À propos deJean-Bertrand Pontalis est psychanalyste, philosophe, écrivain et éditeur.

Au sujet de «Ces courts textes en disent long sur leur auteur, psychanalyste et éditeur. Ecrits plus à la Montaigne qu'à la Valéry, ils ne sont point des confessions mais des coups d'œil lancés sur soi-même. Et l'intelligence de la sensation se trouve multipliée par la justesse de la formule : « Rêver parfois me fatigue.» Ou bien, d'un petit enfant riant sur ses épaules : « Qui est le plus heureux ? Moi, d'avoir un fils Lui, d'avoir un père ?» Chez Pontalis, la satisfaction cède le pas à l'inquiétude, et l'épate à l'humanité.» Jacques Drillon, sur BibliObs
Éric de Bellefroid présente une critique élaborée de «En marge des nuits», intitulée «Les lumières de la nuit», sur lalibre.be; pour lire ce texte, cliquez ici.

Bon dimanche!

dimanche 9 mai 2010

Jacques Prévert - Un dîner de têtes - Cortège - La batteuse / Vertige de la liste - Umberto Eco. Poésie

Le temps est humide et frais. Des champignons poussent dans le parterre. À peine fleuri, le lilas est déjà flétri. Il y a de quoi avoir la mine basse... Vivement la poésie de Jacques Prévert! Grand jongleur de mots, esprit vif et moqueur, Prévert nous servira «un dîner de têtes», il organisera un cortège unique mené par «Un vieillard en or avec une montre en deuil», il nous conduira ensuite à la campagne pour voir «La batteuse» et, surtout, pour observer les activités autour de la batteuse.

La tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France, Cortège et La batteuse: ces trois poèmes que je vous présente aujourd'hui sont si pleins d'inventivité, de vitalité et de charme, qu'ils sauront vous donner énergie et entrain. C'est tout ce qu'il faut pour passer un beau dimanche!

«Vertige de la liste» de Umberto Eco
Ces poèmes de Jacques Prévert font partie de «L'énumération chaotique», présentée au chapitre 17 du livre «Vertige de la liste» de Umberto Eco. Ils en sont des exemples puisés dans la littérature contemporaine tout comme le poème «Ode à Federico Garcia Lorca», de Pablo Neruda, et le poème «Les météorites» de Italo Calvino.
L'œuvre singulière du peintre James Ensor «Portrait de l'artiste entouré de masques» (1899) illustre admirablement «le dîner de têtes» concocté par Jacques Prévert.

Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… on
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons
Ceux qui flottent et ne sombrent pas
Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme
Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler
Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine
Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton
Ceux qui volent des œufs et qui n’osent pas les faire cuire
Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers
Ceux qui mamellent la France
Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres, entraient fièrement à l’Élysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait.

L’un une tête de pipe en terre, l’autre une tête d’amiral anglais ; il y en avait avec des têtes de boule puante, des têtes de Galliffet, des têtes d’animaux malades de la tête, des têtes d’Auguste Comte, des têtes de Rouget de Lisle, des têtes de sainte Thérèse, des têtes de fromage de tête, des têtes de pied, des têtes de monseigneur et des têtes de crémier.

Quelques-uns, pour faire rire le monde, portaient sur leurs épaules de charmants visages de veaux, et ces visages étaient si beaux et si tristes, avec les petites herbes vertes dans le creux des oreilles comme le goémon dans le creux des rochers, que personne ne remarquait.

Une mère à tête de morte montrait en riant sa fille à tête d’orpheline au vieux diplomate ami de la famille qui s’était fait la tête de Soleilland.

C’était véritablement délicieusement charmant et d’un goût si sûr que lorsque arriva le Président avec une somptueuse tête d’œuf de Colomb ce fut du délire.

"C'était simple, mais il fallait y penser", dit le Président en dépliant sa serviette et devant tant de malice et de simplicité les invités ne peuvent maîtriser leur émotion; à travers des yeux cartonnés de crocodile un gros industriel verse de véritables larmes de joie, un plus petit mordille la table, de jolies femmes se frottent les seins très doucement et l'amiral, emporté par son enthousiasme, boit sa flûte de champagne par le mauvais côté, croque le pied de la flûte et, l'intestin perforé, meurt debout, cramponné au bastingage de sa chaise en criant: "Les enfants d'abord."

