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dimanche 2 mai 2010

Bleu. Baudelaire - Daudet - de Noailles - Hugo - Ristat - Sorrente - Sacré - Ricard - Suel - Serres. Poésie

Bleu nous chantent les poètes Charles Baudelaire, Alphonse Daudet, Anna de Noailles, Victor Hugo, Jean Ristat, Dominique Sorrente, James Sacré, Francis Ricard, Lucien Suel, Alain Serres. Ce dimanche, la poésie s'élève vers le bleu, plonge dans le bleu, ou se vit au ras des des bleuets (les fleurs). Tout est bleu... Je vois la vie... en bleu. Le lilas courbé sous la neige printanière s'est redressé, il s'apprête à fleurir et à embaumer le jardin. Les tulipes ouvrent leur corolle, de jaune, de rouge, de rouge strié de jaune. Les pivoines dressent leurs tiges rouge sombre au milieu du parterre, elles feront éclater leurs grosses fleurs rouges, blanches, blanches et roses, prenant la relève des lilas bleu mauve. Qu'à celui ne tienne, je vois en bleu...

Le bleu du ciel, vu de ma double fenêtre. «Le bleu du ciel», de Georges Bataille, écrit en 1935 (il y dénonce la montée du nazisme) et publié en 1957, aux éditions Jean-Jacques Pauvert (1). «Le bleu du ciel», téléroman et roman de Victor-Lévy Beaulieu (2004 et 2005). Le film que j'attends: Tengri, le bleu du ciel de Marie Jaoul de Poncheville. Je suis sous influence, vous dis-je...
Peut-être qu'un autre dimanche, je verrai la poésie sous une autre couleur... Sait-on jamais! Peut-être sans aucune couleur ou, à l'opposé, de toutes les couleurs à la fois... Sait-on jamais!

La mort des amants
Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Sans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Charles Baudelaire (1821-1867)
Les Fleurs du mal

L’oiseau bleu
J’ai dans mon cœur un oiseau bleu,
Une charmante créature,
Si mignonne que sa ceinture
N’a pas l’épaisseur d’un cheveu.

Il lui faut du sang pour pâture
Bien longtemps je me fis un jeu
De lui donner sa nourriture :
Les petits oiseaux mangent peu.

Mais sans rien en laisser paraître,
Dans mon cœur il a fait, le traître,
Un trou large comme la main.

Et son bec fin comme une lame,
En continuant son chemin,
M’est entré jusqu’au fond de l’âme !...
Alphonse Daudet (1840–1898)
Les amoureuses

Chaleur
Tout luit, tout bleuit, tout bruit.
Le jour est brulant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.

Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air ou rôde
Comme un parfum de reine-claude.

Le soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu.
Anna de Noailles (1876-1933)
L'ombre des jours

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé
Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,
Étant femme, se sent reine ; tout l'A B C
Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'être belles,
De courber d'un regard les fronts les plus rebelles,
De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,
Un sourire, éblouir les cœurs les plus profonds,
D'être, à côté de l'homme ingrat, triste et morose,
Douces plus que l'azur, roses plus que la rose ;
Jeanne le sait ; elle a trois ans, c'est l'âge mûr ;
Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,
Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse ;
Ma strophe, qui près d'elle a l'air d'une pauvresse,
L'implore, et reçoit d'elle un rayon ; et l'enfant
Sait déjà se parer d'un chapeau triomphant,
De beaux souliers vermeils, d'une robe étonnante ;
Elle a des mouvements de mouche frissonnante ;
Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts.
Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;
Elle est de droit céleste et par devoir jolie ;
Et son commencement de règne est ma folie.
Victor Hugo (1802-1885)
L'art d'être grand-père

Prologue
Je chante ce que personne encore n’a chanté
La guerre ni la paix des empires et la gloire
D’un héros à sa charrue labourant un
Ciel de carnaval mais le temps étranglé dans
Les griffes de l’espace ou l’inverse les mots
Au trébuchet les lourds univers tapis comme
Des fauves invisibles au coin de l’œil aveugle
J’écris la nuit à tâtons la lune à côté
Dans la chambre comme une mariée enlève
Son voile bleu ma main cherche un rêve oublié
Dans la poche du dormeur caché dans les plis
Enroulés d’un miroir serpents aux bagues de
Feu et glace tourbillonnants immobiles je
Milliards d’infinis éclatés porte le deuil
Ce qu’il n’a jamais été et pourtant va être
Et ne sera plus poupées emboîtées mondes
Précipités dans les toboggans savonnés
Chiffons de soie des langues à repasser où
T’en vas-tu univers toi qui me possèdes
Je lèche mon ombre sur le sol comme un loup
Ce soir je ne dors pas je compte les étoiles

