}

dimanche 19 décembre 2010

La constellation du lynx - Louis Hamelin

La constellation du lynx, de Louis Hamelin: un roman à lire, impérativement. À moins que vous teniez à passer à côté d'un grand roman. Je ne suis pas la seule à le dire...
Je vous donne à lire ici des témoignages. Ils sont tous suffisamment éloquents pour vous convaincre, si vous ne l'êtes pas déjà. S'ajoutent quelques citations tirées du roman, ou d'entrevues.

«Des fois, Sam, j'ai l'impression que la lumière des faits nous parvient de très loin, comme celle des étoiles mortes.
Et que nous nageons en plein arbitraire quand nous essayons de relier les points pour obtenir une figure plausible. 
Peut-être que les explications que nous cherchons ne sont jamais que des approximations, des esquisses chargées de sens,
comme les constellations: nous dessinons des chiens et des chaudrons là ou règne la glace éternelle des soleils éteints.»
La constellation du lynx, de Louis Hamelin

En 2001, à la mort de son ancien professeur, l'éditeur-poète Chevalier Branlequeue, l'écrivain Samuel Nihilo décide de poursuivre les recherches de ce dernier sur la crise d'octobre 1970.

** *

«La Constellation du Lynx est une formidable réussite littéraire, un livre magnifiquement construit, passionnant d’un bout à l’autre, encore plus riche que son matériau historique —et Louis Hamelin s’est hissé, à force de patience, de travail acharné et de talent, au statut des grands écrivains contemporains, tous pays confondus.
[…]
Mais c’est en obéissant à une voix intérieure impérieuse que Louis Hamelin a soumis les trous de l’Histoire aux exigences de son récit, en opposant à la fiction officielle des événements d’octobre 70 sa fiction personnelle, beaucoup plus convaincante, vaste, passionnante et réelle.
En changeant les noms des protagonistes pour se donner une marge de manœuvre, avec une liberté narrative stupéfiante, en maîtrisant parfaitement les chevaux fougueux de son écriture foisonnante, Louis Hamelin couvre toute la seconde moitié du vingtième siècle.
[…]
Mais son coup de maître a été de créer le personnage de Sam Nihilo, écrivain en quête de vérité sur le fond de l’Histoire. Cet alter ego a permis à Louis Hamelin...
[...]
Un historien se serait limité aux faits; un essayiste aurait mis de l’avant sa propre vision de l’Histoire. Mais Louis Hamelin est un romancier et il englobe l’historien et l’essayiste et en ajoutant un amour démesuré pour ces personnages inspirés du réel, même les plus vils et les plus détestables.
«On peut avoir besoin de l’imagination romanesque pour saisir une partie de la réalité», dit Sam Nihilo. Oui, c’est ce que le roman permet, dans le meilleur des cas. Et c’est, aujourd’hui, le meilleur des cas: une œuvre puissante.

Merci, Louis Hamelin, pour ce grand roman qui a ravi le lecteur que je suis, et qui stimule l’auteur que je m’obstine à devenir.»
Source: Jean Barbe, Le roman dont il est le héraut, sur Canoe.ca

** *
«Une telle entreprise avait de quoi décourager le plus chevronné des romanciers. […]. Au terme d'une dizaine d'années de travail, Louis Hamelin nous donne ce qui est, autant qu'un roman, une enquête. […]. Qui dit enquête dit enquêteur, rôle qui revient, dans La Constellation du lynx, à l'écrivain Samuel Nihilo, alter ego de l'auteur (et l'anagramme de son nom). Reliant un à un les points de ce qui formera une image troublante de justesse, Nihilo avance dans une véritable forêt, au sens figuré le plus souvent, mais aussi au sens propre - très enraciné dans le territoire québécois, ce roman est également, on l'a peu dit depuis sa parution, un chant d'amour à la faune et à la flore d'ici. On pourra remettre en question la langue très humoristique d'Hamelin, laquelle, si elle a le mérite de colorer par l'humour une matière puissamment dramatique, donne à l'ensemble un aspect rigolard (!!!) qui ne sied pas à toutes les scènes, le résultat n'en force pas moins le respect, marquant notre capacité, enfin, à investir par l'art un segment de notre histoire longtemps limité à une chamaille d'historiens et de commentateurs politiques.»
Tristan Malavoy-Racine, Louis Hamelin, La Constellations du lynx, sur Voir.ca

** *
« [...]
Mais pourquoi avoir appelé ainsi Pierre Laporte -Paul Lavoie-, changé le nom de Robert Bourassa, premier ministre du Québec à l'époque, en celui d'Albert Vézina et fait de même avec de nombreux autres personnages réels, en particulier les militants du Front de libération du Québec? (demande Michel Lapierre)

«Mon livre n'est pas un essai. Je me suis servi de l'art romanesque pour creuser la réalité historique», m'explique Hamelin (à Michel Lapierre).

