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dimanche 28 février 2010

Poésie occitane. Louisa Paulin - Frédéric Mistral - Marie-Christine Bourgade - René Nelli - Alan Pelhon - Philippe Gardy - Jean-Paul Creissac

Poésie occitane. Découvrez avec moi des poèmes «bilingues» en occitan... dans leur version française. Ici et là, tout de même, quelques vers en occitan. À l’honneur: Louisa Paulin, Frédéric Mistral, Marie-Christine Bourgade, René Nelli, Alan Pelhon, Philippe Gardy, Jean-Paul Creissac. Pour mémoire:
[] Dès la fin du 13e siècle, Dante a désigné trois langues romanes selon la manière de dire «oui» : la langue d'oïl -le français; la langue d'oc -l’occitan; et la langue de si -l’italien. La langue d'oïl est parlée dans le Nord de la France. L’occitan est parlée dans le Sud de la France. On la retrouve également en Italie, en Espagne et à Monaco.
[] Surtout connu pour son utilisation littéraire, l’occitan était également une langue juridique et administrative au Moyen Age, dans le Sud de la France. Les premiers textes latins utilisant des mots occitans sont datés des années 700-800. Alors qu’il faudra attendre la période de l’An Mil pour avoir le premier écrit, conservé, entièrement en occitan; c’est au temps des troubadours entre le 12e et le 13e siècles, que la poésie lyrique en occitan connaît son apogée.
[] «En 1539.François 1er signe l'ordonnance (l'édit) de Villers-Cotterêts, première grande intervention étatique dans le domaine linguistique qui impose la rédaction des actes administratifs et de justice "en langue maternel françois". Elle vise à éliminer à la fois l'emploi du latin et celui des parlers locaux.»(1)

«Tout poème est un miracle»
Jean d'Ormesson,
Saveur du temps.


Nids
Nids de plumes, nids de feuilles, /Nises de plumas, nises de fuèlhas,
nids d'eau et nids d'étoiles, /nises d'aiga e nises d'estelas,
je vous ai cherchés, je vous ai trouvés,
je vous ai caressés de mes mains
et de mon cœur et de mon âme.
Mais le nid que j'ai le plus aimé,
mais le nid que j'ai le plus cherché,
mais le nid que je n'ai jamais trouvé,
c'est le cœur de celui que j'aime tant.
Louisa Paulin
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Mais vous, la moindre parole
Que vous me dîtes, o demoiselle,
Plus que nulle autre chansonnette /Mai que pas ges de cançoneta
Enchante mon oreille et torture mon cœur! / Encanta mon aurelha e borrola mon còr!
Frédéric Mistral
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Le chanteur
Tout est calme, pas un bruit; les étoiles et voilà
Tout d'un coup, dans le noir, s'entend comme un prélude
Clair et net, vif et fort, tel que je n'en ai jamais entendu.
L'oiseau inconnu, caché par les feuilles,
S'est mis à chanter, et puis s'est arrêté
Comme timidement, et a recommencé /Coma timidament, e a recomençat
Plus d'une fois, comme ça, sans y toucher.
A chaque fois, il chante plus haut, plus longuement
Tant et si bien que l'air s'en emplit lentement. /Tant e tant ben que l'air s'en emplís lentament.
L'oiseau, que j'admire, redit tout son amour
Pour la petite oiselle qui l'écoute toujours,
Donne toute sa voix, siffle comme un fou.
La force et la beauté se rejoignent dans son chant
Sans oublier l'enthousiasme, la justesse du ton
Et la magie légère toute de précision... / E la magia leugièra tota de precision...
Marie-Christine Bourgade
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Le cri de cet oiseau file son arabesque
qui s'enroule au rouet phosphorescent des eaux.
Qu'il vienne à s'interrompre : un arbre se révèle
soufflant entre ses doigts l'haleine des couleurs.

Un arbre qui s'aveugle à force d'apparaître
et de se survoler dans le temps de patience
sans regards pour s'enfuir dans le décours des choses
où son cœur est déjà - comme il sera demain
pris dans plus de sommeil qu'il n'en faut pour dormir...

Âme continuée qui sens le froid divin
retrancher de l'Amour chaque instant qui le fane
Comme un gouffre à jamais qui se photographie
du plus profond de son étoile originelle
Respire tendrement avec la nuit profane /Respira tendrament dins la foscor profana
cette ombre de la Mort où Dieu fait le matin. /l'ombra d'aquela mòrt ont Dieus fa lo maitin..
René Nelli
[La serp de folhum (Le serpent de feuilles) «Obra poëtica occitana» (Institut d'études occitanes, 1981)*]

Assommé par le déferlement des mots
Je m'en vais comme un fou /Me'n vau coma un fòl
Hurler aux éperviers que je suis vivant
Qu'ils ne m'effraient pas /Que non mi fan pas paur
Et que j'ai vu au bord de la mer un pêcheur
Pleurant de voir l'aube si belle /Si plorant de veire l'auba tan bèla
Et son cœur si petit
Alan Pelhon
[Extrait de Coma una musica, (Nice, Z'éditions, 1989, épuisé)*]

Mitologicas: Niobé
Entre l'arbre et la neige le monde immense
tout cet encroisement de pierres et de boue
cette construction patiente et jamais finie
de branches qui cherchent le dessus du ciel
de toits pour recueillir la pluie et les saisons
d'enclos de terres labourées et de galets par milliers
toujours plus loin qu'aucun regard puisse aller
jusqu'à la plaine jamais labourée des étoiles
entre l'arbre et la neige a disparu le chemin
qui mena un jour à quelque maison écroulée
souvenir de poussière et de cailloux désormais
multitude infime des présences enfuies
et des amours d'un temps la marque muette
rien qu'un rocher de larmes dans l'herbe

des pleurs du monde qui tourne comme vies /dei plors dau mond que vira coma vidas
et se noie dans le gouffre bleu du temps /e se nega dins lo gorg blau dau temps
des peines et des douleurs dans la spirale /dei penas e dei dolors dins l'espirala
jamais arrêtée que fait le cœur en train de se perdre /jamai arrestada que fai lo còs a mand de se perdre
aux rives de l'obscurité demeure la pierre dure /ai ribas de l'escur demòra la pèira dura
épine nue dans l'épaisseur de la terre /espinha nuda dins l'espés de la terra
Philippe Gardy
[Extrait de Mitologicas, paru aux éditions Fédérop*]

Escota...
Écoute / le silence lentement qui te saisit / ton souffle qui peu à peu se pose / profondément il retentit en toi

Ferme les yeux / ton cœur, ton souffle, ton sang / le chemin désert / le jappement au loin / et le troupeau qui monte

tu es seule / le rythme de ta respiration / occupe tout
Comment revivre / comment renaître /comment repartir

En toi le silence se fait / se réveiller, se ranimer, se mettre en chemin

Cela fait si longtemps que je t’ai appelée / et maintenant tu es là , près de moi

Ferme les yeux, le silence t’envahit / ton souffle rythme le temps / horloge de ton corps / tu es là, peau de mousse / haleine d’oiseau

Bouche ouverte sans cri / douleur, abandon, absence

Je te donne mon souffle pour gravir le chemin / je te donne mon sang pour respirer

Ferme les yeux / laisse le silence venir

De ta plaie surgit la révolte / sans voix, dans le silence / seul ton corps parle / se plie, tombe

se relève, se dresse / revivre / se ranimer / se remettre en chemin / encore
se releva, se dreiça / reviure / respelir / s’encaminar/ encara
Jean-Paul Creissac
[Poème inédit lu sur http://www.cardabelle.fr*]

Puisse la poésie enchanter votre vie!
Bon dimanche!
__
[] Jean d'Ormesson, Saveur du temps. Chroniques du temps qui passe. Éditions Héloïse d'Ormesson, 2009.
[] (1) Sylvie Prioul, L'irrésistible ascension du français, Il était une fois la Renaissance, Le Nouvel Obervateur, no 255-2356.
[] * Sauf indication contraire, les poèmes ont été lus sur http://www.cardabelle.fr
[] Visitez le site consacré à Louisa Paulin
[] Autres sources: Wikipédia et http://www.cardenal.org

vendredi 26 février 2010

Festival Montréal en lumière - Nuit blanche / TNM - BNAQ - Santropol

Le Festival Montréal en lumière tire à sa fin. Demain, samedi le 27 février 2010, on nous invite à passer une «Nuit blanche». De nombreuses activités sont au programme de cette nuit blanche... tout en lumière. C'est la fête! Musique, danse, chant, expositions, arts visuels, cinéma, opéra, architecture, photographie, installation, vidéo... littérature. Mille et une tentations!*
Avez-vous le don d'ubiguïté? Pas encore... Alors, il faudra faire des choix, planifier un parcours et un horaire. En soupirant, mais aussi en souriant... La nuit sera belle!

«... vous verrez que je suis bien devin. Je vous sens venir: vous portez des bots et sabots.»
Les après-dinées du seigneur de Cholières, 1587.(1)

Alors... voici quelques suggestions pour célébrer, en joie et en beauté, la littérature.


Au TNM, 23h et 00h30 (gratuit)

Le Théâtre du Nouveau Monde présente «Moulins à Vian», un hommage à Boris Vian par un véritable « orchestre vocal » d’inspiration jazz, formé d’une trentaine de choristes. La horde vocale, dans un concept évoquant les années 1950, fait revivre a cappella une vingtaine de chansons dont les arrangements inédits, créés par Jean-François Julien (directeur musical) et Dominic Desjardins (choriste), revisitent avec finesse les œuvres originales.
Au répertoire, les grands classiques: Le Déserteur, La Java des bombes atomiques, J’suis snob, Fais-moi mal Johnny !; mais aussi des titres moins connus: Je voudrais pas crever, Place blanche, La Java martienne; et des adaptations: Nana’s lied, La Marche des gosses, Tangage et roulis.
Une soirée très Saint-Germain-des-Prés qui saura à coup sûr vous séduire!


À la Grande Bibliothèque (BNAQ), de 21h00 à 03h30 (gratuit)

Sous le thème «L’effet boule de neige», créateurs et artistes participent à cette grande manifestation littéraire. De grands noms et des représentants de la relève en littérature québécoise, des lauréats et finalistes des prix littéraires de l'année 2009, des illustrateurs ainsi que des conteurs s’unissent pour créer et improviser en direct devant les noctambules, sous le thème de l'hiver, poètes et vidéastes sont aussi de la fête.
Le hall de la Grande Bibliothèque sera aménagé en îlots où les festivaliers pourront déambuler d’un espace de création à l’autre. Pendant toute la nuit le maître de cérémonie, animateur de L'effet boule de neige, Antoine Vézina, comédien et improvisateur, fait le lien entre les différentes aires de jeu. Il devient ainsi le chef d’orchestre de cette grande nuit de création! En avant la musique...
Dans une atmosphère poétique et festive Yves Lambert et le Bébert Orchestra réchauffe les noctambules avec des arrangements musicaux inédits et des rythmes enlevants!


