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dimanche 23 mai 2010

Jude Stéfan - Que ne suis-je Catulle / Lorand Gaspar - Derrière le dos de Dieu / J.-B. Pontalis - En marge des nuits. Poésie

En ce beau dimanche de la fin de mai [il nous en reste encore un...], je vous offre un bouquet de poèmes. Trois grandes pointures, comme aimait à le dire, si joliment et fièrement, Bernard Pivot. Trois nouveaux recueils de trois auteurs, créateurs de beauté: Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle; Lorand Gaspar, Derrière le dos de Dieu; J.-B. Pontalis, En marge des nuits. [Trois publications de Gallimard, Collection blanche].

Les extraits sont accompagnés de courtes notes. À propos de... l'auteur. Au sujet de... traite du recueil. Quid... c'est le «eh ben quoi, ça alors!» qui espère vous surprendre...

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture.
Laissez-vous envahir par la beauté des poèmes.
Laissez-vous bercer par leur musique.



¤¤¤ Jude Stéfan ¤¤¤
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Que ne suis-je Catulle

en ces presque 80 poèmes


court paradis perdu
«coupable de Mort
je ne puis aller au père
mais aux filles et au vin
la loi m’y condamne hélas
depuis Adam le glébeux
que dégrossit Ève le
serpent la tentant à
l’oreille de sa bifide langue
en quel idiome ? Il rampe
ainsi que debout j’erre
en mes décombres
couleur muraille
que l’on rase»
Jude Stéfan, né en 1930
Gallimard, Collection Blanche
122 pages, 2010.

À propos de… Poète et nouvelliste, Jude Stéfan «résume ainsi sa vie de poète "fleurs, femmes, jeunes, arbres, animaux, haine de la médiocrité". Enfin, il termine avec humour en conseillant à Bertrand: "Si vous voulez être poète (mauvaise voie!), il vous faudra vous exercer pendant 10 ans d'abord! Puis, "Hauzez"!"» [Wikipédia].
Jude Stéfan est un pseudonyme que Jacques Dufour a judicieusement choisi. Il s’en explique dans «Le temps qu’il fait» publié en 1993. Ce nom est en référence avec… Jude l’obscur, de Thomas Hardy; avec… Stephen, le héros de Joyce ; avec… steorfan, terme à propos duquel il écrit : «en vieil anglais steorfan veut dire mourir/ et si j’en retranche l’or/ reste ma vie terne».

Au sujet de…
Prenant prétexte d’une remarque que lui fit une lectrice : «Vous n’êtes pas Catulle !», Jude Stéfan revient sur sa vie, son enfance, ses amours, ses lectures, et anticipe sa mort... » [L’éditeur].
«Ce splendide recueil sera peut-être le dernier: «Pauvres hères dans nos campagnes/ qui l'hiver vous pendiez/ à raison/ Vous nous communiez/vous nous en conjurez/ Ne Plus Ecrire» Tel il s'achève. Plus funèbres encore que par le passé, et plus inconsolables, ces poèmes d'adieu paraissent de parfaites épitaphes romaines, aux rythmes allongés et parfois solennels: «Perdue la jeunesse/heureuse comme Thème latin sans tache», disent ces vers, tout centrés sur une majuscule digne, déjà presque oubliée.» [Jacques Drillon, sur BiblioObs].

Quid… Catulle, Caius Valerius Catullus, est un poète romain (82 avant J.-C.-52 avant J.-C.). Les Poésies, Liber Valerii Catulli, est un recueil dû à Gaïus Valerius Catullus (82-52 av. J.-C.), comprenant cent seize pièces, ordonnées à la fois selon leur genre et leur structure métrique: au début et à la fin des poèmes plus courts, des sujets légers, le corps du texte étant formé d'œuvres savantes et plus développées.
Si l'amour pour Lesbie –c'est-à-dire dans la réalité la belle et infidèle Clodia, sœur du tribun Clodius;– domine l'œuvre poétique de Catulle, l'ensemble se présente comme un journal ouvert à tous les aspects de la vie. Celle de l'auteur, faite de bonheurs et de désillusions, hantée par le sentiment de l'inéluctabilité de la mort, nous sert de fil conducteur dans un ouvrage qui se veut exemplaire du destin de chaque homme. Les poèmes chantent à la fois la joie de l'amour et les souffrances de la passion». [Encyclopédie Universalis]



¤¤¤ Lorand Gaspar ¤¤¤

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Derrière le dos de Dieu
«ici ma langue se paralyse
et se creuse l’ouïe –
le corps, la pensée
rôdent dans les ravins calcinés.
Somptueuse nudité qui bâille
dans l’étendue sans mémoire
et le souple fruit de la langue
rendu aux ans de sécheresse –
oracle toujours qui se tait –
sur le même tas de fumier»

«Gisement de ténèbres et d’éclairs
d’immobilité et de mouvement
Gisement d’air qui vibre et de langues
au fond du silence tenace.
Ici un mot, là un geste, une absence
que nous montre, nous épelle l’érosion.
Dénudés sur les routes du Sud
Nous portons plus loin nos gîtes d’énigmes,
Nos quêtes d’aurore dans la nuit—

Entre deux margelles de clarté
Un pléistocène grouillant et obscur.
L’accord ici est hors clavier.
Dans l’écartèlement –bonheur, détresse-
nous accouchons parfois d’une vie vraie
dans l’espace habitable—»

«Les doigts écartent des bords de paupières
Ils cherchent une pente vers les fonds
Ce sont tissages encore et couleurs
La racine des sources : feuillage et rumeurs—»
Lorand Gaspar, né en 1925.
Gallimard, Collection Blanche
120 pages, 2010.