Ô quel entêtement au bonheur et pourtant
Voici le temps de la grande désespérance
La terre pelée la flamme au nid de l’œil
Comme un rapace le fusil à bout portant
Sur le parquet du ciel la ruine du jour
À la bouche voici la nuit son manteau d’huile
L’âme d’un enfant prisonnière dans ses
Revers l’ongle retourné de la lune
[…]
Jean Ristat, (1943-....)
Le voyage à Jupiter et au-delà. Peut-être


Rituel du métal
Arracher au parfum / L’invisibilité d’une fleur.

Accomplir le rite clandestin/ D’une image vibrante.

Saluer à l’envers/ La fille au sablier.

Lever les mains disponibles / Vers la perte.

Toucher à la solitude du dehors / Comme on entre au miroir.

Poser un brouillard neuf / Sur la porte fermée.

Faire d’un simple baiser / Un thaumaturge.

Ramasser des cailloux / Derrière les limites.

Remettre à l’eau du fleuve / Son dernier rêve rédigé.

Sentir naître les larmes / Sous astreinte d’infini.

Prêter au diagramme des noms / La véritable rose.

Laisser les alibis en ruine / Se détacher des yeux.

Découvrir sous le corps / Le tatouage de l’origine.

Se laisser balbutier / Par un mot juste ouvert.

Vider / les mauvais scenarii de l’horreur.

Suivre d’une ligne à l’autre effacée, / L’humeur du dieu muet.

Libérer son stylo / A la marge d’un chant d’automne.

Ne plus voir / Qu’une tour de paysages.

Egarer à l’hôtel fébrile / Les diamants de la fatigue.

Dans l’herbe des chaleurs / Coucher le monde vertical.

Ecarter, grand angle, / Les jambes fétiches.

Saisir le pli d’orient / Du sexe qui se trouve.

Etablir le compte des vagues / Sans retenue.

Fumer en somnambules / L’âme d’un temps à l’autre.

Devenir roue vouée / A la fureur des rails.

Souffler pour l’attiser / le « e » silencieux de la bougie.

Fêter la patrie sans danger / Sur l’épave d’un ascenseur flottant.

Ajuster le tréma / Sur le bleu de la coïncidence.

Sauter en clignant des yeux / d’une corde parallèle à l’autre.

Attendre au milieu de l’éternité / Que le verre se remplisse.
Dominique Sorrente, (1953-....)
Trente distiques autour du mot « Désir»


Vivre passait par Fontenay-le-Comte
C’est parti du château de Coulonges, école
Dans les grandes salles renaissance, entre bocage et marais
Pas loin tu vois l’abbaye de Maillezais
Grande machine trouée de son architecture, Monsieur d’Estissac encore,
Puis Fontenay, la rue Rabelais, le collège Viète,
Belle fontaine du quartier des Loges qu’à peine on la regardait,
Fin de semaine la promenade c’était
Vers les prés de La Folie parfois retour
Par les bords de la Vendée, Rabelais qui accompagne
(Edition grand format, avec les dessins d’Albert Robida).
Le rollier bleu dans le petit musée aux oiseaux.
Comme un nœud du temps sur la mémoire grandie,
Pas trop serré, pas trop défait :
Avec son trop de lettres, son histoire endormie
Fontenay-le-Comte entre hier et moi qui oublie.
James Sacré (1939-....)