Au Santropol
, Gastronomie moléculaire: 23h00. Conte-Goutte: 1h00 (gratuit)

C’est sous le thème «Le Santropol vous conte une histoire» que nous présentons à toute votre famille le travail de différents artistes. Au menu culturel, un spectacle narratif de gastronomie moléculaire par notre chef cuisinier et une longue liste de courts contes écrits par des metteurs en scène et écrivains de l’École Nationale de Théâtre.
Pour ceux qui désirent reprendre leur souffle avant de gagner le tourbillon de la Nuit Blanche, nous offrons des espaces plus calmes. Assoyez-vous en famille sous d’épaisses couettes, sur notre terrasse d’hiver chauffée,une soupe, un chocolat chaud, un cidre de pomme ou un café bien tassé sur les genoux. Ou appréciez un Soundscape portant sur les anecdotes qui ont colorées le Santropol et les alentours depuis sa fondation, confortablement assis à l’intérieur du restaurant.
Des créations d’artistes prometteurs feront décors à cette soirée vivante. Artistes visuels: Justin Bhatia, Anna Binta Diallo et Garth Gilker; Soundscape: Véronique Soucy Tessa Jones; Gastronomie moléculaire: David Pellizzari . Conte-Goutte: Martin Bellemare, Eric Noël, Mireille Mayrand-Fiset, Rébecca Déraspe.

[Notez que l'activité prévue à la Librairie Gallimard-Montréal, «Demain se lit aujourd'hui: Une nuit en Utopie» a été annulée.]

Je vous souhaite une Nuit blanche enchantée... dans une ville blanche de neige.

__
* Mille e tre, comme dirait Umberto Eco!
[] (1) Source: Google Livres, Les après-dinées du seigneur de Cholières, 1587, p.221. Note p. 392: expression proverbiale qui signifie: On vous entend venir de loin, comme les gens qui ont les pieds bots ou qui portent des sabots. Pour consulter le livre, cliquer ici.
[] (2) Moulins à Vian, au Théâtre du Nouveau-Monde. Pour plus d'informations, cliquer ici. Voir aussi l'article de Caroline Montpetit, Trente voix pour chanter Vian, Le Devoir, le 18 septembre 2009, ici.
[] (3) L'effet boule de neige à la Grande Bibliothèque. Pour plus d'informations, cliquer ici ou ici.
[] (4) Le Santropol vous conte une histoire. Pour plus d'informations, cliquer ici

mercredi 24 février 2010

Une vie. Gabriel Garcia Marquez - Gerald Martin

Gerald Martin, un universitaire britannique, publie une biographie de Gabriel Garcia Marquez, sobrement intitulée «Une vie». Ce n'est pas un hommage, comme le dit l'éditeur (Grasset), ni une hagiographie ou un rapport de police, comme l'écrit André Clavel(1). Rassurant! Le biographe relie la vie et l'œuvre de Marquez, indissociables l'une de l'autre. Il nous donne ainsi une clef pour comprendre son œuvre, et situer chaque étape de son parcours. Et ce, sous un regard critique, et juste, sans complaisance. C'est là que réside la particularité du livre de Gerald Martin.

Le biographe passe en revue l'enfance de «Gabito»; son adolescence; ses débuts -extrêmement difficiles- en littérature; les évènements de sa vie (dignes de mention). Loin d'escamoter des moments peu glorieux... ses prises de position contestables; ses jugements à l'emporte-pièce; ses accointances... il les aborde avec rigueur. À certains moments, on est -et on a été- malheureux pour lui de le voir se prononcer sur toutes les tribunes, sur (presque) tous les sujets; on n'est -et on a été- malheureux de le voir se brûler les ailes. On a espéré, tout ce temps, qu'il finisse par se taire et... écrire. C'est là qui est «sa vie», dans ses livres.

«Il n'y a pas une seule ligne de mes livres que je ne puisse relier
à une expérience réelle et au monde concret»
Gabriel Garcia Marquez

Un amour de grand-père... Nicolas Marquez, bon conteur, plein de fantaisie qui apprendra à Gabito le monde de rêves. Une grand-mère, Tranquilina Iguaran, superstitieuse qui dialogue avec l'invisible et les morts. Les grands-parents maternels qui l'ont élevé ont nourri l'imagination de Gabriel Garcia Marquez; ils ont ouvert son esprit à une autre vision du monde. Il avouera, un jour, qu'il est superstitieux et interprète ses rêves.
«Cent ans de solitude» fait justement surgir au grand jour ses mondes souterrains. Légendes, mythes, superstitions dévoilent, dans une écriture flamboyante, l'âme, si j'ose dire, de l'Amérique du Sud. Un chef d'œuvre!
Ce livre lui apporte la notoriété et la fortune. Il croule sous les hommages et les honneurs.

«... le vrai Gabriel Garcia Marquez disparut à jamais sous le poids de la célébrité.»
Gerald Martin

Puis Gabo se reprendra, et retournera à la solitude de l'écriture. Il publiera, entre autres, le livre tendre et poétique, «L'amour au temps du choléra». Une histoire d'amour touchante que l'écriture de Gabriel Garcia Marquez rehausse par la richesse de son imagination et son talent de conteur, puisant aux sources de ses racines caraïbéennes.

En 1982, Gabriel Garcia Marquez est le lauréat du Prix Nobel de littérature. Malheureusement, un cancer le guette... et l'envahit.
Depuis quelques années, il est un homme épuisé, perdant la mémoire. Il avait écrit un premier tome de ses mémoires, projetant de les compléter par 2 tomes, mais la maladie en a décidé autrement...

Aujourd'hui, Gerald Martin nous offre une biographie de Gabriel Garcia Marquez, fruit de 17 ans d'un travail marqué par la constance et la persévérance. Un livre abouti, fruit d'une longue maturation. L'auteur a rencontré Gabriel Garcia Marquez, il a interrogé son entourage, ses amis, ses «ennemis»; il a vérifié et contre-vérifié les informations recueillies, il a épluché les archives; il a plongé aux racines de l'œuvre. Un travail de moine qui ne se laisse pas deviner sous l'écriture fluide. Le texte est découpé par ordre chronologique.

Extraits
La biographie commence ainsi:
«Cinq cents ans après l'arrivée des Européens, l'Amérique latine semble souvent décevoir ses habitants. C'est un peu comme si sa destinée avait été fixée par Christophe Colomb, le "grand capitaine" qui découvrit par erreur le nouveau continent, le baptisa à tort "les Indes", puis mourut, amer et désabusé, au début du XVIe siècle ; ou bien par le "grand libérateur" Simón Bolívar, qui mit un terme à la domination coloniale espagnole au début du XIXe siècle, mais finit ses jours consterné par la désunion de la région qui venait d'être affranchie de ce joug et par la constatation que " celui qui sert la révolution laboure la mer". Plus récemment, le sort d'Ernesto "Che" Guevara, l'icône révolutionnaire la plus romantique du XXe siècle, mort en martyr en Bolivie en 1967, ne fit que confirmer l'idée que l'Amérique latine, continent encore inconnu et toujours terre d'avenir, abrite des rêves grandioses et des échecs lamentables.
[...]
L'enfant, un beau bébé de 4,2 kilos, dit-on, naquit avec le cordon ombilical enroulé autour du cou - ce à quoi il attribuerait par la suite sa tendance à la claustrophobie. Sa grand-tante, Francisca Cimodosea Mejía, proposa de le frotter de rhum et de le bénir avec de l'eau baptismale, en cas de souci ultérieur. Le petit garçon ne serait néanmoins officiellement baptisé qu'à trois ans passés, en même temps que sa sœur Margot, confiée elle aussi à ses grands-parents à l'époque. (Gabito se souviendrait très bien de son baptême, qui fut célébré par le père Francisco Angarita dans l'église San José d'Aracataca le 27 juillet 1930. Le parrain et la marraine étaient les deux témoins au mariage de ses parents, son oncle Juan de Dios et sa grand-tante Francisca Cimodosea.)

Le colonel Márquez fêta cette naissance. Sa fille chérie avait déçu ses espoirs, mais il décida qu'il avait perdu une bataille, pas la guerre. La vie continuerait et il investirait désormais toute son énergie, encore considérable, dans le premier-né de Luisa, son petit-fils, son " petit Napoléon ".»
[Première partie. La patrie: la Colombie. 1899-1955. Chapitre 1 - Colonels et causes perdus. 1899-1927](2)

Gerald Martin nous donne des clefs pour comprendre Gabriel Garcia Marquez, l'un des grands écrivains du XXe siècle, et pour saisir la portée de son œuvre complexe et la culture sud-américaine. Il n'impose pas son point de vue, il nous sert de guide. Il revient à chacun de tirer ses propres conclusions.
Sa biographie est, à n'en pas douter, un ouvrage de référence incontournable!

Bonne journée! Oubliez la grisaille des jours, lisez...
__
Le livre. Gabriel Garcia Marquez. Une vie. Grasset, 2009, 688 pages.
[] (1) André Clavel, Gabriel Garcia Marquez. Une vie. Gerald Martin, Tv5.org. Pour lire l'article, cliquer ici.
[] (2) Pour lire le chapitre au complet, cliquer ici.
[] Note. Pour écouter la critique du livre de Jean Fugère, sur la zone radio de la SRC, cliquer ici.

lundi 22 février 2010

Paul-Émile Borduas (1905-1960) - Le Devoir - Michel Camus - ONF

Paul-Émile Borduas, né à St-Hilaire, sur les bords du Richelieu, est mort à Paris, le 22 février 1960. Jérôme Delgado, signe dans «Le Devoir» un article, «Borduas, héros oublié?» J'en tire 2 citations: «"Borduas fait partie de notre patrimoine. Il est la clé vers le Québec moderne..."», Marc Bellemare, collectionneur; «Borduas peut être un précurseur, un pilier, un "héros comme Lévesque", selon Françoise Sullivan. Il serait un grand oublié.» Le Devoir rappelle ainsi à notre mémoire le 50e anniversaire de sa mort de l'un de nos grands peintres, Paul-Émile Borduas. Au cours de l'année, le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) et le Musée National des Beaux-Arts du Québec (MNBAQ) devraient présenter des expositions. Je vous tiendrai au courant.