«La lumière des faits nous parvient de très loin, comme celle des étoiles mortes»  (dit l'écrivain Samuel Nihilo)
La constellation du lynx, de Louis Hamelin 
[…]
Jamais dans la littérature québécoise les rapports entre les humains (ces «animaux culturés», me signale Hamelin) n'auront si bien exprimé l'ambiance révolutionnaire mondiale de 1970, de Percé à la Californie de la contre-culture, du Paris soixante-huitard aux camps des fedayins palestiniens. Mais, près de Montréal, rive sud, dans une maison, à côté de celle où se trouve le ministre Lavoie, otage du FLQ, des agents veillent en secret, depuis longtemps, au triomphe de l'ordre établi.
Michel Lapierre, Louis Hamelin et les étoiles d'Octobre, sur Le Devoir.com


** *
Louis Hamelin a été hanté longtemps par le fantôme de Pierre Laporte, le ministre enlevé et assassiné par le Front de libération du Québec (FLQ) en octobre 1970. Obsédé par ce cadavre ensanglanté, à jamais muet sur les circonstances exactes du drame, le romancier a conçu, il y a huit ans, le projet fou de réécrire l'histoire de la crise d'Octobre. Après une minutieuse enquête, il croit avoir compris ce qui s'est réellement passé cet automne-là dans le bungalow de la Rive-Sud où le politicien a trouvé la mort. Dans un ambitieux roman, La constellation du Lynx, il pénètre au plus sombre du mystère, recréant les derniers moments de l'otage, jusqu'à son souffle ultime.
L'auteur de 51 ans a toujours rêvé d'écrire « un grand roman à l'américaine » qui s'attaque à un sujet politique majeur. Écrivain marquant des dernières décennies au Québec, lauréat du Prix du Gouverneur général pour La rage, en 1989, il est connu pour son regard caustique sur ses contemporains et pour ses puissantes évocations des paysages des Amé­riques. […].
[...]
Quarante ans plus tard, la pire crise politique de l'histoire du pays demeure un « traumatisme national jamais élucidé, dit l'écrivain ; c'est notre affaire Kennedy à nous ».
Premier grand roman sur le sujet, La constellation du Lynx a failli prendre la forme d'un essai historique. L'auteur est persuadé que sa reconstitution des faits est plus crédible que la version officielle, qu'il juge bourrée de trous et d'invraisemblances. Les machinations du pouvoir et des forces de l'ordre ont joué, selon lui, un rôle beaucoup plus important dans cette affaire que ne le reconnaissent les ex-felquistes ou les autorités. Et Pierre Laporte est à ses yeux un héros oublié.
*
LOUIS HAMELIN avait 11 ans durant la crise d'Octobre. Il habitait alors en Gaspésie, et il se rappelle surtout l'avis de recherche paru dans les journaux, où l'on offrait 150 000 dollars pour la capture des felquistes - avis de recherche qui orne aujourd'hui son bureau. Il a grandi à Laval, a vécu à Vancouver et à Montréal avant de s'installer dans les forêts de l'Abitibi, où les poules qu'il élevait se sont fait manger par les lynx. Il vit aujourd'hui à Sherbrooke. Cet automne, il enseignera à l'Université d'Ottawa et il sera père pour la première fois. Octobre est son mois préféré.
Noémi Mercier, La bombe Hamelin, sur L'actualite.com

** *

«[…]
Il y a 40 ans, en octobre, l’action violente du Front de libération du Québec atteignait son apogée.
[…]
L’écrivain se souvient encore de l’expression de surprise de ses parents à la vue de l’armée et des mitraillettes, puis de cette musique funèbre entendue à la radio un matin d’octobre 1970 quand le corps de Pierre Laporte a été retrouvé. Il n’a jamais pu oublier non plus les visages des gars de la Cellule Chénier qui tapissaient les murs des bâtiments qu’il observait du coin de l’œil lorsqu’il n’avait qu’une dizaine d’années à peine. Pour combler les silences et les mystères qui habitent encore ces moments marquants, il a décidé d’écrire cette œuvre majeure et certainement incontournable de l’histoire du Québec.
«Plus personne n’osera parler de ces événements sans se référer à La Constellation du lynx», disait l’auteur et réalisateur Jacques Godbout qui est aussi membre du comité éditorial des Éditions du Boréal, où paraît ce roman de 600 pages.
Tout y est, et plus encore puisque, en plus de se référer aux affaires telles qu’elles se sont produites dans les faits, Hamelin en a ajouté, défrichant quelques terreaux riches d’informations jamais ou très peu souvent révélées au grand public.
La grande aventure hamelinesque
Il aura passé huit ans à écrire et à mener ses recherches en farfouillant dans des archives, en réalisant des entrevues ou en défrichant des ouvrages… D’écrivain, il est devenu enquêteur, soulevant des pierres sous lesquelles se cachaient des vérités encore chaudes qu’il a ressuscitées avec le talent de l’orfèvre des mots.
C’est aussi à un véritable voyage à travers des contrées et des époques que nous convie Hamelin. Cette fresque habilement menée, limpide tout en étant très touffue, fait découvrir Samuel Nihilo, un écrivain qui décide en 2001 de poursuivre les recherches sur la crise d’Octobre qu’avait commencées son défunt professeur. Manigances, manœuvres douteuses, personnages captivants l’amèneront à comprendre notamment le rôle joué en 1970 par les services secrets et l’escouade antiterroriste…
«J’ai décidé d’embrasser large, commente Hamelin. Il y a plein d’univers qui s’entrecroisent. Je voulais aussi faire parler les silences. Je pense que la version officielle de l’affaire telle qu’elle nous a été présentée est souvent réductrice.»
[…]
«Je voulais me donner du temps, et ça prenait un sujet à la hauteur de ces envies. J’ai l’impression de l’avoir trouvé puisqu’il y a la crise, bien sûr, mais aussi tout ce qui la préparait. Ce n’est pas vrai qu’en 1970, tout le monde est tombé sur le dos en apprenant ça. J’ai l’impression d’ouvrir la porte à de nouvelles compréhensions», précise-t-il (Louis Hamelin).
À voir son sourire de satisfaction en tenant entre ses mains cette brique se situant à mi-chemin entre le polar et le roman historique, on peut en conclure que son aventure au cœur de ces zones sombres s’avère victorieuse, pour lui certes, mais peut-être aussi pour tout un pan de notre histoire.»
Claudia Larochelle, La Constellation du lynx, Entre polar et roman historique, sur Ruefrontenac.com 