Étrange hasard, la femme du naufragé, sur les conseils de sa bonne, s'était, le matin même, confectionné une étonnante tête de veuve de guerre, avec les deux grands plis d'amertume de chaque côté de la bouche, et les deux petites poches de la douleur, grises sous les yeux bleus.

Dressée sur sa chaise, elle interpelle le président et réclame à grands cris l'allocation militaire et le droit de porter sur sa robe du soir le sextant du défunt en sautoir.

Un peu calmée elle laisse ensuite son regard de femme seule errer sur la table et voyant parmi les hors-d'œuvre des filets de harengs, elle en prend machinalement en sanglotant, puis en reprend, pensant à l'amiral qui n'en mangeait pas si souvent de son vivant et qui pourtant les aimait tant.

Stop. C'est le chef du protocole qui dit qu'il faut s'arrêter de manger, car le président va parler.

Le président s'est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud.

Il parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

"… car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger , pas d'oliviers, pas d'Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs, et les grandes chaleurs, c'est la santé des voyageurs, d'ailleurs..."

Mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques les emplissant d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis l'autre, et tombent comme des mouches, dans les assiettes... sur les plastrons, mortes comme le dit la chanson.

"La plus noble conquête de l'homme, c'est le cheval, dit le président, et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là."

C'est la fin du discours; comme une orange abîmée lancée très fort contre un mur par un gamin mal élevé, la MARSEILLAISE éclate et tous les spectateurs, éclaboussés par le vert-de-gris et les cuivres, se dressent congestionnés, ivres d'Histoire de France et de Pontet-Canet.

Tous sont debout, sauf l'homme à tête de Rouget de Lisle qui croit que c'est arrivé et qui trouve qu'après tout ce n'est pas si mal exécuté et puis, peu à peu, la musique s'est calmée et la mère à tête de morte en a profité pour pousser sa petite fille à tête d'orpheline du côté du président.

Les fleurs à la main, l'enfant commence son compliment "Monsieur le Président..." mais l'émotion, la chaleur, les mouches, voilà qu'elle chancelle et qu'elle tombe le visage dans les fleurs, les dents serrées comme un sécateur.
L'homme à tête de bandage herniaire et l'homme à tête de phlegmon se précipitent, et la petite est enlevée, autopsiée et reniée par sa mère, qui, trouvant sur le carnet de bal de l'enfant des dessins obscènes comme on n'en voit pas souvent, n'ose penser que c'est le diplomate ami de la famille et dont dépend la situation du père qui s'est amusé si légèrement.

Cachant le carnet dans sa robe, elle se pique le sein avec le petit crayon blanc et pousse un long hurlement, et sa douleur fait peine à voir à ceux qui pensent qu'assurément voilà bien là la douleur d'une mère qui vient de perdre son enfant.

Fière d'être regardée, elle se laisse aller, elle se laisse écouter, elle gémit, elle chante "Où donc est-elle ma petite fille chérie, où donc est-elle ma petite Barbara qui donnait de l'herbe aux lapins et des lapins aux cobras!"

Mais le président, qui sans doute n'en est pas à son premier enfant perdu, fait un signe de la main et la fête continue.

Et ceux qui étaient venus pour vendre du charbon et du blé vendent du charbon et du blé et de grandes îles entourées d'eau de tous côtés, de grandes îles avec des arbres à pneus et des pianos métalliques bien stylés pour qu'on n'entende pas trop les cris des indigènes autour des plantations quand les colons facétieux essaient après dîner leur carabine à répétition.

Un oiseau sur l’épaule, un autre au fond du pantalon pour le faire rôtir, l’oiseau, un peu plus tard à la maison, les poètes vont et viennent dans tous les salons.

"C'est, dit l'un d'eux, réellement très réussi", mais dans un nuage de magnésium le chef du protocole est pris en flagrant délit, remuant une tasse de chocolat glacé avec une cuiller à café.

"Il n'y a pas de cuiller spéciale pour le chocolat glacé, c'est insensé, dit le préfet, on aurait dû y penser, le dentiste a bien son davier, le papier son coupe-papier et les radis roses leurs raviers."