[] J'ai repéré, sur Internet, qui-sait-tout et qui-se-souvient-de-tout, l'allocution de Michel Camus, un ami et un confident de Borduas. Un témoignage touchant, un portrait du peintre nuancé. Une profonde amitié. Des souvenirs. Je vous en livre des extraits.
[] Je vous propose ensuite une vidéo, un film de Jacques Godbout (1962), «Paul-Émile Borduas (1905-1960)».
«Au-delà de quarante ans de peinture, Borduas est le chef de file de toute une génération. Ce film, citant de nombreux textes du peintre, est une véritable ouverture sur la peinture moderne et sur la vie tout simplement.» Vous serez séduits!


Souveraineté et solitude de la Quête de Borduas à Paris.

«Réveiller des souvenirs d’il y a quarante ans, ce n’est pas évident. Plus de quarante ans puisque j’ai rencontré Paul-Émile Borduas, peu après son arrivée de New York, vers la fin de 1955, dans l’atelier de sculpteur, appartenant à Henriette Niepce, qu’il occupait provisoirement au fond de la cour du 19, rue Rousselet avant de s’installer dans l’atelier à rez de chaussée sur rue.
Pendant un an en 1952-53, j’ai fréquenté, dans la cave de “La Petite Europe”, le groupe des automatistes surrationnels dont Claude Gauvreau était le porte-parole.
[...]
Par contre, l’indifférence de Paris à l’égard de sa peinture lui pesait sur le cœur. Il ne savait comment faire pour rencontrer les peintres qu’il admirait comme Pierre Soulages ou Tal Coat. Il était réservé et peu entreprenant pour nouer des relations avec des inconnus. Un soir, à la Coupole, il ne cessait de jeter des coups d’oeil du côté de Giacometti qui était assis en solitaire au fond de la salle. Il aurait voulu le rencontrer, mais je ne sais quelle pudeur le retint d’aller vers lui. Il a fallu attendre le 20 mai 1959 pour que la Galerie Saint-Germain lui organise une exposition. Borduas fut ravi de rencontrer Tristan Tzara au vernissage. La même année, j’ai apporté dans l’atelier de Borduas le carton d’invitation de la Galerie Stadler sur lequel figurait la reproduction d’une oeuvre de Lucio Fontana : un monochrome avec son impeccable fente entaillée au rasoir. Borduas fut très impressionné en y voyant tout de suite une façon plus subtile et plus abstraite que la sienne d’évoquer l’espace en peinture. — À côté de lui, je me sens archaïque ! me dit-il. L’hiver 1959, Lucio Fontana découvrit chez moi, rue Ste-Croix de la Bretonnerie, deux toiles de Borduas. Il fut impressionné par leur intensité, leur force, leur présence et manifesta l’intention de rencontrer Borduas lors de son prochain passage à Paris. Hélas, quelques semaines plus tard, Borduas disparut dans la force de l’âge. Il avait 54 ans. J’en avais trente. Je perdais mon ami le plus proche.
[...]
Borduas portait aux Chants de Maldoror de Lautréamont une admiration sans réserve. C’était à ses yeux un des plus grands génies poétiques. Le 13 février 57, il m’écrivait à propos de Rilke : “Merci pour les beaux — et à propos — poèmes de Rilke.[...]. Borduas aimait surtout les poètes. À l’époque, je lisais Cioran, Georges Bataille et Pierre Klossowski, entre autres. Aucun d’eux ne l’attirait.
[...]
C’était un grand solitaire, qui aimait la solitude nourricière tout en rêvant de rencontrer une âme sœur dans l’univers. [...] Il était fin cuisinier. Je me souviens d’une recette délirante: celle d’un poulet cuit à la vapeur de la cuisson d’un autre poulet. C’était un fin gourmet. Il aimait beaucoup le bistrot de grande cuisine “Chez Joséphine“ proche de chez lui et que fréquentaient Albert Camus et le fils de l’Aga Khan. Ou alors, à la dernière minute, à 7 heures du soir, il décidait de nous emmener à Provins pour aller y déguster des pieds de porc au feu de bois. La bonne chère et le bon vin le faisaient rayonner de plaisir. Malgré sa vie ascétique liée à la création et à une perpétuelle quête du sens à venir, autrement dit tournée vers l’avenir, il aimait jouir, dans l’intensité du présent, des plaisirs de la vie. Au fond, c’était un homme discrètement raffiné c’est-à-dire sans ostentation.
[...]
[...] comment, depuis trente-huit ans, personne au Gouvernement du Québec n’avait-t-il eu l’idée d’organiser à Paris une grande rétrospective de l’œuvre de Paul-Émile Borduas ?
Puisse ce colloque devenir le germe de cette manifestation !
Je vous remercie...
Michel Camus. 6 octobre 1999.»
Et cette grande rétrospective, c'est quand?
«Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?...




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[] (1) Jérôme Delgado, «Borduas, héros oublié?», Le Devoir, les samedi et dimanche, 20 et 21 février 2010.
[] (2) Dans son allocation, Michel Camus parle du manifeste du «Refus global», et cite des extraits de lettres qu'il a reçues de Borduas. Je vous suggère fortement de lire ce texte, à cette adresse-ci. C'est le texte le plus touchant et le plus juste que j'ai trouvé sur Borduas.

dimanche 21 février 2010

Absurde. Allen - BHL - Botul - Desproges - Eco - Gourio - Labiche - Prévost - Queneau.../ Sébastien Bailly

Absurde. Des mots d'esprit qui épinglent l'absurde et ravissent l'esprit sous la plume de Allen, BHL, Botul, Desproges, Eco, Gourio, Labiche, Prévost, Queneau, et Audiard, Khan, Labiche, Magdane, Somm, Wolinski. Un mince échantillon tiré de «Le meilleur de l'absurde», de Sébastien Bailly (Mille et une nuits). Qu'est-ce que l'absurde? Dans la vie de tous les jours, on trouve «absurde» ce qui est contraire à la logique, au sens commun: c'est un déraillement de la raison. Mais les esprits fins se jouent de l'absurde en lançant des traits d'humour qui nous surprennent, nous désarçonnent, et nous font rire, parfois aux larmes...

Le meilleur de l'absurde, Sébastien Bailly, Mille et nuits.
«Pour provoquer un effet, écrit Sébastien Bailly dans l'introduction, rien ne vaut la contradiction des termes qui produit l'étincelle, comme deux silex le feu. Heurtez les concepts à bon escient, il en sortira bien quelque chose. [...].» L'auteur a choisi de ne pas introduire dans sa sélection les «coquilles, perles, erreurs involontaires que commettent les auteurs dans un moment d'inattention à l'effet cocasse.» Et, je dirais, au moment où l'éditeur a une poussière dans l'œil... Il en donne un exemple amusant:
«"Je dus tâter à travers l'étoffe légère de la jupe, les muscles de ses bras" - ce qui demande une certaine gymnastique.»
Cette perle est de Marcel Prévost.
*(1862-1941). En 1890, il quitta la fonction publique pour se consacrer à la littérature.

J'ajoute ici une autre contribution involontaire à l'absurde, toute récente, commise par... excès d'érudition, au point de convergence avec le ridicule.
«... Ou bien encore Kant, le prétendu sage de Königsberg, le philosophe sans vie et sans corps par excellence, dont Jean-Baptiste Botul a montré, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence [...] Kant, ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept, dont toute la Critique de la raison pure pourrait se lire, dans ce cas, comme le récit d’un drame intime, une autobiographie secrète et cryptée…. »
BHL, Bernard-Henri Lévy (1948-....), dans La guerre en philosophie, p.122.(1)
Jean-Baptiste Botul (1896-1947). Philosophe méconnu, né de l'imagination fertile de Frédéric Pagès.(1)

Dans «Le meilleur de l'absurde», les citations sont présentées par thème et par ordre alphabétique. Elles sont simplement suivies du nom de l'auteur, sans plus, ce qui est un peu sec... Il aurait été souhaitable que, à tout le moins, la source de la citation soit indiquée. C'est la seule réserve que j'ai à faire, car «Le meilleur de l'absurde», de Sébastien Bailly est un livre qui remplit ses promesses, et dont l'introduction s'avère des plus intéressantes.

*Ici, je respecte cet ordre, mais j'ai ajouté, pour chaque auteur, une courte note biographique.

Comme le dit lui-même, Sébastien Bailly, «Régalez-vous, il y en a pour tout le monde.»
Le meilleur de l'absurde, Introduction
À consommer sans modération!

Citations... absurdes
«Il y a deux sortes d'arbres: les hêtres et les non-hêtres.»
Arbre. Raymond Queneau
(1903-1976). Romancier, poète, dramaturge, mathématicien français, cofondateur du groupe littéraire Oulipo.

«Méfiez-vous de l'assassinat: il conduit au vol et, delà, à la dissimulation.»
Assassinat. Henry Somm
François Clément Sommier dit Henry Somm (1844-1907). Dessinateurs, caricaturiste, aquarelliste français.

«Pourquoi certains n'auraient pas tout? Il y en a qui n'ont rien. Ça fait l'équilibre.»
Avoir. Michel Audiard
(1920-1985) Dialoguiste et réalisateur français.

«Je ne crois pas dans l'au-delà, mais j'emporte tout de même un caleçon de rechange.»
Caleçon. Woody Allen
Allen Stewart Konigsberg, dit Woody Allen (1935-....). Réalisateur, scénariste, acteur américain.

«Ce n'est pas pour me vanter, mais il fait rudement chaud.»
Chaud. Eugène Labiche
(1815-1888). Dramaturge français, auteur de pièces comiques.

«Je mets souvent de l'eau bouillante dans le congélateur, et quand j'ai à nouveau besoin de l'eau bouillante, je la décongèle.»
Eau. Gracie Allen
(1915-1964). Actrice américaine.

«La forme de l'eau, on la sait quand ça congèle.»
Eau. Jean-Marie Gourio. Auteur et scénariste français.
(1956-....).

«Il ressort d'une statistique (encore une) que chaque famille japonaise a, en moyenne, 1,92 enfant. Soit un enfant normal, et un autre, un peu plus petit, le cadet probablement.»
Famille. Pierre Desproges
(1939-1988). Humoriste français.