** *
«Je voulais donner vie à cette histoire réduite à deux thèses desséchées, lui donner un souffle épique. Parce qu'elle est passionnante.» Louis Hamelin est intarissable et incollable quand il s'agit de la crise d'Octobre.
[…]
Car trous il y a, affirme l'écrivain, qui les a comblés en livrant son interprétation des faits. «Je propose une solution romanesque, mais je ne prétends pas détenir la vérité», dit-il, estimant que la littérature était la meilleure voie pour expliquer les zones d'ombre des événements et de leurs acteurs.
[…]
La force de La constellation du Lynx réside dans l'ambiguïté entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, entre le roman à clés et la saga romanesque pure.
[…]
De l'Abitibi à Montréal, de la Gaspésie au Mexique, Louis Hamelin a écrit un roman polyphonique qui ne comporte aucun temps mort. Felquistes, indics, militaires, policiers, mafieux, éminences grises, les voix et les points de vue se multiplient et se répondent d'une époque à l'autre, dans une écriture parfois lyrique, parfois ironique, toujours vivante et haletante.
«Même s'il y a plusieurs voix, je crois aussi qu'il y a un ton, une jubilation dans l'écriture», avance Louis Hamelin, qui a parfois été dépassé par l'ampleur de la tâche et admet que sa santé mentale a failli y passer. «Disons qu'on finit par développer un rapport obsessif... J'ai fait et refait des plans, réécrit des sections, alors que certaines scènes étaient là depuis le départ. Ensuite, il fallait tout agencer, et ça a été une partie importante de mon travail.» Ce n'est que dans la dernière année que le «ciment» a vraiment pris, et le plus dur restait encore à faire: entrer dans la maison avec les ravisseurs et leur otage, faire face à ce qui s'y est passé. «J'ai gardé le plus gros pour la fin.»

Malgré les vertiges, l'écrivain qui a maintenant 50 ans n'a pas abandonné: son but a toujours été d'écrire «un grand roman qui brasse», qui concerne la société dans laquelle il vit, et il savait qu'il tenait le bon filon. «Mes modèles, c'est Don DeLillo, Norman Mailer, qui a été un grand commentateur de la société américaine. Ça a toujours été mon idéal, mais pour ça, il faut prendre le temps. Ça ne s'improvise pas.» Il se dit content du résultat, sûrement le livre dont il est le plus fier. Ses projets: probablement un autre recueil de nouvelles, puis, de nouveau, un roman. Une autre décennie de travail en perspective? «Je ne pense pas pouvoir refaire ça, mais quand on s'embarque, on ne sait pas jusqu'où ça nous entraînera.»
Josée Lapointe, La crise d'Octobre selon Louis Hamelin, La Presse, lu sur Cyberpresse.ca

** *
Commentaires sur Radio-Canda
« C'est tellement fouillé, tellement recherché. Un roman fascinant, très bien écrit, que je recommande.»
Claude Bernatchez,  Radio-Canada Québec / Première heure

« Louis Hamelin a un immense talent d’écriture. Sur le plan littéraire, c’est l’une des grandes plumes du Québec. Il y a des chapitres très puissants dans ce roman-là. Il y a des scènes absolument bouleversantes. C’est magistralement rendu. Les dialogues sont forts. Un roman très intense, ambitieux, mais c’est une lecture envoûtante. »
Andrée Poulin, Radio-Canada/Divines tentations

« C’est un très bon roman. Un livre qui s’appuie sur une recherche considérable. Ce qui m’a vraiment impressionné : c’est l’écriture, le style. Il a atteint un niveau impressionnant. Il y a beaucoup d’humour malgré le sujet sombre. »
Tommy Allen, Radio-Canada/Des matins en or

« C’est un phénomène du point de vue littéraire, un phénomène aussi à cause des thèses que l’auteur défend. Une fiction très proche de la réalité. Un livre très intéressant. »
Frédéric Laflamme, Radio-Canada/Chez nous le matin

« Une nouvelle étape dans notre compréhension et dans notre appréhension de ce qu'a été Octobre 70.»
Catherine Perrin, Télévision de Radio-Canada / Six dans la cité

«C'est un choc. La crise d'Octobre revue et corrigée par Louis Hamelin, un événement à ne pas manquer. Pour moi, c'est vraiment un chef-d'oeuvre.»
Lorraine Pintal, Radio-Canada 95,1 FM / Vous m'en lirez tant

« On prend énormément de plaisir à lire et à se perdre dans ce récit-là.»
Nathalie Petrowski, Télévision de Radio-Canada / Six dans la cité

** *
Commentaires lus sur Internet

Dans les commentaires des lecteurs et lectrices «ordinaires», le mot qui revient le plus souvent, pour ne pas dire constamment, est l'un des plus beaux mots: Merci!