Mais soudain tous de trembler car un homme avec une tête d'homme est entré, un homme que personne n'avait invité et qui pose doucement sur la table la tête de Louis XVI dans un panier.

C'est vraiment la grande horreur, les dents, les vieillards et les portes claquent de peur.

"Nous sommes perdus, nous avons décapité un serrurier", hurlent en glissant sur la rampe d'escalier les bourgeois de Calais dans leur chemise grise comme le cap Gris-Nez.

La grande horreur, le tumulte, le malaise, la fin des haricots, l'état de siège et dehors en grande tenue les mains noires sous les gants blancs, le factionnaire qui voit dans les ruisseaux du sang et sur sa tunique une punaise pense que ça va mal et qu'il faut s'en aller s'il en est encore temps.

"J'aurais voulu, dit l'homme en souriant, vous apporter aussi les restes de la famille impériale qui repose, paraît-il, au caveau Caucasien rue Pigalle, mais les Cosaques qui pleurent, dansent et vendent à boire veillent jalousement leurs morts.

"On ne peut pas tout avoir, je ne suis pas Ruy Blas, je ne suis pas Cagliostro , je n'ai pas la boule de verre, je n'ai pas le marc de café. Je n'ai pas la barbe en ouate de ceux qui prophétisent.

J'aime beaucoup rire en société, je parle ici pour les grabataires, je monologue pour les débardeurs, je phonographe pour les splendides idiots des boulevards extérieurs et c'est tout à fait par hasard si je vous rends visite dans votre petit intérieur.

"Et ta sœur", est un homme mort. Personne ne le dit, il a tort, c'était pour rire.

"Il faut bien rire un peu et si vous vouliez, je vous emmènerais visiter la ville mais vous avez peur des voyages, vous savez ce que vous savez et que la Tour de Pise est penchée et que le vertige vous prend quand vous vous penchez vous aussi à la terrasse des cafés.

"Et pourtant vous vous seriez bien amusés, comme le président quand il descend dans la mine, comme Rodolphe au tapis-franc quand il va voir le chourineur comme lorsque vous étiez enfant et qu'on vous emmenait au jardin des Plantes voir le grand tamanoir.

"Vous auriez pu voir les truands sans cour des miracles, les lépreux sans cliquette et les hommes sans chemise couchés sur les bancs, couchés pour un instant, car c'est défendu de rester là un peu longtemps.

"Vous auriez vu les hommes dans les asiles de nuit faire le signe de la croix pour avoir un lit, et les familles de huit enfants "qui crèchent à huit dans une chambre" et si vous aviez été sages vous auriez eu la chance et le plaisir de voir le père qui se lève parce qu'il a sa crise, la mère qui meurt doucement sur son dernier enfant, le reste de la famille qui s'enfuit en courant et qui pour échapper à sa misère tente de se frayer un chemin dans le sang.

"Il faut voir, vous dis-je, c'est passionnant, il faut voir à l'heure où le bon Pasteur conduit ses brebis à la Villette, à l'heure où le fils de famille jette avec un bruit mou sa gourme sur le trottoir, à l'heure où les enfants qui s'ennuient changent de lit dans leur dortoir, il faut voir l'homme couché dans son lit-cage à l'heure où son réveil va sonner.

"Regardez-le, écoutez-le ronfler, il rêve, il rêve qu'il part en voyage, rêve que tout va bien, rêve qu'il a un coin, mais l'aiguille du réveil rencontre celle du train et l'homme levé plonge la tête dans la cuvette d'eau glacée si c'est l'hiver, fétide si c'est l'été.

"Regardez-le se dépêcher, boire son café-crème, entrer à l'usine, travailler, mais il n'est pas encore réveillé, le réveil n'a pas sonné assez fort, le café n'était pas assez fort, il rêve encore, rêve qu'il est en voyage, rêve qu'il a un coin, se penche par la portière et tombe dans un jardin, tombe dans un cimetière, se réveille et crie comme une bête, deux doigts lui manquent, la machine l'a mordu, il n'était pas là pour rêver et comme vous pensez ça devait arriver.

Vous pensez même que ça n'arrive pas souvent et qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, vous pensez qu'un tremblement de terre en Nouvelle-Guinée n'empêche pas la vigne de pousser en France, les fromages de se faire et la terre de tourner.