«Si les genoux se pliaient dans l'autre sens, à quoi ressembleraient les chaises?»
Genoux. Roland Magdane
(1949-....) Humoriste, chanteur, acteur français.

«J'ai découvert l'autre jour que Franco Fortini, poète sévère et tourmenté, ennemi déclaré de la société du spectacle, est un adepte du MAC. Cela dit, il est légitime de se demander si à la longue, au fil du temps, l'emploi d'un système plutôt que d'un autre ne cause pas de profondes modifications intérieures. Peut-on être à la fois adepte du Dos et catholique travailliste? Par ailleurs Céline aurait-il écrit avec Word, WordPerfect ou Wordstar? Enfin, Descartes aurait-il programmé en Pascal?»
Opinion. Umberto Eco
(1932-....). Philosophe, médiévéliste, sémiologue, spécialiste des médias, essayiste, romancier italien.

«Avouez que serait totalement stupide celui qui définirait le roseau comme un homme qui ne pense pas.»
Roseau. Jean-François Kahn.
(1938-....). Journaliste, écrivain, homme politique français.

«Le premier homme qui est mort a dû être drôlement surpris.»
Mort. Georges Wolinski
(1934-....). Dessinateur français.

Vers la fin de son livre, Sébastien Bailly salue Jacques Rouxel et ses Shadocks(2), et Geluck et son Chat, pour ne citer que c'est deux-là, dit-il.

Salut, le Chat! Vive, les Shadocks!
In absurdo veritas!





















J'ai gardé, pour le mot de la fin, ce brin d'autodérision...
«J'ai aujourd'hui soixante-dix-sept ans. Mon père aurait cent un ans. Louis XIV, trois cent ans. Comme le temps passe!»
Âge. Tristan Bernard.

Cette citation m'a fait réaliser que je termine (parfois) mes billets par... «Comme le temps passe», ou mieux encore, «Passe le temps, passe la vie»
Il n'empêche que c'est vrai... le temps passe. Il est temps que je vous quitte. Bye! Bon dimanche!
__
Livre. Sébastien Bailly, Le meilleur de l'absurde, Éditions Mille et une nuits, Petite collection, No 531, 2007.
Les notes biographiques viennent de Wikipédia, sauf celle de Umberto Eco. puisées dans Vertige de la liste, Flammarion.
[] (1) Voir mon billet du 19 février 2010, BHL - Botul - Kant / La guerre en philosophie - Bernard-Henri Lévy.
[] (2) Voir mon billet du 13 octobre 2009, «La Ruche littéraire» - Les Shadocks.

vendredi 19 février 2010

BHL - Botul - Kant / La guerre en philosophie - Bernard-Henri Lévy

BHL - Botul - Kant: un trio d'enfer! Bernard-Henri Lévy -qui publie «La guerre en philosophie»- ne s'est pas fait piéger... il s'est piégé lui-même. Il n'est pas tombé dans une chausse trappe. Il n'est pas victime d'un canular. Il est plutôt «victime d'un auto-entartage» - Fédéric Pagès(1). Qui peut croire à ça: un philosophe méconnu, nommé Jean-Baptiste Botul... a donné une série de conférences néo-Kantiennes..., au lendemain de la Seconde Guerre mondiale..., au Paraguay? Personne: ça sent le poisson d'avril à plein nez. Il est vrai qu'en hiver, l'odeur est moins forte. Un philosophe? Oui, BHL, le premier et le seul adepte sérieux de Botul! «Renseignement pris, personne ne s'était encore jamais pris sans airbag cet énorme platane. C'est désormais chose faite» - Aude Lancelin(2). On s'en amuse, car la boulette (de poisson) prête au ridicule. Elle soulève aussi plusieurs questions... sérieuses. Tour d'horizon. Questionnement et inquiétudes.

Tour d'horizon

Le court essai (128p.) de Bernard-Henri Lévy, «De la guerre en philosophie», passera sûrement à la prospérité, sous l'enseigne de l'hilarité, et rapprochera -de generationes ad genenerationem (c'est pour faire chic) -son nom, réduit à la quintessence des 3 lettres de son nom BHL, à celui Botul, deux calés en philosophie. Kant, lui, n'a besoin ni de BHL ni de Botul: il est reconnu comme l'un des plus grands philosophes allemands depuis le 18è siècle.
Mais, ce n'est pas l'opinion de BHL. Examinons donc l'association BHL/Botul. Mais attardons-nous, en premier lieu, à l'essai.

Bernard-Henri Lévy, De la guerre en philosophie. Grasset, 2010.
Sur la quatrième de couverture, on lit: «Le 6 avril 2009, Bernard-Henri Lévy a prononcé [...] une conférence intitulée: "Comment je philosophe ". [...] C'est ce texte qui, repris, aiguisé, remis sur le métier, a fait la matière de ce livre-programme. De la vanité du dialogue en philosophie; de l'utilité d'avoir des ennemis quand on entend rompre avec la dictature de l'Opinion; contre l'illusion des consensus dans la pensée; qu'il faut, plus que jamais, parier sur l'existence de la vérité en ces temps de nihilisme quasi achevé; pourquoi un philosophe d'aujourd'hui ne peut être, somme toute, qu'un guerrier: tels sont quelques-uns des thèmes de ce manuel pour âges obscurs où l'auteur "abat son jeu " et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir.»
.― Or, dans ce texte repris, aiguisé, remis sur le métier (de Boileau), le dit philosophe qui soumet un livre-programme, le philosophe-guerrier, se lance à l'assaut de Kant.

En hommage à Molière, à l'occasion du 337e anniversaire de sa mort survenue le 17 février 1673, à 51 ans, présentons la scène à l'avenant du ridicule dont se couvre BHL.
Se précipitant sur toutes les tribunes, «chemise au vent et sans crampons» (Aude Lancelin), le Don Quichotte de la philosophie, revêtu de son armure de certitudes, protégé par le bouclier de la Vérité, s'élança avec fougue pour combattre le géant Kant. Résolu à lui asséner le coup fatal, il frappa d'estoc et de taille, et remporta le combat. Kant gisait au sol, foulé aux pieds par Botul, le maître d'armes brandissant son chef-d'œuvre «Vie sexuelle d'Emmanuel Kant». Il s'élança et cria à pleins poumons...

... un extrait de son récent essai «De la guerre en philosophie»:
«... Ou bien encore Kant, le prétendu sage de Königsberg, le philosophe sans vie et sans corps par excellence, dont Jean-Baptiste Botul a montré, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence - et cela à deux titres au moins: le concept de monde nouménal où s’entend l’écho d’une jeunesse spirite, vécue parmi les ombres et les limbes, dans un royaume d’êtres énigmatiques et accessibles par la seule télépathie; l’idée, ensuite, des catégories de l’entendement, la manie du transcendantal, l’obsession de catégories rigides fonctionnant comme un corset et qui semblent parfois là pour contenir une folie souterraine, donner forme au flux chaotique des sensations, faire barrage à la confusion mentale dont les biographes savent, aujourd’hui, qu’elle le menaçait plus qu’aucun autre - Kant, ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept, dont toute la Critique de la raison pure pourrait se lire, dans ce cas, comme le récit d’un drame intime, une autobiographie secrète et cryptée…. »[p.122]

Jean-Baptiste Botul (1896-1947) venait d'accéder à la célébrité
«Il en sait des choses , Bernard-Henry Lévy. Le néo-kantisme d'après-guerre. La vie culturelle paraguayenne. Seul problème, Jean-Baptiste Botul n'a jamais existé. Pas plus que ses conférences dans la pampa, auxquelles BHL se réfère avec l'autorité du cuistre. Ce penseur méconnu est même un canular fameux. Le fruit de l'imagination fertile de Frédéric Pagès, agrégé de philo et plume du «Canard enchaîné", où il rédige notamment chaque semaine «Le journal de Carla B.». Un traquenard au demeurant déjà bien éventé depuis la parution de la «Vie sexuelle d'Emmanuel Kant», pochade aussi érudite qu'hilarante, publiée en 1999 et rééditée en 2004 aux éditions Mille et une nuits, sous le pseudonyme de Botul.»(2)

Questionnement. Inquiétudes

BHL a fait contre mauvaise fortune... de l'humour, et quelques pirouettes. Grégoire Leménager en rend compte dans un billet:
«BHL a-t-il vraiment lu Botul? (parce que si oui, c'est inquiétant...):
«Bernard-Henri Lévy est donc heureux, presque fier de s’être «laissé piéger» par un «très brillant et très crédible canular sorti du cerveau farceur d'un journaliste du "Canard enchaîné"» Il crie «Vive Jean-Baptiste Botul!». Il admire Frédéric Pagès d'avoir si bien prêté sa plume à ce philosophe imaginaire dans la Vie sexuelle d'Emmanuel Kant», et affirme même s'être «laissé prendre [par son livre] comme s'y sont laissés prendre, avant [lui], les critiques qui l'ont recensé au moment de sa sortie». Curieusement, de son côté, ledit Frédéric Pagès ne semble pas se souvenir que quelqu'un soit déjà tombé dans le panneau; mais comme dit Christine Angot, qui n'est pas non plus la première philosophe venue, BHL «a de la mémoire, c'est ça qui importe le plus.»(3)
[] Pour ma part, j'estime que si BHL n'a pas lu Botul, pour peaufiner le texte de sa conférence, «ce texte qui, repris, aiguisé, remis sur le métier...», c'est aussi inquiétant.
[] Autre sujet d'inquiétude: Les nombreux journalistes, critiques, intervieweurs qui lui ont offert leur tribune ont-ils lu l'essai de 128... pages? L'éditeur? Si oui, on peut se demander à qui on peut se fier. Si non... ce n'est guère mieux.
[] Heureusement que parmi les trompettes et les roulements de tambour d'une presse complaisante, s'est élevé une voix: celle de Aude Lancelin, de BibliObs. C'est elle qui a dévoilé la «boulette atomique qui soulève pas mal de questions sur les méthodes de travail béhachéliennes.»(2)
[] Pour sa part, «Frédéric Pagès, qui a exprimé dans le "Canard enchaîné" sa "compassion à l'égard de ce pauvre philosophe [BHL]", au nom des "Amis de Jean-Baptiste Botul", s'est étonné qu'il «n'ait pas senti qu'il s'agissait d'une fable» avant d'ajouter: "Cela pose une question sur sa façon de travailler."»