«Merci.
"Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage", J. Semprun.
Samuel Tremblay, Le Devoir (article de Michel Lapierre)

Parfois, le commentaire se limite à ce seul mot.
Vous permettrez que j'y ajoute le mien. Merci, à vous, Louis Hamelin!

Photo: Olivier Hanigan
Photo: Alain Roberge

D'ici les prochains jours, je vous donnerai à lire des extraits.

À bientôt.
Bonne lecture!

jeudi 16 décembre 2010

L'hiver avec Normand Cazelais / Sur la route avec VLB / Une lettre-poème de Jean-Noël Pontbriand

Au menu -c'est le Temps des Fêtes!-: un album sur l'hiver, qui est de toute beauté; des précisions concernant l'insipide, et trompeur, résumé de Bernard Pivot, qui a dû lire Sur la route de Jack Kerouac, sans ses lunettes; et une lettre-poème «Jack Kerouac blues», de Jean-Noël Pontbriand, tirée de son livre de poésie qui comprend une autre lettre-poème «Il était une voix», dans laquelle il tente «de retrouver le parole tue de la mère», dont voici un court extrait, qui saura vous toucher:
«Je ne suis plus que moi-même
et plus ombre que ma chair
le lointain m'arrive par une lettre que tu n'as pas
écrite mais qui bouge en ma voix
et dont je me souviens»
Jean-Noël Pontbriand
«Il était une voix»


 L'hiver en toute beauté avec Normand Cazelais
Depuis la double fenêtre de mon bureau, j'ai vu neiger, j'ai vu pleuvoir et, j'ai vu neiger de nouveau, pour mon plus grand bonheur, Et voilà que Montréal resplendit sous la neige. On voit les enfants glisser sur les petites et grandes côtes, rouler des balles de neige... On les entend rire dans l'air froid. Ils jasent comme le couple de geais bleus dans mon lilas. Ils sont heureux: c'est l'hiver!

«Montréal, en hiver, c'est la neige qui danse, flotte et virevolte,
s'accroche aux arbres, 
courtise le halo des lampadaires, se transforme en boules et bonshommes. 
C'est la poudre blanche, la vraie, faite de cristaux apparemment tous pareils et,
pourtant si dissemblables qui lui fait tourner la tête.
La neige, c'est le blanc sur la ville grise des jours d'ennui»
 Normand Cazelais
«Vivre L'hiver au Québec. Un espace marqué par l'hiver»

En exergue de son album, rempli de belles photos et écrit à l'avenant, Normand Cazelais cite Louis-Edmond Hamelin, géographe -comme lui- et pionnier de la nordicité ainsi que ... Shakespeare. Un album à s'offrir et à offrir!

«L'hiver se présente comme une saison, un espace, ainsi qu'une émotion.»
Louis-Edmond Hamelin
cité dans «Vivre L'hiver au Québec. Un espace marqué par l'hiver»

«Gèle, gèle, ciel rigoureux
Ta morsure est moins cruelle
Que ce d'un bienfait oublié.»
Shakespeare

Au Québec, l'hiver rime avec les vers romantiques et nostalgiques -et magnifiques- d'Émile Nelligan

« Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé ! »
Émile Nelligan
Soir d'hiver

Des précisions concernant Sur la route de Jack Kerouac avec VLB (Victor-Lévy Beaulieu)
Dans mon blogue précédent, je citais Bernard Pivot qui résume «Sur la route» de Jack Kerouac, dans sa «Bibliothèque idéale», en ces termes: «Livre phare de la génération beat incarnée par Dean Moriarty, un frère de James Dean. Des voitures volées,des mauvais garçons qui ont fait un pacte d'amitié, et la route 220 à l'heure.» J'ajoutais, vous l'aurez remarqué, un «Ciel!» bien senti..., mais insuffisant.

Dean Moriarty est le double de James Dean. Comme Sal Paradise est le double de Jack Kerouac. Chaque protagoniste porte un surnom, c'était plus prudent... Évidemment, dans la toute dernière édition -l'édition originale- l'interdit est levé... chacun porte son nom.
«Il y a aussi que le fait que dès Sur la route, Jack se donne le rôle d'historiographe et non pas celui de héros [...]»
Victor-Lévy Beaulieu
Jack Kérouac

Le héros, si je puis dire ainsi, de Sur la route est James Dean, alias Dean Moriarty, et non pas Jack Kerouac.

«L'essentiel de Jack sorti de l'enfance de Lowell est dans Sur la route; sa démarche, qui me fait penser à celle du Wolfe de Au fil du temps, est celle de l'Américain qui veut posséder son pays physiquement - D'où l'importance, dans ce livre, des vieilles voitures lancées à toute vitesse sur les routes américaines, dans une hystérie qui dit bien le profond besoin qu'on avait, après cette maudite guerre d'un nouvel espace où vivre fût possible - (L'alcool, le sexe, la drogue, le jazz et la poésie ne viendront qu'après cela - milliers de milles tombant derrière soi- vieille peau asphaltée de l'Amérique)-»  

Victor-Lévy Beaulieu
Jack Kérouac

 On ne saurait mieux dire... Une fois de plus, je vous recommande ce livre: un essentiel pour comprendre la trajectoire de Jack Kerouac et son œuvre.