À propos de… Lorand Gaspard est poète, médecin, historien, photographe et traducteur. «Médecine et écriture sont intimement liées dans l'œuvre de Gaspar, tout comme dans la vie de l'homme. Nombre de ses créations évoquent ce lien à la fois invisible et indestructible qui unit le médecin au poète.» Lorand Gaspar est aussi l’auteur d’ouvrage sur les neurosciences. Il «valorise la psychologie et le développement personnel tout autant que l'écriture et la poésie.» [Wikipédia]

Au sujet de… Les poèmes de Lorand Gaspar sont ma-gni-fi-ques. Leur musique qui enchante l’oreille, séduira aussi bien votre esprit que votre cœur, et vous apaisera. Je vous invite donc à lire d’autres poèmes sur le site de Gallimard, en cliquant ici.

Quid… «Derrière le dos de Dieu» : nom donné à cette région de la Transylvanie orientale où se situent les rudes villages des hauts plateaux des Carpates dont mes grands-parents étaient originaires.», écrit Lorand Gaspar.



¤¤¤ J.-B. Pontalis ¤¤¤
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En marge des nuits
«Ce livre fait écho à En marge des jours paru en 2002. Comme lui, il est composé de fragments, comme lui, il a trouvé son point de départ dans de brèves notes que j’inscris parfois dans mes «Cahiers privés».
Mais ici sont évoqués ce que Victor Hugo dans «Choses vues» appelait des «événements de la nuit» des rêves qui redonnent vie aux amis disparus, des rencontres qui, même si elles ont lieu le jour, ont quelque chose d’insolite, des moments d’inquiétante étrangeté où notre identité vacille, ou encore ceux où l’on se demande: «Qu’est-ce que je fais là?».
«La présence de la mort à venir va de pair avec l’attrait pour la vie, avec l’inlassable curiosité qui anime l’enfant avide d’explorer ce qui l’entoure. À cet enfant je donne un nom : Alice.»
Pontalis cite Claude Roy: «Le songe qui m’invente a les yeux grands ouverts / Et je ferme les yeux pour regarder le monde».
J.-B. Pontalis, né en 1924.
Gallimard, Collection blanche
144 pages, 2010.

En marge des jours
« Que ça casse crisse gerbe éclabousse déchire agace tranche
La gelée d'eau la lame de fer le jeu le chignon des orages
Voilà dès ce soir je reprends l'amère question qui déchire
La lune est là j'enrage noir j'ai l'âme arrachée j'interroge
La mer j'interroge le vent les hanches de la pluie l'horizon
Pourquoi pas au point où nous en sommes l'or sur l'épaule
Pourquoi passer par-dessus les oiseaux ou dans le sommeil
Je veux voir l'enfer des couleurs je veux en cendres l'autre
Qui dort parmi les roses ou les crachats qui coulent je veux
Entendre l'envers de l'eau qui enfle sous les seins saoulés
Quand la mort remonte l'escalier des veines il est temps de
Ce jeu amer au bout de la nuit intelligible quand les femmes
Se dénouent qu'elles avouent leurs cheveux lourds comme
Cette question avec laquelle on enlève leurs robes chaudes
Pour tenter de comprendre l'effarant intérieur des ombres »
J.-B. Pontalis
Gallimard, Collection blanche
128 pages, 2002

À propos deJean-Bertrand Pontalis est psychanalyste, philosophe, écrivain et éditeur.

Au sujet de «Ces courts textes en disent long sur leur auteur, psychanalyste et éditeur. Ecrits plus à la Montaigne qu'à la Valéry, ils ne sont point des confessions mais des coups d'œil lancés sur soi-même. Et l'intelligence de la sensation se trouve multipliée par la justesse de la formule : « Rêver parfois me fatigue.» Ou bien, d'un petit enfant riant sur ses épaules : « Qui est le plus heureux ? Moi, d'avoir un fils Lui, d'avoir un père ?» Chez Pontalis, la satisfaction cède le pas à l'inquiétude, et l'épate à l'humanité.» Jacques Drillon, sur BibliObs
Éric de Bellefroid présente une critique élaborée de «En marge des nuits», intitulée «Les lumières de la nuit», sur lalibre.be; pour lire ce texte, cliquez ici.

Bon dimanche!
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