Je pensais terminer ici mon billet. Mais, voilà que BHL s'en prend à Aude Lancelin. Profitant de la tribune de «On n'est pas couché», sur Tv5, il a tenu des propos forts malveillants à son endroit. Il aurait fait mieux, à mon avis, de s'en tenir à sa version humoristique. Je décèle dans ses propos et son ton revanchard une odeur de vengeance dirigée contre la journaliste -qui a simplement fait son métier. Mais -crime de lèse-majesté- elle a crevé l'«énheaurme» baudruche publicitaire de BHL.

Aude Lancelin: «Ainsi ai-je le regret de devoir préciser à Bernard-Henri Lévy que ses allégations sont mensongères. Tout autant que les insinuations contenues dans un article intitulé «Les étranges méthodes d'une journaliste du Nouvel Observateur», mis en ligne sur son site officiel, bernard-henri-levy.com, le 10 février dernier. [Les commentaires assurent que les propos de Aude Lancelin sont justes: ils ont été vérifiés...]
«Compte tenu des proportions prises par le «Botul gate», notamment dans la presse étrangère, conséquences qui me dépassent largement et ont pu entraîner des excès, Bernard-Henri Lévy a bien entendu le droit de se défendre. Le sens de l'humour inoxydable qu'il revendique depuis quelques jours devrait lui permettre de le faire autrement que par la diffamation(4)
.― Que cherche BHL? Discréditer la journaliste pour se disculper... J'y vois un faux pas de plus. Et, comme dirait l'autre, dans la mauvaise direction.
·―Le portrait que Christine Angot dresse de lui, dans Le Point, «BHL par Angot: Plexus, solaire» ne suffit à redorer son blason?(5) Et la complaisance des médias parisiens, qui étonne à l'étranger, ne suffit pas plus?(6)

Dommage, mais si BHL est l'objet d'un «Botul gate», c'est sa faute. Il n'a qu'à s'en prendre à lui, et à Botul... que je cite à l'instant:

«J'ai touché un géant de la pensée qui, en basculant, m'a écrasé de son poids»
Jean-Baptiste Botul, La vie sexuelle d'Emmanuel Kant, p.9

Bonne Journée! Prenez la vie du bon côté...
__
Psitt! L'œuvre de Jean-Baptiste Botul comprend 4 volumes. La vie sexuelle d'Emmanuel Kant; La métaphysique du mou; Nietzsche et le démon de midi. En collaboration avec Henri-Désiré Landru, Landru, précurseur du féminisme. Le philosophe Botul n'existe pas, mais son œuvre existe, puisqu'elle est publiée aux Éditions Mille et une nuits. Petits prix, grands textes.
[]
(1) Frédéric Pagès, BHL victime d'un auto-entartage, Le Canard enchaîné, no 4659. Lire l'article ici.
[] (2) Aude Lancelin, BHL en flagrant délit: l'affaire Botul, sur BibliObs. Lire l'article ici.
[] (3) Grégoire Leménager, BHL a-t-il vraiment lu Botul? (parce que si oui, c'est inquiétant...), sur BibliObs. Lire l'article ici. On y trouve quelques détails croustillants, et hilarants, sur la vie sexuelle de Kant. Le faux Kant...
[] (4) Aude Lancelin, Réponse à Bernard-Henri Lévy, sur BiblioObs. Lire l'article ici.
[] (5) Christine Angot, BHL par Angot: Plexus, solaire, Le Point. Lire l'article ici.
[] (6) Lionel Chiuch, Bernard-Henri Lévy, le savoir-savoir français. Édition| L'affaire «Botul» pointe les dérives d'un système qui n'a rien à voir avec la philosophie. - Bernard-Henry Lévy. Trop impétueux ou véritable imposteur? Un peu des deux, sans doute. Lire l'article ici.
Note. Je vous invite à lire un dossier, fort bien fait et fiable, sur Kant, sur l'Encyclopédie de l'Agora, ici.

mercredi 17 février 2010

Bernard-Henri Lévy. Caricature - David Levine

Bernard-Henri Lévy.
Caricature, de David Levine
.

Un contretemps m'empêche de publier le billet prévu pour aujourd'hui. Mille excuses!

En guise de présentation de mon prochain billet, je vous offre ce portrait de Bernard-Henri Lévy.

«BHL vu par le célèbre caricaturiste américain David Levine (1926-2009) en janvier 1980.»

Je suis heureuse d'avoir repéré cette caricature, presque... un inédit.

Tous mes remerciements à Arrêt sur Images, à l'adresse: arretsurimages.net

Merci de votre compréhension.

Je vous souhaite une bonne journée. À bientôt!

lundi 15 février 2010

Critique -Rapport de police - Marie Darrieusseuq / Amalgames - Approximations - Erreurs - Manipulation

La critique de l'essai Rapport de police, de Marie Darrieusseq, fait suite à l'analyse du texte axée sur 3 thèmes: la plagiomnie, le sampling, et le salmigondis de l'auteur. La critique mettra en évidence les amalgames, les approximations, les erreurs, les manipulations. Les cas de Celan, de Danilo Kiss, de Mandelstam, sont biaisés... preuve à l'appui. Ceci n'est pas un essai..., c'est un pamphlet, qui tire dans tous les sens, et dont le sens est élastique. C'est le moins que l'on puisse...

Dégageons des problèmes de fond

[] La position sur le sampling... est une limite majeure du texte. On ne peut à la fois se défendre contre un accusation de plagiat ―à modérer― et endosser le plagiat (sous le vocable de sampling) comme une vision de l'avenir. De deux choses l'une! Les passages sur ce sujet sont d'une telle ambiguïté... qu'ils donnent à penser que l'auteure est assise entre 2 chaises. Il y aurait d'autres exemples, mais passons. [Voir mon billet du 12 février 2010, ici]

[] Même les critiques positives le soulignent... l'amalgame» douteux.
«... la liste est longue de ceux qui connurent un jour (ou une grande partie de leur vie, dans le cas de Celan) les affres engendrées par ce soupçon. Se trouvant "en très bonne compagnie", la romancière analyse avec beaucoup de minutie les cas des uns et des autres, quitte à pratiquer une forme d'amalgame assez gênante, quand elle observe la manière dont le plagiat peut servir d'arme à ceux qui veulent abattre les créateurs, dans le contexte d'une dictature. Le fait de suggérer, même implicitement, que, dans d'autres contextes, l'accusation pourrait avoir des conséquences aussi dramatiques que la prison ou la mort est un acte grave.»(1)
[] Il ne faut pas s'étonner que Florent Georgesco -qui avait pris parti pour Camille Laurens, et descendu en flammes Marie Darrieussecq- relève des amalgames, et «des approximations qui tournent parfois en erreurs grossières» «une juxtaposition hasardeuse d'éléments hétéroclites».(2) À la lecture du «bouquet» qui suit, vous verrez qu'il a raison...

Fin 2009, Marie Darrieussecq envoie un exemplaire dédicacé de son livre »Rapport de police» à Alexandre Prstojevic, universitaire et chercheur réputé. Par la suite, celui-ci a fait parvenir une copie de sa réponse à Marie Darrieusseq à Florent Georgesco qui la reproduit avec permission, c'est là que je l'ai trouvé le texte. Ici, j'en cite des extraits:
[] Alexandre Prstojevic écrit «...l’auteur de «Truismes» consacre un chapitre entier à Danilo Kis, notamment à l’accusation de plagiat dont il a été l’objet à la sortie de son livre «Un tombeau pour Boris Davidovitch»(1976). Elle se réfère peut-être à mon travail dans une note de bas de page, me suis-je dit. Était-il bien raisonnable de m’envoyer un exemplaire pour si peu de chose? Quelle ne fut ma surprise lorsque j’ai constaté que pas loin d’un quart de chapitre porte en réalité sur mon propre travail. Plus encore, la lecture du livre (320 pages, tout de même) m’apprend que je suis le seul universitaire à avoir bénéficié d’une telle attention.
Les lignes qui suivent sont un accusé de réception: une réponse à Marie Darrieussecq et à sa façon de présenter aux lecteurs de «Rapport de police» l’article auquel elle fait référence.

[] Dans «vox poetica» «Un certain goût de l’archive», je le rappelle pour mémoire, je «revisite» l’affaire d’Un tombeau et montre que l’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être, que la poétique de Kis, nourrie de l’idéal encyclopédique, a pour but de dévoiler la vérité historique sur le Goulag et sur les méfaits du communisme, à travers, entre autres techniques, l’analyse littéraire des documents laissés par l’époque.
Cette «bonne lecture» la pousse à me confondrepar allusions et clins d’œilavec la meute qui a attaqué Danilo Kis en 1976 en dépit du fait que mon article se conclut par les lignes suivantes:
[] On comprend donc pourquoi l’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être: la poétique de Kis est une poétique de la métamorphose, de la différence et du décalage. Elle repose autant sur l’idéal encyclopédique du savoir total que sur celui du fantastique de la bibliothèque. Son but est de dévoiler les points faibles d’un témoignage écrit, de démontrer sa faillibilité, de trouver dans ses interstices de silence les secrets qu’on a essayé d’y cacher.
[] «L’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être», écrivais-je il y a dix ans. Mais cette affirmation s’est transformée, sous la plume de Marie Darrieussecq, en quelque chose de douteux, de dangereux, de «pas très clair», en une accusation voilée de Danilo Kis.
«Rapport de police» est le plaidoyer d’un écrivain deux fois accusé de plagiat. Après l’avoir lu, on est forcé de reconnaître que les accusations portées contre Marie Darrieussecq sont sans fondement: pour plagier quelqu’un, il faut d’abord être capable de comprendre ce qu’on lit.»(3)

Comment expliquer l'interprétation fautive -les sous-entendus- de Marie Darrieusseq? Elle cite Alexandre Prstojevic, mais omet ce qui suit: «Les exemples de similitudes constatées entre le texte de Kis et celui de Réau "n’accréditent pas la thèse de plagiat", "ces emprunts peuvent être considérés comme légitimes", voilà ce que Marie Darrieussecq retranche de mon texte. La déontologie élémentaire exige que les passages qu’on choisit de citer soient conformes à l’esprit du texte qui les contient. User du ciseau de façon à laisser croire que l’auteur cité dit autre chose que ce qu’il a réellement dit, cela s’appelle de la manipulation(3)
L'auteure formule même des accusations grossières non fondées à l'encontre de Alexandre Prstojevic.

Il faut absolument lire l'article de Alexandre Prstojevic, «Pourquoi lire, pourquoi comparer. Réponse à Marie Darrieusseq», pour en comprendre les travers, il y en a d'autres: http://www.vox-poetica.com/t/darrieussecq/reponse1.html
D'autres critiques éclairées s'ajoutent à ce lourd contentieux.