Une lettre-poème de Jean-Noël Pontbriand, adressée à Jack Kerouac: Jack Kerouac Blues
Jamais vous n'aurez lu un poème si beau, ni mieux senti, si juste, si bien intégré au Québec, un poème révélant l'essence même de Sur la route, un écrit indissociable de Jack Kerouac. Une lettre-poème de 43 pages, portée par le blues de l'écriture: un pur bonheur!
Le poète s'adresse à Jack, amateur, et connaisseur, de jazz et de blues, il lui parle au creux de l'oreille de Cole Porter, Billy Holiday, Luis Armstrong, Charlie Parker; il lui souffle le nom d'écrivains lus, Blaise, Rimbaud, Claudel; Nelligan passe comme une ombre. La chanson de Mémére -ainsi que Jack nommait sa mère- s'inscrit dans un souvenir impérissable. 

What is the thing called love
Cole Porter chanté par Billie Holiday
En exergue de Jack Kerouac Blues
Jean-Noël Pontbriand

Je vous invite à vous rendre sur mon blogue Livranaute pour lire des extraits de la lettre-poème, Jack Kerouac blues, en suivant le lien pointé sur le mot Livranaute ou en cliquant dans la colonne  gauche de ce blogue-ci.

Je vous souhaite une bonne lecture, et vous remercie, chaleureusement, de me lire!

dimanche 12 décembre 2010

Sur la route - Jack Kerouac / Jack London / Biographie - Yves Buin / Essai - Victor-Lévy Beaulieu (VLB)

Lire et relire Sur la route de Jack Kerouac, et l'offrir. Pourquoi? Parce que... c'est un livre légendaire, mythique; parce qu'il est l'un des 49 romans américains de la «Bibliothèque idéale» de Bernard Pivot (Albin Michel, 1988) qui écrit: «Livre phare de la génération beat incarnée par Dean Moriarty, un frère de James Dean. Des voitures volées,des mauvais garçons qui ont fait un pacte d'amitié, et la route 220 à l'heure.» Ciel! J'arrête ici, car je crains que les Rennes du Père Noël -bêtes intelligentes, s'il en est- ruent dans la belle jambe que ça me fait!

Lire et relire Sur la route de Jack Kerouac, et l'offrir. Pourquoi? Parce que c'est un excellent roman, un témoignage unique, d'un authentique écrivain, qui a une œuvre incomparable à son actif. Je sais de quoi je parle: en 2009, j'ai consacré nombre d'articles à Sur la route et à Jack Kerouac, sur mon blogue siamois Livranaute.

L'histoire commence avec Jack London.
En 1907, Jack London publie The Road. C'est le récit des aventures et des vagabondages de Jack-le-matelot -un double de l'auteur-, récit inspiré de faits authentiques. En effet, en mai 1893, une «armée industrielle», soit un groupe formé de milliers de chômeurs et de laissés-pour-compte confrontés à une sévère crise économique, marche sur Washington. Commandée par le «général» Kelly, cette «armée» veut forcer le gouvernement à construire des routes à travers le pays. Sans le sou, les chômeurs montent, illégalement, dans des wagons de marchandises; on les nomme les «brûleurs de dur». Parmi ceux-ci, Jack London qui eu l'idée de tenir un journal de bord, un inédit est publié sous le titre Carnet du Trimard (éditions Tallandier, 2007).

Toutefois, il quitte le groupe de chômeurs peu après pour vagabonder, et mener une vie de «hobo», jusqu'à son arrestation à Niagara Falls, en juin 1884, et son dur séjour dans une prison de Buffalo. S'appuyant sur son carnet de bord, expériences et vagabondages, Jack London, le «brûleur de dur», écrivit The Road treize ans plus tard (1907) -et la traduction française mit cent ans pour nous parvenir, décidément «It's a Long Way to Tipperary...».

Jack London venait ainsi d'entrer en littérature et d'opter pour le socialisme. Le vent de liberté, le goût de prendre la route, la sensibilité à la misère et à l'injustice sociale dont est empreint On the Road marqueront les esprits et inspireront la jeunesse revendicatrice, et … Jack Kerouac.

Jack Kerouac
Cinquante ans après The Road, en 1957 donc, Jack Kerouac publiait On the Road, écrit entre 1948-1956. Ce titre même est un hommage à son prédécesseur, le «Pionnier de la Route». Il adoptera le même prénom, Jack. Son véritable prénom est Jean-Louis; pour sa mère, vers qui il reviendra sans cesse, il est et restera «Ti-Jean». Son patronyme est Kérouac, avec l’accent aigu…

Jack London avait rédigé un carnet de notes qui lui a servi pour The Road; c’est avec ce premier roman qu’il débute sa carrière littéraire, qu’il se découvre écrivain. Une carrière prolifique! Jack Kerouac, quant à lui, avait déjà publié un roman en 1950, The Town and the City -Avant la route- salué par la critique. Sa carrière était donc amorcée, et il savait depuis toujours, pour ainsi dire, qu’il serait un écrivain.

L’«armée» de chômeurs et de laissés-pour-compte du «général» Kelly , que London rejoignit, réclamait des routes… et du travail.
Kerouac, lui, errait sur les routes américaines dont la mythique 66 reliant Chicago à Los Angeles se déplaçant en auto-stop, mais aussi montant à bord de wagons de marchandises comme London.