"Mais je ne vous ai pas demandé de penser; je vous ai dit de regarder, d'écouter, pour vous habituer, pour n'être pas surpris d'entendre craquer vos billards le jour où les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire.

"Car cette tête si peu vivante que vous remuez sous le carton mort, cette tête blême sous le carton drôle, cette tête avec toutes ses rides, toutes ses grimaces instruites, un jour vous la hocherez avec un air détaché du tronc et quand elle tombera dans la sciure vous ne direz ni oui ni non.

"Et si ce n'est pas vous ce sera quelques-uns des vôtres, car vous connaissez les fables avec vos bergers et vos chiens, et ce n'est pas la vaisselle cérébrale qui vous manque.

"Je plaisante, mais vous savez, comme dit l'autre, un rien suffit à changer le cours des choses. Un peu de fulmi-coton dans l'oreille d'un monarque malade et le monarque explose. La reine accourt à son chevet. Il n'y a pas de chevet. Il n'y a plus de palais. Tout est plutôt ruine et deuil. La reine sent sa raison sombrer. Pour la réconforter, un inconnu avec un bon sourire, lui donne le mauvais café. La reine en prend, la reine en meurt et les valets collent des étiquettes sur les bagages des enfants. L'homme au bon sourire revient, ouvre la plus grande malle, pousse les petits princes dedans, met le cadenas à la malle, la malle à la consigne et se retire en se frottant les mains.

"Et quand je dis, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs: "le Roi, la Reine, les petits princes", c'est pour envelopper les choses, car on ne peut pas raisonnablement blâmer les régicides qui n'ont pas de roi sous la main, s'ils exercent parfois leurs dons dans leur entourage immédiat.

"Particulièrement parmi ceux qui pensent qu'une poignée de riz suffit à nourrir toute une famille de Chinois pendant de longues années.

"Parmi celles qui ricanent dans les expositions parce qu'une femme noire porte dans son dos un enfant noir et qui portent depuis six ou sept mois dans leur ventre blanc un enfant blanc et mort.

"Parmi les trente mille personnes raisonnables composées d'une âme et d'un corps, qui défilèrent le Six Mars à Bruxelles, musique militaire en tête, devant le monument élevé au Pigeon-Soldat et parmi celles qui défileront demain à Brive-la-Gaillarde, à Rosa-la-Rose ou à Carpa-la-Juive devant le monument du jeune et veau marin qui périt à la guerre comme tout un chacun."

Mais une carafe lancée de loin par un colombophile indigné touche en plein front l'homme qui racontait comment il aimait rire. Il tombe, le Pigeon-Soldat est vengé. Les cartonnés officiels écrasent la tête de l'homme à coups de pied et la jeune fille qui trempe en souvenir le bout de son ombrelle dans le sang éclate d'un petit rire charmant, la musique reprend.

La tête de l'homme est rouge comme une tomate trop rouge, au bout d'un nerf un œil pend, mais sur le visage démoli, l'œil vivant, le gauche, brille comme une lanterne sur des ruines.

"Emportez-le", dit le Président, et l'homme couché sur une civière et le visage caché par une pèlerine d'agent sort de l'Élysée horizontalement, un homme derrière lui, un autre devant.

"Il faut bien rire un peu", dit-il au factionnaire et le factionnaire le regarde passer avec ce regard figé qu'ont parfois les bons vivants devant les mauvais.

Découpée dans le rideau de fer de la pharmacie une étoile de lumière brille et comme des rois mages en mal d'enfant jésus, les garçons bouchers, les marchands d'édredons et tous les hommes de cœur contemplent l'étoile qui leur dit que l'homme est à l'intérieur, qu'il n'est pas tout à fait mort, qu'on est en train peut-être de le soigner et tous attendent qu'il sorte avec l'espoir de l'achever.

Ils attendent, et bientôt, à quatre pattes à cause de la trop petite ouverture du rideau de fer, le juge d'instruction pénètre dans la boutique, le pharmacien l'aide à se relever et lui montre l'homme mort, la tête appuyée sur le pèse-bébé.

Et le juge se demande, et le pharmacien regarde le juge se demander si ce n'est pas le même homme qui jeta des confettis sur le corbillard du maréchal et qui jadis, plaça la machine infernale sur le chemin du petit caporal.