Géraldine Arlon
écrit:
[] «... Alors, ce Rapport de police? Dans des va-et-vient constants entre psychanalyse, histoire du communisme et analyse littéraire, Marie Darrieussecq met sur le même plan le bouillonnement d'idées qui a accompagné la naissance de la psychanalyse autour de la figure pivot de Freud, la blessure narcissique de la veuve d'un poète qui fut proche de Celan, […]
On a mal pour elle à la voir s'enferrer dans les amalgames et les approximations. D'où tire-t-elle sa science et ses certitudes? Est-elle une spécialiste de la poésie allemande? Pour juger de l'éventuel plagiat de Goll par Celan, elle ne cite que des traductions. […] On a tout aussi mal de voir la psychanalyste (car elle se présente comme telle) se moquer (oui, se moquer) des personnalités délirantes qu'elle diagnostique sauvagement. La critique littéraire et la psychanalyse sont passablement malmenées, et le lecteur est mis à rude épreuve. […] Juste un petit commentaire de ma part : je n'ai pas lu ce livre. Je n'en ai pas du tout envie. Je ne soutiens aucunement ce genre de texte : règlement de compte ou pas, cela m'agace. Merci à Emma de l'avoir lu pour moi.» (4)

Le cas de Ossip Emilievitch Mandelstam est largement connu. Le poète a été arrêté, une première fois, en 1934 à cause de l'épigramme «Le Montagnard du Kremlin» -«Et chaque massacre réjouit / L'Ogre Ossète...». L'Ogre l'exila. En 1938, il fut arrêté pour activités contre-révolutionnaires, et condamné à 5 ans de travaux forcés. Sa femme, Nadejda Mandelstam, a d'ailleurs publié ses propres mémoires «Espoir contre Espoir» (1970) et «Fin de l'espoir» (1974), qui décrivent leur vie et l'ère stalinienne.
Le cas Madelstam: Pierre Assouline en parle dans un article,«L'épigramme que Staline fit payer à Mandelstam»(5) dans lequel il fait référence au roman de Robert Littell(6); BiblioMonde en fait état dans un court texte, Wikipédia en traite et caetera, etc. Personne ne relie l'accusation de plagiat dont il fut victime et à laquelle il répondit dans un texte virulent à son arrestation... Per-son-ne, sauf Marie Darrieusseq! Comment expliquer une si grossière erreur? Eureka! Lisez bien ce qui suit:

En parlant des cas de plagiat rapportés dans l'essai, Vincent Jolit écrit:
[] «... Tout est très résumé, très simplifié. L’utilisation de ces auteurs n’est aucunement convaincante et ne réussit qu’à souligner combien la colère de Darrieussecq, tout à fait légitime, la pousse à une exagération qui la dessert.
Point de concentration de l’irrecevabilité d’une telle manœuvre, l’évocation du cas Ossip Mandelstam entraîne l’auteur de "Tom est mort" dans les méandres du régime stalinien, époque ô combien douloureuse mais rarement évoquée dans le but de laver quiconque du soupçon de plagiat.
Darrieussecq précise qu’elle ne cherche pas à se comparer aux écrivains mentionnés, mais que si l’accusation de plagiat dont elle fut victime en 2007 lui avait été assénée en U.R.S.S. dans les années 1930, il lui serait arrivé le même sort que Mandelstam. Hypothèse qui en aucun cas ne peut faire office d’argument, d’autant que pour ce qui est de Mandelstam, réduire son envoi au goulag à la conséquence des attaques de plagiat dont il fut victime est une décontextualisation surprenante, pour ne pas dire choquante.
Darrieussecq met en avant l’idée que le combat que mena Mandelstam pour dénoncer la plagiomnie le fit entrer dans un engrenage qui scella son destin, interprétation tragique (littéraire);qui ignore la complexité des éléments historiques (et politiques). "Il eut, comme Celan, à subir l’infamante accusation de plagiat. La bataille dura de 1928 à 1931." Cette bataille est très bien racontée, avec beaucoup de notes pour faire sérieux et valider le propos. Le chapitre s’achève par ces lignes: "Neuf ans après, un autre écrivain, Piotr Pavlenko, envoie à la police une dénonciation écrite qui conduit Mandelstam au goulag."
Ainsi les écrivains sont impitoyables entre eux. Mais le plagiat fut-il à l’origine de cette seconde accusation ? Elle ne le dit pas. Car de 1928 à 1937, il se passa beaucoup de choses dans la vie de Mandelstam. Il y eut surtout, en 1933, la composition du Montagnard du Kremlin; poème assez peu social réaliste attaquant directement Staline: "On entend seulement le montagnard du Kremlin,/ Le bourreau et l’assassin de moujiks." C’est à cause de ce poème-là qu’il fut arrêté et exilé à Tcherdyne, puis à Voronej jusqu’en 1937(4).
Penser que l’écriture de ce poème soit une conséquence des accusations dont fut victime Mandelstam est un point de vue équivoque, pour ne pas dire hasardeux. Peut-être est-ce pour cette raison que Darrieussecq ne le mentionne pas, laissant le lecteur avec l’impression que le plagiat est plus fort que Staline(5). Un tel tri des faits laisse songeur. (....)» (7)
[]Notes reliées à l'extrait: (4)À nouveau arrêté, suite à une dénonciation (Piotr Pavlenko?) pour "activités contre-révolutionnaires" en mai 1938, Mandelstam est condamné à cinq ans de travaux forcés. (5)Plus tard dans le livre, elle revient sur cette affaire avec plus de précisions, mais continue à minimiser les poèmes dévastateurs adressés à Staline, préférant souligner les conséquences de l’accusation de plagiat.

Ambiguïtés, qui sauvent la mise; amalgames, approximations, erreurs grossières, masqués par les salmigondis; manipulation; critique littéraire et psychanalyse malmenées; décontextualisation; point de vue équivoque...

Je vous le dis, je suis complément sonnée, sidérée. Comment se fait-il que tant de critiques, tant de journalistes se soient laissés berner. Ils font confiance... aveuglément? Comment ont-ils pu avaler de telles couleuvres? Beaucoup d'entrevues avec Marie Darrieusseq, reprises tant et plus; mais peu de critiques de l'essai. Triste constatation.

L'essai de Marie Darrieusseq est un livre biaisé, mal foutu. Florent Georgesco estime que c'est un livre médiocre. Il est bien généreux! C'est un livre nul, nul, nul... qui sèmera, à tout vent, plein d'erreurs. Au fait l'éditeur sait-il lire? Il ne l'a pas lu, quoi?

Enfin, une seule conclusion s'impose: on devrait éviter «Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance», de Marie Darrieusseq. Ce livre n'en vaut pas la peine.
En d'autres mots: Sauve qui peut!

Bon lundi! Bonne semaine!
___
«Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance». Marie Darrieussecq, Éditions POL, 2010, 324 pages
* C'est moi qui souligne.
[]
(1) Raphaëlle Rérolle, «"Rapport de police", de Marie Darrieussecq : Marie Darrieussecq publie un essai pour défendre son "honneur d'écrivain"», sur Le Monde. L'article est ici.
[] (2) Florent Georgesco, «Notes de lecteur/La rentrée de janvier. Marie Darrieussecq, Rapport de police». Il vaut la peine de lire cet article incendiaire qui cite nombre de phrases tirées de l'essai. L'article est ici.
[] (3)Alexandre Prstojevic, «Pourquoi lire, pourquoi comparer. Réponse à Marie Darrieusseq». L'article est ici.
[] (4) Géraldine Arlon, «Rapport de police, Marie Darrieusseq, L'article est ici.
[] (5) Pierre Assouline, «L'épigramme que Staline fit payer à Mandelstam». L'article est ici.
[] (6) Robert Lintell, «L'hirondelle avant l'orage», éditions Baker Street, 2009. Un roman sur le parcours de Mandelstam.
[] (7) Vincent Jolit, «Marie Darrieusseq. Rapport de police». L'article est ici.

dimanche 14 février 2010

Joyeuses Saint-Valentin! Balzac - Byron - Éluard - Flaubert - Hugo - Tchekhov - Tolstoï... / Lettres d'amour - Albin Michel

Joyeuses Saint-Valentin! L'amour, c'est tous les jours; mais aujourd'hui, on le fête.Avec les mots de Balzac, Byron, Éluard, Flaubert, Hugo, Tchekhov, Tolstoï... et Saxe, Sterne, Farquhar, Laurence, Pouchkine. Des mots tirés de «Lettres d'amour», Albin Michel. Louis Hamelin, dans «Sylvia au bout du rouleau de la machine à écrire» on lit: «S'il n'y avait pas d'amour, il n'y aurait pas de littérature. [...] L'amour fait écrire, empêche d'écrire, inspire des chefs-d'œuvre et un tas de minables bluettes à l'eau de rose. Comme l'a dit le sulfureux Céline "c'est l'infini à la portée du caniche"»
Puis, l 'auteur évoque Balzac qui disait qu'une nuit d'amour lui coûtait, si je puis dire, 3 ou 4 pages d'écriture; Flaubert mettait 1 journée de train entre lui et sa maîtresse. «Pourtant, il me semble qu'on écrit bien mieux en amour, écrit Louis Hamelin -est-ce le chroniqueur qui parle ou l'écrivain... va savoir!― et que c'est même une réalité bien simple à comprendre, mais encore faut-il savoir ce qu'on entend par ce mot. Le grand amour et l'accaparement de l'autre sont deux choses bien différentes [...]» Comme vous le constatez «Sylvia...» arrive à point nommé car je n'aurais pu trouver une meilleure introduction à mon billet.(1)
Notez que «Sylvia» est le titre du roman de Leonard Michaels. J'ai l'intention de le lire: je vous en parlerai. (2).

Amour. Amor. Laissez-vous emporter par des extraits de «Lettres d'amour» Albin Michel. Un magnifique album d'une esthétique accomplie. Une typographie soignée et inventive; des pages de toutes les couleurs, rouge, bleu, jaune, vert...; des fac-similés de lettres manuscrites, pliées et insérées dans des enveloppes ou simplement collées; une illustration somptueuse: bref, un album d'art signée Michelle Lovric. (3)
Parmi les nombreuses citations triées sur le volet, j'en ai choisies quelques-unes pour vous, cher Valentin et chère Valentine. Laissez-vous emporter...