Les temps ont changé, mais la jeunesse reste éprise de liberté, et du désir de prendre le large. Inscrits dans la même filière américaine, les deux Jack sont des vagabonds, des marginaux des «tramps», des «bums». Tous deux racontent leur errance, leurs amitiés et rencontres, leurs émotions et réflexions.

London met en scène Jack-the-Sailor, son double; et Kerouac, Dean Moriary, nul autre que Neal Cassidy, et Sal Paradise, son double. Le contenu de l’un est plutôt «soft», et celui de l’autre est plutôt «hard»-surtout, il va sans dire, le texte original, non épuré. London écrit en slang, dans un style parlé, spontané, familier, alors que Kerouac raconte, romance, dans un tempo jazz, en battant la mesure, dans un style personnel. Ce beat résonnera à l’oreille et au cœur de la génération d’après-guerre.

The Road touchera des millions de lecteurs. C’est une œuvre majeure de la littérature américaine, d’une originalité sans pareille. Elle marquera toute une génération nommée la «Beat Generation». Il inspirera toute une jeunesse qui prendra la route, le livre sous le bras, mais trop tard... l'époque est révolu!

En bref. À 50 ans d'intervalle, Jack London et Jack Kerouac: tous deux ont pris la route et parcouru les États-Unis d’Amérique, au gré des rencontres et des moyens de déplacement. Deux sans-le-sou avides de découverte. Tous deux, conteurs et personnages de leurs propres aventures, pour ne pas dire de leur «vécu». À l’époque de Jack London, on réclamait des routes, à celle de Jack Kerouac, on roulait sur les routes.

Aujourd'hui. La US 66, U.S. Route 66, la Main Street of America, Main Street USA, The Mother Road -la première route transcontinentale goudronnée en Amérique-, n'existe plus ou si peu, ayant été déclassée en 1985. il va sans dire que la célèbre U.S. Route 66 conserve, et conservera, son caractère mythique. D'ailleurs, des groupes multiplient des initiatives pour conserver ce qu'il reste de l'Historic Route 66.

Lire et relire Sur la route de Jack Kerouac, et l'offrir. Mais, dans quelle édition? La plus récente présente la version originale intitulée: «Sur la route: le rouleau original», Gallimard 2010.
Mais quel rouleau??? C'est une légende...
«La légende veut que Kerouac se soit dopé à la benzédrine pour écrire Sur la route, qu’il l’ait composé en trois semaines, sur un long rouleau de papier télétype, sans ponctuation. Il s’était mis au clavier, avec du bop à la radio, et il avait craché son texte, plein d’anecdotes prises sur le vif, au mot près. Le sujet : la route avec Dean, son cinglé de pote, le jazz, l’alcool, les filles, la drogue, la liberté…[...]», lu sur France Culture.

Pour ma part, je vous conseille trois livres:
[] Sur le route, de Jack Kerouac. Texte intégral, avec des notes et un dossier, publié chez Folio plus, numéro 31, 540 pages. Vous aimez le «hard»,? Il y en a... Que les protagonistes portent des surnoms, n'y change pas grand chose; ils sont nettement
identifiés par l'éditeur. C'est un secret de Polichinelle!

[] Kerouac par Yves Buin, chez Folio biographies. no 17,354 pages. Une biographie reconnue, fort intéressante et bien écrite.Clin d'oeil à Daniel Caux.«Pour moi ne comptent que ceux qui sont fous de quelque chose, fous de vivre, fous de parler, fous d'être sauvés, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne bâillent jamais, qui ne disent pas de banalités, mais brûlent, brûlent, brûlent comme un feu d'artifice. », disait le Jazz Poet. Selon Yves Buin, son biographe, Jack Kerouac a formalisé le souffle jazzé, inspiré du saxophone et le phrasé paroxystique de la « forme sauvage » dans les quelques principes de la prose spontanée. Ecrivain psychiatre, également poète et passionné de jazz, Yves Buin a collaboré à Jazz Hot à la fin des années 60 [...]», lu sur France Culture.


[] Jack Kérouac, œuvres complètes, tome 10, de Victor-Lévy Beaulieu (VLB), un essai de 194 pages. C'est un beau livre imprimé sur un papier de qualité crème, généreusement illustré. Ce livre est un incontournable pour connaître Jack Kerouac et son oeuvre: indissociables. Incoutournable pour saisir l'origine profonde et la portée de Sur la route, et la place qu'elle occupe dans son œuvre. Incontournable pour comprendre l'univers de Jack Kerouac, dont les livres ne peuvent, à mon avis, se lire à la pièce. «Jack Kerouac par Victor-Lévy Beaulieu... mais aussi Victor-Lévy Beaulieu par Jack Kerouac... Cet essai de reconstitution d'une vie, d'une oeuvre, d'un destin peut être considéré comme un roman au sens qu'aura peut-être ce mot demain.», Claude Mauriac,Le Monde,1973.

Offrir des Folio... vous hésitez. Alors choisissez la version originale, accompagnée de l'essai de VLB. Un cadeau que la personne choyée n'oubliera pas de sitôt, pour ne pas dire jamais - car il ne faut jamais dire jamais...