Et puis ils parlent de leurs petites affaires, de leurs enfants, de leurs bronches; le jour se lève, on tire les rideaux chez le Président.

Dehors, c'est le printemps, les animaux, les fleurs, dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent, c'est le printemps, l'aiguille s'affole dans sa boussole, le binocard entre au bocard et la grande dolichocéphale sur son sofa s'affale et fait la folle.

Il fait chaud. Amoureuses les allumettes tisons se vautrent sur leur frottoir, c'est le printemps, l'acné des collégiens et voilà la fille du sultan et le dompteur de mandragores, voilà les pélicans, les fleurs sur les balcons, voilà les arrosoirs, c'est la belle saison.

Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,
ceux qui écaillent le poisson
ceux qui mangent la mauvaise viande
ceux qui fabriquent les épingles à cheveux
ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines
ceux qui coupent le pain avec leur couteau
ceux qui passent leurs vacances dans les usines
ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire
ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait
ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste
ceux qui crachent leurs poumons dans le métro
ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux
ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire
ceux qui ont du travail
ceux qui n’en ont pas
ceux qui en cherchent
ceux qui n’en cherchent pas
ceux qui donnent à boire aux chevaux
ceux qui regardent leur chien mourir
ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire
ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises
ceux que le suisse envoie se chauffer dehors
ceux qui croupissent
ceux qui voudraient manger pour vivre
ceux qui voyagent sous les roues
ceux qui regardent la Seine couler
ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente, qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille, qu’on assomme
ceux dont on prend les empreintes
ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille
ceux qu’on fait défiler devant l’Arc
ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier
ceux qui n’ont jamais vu la mer
ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin
ceux qui n’ont pas l’eau courante
ceux qui sont voués au bleu horizon
ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire
ceux qui vieillissent plus vite que les autres
ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l’épingle
ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi
parce qu’ils voient venir le lundi
et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi
et le samedi
et le dimanche après-midi.
Jacques Prévert, 1931

Cortège
Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d’Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de corde avec un danseur de têtes
Un maréchal d’écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite sœur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du gaz de Paris
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l’orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer.
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l’Académie française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d’autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuite
Prévert, 1949


La Batteuse
La batteuse est arrivée
la batteuse est repartie

Ils ont battu le tambour
ils ont battu les tapis
ils ont tordu le linge
ils l'ont pendu
ils l'ont repassé
ils ont fouetté la crème et ils l'ont renversée
ils ont fouetté un peu leurs enfants aussi
ils ont sonné les cloches
ils ont égorgé le cochon
ils ont grillé le café
ils ont fendu le bois
ils ont cassé les œufs
ils ont fait sauter le veau et les petits pois
ils ont flambé l'omelette au rhum
ils ont découpé la dinde
ils ont tordu le cou aux poulets
ils ont écorché les lapins
ils ont éventré les barriques
ils ont noyé leur chagrin dans le vin
ils ont claqué les portes et les fesses des femmes
ils se sont donné un coup de main
ils se sont rendu des coups de pied
ils ont basculé la table
ils ont arraché la nappe
ils ont poussé la romance
ils se sont étranglés étouffés tordus de rire
ils ont brisé la carafe d'eau frappée
ils ont renversé la crème renversée
ils ont pincé les filles
ils les ont culbutées dans le fossé
ils ont mordu la poussière
ils ont battu la campagne
ils ont tapé des pieds
tapé des mains tapé des mains
ils ont crié et ils ont hurlé ils ont chanté
ils ont dansé>
ils ont dansé autour des granges où le blé était enfermé

Où le blé était enfermé moulu fourbu vaincu battu
Prévert, 1946

Je vous souhaite un beau dimanche, beau temps, mauvais temps!