Sommaire
«Ainsi, né sur mes lèvres,
Mon message ira, en un baiser, jusqu'aux vôtres,
Plus voluptueux que vos rêves secrets;
Qu'il soit le gage de mon amour sincère

J.G. Saxe (1816-1887), écrivain américain
[No 2]

Admiration
«Il y a des jours comme cela où le regard peut fixer le soleil sans être aveuglé, je suis dans un de ces jours.
Je te vois, tu m'éblouis, tu me ravis, et je comprends ta beauté dans toute ta splendeur

Juliette Drouet à Victor Hugo, 17 février 1836.
[No 4]

«Vous avez dans les yeux, et dans la voix, un je ne sais quoi de plus que toutes les femmes rencontrées au cours de ma vie et de mes lectures et toutes celles dont on m'a parlé... une sorte de perfection qu'on ne saurait d'écrire, et qui a le don d'ensorceler
Laurence Sterne, écrivain irlandais,auteur de Tristam Shandy, à Eliza Drapet, mars 1767
[No 4]

«Toutes les choses que j'aime. me rappelle... vous.»
Lord Byron à Augusta Leigh, sa demi-sœur, à qui il voua un amour plus que fraternel, le 17 mars 1819.
[No 5]

Déclaration
«Je vous ai dit toute ma passion,
Ma langue l'a prononcée,
Et ma plume l'a déclarée:...
Pour vous mon cœur chavire,
Ma tête délire,
Et ma main écrit.»
Georges Farquhar, auteur anglais de comédie, à Ann Holdfield, actrice, vers 1700. Cet amour ne fut pas partagé.
[No 6]

Révélation
«J'aime en vous votre beauté,
Mais je commence à peine à aimer en vous ce qui est éternel et sera toujours précieux: votre cœur, votre âme.
Il suffit d'une heure pour connaître et aimer la beauté, il n'en faut pas plus pour s'en déprendre, mais l'âme, il faut apprendre à la connaître.
Croyez-moi, rien ne s'obtient sans peine en ce monde, même l'amour, le plus beau et le plus naturel des sentiments
.»
Léon Tolstoï à sa fiancée, Valéria Arsenev, le 2 novembre 1856.
[N0 9]

Adoration
«Je t'envoie mille baisers passionnés, je te serre tendrement dans mes bras et je compose en imagination divers tableaux où nous figurons toi et moi, sans rien ni personne d'autre.»
Anton Tchekhow à son épouse Olga, 21 août 1901.
[No 11]

Hésitation
«Il ne faut pas trop m'aimer.
J'ai peur d'être évalué à un prix trop élevé, et de devoir être révisé à la baisse au moment de l'achat.
Je suis facilement content de moi; alors il ne faut pas trop m'estimer

D. H. Laurence à Louise Burrows, le 6 décembre 1910.
[N0 15]

«Tout ce que tu fais me grise, me terrifie, me torture, me ravit, tout ce que tu fais est parfait
Paul Éluard (Paul-Eugène Grindel) à sa première femme Helena Dimitrievna Diakonava, dite Gala, le 16 janvier 1930. Éluard avait épousé Gala en 1917. Ils se séparèrent en 1930 et divorcèrent en 1932. Gala épousa Salvador Dali en 1934. Éluard se remaria deux fois, mais, jusqu'à sa mort, en 1952, garda pour elle une véritable fascination.
[No 15]

Supplication

«Parlez-moi d'amour: j'en ai soif...»
Alexandre Pouchkine à Anna Petrovna Kern, le 23 septembre 1825.
[N0 16]

Inspiration
«Je pense à toi, sois très tranquille.
Seule, ta pensée est capable de me troubler.
Le rêve de toi, tu es toujours là, terrible et douce reine du royaume de l'amour.
Je t'imagine de toute façon.
»
Paul Éluard à Hena Dimitrievna Diakonava, dite Gala, vers la fin mars 1929.

Maintenant et à Jamais

«Moi, je te bénirai toujours,
Ton image me resteras toute imbibée de poésie et de tendresse
comme l'était
hier la nuit dans la vapeur laiteuse de son brouillard argenté.»
Gustave Flaubert à Louise Colet, le 8 août 1846
[No 39]

«Il fleurira toujours plus beau, plus neuf, plus gracieux car c'est un amoure vraie, et que le véritable amour va croissant.
C'est une belle fleur, à longues années plantée dans le cœur, et qui étend ses palmes et ses rameaux, qui double à chaque saison ses belles grappes, ses parfums; et ma chère vie, dis-moi, répète-moi toujours que rien ne froissera ni son écorce ni ses feuilles délicates, qu'il grandira dans nos deux cœurs, aimé, libre, soigné, comme une vie dans notre vie, une seule vie.»
Honoré de Balzac à madame Evelina Hanska, le 6 octobre 1833.
[No 39]
}{
À mon Amoureux! Même sans lunettes 3D, on comprend... Mais, avec ces lunettes, alors là...


Amour. Amor. L'amour, toujours l'amour! Joyeuses Saint-Valentin!
__
[] (1) Louis Hamelin, «Sylvia au bout du rouleau de la machine à écrire», Le Devoir, samedi et dimanche les 13 et 14 février 2010. L'article est ici.
[] (2) Leonard Michaels, «Sylvia», Trad. de l'anglais par Céline Leroy, Christian Bourgeois, 150 pages.
[] (3) «Lettres d'amour» Albin Michel. Anthologie conçue et réalisée par Isabelle Lovric, 1996. Les thèmes abordent l'amour dans tous ses états: «Admiration. Déclaration. Révélation. Adoration. Proposition. Hésitation. Supplication. Possession. Célébration. Dévotion. Inspiration. Obsession. Séparation. Confrontation. Félicitations. Installation. Maintenant et à Jamais». Un tour complet de la vie, avec ses joies et ses peines!

vendredi 12 février 2010

A. Analyse - «Rapport de police» Marie Darrieussecq / Plagiomnie - Sampling - Salmigondis

Marie Darrieussecq, «Rapport de police». Mon analyse de l'essai est axée sur 3 thèmes: la plagiomnie, le sampling, et le salmigondis de l'auteure, qui soumet le lecteur à une dure épreuve. Qui trop embrasse mal étreint... Plus joliment dit: «Nous embrassons tout, mais nous n'estreignons que du vent», Montaigne. Son but, dit-elle, est de «laver son honneur d'écrivain». On sait de quoi il s'agit, passons. L'essai est plus vaste. Il couvre la notion de plagiat, l'histoire de ce concept à travers la littérature. Il tente de répondre aux questions: À quoi sert l'accusation de plagiat? Comment «prend-elle», pourquoi trouve-t-elle toujours tant d'échos? Qu'est-ce que cela veut dire, d'un état de la critique et des institutions littéraires, d'un état de la société puisque la littérature fait symptôme? L'essai vise à démontrer que l'accusation de plagiat relève d'un empêchement général, une chape de plomb faite d'interdits, de sacralité et d'anathèmes, une surveillance de la fiction qui s'étend de Platon au goulag. Il traite aussi de la création littéraire et des relations entre l'écrivain et ses pairs, et de la lecture.*

La plagiomnie
Marie Darrieussecq parle de «plagiomnie», mot formé de la contraction de plagiat et calomnie, sur le modèle de «érotomanie». Citations:
[] J'appelle "plagiomnie" la dénonciation calomnieuse de plagiat. A l'origine, on trouve un désir fou d'être plagié. C'est tout bénéfice: on s'imagine une reconnaissance qu'on n'a pas forcément, puisqu'on est digne d'être copié. On se pose comme auteur qui compte, comme victime aussi. Et par les temps qui courent, être victime, c'est une assurance de respect, d'attention médiatique. L'exemple le plus marquant est celui de Daphné Du Maurier, l'auteur de Rebecca. [...]»(1)
[] «Il y a une rage à vouloir être plagié. Au début du xxe siècle Gatian de Clérambault a fondé le concept d’érotomanie: cette "illusion délirante d’être aimée", généralement d’un personnage célèbre. Concept que Lacan développa en "paranoïa autopunitive" dans sa thèse de 1932. Celle qu’il appelle Aimée, et dont il décrit le cas, en vient à tenter d’assassiner l’actrice qui obsédait ses pensées. "Elle veut faire parler d’elle", dit le flic qui l’arrête après son passage à l’acte.»(2)
.― On verra, avec le temps, si ce néologisme, inventée par l'auteure, va «prendre». Cette notion de plagiomnie -ambigüe- donne le ton à l'essai, et teinte les hypothèses et les interprétations.

Le sampling

[] «La crispation sur l’intégrité mobilière du texte est aussi une réaction phobique à une ère numérique toute proche [sic], faite de lecture sur e-book et d’écriture par sampling. D’où, aujourd’hui, une certaine re-sacralisation de l’écrit. La hantise de dépossession que manifeste la croyance au plagiat est aiguillonnée par l’insécurité moderne de l’auteur. Le texte est inaliénable, indéformable et aussi incarné qu’un ongle: quand c’est écrit ça ne s’envole pas, mais bizarrement, ça peut se voler.» (2)
.― Ce passage n'est pas très clair, mais à le lire attentivement, on finit par deviner ce que l'auteure veut dire. Implorons, un instant, Boileau: «Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,/Et les mots pour le dire arrivent aisément.» Boileau, Art poétique, Chant1.

Le «sampling» Quid? En français (!), sampling se traduit échantillonnage.
En musique, l'échantillonnage est un extrait d'une pièce composée par un musicien qui sert à la composition d'une pièce d'un autre musicien. Attention! Les droits d'auteur doivent -impérativement- être respectés. Sur son site, Creative Commons le spécifie nettement. Sinon, gare! Le «sampler», le pilleur ou plagiaire se fera taper sur les doigts par la justice pour non respect des droits d'auteur [copyrigt] ou contrefaçon. «Bien d'autrui, tu ne prendras...».