Couverture dessinée par Jack Kerouac
Allez, je vous embrasse. À bientôt!

mercredi 1 décembre 2010

Ma vie avec ces animaux qui guérissent - Victor-Lévy Beaulieu / Josée Blanchette - Le Devoir / Hugues Albert - Info Dimanche

Éditions Trois-Pistoles, 2010
Vivement décembre! Avec son cortège de Fêtes et de réjouissances, avec ses amitiés et ses boustifailles, avec ses petits et grands bonheurs. C'est le temps de lire et d'offrir des livres; c'est le temps de prendre du temps... pour vous et les vôtres, parents et amis. Le reste attendra... Vous me voyez venir avec mes sabots de Noël. 

J'ai lu les livres que je vais vous suggérer, ce sont tous des livres «durables», i.e. des livres à relire. Je  vous avoue que je suis devenu allergique aux livres à la mode qui se démodent; aux livres «kleenex» lire-et-oublier, plaisirs éphémères. Aux livres produits de consommation, poussés par un marketing agressif, La carte et le territoire de Michel Houellebecq en est un exemple flagrant.

Aujourd'hui, en ce premier «beau jour» de décembre 2010, je vous propose Ma vie avec ces animaux qui guérissent de Victor-Lévy Beaulieu.  Ces animaux qui guérissent des envies de  (trop) boire...  qui  -si on élargit le propos- guérissent des envies de se décourager, guérissent des plaies qui ne se cicatrisent pas, guérissent du mal de vivre; et, la liste pourrait s'allonger.

Un livre thérapeutique? Pas du tout, vous n'y êtes pas. Un livre «Notre-Dame-du-Bon-Conseil»? Non, rien à voir avec les donneurs zé donneuses de leçon.  Ma vie avec ces animaux qui guérissent  est, tout simplement, le récit d'une tranche de vie d'un écrivain, Victor-Lévy Beaulieu, qui vit dans sa maison, dans son domaine, en compagnonnage avec ses animaux.

José Blanchette écrit dans Le Devoir: «Je connaissais le VLB polémiste, politicien, écrivain, éditeur et scénariste. J'ai fait connaissance avec Victor-Lévy, le sage-homme qui materne et soigne, accouche ses brebis, prépare des biberons, cuisine du foie de bœuf pour ses chats, fait pousser de la lavande, récolte ses framboises.
Ici, ni cirque ni voltige; seule la complicité silencieuse entre la vraie nature de l'homme et ses compagnons de fortune prévaut.
''Ce qui me passionne chez les bêtes, dit VLB, c'est qu'elles vous forcent à rester curieux. [...] Depuis vingt ans que je vis maintenant au quotidien avec des animaux, dans ma maison, dans ma grange-étable et autour de mes bâtiments, je ne cesse pas d'être étonné par l'esprit de générosité de la nature quand on lui porte respect, qu'on fait corps avec elle plutôt que de vouloir la dominer de l'extérieur», écrit-il dans son dernier livre qui traite de sa passion pour les animaux depuis l'aube de son existence, de leur pouvoir balsamique, de sa victoire sur l'alcoolisme et de ses zoothérapeutes.''»

Et plus loin dans l'article, on lit: «On saisit, à la lecture de son récit, à quel point VLB a eu besoin des animaux pour apprivoiser ses propres démons, repousser les muses noires de l'autodestruction:
''Si je n'avais pu profiter de mes soirées et de mes nuits à me bercer parmi mes animaux, je ne crois pas que j'aurais pu résister aux sirènes du gros gin ou à celles du whisky écossais. Les animaux constituaient pour moi une belle leçon de choses, ils avaient une conception zen de l'existence: on ne vit jamais que des instants qui sont dans leur chacun un privilège; si on a la santé, le gîte, le boire et le manger, on n'a plus qu'à en jouir, en toute sérénité, sans culpabilité ni remords», écrit encore l'homme de lettres, qui s'est infligé deux cures volontaires en clinique de désintoxication, il y a quinze ans. «Normalement, le séjour était de 3-4 semaines; j'ai décidé d'y rester durant huit. Ils hésitaient même à m'accepter au cas où j'arrête d'écrire. Mais je n'ai jamais écrit quand je buvais'

Ma vie avec ces animaux qui guérissent est un livre vivant, joyeux, coloré, qui chante la vie, les animaux -les siens portent tous un nom-, les plantes. C'est un livre qui porte la vie, le plaisir de vivre -simplement- et l'espoir de la vie dans son quotidien, et la capacité de vieillir sereinement. À chaque page, on sent le souffle du large, qui nous revivifie.
Le livre est rempli de très belles photographies, d'anecdotes surprenantes. On y apprend un tas de choses des plus intéressantes. Le livre, plein d'humour,nous donne à lire des récits bien savoureux.
Photo Christian Lamontagne

Hugues Albert, dans Info Dimanche, écrit: «Si les images de son dernier ouvrage Ma vie avec ces animaux qui guérissent sont très convaincantes, très fortes et aussi très tendres, le texte n’est rien de moins que passionnant et très riche d’enseignement. Il nous ramène à l’essentiel !
Au sens le plus large, il s’agit d’un éloge bien mérité à tous ces êtres, petits et grands, qui forment le règne animal et dont le comportement, même si on le dit instinctif, est rempli d’un civisme qu’on retrouve à peine dans le genre humain… Le célèbre auteur et dramaturge rend aussi éloge à toute la population animale qui partage sa vie.[...]»