Je souhaite une Bonne fête des mères, à toutes les mamans et grands-mamans!


dimanche 2 mai 2010

Bleu. Baudelaire - Daudet - de Noailles - Hugo - Ristat - Sorrente - Sacré - Ricard - Suel - Serres. Poésie

Bleu nous chantent les poètes Charles Baudelaire, Alphonse Daudet, Anna de Noailles, Victor Hugo, Jean Ristat, Dominique Sorrente, James Sacré, Francis Ricard, Lucien Suel, Alain Serres. Ce dimanche, la poésie s'élève vers le bleu, plonge dans le bleu, ou se vit au ras des des bleuets (les fleurs). Tout est bleu... Je vois la vie... en bleu. Le lilas courbé sous la neige printanière s'est redressé, il s'apprête à fleurir et à embaumer le jardin. Les tulipes ouvrent leur corolle, de jaune, de rouge, de rouge strié de jaune. Les pivoines dressent leurs tiges rouge sombre au milieu du parterre, elles feront éclater leurs grosses fleurs rouges, blanches, blanches et roses, prenant la relève des lilas bleu mauve. Qu'à celui ne tienne, je vois en bleu...

Le bleu du ciel, vu de ma double fenêtre. «Le bleu du ciel», de Georges Bataille, écrit en 1935 (il y dénonce la montée du nazisme) et publié en 1957, aux éditions Jean-Jacques Pauvert (1). «Le bleu du ciel», téléroman et roman de Victor-Lévy Beaulieu (2004 et 2005). Le film que j'attends: Tengri, le bleu du ciel de Marie Jaoul de Poncheville. Je suis sous influence, vous dis-je...
Peut-être qu'un autre dimanche, je verrai la poésie sous une autre couleur... Sait-on jamais! Peut-être sans aucune couleur ou, à l'opposé, de toutes les couleurs à la fois... Sait-on jamais!

La mort des amants
Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Sans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Charles Baudelaire (1821-1867)
Les Fleurs du mal

L’oiseau bleu
J’ai dans mon cœur un oiseau bleu,
Une charmante créature,
Si mignonne que sa ceinture
N’a pas l’épaisseur d’un cheveu.

Il lui faut du sang pour pâture
Bien longtemps je me fis un jeu
De lui donner sa nourriture :
Les petits oiseaux mangent peu.

Mais sans rien en laisser paraître,
Dans mon cœur il a fait, le traître,
Un trou large comme la main.

Et son bec fin comme une lame,
En continuant son chemin,
M’est entré jusqu’au fond de l’âme !...
Alphonse Daudet (1840–1898)
Les amoureuses

Chaleur
Tout luit, tout bleuit, tout bruit.
Le jour est brulant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.

Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air ou rôde
Comme un parfum de reine-claude.

Le soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu.
Anna de Noailles (1876-1933)
L'ombre des jours

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé
Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,
Étant femme, se sent reine ; tout l'A B C
Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'être belles,
De courber d'un regard les fronts les plus rebelles,
De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,
Un sourire, éblouir les cœurs les plus profonds,
D'être, à côté de l'homme ingrat, triste et morose,
Douces plus que l'azur, roses plus que la rose ;
Jeanne le sait ; elle a trois ans, c'est l'âge mûr ;
Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,
Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse ;
Ma strophe, qui près d'elle a l'air d'une pauvresse,
L'implore, et reçoit d'elle un rayon ; et l'enfant
Sait déjà se parer d'un chapeau triomphant,
De beaux souliers vermeils, d'une robe étonnante ;
Elle a des mouvements de mouche frissonnante ;
Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts.
Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;
Elle est de droit céleste et par devoir jolie ;
Et son commencement de règne est ma folie.
Victor Hugo (1802-1885)
L'art d'être grand-père

Prologue
Je chante ce que personne encore n’a chanté
La guerre ni la paix des empires et la gloire
D’un héros à sa charrue labourant un
Ciel de carnaval mais le temps étranglé dans
Les griffes de l’espace ou l’inverse les mots
Au trébuchet les lourds univers tapis comme
Des fauves invisibles au coin de l’œil aveugle
J’écris la nuit à tâtons la lune à côté
Dans la chambre comme une mariée enlève
Son voile bleu ma main cherche un rêve oublié
Dans la poche du dormeur caché dans les plis
Enroulés d’un miroir serpents aux bagues de
Feu et glace tourbillonnants immobiles je
Milliards d’infinis éclatés porte le deuil
Ce qu’il n’a jamais été et pourtant va être
Et ne sera plus poupées emboîtées mondes
Précipités dans les toboggans savonnés
Chiffons de soie des langues à repasser où
T’en vas-tu univers toi qui me possèdes
Je lèche mon ombre sur le sol comme un loup
Ce soir je ne dors pas je compte les étoiles