En littérature
, l'échantillonnage est une voie d'expérimentation poétique et de production littéraire spécifique, d'avant-garde, qui n'ont rien à voir avec le plagiat. Olivier Cadiot, Pierre Alferi, et les expérimentations de la revue Remix -dont fait mention l'auteure- sont de cet ordre. Pour y voir plus clair, lisons ce texte de 2004, écrit par Noël Blandin:

«L'édition littéraire s'empare des coutumes de la production musicale contemporaine et lance Remix, une nouvelle revue littéraire bi-annuelle publié par Hachette Littératures. Le premier numéro sortira en librairie le 10 mars et le second en septembre prochain. Plus qu'une revue de forme traditionnelle, il s'agit plutôt d'un recueil de nouvelles réécrites, "remixées", par des auteurs pour la plupart déjà assez connus du grand public. Selon l'éditeur, "c'est l'adaptation à la littérature du procédé qui triomphe dans le hip hop ou les musiques électroniques: le remix ou la réappropriation d'une création passée". Au total quinze textes de ce genre sont publiés dans le premier numéro, cinq textes originaux remixés chacun par deux autres auteurs. On y trouve par exemple Philippe Besson réécrit et interprété par Arnaud Cathrine et Jean-Claude Pirotte ou bien Charles Pépin par Philippe Djian et Hélèna Villovitch. La revue est dirigée par Guillaume Allary et Charles Pépin.»(3)

Il est faux de dire que «l'ère numérique», qui date de plusieurs lunes déjà, est faite d'«écriture par sampling.» S'il fallait... le champ littéraire serait réduit à une peau de chagrin. Il est hasardeux de prédire que l'écriture de demain sera faite d'«écriture par sampling». La lecture sur e-book, Mp3, etc... et d'autres supports électroniques ou informatiques: oui, ça va, mais cette lecture ne supplante pas, actuellement, le livre imprimé. Bien malin qui saura prédire, si tout-numérique remplacera un jour le livre imprimé. (4)(5).

Reprenons
: «... la hantise de dépossession que manifeste la croyance au plagiat est aiguillonnée par l’insécurité moderne de l’auteur.»
·― Hantise de dépossession? Ce n'est pas une hantise... c'est une question de droit. Il est normal, et justifié, de vouloir garder son bien pour soi, et de refuser de se laisser déposséder. Un auteur peut toujours donner une autorisation de reproduction avec ou sans compensation. Je le répète: «Bien d'autrui, tu ne prendras...» J'ajoute: ni ne plagieras, ni ne «samplingneras» sans autorisation expresse.
·― Depuis quand le plagiat est-il une croyance?
.― Insécurité moderne? Moderne... c'est relatif. Dans l'Introduction de «rapport de police», on trouve un survol historique. Ici, je fais appel à 3 citations tirées d'autre sources. L'un n'empêchant pas l'autre.
[] «Plagiaire vient de plagiere, 1584, et du latin plagiarius «celui qui vole les esclaves d'autrui, et du grec plagios qui signifie oblique, fourbe. "Des compilateurs à foison, des ressasseurs, des plagiaires de plagiats et des critiques et des critiques de critiques», dixit Baudelaire."» Le Petit Robert.
[] «Après avoir rappelé l'évolution du concept de plagiat depuis l'Antiquité jusqu'à la Renaissance, elle [Yzabelle Martineau] s'appuie sur Alain Viala pour montrer comment ce concept se précise au XVIIe siècle. C'est à cette époque, en effet, que l'on voit les premiers auteurs commencer à vivre de leur plume, tels Corneille et Racine, et que l'on reconnaît à l'auteur le droit moral de protéger l'intégrité de son œuvre. La réflexion collective sur le droit d'auteur se développe au XVIIIe siècle, notamment avec la lettre de Diderot sur le commerce de la librairie.» (6)
[] Comme le rappelle Christian Vandendorpe, l’importance attachée aux droits d’auteur et au fait d’être auteur est toutefois assez récente. «Montaigne reconnaît avec une suprême désinvolture les nombreux emprunts qu'il fait aux Anciens ("Je ne compte pas mes emprunts, je les poise") et se justifie de ne pas nommer ses sources par le plaisir anticipé de voir des critiques un peu hâtifs "donne[r] une nazarde à Plutarque sur mon nez, et qu'ils s'échaudent à injurier Sénèque en moy" (II, 10).»(7)
[] Note: Martial, poète latin, fut le premier à utiliser le mot plagiarius, dont le sens propre était voleur d'esclave, pour désigner un voleur de phrases. (7).―Il devait être «insécure»... vu la mobilité manuscrite du temps, qui datait de plusieurs lunes!

Poursuivons. Voici un extrait d'un entretien de Marie Darrieusseq (M.D.) avec Marianne Payot, publié sur L'Express (E).
«M.D. Je suis très désillusionnée, désabusée, car si je trouve légitime qu'on n'aime pas mes livres, je ne supporte pas cette accusation-là. («plagiat psychique», notion nébuleuse; voir mon billet du 28 janvier 2010).
E. Au point, écrivez-vous, de vous être métamorphosée en laie du Pays basque, d'avoir arrêté de lire les suppléments littéraires, de regarder les blogs...
M. D. Surtout les blogs, en effet, qui me semblent relever d'une France très poujadiste(!!!). C'est le royaume de l'opinion non vérifiée, de l'avocat qui se fait juge, de l'accusé dénoncé comme coupable. C'est le lynchage permanent.
E. Mais les plagiaires existent, tout de même.
M. D. Oui, bien sûr. Mais je pense que ce ne sont pas des écrivains, ce sont des écrivants, comme disait Barthes, des gens qui bricolent, font des copiés-collés ou qui n'écrivent pas eux-mêmes leur livre.»(8)
Oh oui! Des écrivains plagient... pour des motifs souvent triviaux, et ceux et celles qui les pointent du doigt ne «souffrent» pas de «plagiomnie».(9)

Les «samplers»,―des blogeurs disent plutôt «samplingueurs»― seraient des écrivants-bricoleurs? Pour faire juste mesure, nous serions des «lecteurs-saucissons»...
Je regrette, mais le «sampling» ―exclusion faite du procédé littéraire- est vu comme un plagiat... Parlez-en à Thierry Ardisson, auteur «Pondichéry» qui s'est fait prendre, en 2005, à «sampler», comprendre plagier.(10)
L'écriture de demain sera faite d'écriture par sampling, vraiment? qu'en diront les samplés... aux prises , sans doute, avec une hantise de la dépossession...

Salmigondis!
Salmigondis, vous dis-je! Et que vous êtes à même de constater. Un dernier extrait:
M.D. «… J’ai voulu écrire Rapport de police à la mémoire de ces écrivains calomniés. J’espère qu’à l’avenir d’autres écrivains injustement accusés pourront s’y référer.
E. Avez-vous conçu cet essai comme une réponse à ces accusations ?
M. D. Le plagiat ne m’intéresse pas. Mon problème, c’est la calomnie…»(8)
.― Alors pourquoi ce titre de «Accusations de plagiat et autres modes de surveillance»? Pourquoi écrire tant de pages sur le plagiat? C'est incohérent... Mais s'agit-il d'un essai ou d'un pamphlet?

Le livre présente un large panorama sur le plagiat et le contrôle des écrits. On y croise de nombreux écrivains: Apollinaire, Celan, Camilo José Cela, Cervantès, Daphné Du Maurier, Épicure, Freud, Danilo Kis, Maïakovski, Mandelstam, Melville, Pablo Neruda, Ovide, Platon, Proust, Stendhal…
Une absence «remarquée». Le Prix Nobel de littérature 2009, Herta Müller qui a vécu sous la botte du régime de Ceaucescu; elle en témoigne dans ses livres dont 3 sont traduits en français. Un témoin vivant... parmi tous ses morts. Dans sa conférence lors de la réception du Prix Nobel, intitulée «Tu as un mouchoir?», elle évoque son enfance et sa vie de traductrice en usine sous la poigne de la Securitate. Un témoignage émouvant, qui donne des frissons dans le dos.(11)
Dans l'essai, les nombreuses notes et les références renvoient aux sources consultées; elles forment une base de données que l'on peut explorer à sa guise, et vérifier... -ce qui jouera un vilain tour à l'auteure. C'est un essai personnel écrit à la première personne, au «je»... Fort bien. «Personnel» n'autorise pas à dire n'importe quoi: on s'entend là-dessus. Le travail est imposant, 324 pages. En dépit de certaines qualités, l'essai présente de sérieuses limites.

Je vous laisse le temps de lire ce long billet, que j'ai préparé pour vous avec grand soin, et de consulter les références. Je vous reviendrai lundi pour la suite... Je verrai, entre autres, le cas de Danilo Kiss.

Dimanche, jour de la Saint-Valentin, sera un intermède. Je vous parlerai d'amour et d'amitié!

Bonne lecture!
___
* C'est moi qui souligne certains passages du texte.
«Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance.» Marie Darrieussecq, Éditions POL, 2010, 324 pages.
[] (1) David Caviglioli, «Darrieusseq: Plagiaires, vos papiers!», sur BibliObs. L'entretien avec Marie Darrieusseq est ici.
[] (2) Rapport de police. Introduction. Lire le texte ici.
[] (3) Noël Blandin, «Parution de la revue Remix aux éditions Hachette Littératures», l'article est ici.
[] (4) Catherine Portevin, «Umberto Eco: "Le livre est une invention aussi indépassable que la roue ou le marteau"», Grand entretien, sur Télérama.fr. L'article est ici
[] (5) Jean-Philippe de Tonnac, Umberto Eco et Jean-Claude Carrière, «Le livre ne mourra pas», sur BibliObs. L'entretien est ici. L'e-book convient mieux à certaines lectures qu'un livre (pièces d'un dossier), et vice versa (lecture de Guerre et Paix».
[] (6) Yzabelle Martineau, «Le faux littéraire. Plagiat littéraire, intertextualité et dialogisme», Québec, Éditions Nota Bene, Collection «Essais critiques», 2002. Lire le compte rendu ici.
[] (7) L'Encyclopédie de l'Agora. Référence: «Le Plagiat» (collectif), actes du colloque international tenu à l'Université d'Ottawa, P.U.O., 1992. Le dossier sur le plagiat est ici.
[] (8) Marianne Payot, «Marie Darrieusseq et Camille Laurens règlent leurs comptes», sur L'Express. L'entretien est ici.
[] (9) Une visite de l'excellent site http://www.leplagiat.net de Hélène Maurel-Indart s'impose.
[] (10) «Thierry Ardisson: du plagiat à l'échelle industrielle - Pillage. Les recherches d'un étudiant montre que le célèbre animateur a plagié bien plus qu'il ne l'admet dans ses "Confessions"». Michel Audétat s'étonne que personne n'en parle. Lire l'article sur Tatamis ici. Vous pouvez le télécharger.
[] (11) Pour vous en faire une idée, je vous invite à lire des extraits de sa conférence sur Littéranaute, mon billet du 12 décembre 2009 «Herta Müller - Prix Nobel de littérature - Conférence». Cliquer ici.

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