Et puis voici
certains soirs
du fond de l’horizon
les images remontent
comme flux de marée
coefficient 118
c’est l’Afrique coloriée
c’est la Grèce aux voiles déchirées
c’est Stambul au pont tremblant d’Hikmet
c’est Moscou et la neige en été
c’est le Nil égaré
c’est Venise embourbée
c’est Prague révoltée
c’est Bucarest déboussolée
c’est Vienne trop débarbouillée
et puis voici
les chevaux
le grondement sourd
le martèlement du galop des chevaux
leur regard implorant
leur généreuse sueur
leur souffrance silencieuse
et puis voici
les orages d’Afrique
les terres inondées
les danses sauvages
les masques qui effraient
les rythmes lancinants envahissent la nuit
et s’arrêtent soudain
sans qu’on sache pourquoi
le silence alors
c’est comme une menace
et puis voici les départs
les lettres et les chiffres
cliquettent métalliques
dans les halls d’aéroports
la voix des haut-parleurs
c’est déjà un départ
la corne des bateaux
retentit dans les ports
les portières des trains
essoufflent les quais
les mouchoirs pleurent
les mains s’éternisent
les baisers claquent
les larmes s’embrassent
et puis voici
les villes inconnues
arriver c’est toujours débarquer
on arrive un matin
un soir
une nuit
les odeurs tout de suite
les langues inconnues
les êtres étonnants
les codes brouillés
les signes ignorés
les lettres illisibles
les mots imprononçables
les phrases amicales
tout ce qu’on ne comprend pas
tout ce qu’on aime tant
et puis voici les villes
les villes femmes
les villes mystérieuses
les villes secrètes
les villes envoûtantes

voici les villes qui se donnent au premier regard
celles qui font leur toilette dès le matin
celles qui attendent le soir

voici les villes bavardes
les villes insolentes
les villes négligées
les villes débraillées
voici les villes élégantes
les villes amoureuses
les villes cultivées
voici les villes ouvrières qui se lèvent tôt
les villes frivoles qui ne se couchent pas
voici les villes qui sentent le café grillé, le tilleul
celles qui sentent la banane, l’oranger
le miel, la mûre sauvage
d’autres le bois brûlé
d’autres le marronnier
ou le poisson séché

il y a les villes de Noël
les villes de Printemps
les villes de tout le temps

et puis voici les bars enfumés
on joue sa vie aux dés
avec des femmes ivres maquillées
avec des truands
avec des dieux
les bars de la peur aux portes dérobées

et puis voici les matins barbouillés
humides des whiskys de la nuit
les matins chiffonnés comme draps bataillés
amers comme café bouilli
gris comme nuit d’insomnie

voici les matins aux idées pâteuses
les matins comme il y a des matins
les matins enroués quand aucun mot ne passe

et puis voici les matins croustillants
tendres comme des croissants chauds
les matins d’harmonie
les matins de 14 Juillet
les matins sucrés
les matins bleus de vacances
la mer étincelante au pousser des volets

certains soirs
du fond de l’horizon
les images remontent
comme flux de marée
coefficient 118
on remonte les draps
roulé par la marée
des souvenirs nacrés
Francis Ricard, (?)

Le sonnet de Tourcoing
C’est bien, c’est mal, recensement, chacun son tour.
La carbonade, bière ou Bourgogne, regard en coin !
Croix d’encre rouge ! La punition ! Au coin, au coin !
Belle en blue-jeans, contre le mur, contre la tour.

Fines gambettes, string & piercing, jolis atours
La Blanche porte. Flocons d’avoine, gelée de coings
Sur le brun pain, francs ou euros, bistrot du coin.
Epidémie ! Sème la mort aux alentours !

Virolois, vieux rouleau, au jardin, un recoin !
Marie Groette, voix familière, « Ti, t’es d’min coin. »
C’est blanc, c’est noir, Bird, c’est l’oiseau, jazz, jase, Tourcoing.

Attaque : horions, le pont rompu devant la tour,
Le fief des Phalempins. La victoire ! Demi-tour !
Pont de Neuville, d’où le soleil salue Tourcoing !
Lucien Suel, (1948-....)

Prenez un chat
Coupez-le en rouge,
et racontez-le en vers :
ça vous rendra heureux, parbleu !
Et oui ! La poésie
donne des couleurs aux souris.
Mais par bonheur,
pas que du gris !
Elle les peint aussi en morose,
et pas que les souris ;
les marchands d’art aussi.
Si ça lui plait,
elle peut cracher du fuchsia
sur la cité Neruda
ou du mordoré
sur le rire d’un général
mal décoré.

Si elle peut atteindre les étoiles
la poésie peut aussi
broyer du noir
parce qu’il faut savoir,
de temps en temps,
pleurer le soir
si l’on veut revoir au matin
un humain
dans son miroir.
Alain Serres (1956-....)

Je vous souhaite un «Bon dimanche»... tout bleu!
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(1) Pour des informations justes, consultez L'Encyclopédie de l'Agora, ici
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