Ô quel entêtement au bonheur et pourtant
Voici le temps de la grande désespérance
La terre pelée la flamme au nid de l’œil
Comme un rapace le fusil à bout portant
Sur le parquet du ciel la ruine du jour
À la bouche voici la nuit son manteau d’huile
L’âme d’un enfant prisonnière dans ses
Revers l’ongle retourné de la lune
[…]
Jean Ristat, (1943-....)
Le voyage à Jupiter et au-delà. Peut-être


Rituel du métal
Arracher au parfum / L’invisibilité d’une fleur.

Accomplir le rite clandestin/ D’une image vibrante.

Saluer à l’envers/ La fille au sablier.

Lever les mains disponibles / Vers la perte.

Toucher à la solitude du dehors / Comme on entre au miroir.

Poser un brouillard neuf / Sur la porte fermée.

Faire d’un simple baiser / Un thaumaturge.

Ramasser des cailloux / Derrière les limites.

Remettre à l’eau du fleuve / Son dernier rêve rédigé.

Sentir naître les larmes / Sous astreinte d’infini.

Prêter au diagramme des noms / La véritable rose.

Laisser les alibis en ruine / Se détacher des yeux.

Découvrir sous le corps / Le tatouage de l’origine.

Se laisser balbutier / Par un mot juste ouvert.

Vider / les mauvais scenarii de l’horreur.

Suivre d’une ligne à l’autre effacée, / L’humeur du dieu muet.

Libérer son stylo / A la marge d’un chant d’automne.

Ne plus voir / Qu’une tour de paysages.

Egarer à l’hôtel fébrile / Les diamants de la fatigue.

Dans l’herbe des chaleurs / Coucher le monde vertical.

Ecarter, grand angle, / Les jambes fétiches.

Saisir le pli d’orient / Du sexe qui se trouve.

Etablir le compte des vagues / Sans retenue.

Fumer en somnambules / L’âme d’un temps à l’autre.

Devenir roue vouée / A la fureur des rails.

Souffler pour l’attiser / le « e » silencieux de la bougie.

Fêter la patrie sans danger / Sur l’épave d’un ascenseur flottant.

Ajuster le tréma / Sur le bleu de la coïncidence.

Sauter en clignant des yeux / d’une corde parallèle à l’autre.

Attendre au milieu de l’éternité / Que le verre se remplisse.
Dominique Sorrente, (1953-....)
Trente distiques autour du mot « Désir»


Vivre passait par Fontenay-le-Comte
C’est parti du château de Coulonges, école
Dans les grandes salles renaissance, entre bocage et marais
Pas loin tu vois l’abbaye de Maillezais
Grande machine trouée de son architecture, Monsieur d’Estissac encore,
Puis Fontenay, la rue Rabelais, le collège Viète,
Belle fontaine du quartier des Loges qu’à peine on la regardait,
Fin de semaine la promenade c’était
Vers les prés de La Folie parfois retour
Par les bords de la Vendée, Rabelais qui accompagne
(Edition grand format, avec les dessins d’Albert Robida).
Le rollier bleu dans le petit musée aux oiseaux.
Comme un nœud du temps sur la mémoire grandie,
Pas trop serré, pas trop défait :
Avec son trop de lettres, son histoire endormie
Fontenay-le-Comte entre hier et moi qui oublie.
James Sacré (1939-....)

Et puis voici
certains soirs
du fond de l’horizon
les images remontent
comme flux de marée
coefficient 118
c’est l’Afrique coloriée
c’est la Grèce aux voiles déchirées
c’est Stambul au pont tremblant d’Hikmet
c’est Moscou et la neige en été
c’est le Nil égaré
c’est Venise embourbée
c’est Prague révoltée
c’est Bucarest déboussolée
c’est Vienne trop débarbouillée
et puis voici
les chevaux
le grondement sourd
le martèlement du galop des chevaux
leur regard implorant
leur généreuse sueur
leur souffrance silencieuse
et puis voici
les orages d’Afrique
les terres inondées
les danses sauvages
les masques qui effraient
les rythmes lancinants envahissent la nuit
et s’arrêtent soudain
sans qu’on sache pourquoi
le silence alors
c’est comme une menace
et puis voici les départs
les lettres et les chiffres
cliquettent métalliques
dans les halls d’aéroports
la voix des haut-parleurs
c’est déjà un départ
la corne des bateaux
retentit dans les ports
les portières des trains
essoufflent les quais
les mouchoirs pleurent
les mains s’éternisent
les baisers claquent
les larmes s’embrassent
et puis voici
les villes inconnues
arriver c’est toujours débarquer
on arrive un matin
un soir
une nuit
les odeurs tout de suite
les langues inconnues
les êtres étonnants
les codes brouillés
les signes ignorés
les lettres illisibles
les mots imprononçables
les phrases amicales
tout ce qu’on ne comprend pas
tout ce qu’on aime tant
et puis voici les villes
les villes femmes
les villes mystérieuses
les villes secrètes
les villes envoûtantes

voici les villes qui se donnent au premier regard
celles qui font leur toilette dès le matin
celles qui attendent le soir

voici les villes bavardes
les villes insolentes
les villes négligées
les villes débraillées
voici les villes élégantes
les villes amoureuses
les villes cultivées
voici les villes ouvrières qui se lèvent tôt
les villes frivoles qui ne se couchent pas
voici les villes qui sentent le café grillé, le tilleul
celles qui sentent la banane, l’oranger
le miel, la mûre sauvage
d’autres le bois brûlé
d’autres le marronnier
ou le poisson séché

il y a les villes de Noël
les villes de Printemps
les villes de tout le temps

et puis voici les bars enfumés
on joue sa vie aux dés
avec des femmes ivres maquillées
avec des truands
avec des dieux
les bars de la peur aux portes dérobées

et puis voici les matins barbouillés
humides des whiskys de la nuit
les matins chiffonnés comme draps bataillés
amers comme café bouilli
gris comme nuit d’insomnie

voici les matins aux idées pâteuses
les matins comme il y a des matins
les matins enroués quand aucun mot ne passe

et puis voici les matins croustillants
tendres comme des croissants chauds
les matins d’harmonie
les matins de 14 Juillet
les matins sucrés
les matins bleus de vacances
la mer étincelante au pousser des volets

certains soirs
du fond de l’horizon
les images remontent
comme flux de marée
coefficient 118
on remonte les draps
roulé par la marée
des souvenirs nacrés
Francis Ricard, (?)

Le sonnet de Tourcoing
C’est bien, c’est mal, recensement, chacun son tour.
La carbonade, bière ou Bourgogne, regard en coin !
Croix d’encre rouge ! La punition ! Au coin, au coin !
Belle en blue-jeans, contre le mur, contre la tour.

Fines gambettes, string & piercing, jolis atours
La Blanche porte. Flocons d’avoine, gelée de coings
Sur le brun pain, francs ou euros, bistrot du coin.
Epidémie ! Sème la mort aux alentours !

Virolois, vieux rouleau, au jardin, un recoin !
Marie Groette, voix familière, « Ti, t’es d’min coin. »
C’est blanc, c’est noir, Bird, c’est l’oiseau, jazz, jase, Tourcoing.

Attaque : horions, le pont rompu devant la tour,
Le fief des Phalempins. La victoire ! Demi-tour !
Pont de Neuville, d’où le soleil salue Tourcoing !
Lucien Suel, (1948-....)

Prenez un chat
Coupez-le en rouge,
et racontez-le en vers :
ça vous rendra heureux, parbleu !
Et oui ! La poésie
donne des couleurs aux souris.
Mais par bonheur,
pas que du gris !
Elle les peint aussi en morose,
et pas que les souris ;
les marchands d’art aussi.
Si ça lui plait,
elle peut cracher du fuchsia
sur la cité Neruda
ou du mordoré
sur le rire d’un général
mal décoré.

Si elle peut atteindre les étoiles
la poésie peut aussi
broyer du noir
parce qu’il faut savoir,
de temps en temps,
pleurer le soir
si l’on veut revoir au matin
un humain
dans son miroir.
Alain Serres (1956-....)

Je vous souhaite un «Bon dimanche»... tout bleu!
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(1) Pour des informations justes, consultez L'Encyclopédie de l'Agora, ici
Paperblog