L'auteur de l'article nous livre ce touchant témoignage: «La dame avec laquelle je partageais ce magnifique matin d’août dut attendre une couple d’heures avant de pourvoir me causer. Et quand elle prit possession de l’ouvrage, elle m’envoya paître à son tour quand je voulus lui adresser la parole. VLB l’avait envoûtée avec ses animaux et toutes les expériences et observations qu’il décrit dans son livre. Quand on dit qu’un must est un must, Ma vie avec ces animaux qui guérissent est un must. Voilà !»

Il m'a appris que: « Dans son édition de septembre 2010, le Sélection du Reader’s Digest a choisi Ma vie avec ces animaux qui guérissent de Victor-Lévy Beaulieu pour en faire son Livre du mois, un condensé qui couvre 19 pages avec photographies.»
Ce qui n'est pas rien!

Je pourrais vous parler encore et encore de ce beau, et savoureux, livre. Je pourrais vous apporter une foule de critiques, toutes positives, une foule de témoignages et commentaires touchants. Mais... il suffira de conclure en vous disant que ce livre vous fera du bien, et que vous y reviendrai souvent, et longtemps...

dimanche 17 octobre 2010

Dual Core - Le droit au bonheur. David Azelay - Véronique Sauger. Poésie / Mineurs chiliens - Stéphane Laporte

Un dimanche de poésie, pour dire... pour dire la vie... En guide de présentation des textes de poésie de ce dimanche de la mi-octobre, je vous invite à lire des extraits de l'article -fort touchant- de Stéphane Laporte, intitulé «Nous sommes tous des mineurs chiliens.»

«... C'est ce qu'il y a de bien avec la vie: il n'y a que la mort qui puisse la battre. La vie est plus forte que tout le reste. Plus forte que la peine, plus forte que la peur, plus forte qu'un trou noir. Ces naufragés de la terre sont coupés du monde depuis plus de deux mois. Pourtant, ils sont encore là. La vie est si fragile et si robuste à la fois. (...) La fusée remonte enfin. Le premier mineur en sort. Vivant et heureux. (...) Cette scène, ce n'est que du bonheur. Le bonheur d'exister. Encore.»

L'auteur nous apprend que sa mère fait sa dialyse quatre fois par jour, dans sa chambre. «Sa mine, c'est sa maison. Elle y est confinée depuis deux ans. Elle se promène entre le salon et la galerie d'en arrière. C'est sa seule liberté. (...) C'est pour ça que le drame des 33 hommes nous a tant touchés. Nous sommes tous des mineurs chiliens. Nous avons tous en nous une mine qui nous enferme. Souvent, c'est la maladie ou un accident qui nous a bouché le ciel. Ça peut être aussi la pauvreté, l'angoisse, l'ennui, une blessure d'enfance, une errance, tous ces tunnels sans lumière.

Mais si creux qu'on se trouve, on survit. Ce n'est pas facile. C'est long. Ça fait mal.  On s'accroche à l'espoir ou au désespoir. Les deux sont solidement ancrés. Parfois, si on est chanceux, une nacelle arrive. Elle nous sort de notre malheur, qui devient chose du passé. (..) Cette libération des mineurs nous a fait du bien à tous. La nacelle des chiliens nous a tous remontés. Nous a tous sortis de nos drames, durant un court moment. L'instant de réalier que le bonheur, ce n'est pas d'êtr au ciel, c'est plutôt, tout simplement, de pouvoir le voir.»(1)


Poèmes bellement dits. Défilé d'images superbes. Accompagnement musical.

Comme vous le constatez, l'originalité est la marque de notre dimanche en poésie. La vie, le bonheur, l'amour... et deux poèmes.

[] Dual Core, un fragment poétique de David Azelay et Véronique Sauger, qui anime Les Contes du jour et de la nuit, sur France Musique.

Dual core (DavidAz/VéroniqueSauger/Chopin/FranceMusique)
envoyé par VSAUGER.

[] Le droit au bonheur, un poème de David Azulay, dit par Véronique Sauger.

Le droit au bonheur (DavidAz/VéroniqueSauger/FranceMusique)
envoyé par VSAUGER.

J'espère que ces deux poèmes vous ont ravis, et vous ont procuré un moment de bonheur!

Je vous souhaite un beau dimanche! À bientôt...
___
Stéphane Laporte est chroniqueur au journal La Presse de Montréal. Son article est daté de samedi, le 16 octobre 2010; pour le lire au complet, sur Cyberpresse, cliquez ici.

dimanche 19 septembre 2010

Que la vie en vaut la peine - C'est une chose étrange à la fin que le monde - Aragon. Poésie

Pour un dimanche en beauté, lisons de la poésie! Avec un titre fait pour nous requinquer: Que la vie en vaut la peine, de Louis Aragon. Poème dont la connaissance confondra ceux et celles qui se sont moqués de Jean d'Ormesson. Pensez donc un titre pareil... C'est une chose étrange à la fin que le monde. Ah ben dis donc... Pardonnez, lecteurs et lectrices, à ceux qui ne savaient pas... et qui se voient moqués à leur tour. Rien de bien malin, il faut bien le dire. M'enfin...

Comme je vous le mentionnais, dans mon dernier blogue, le titre du récent livre de Jean d’Ormesson C'est une chose étrange à la fin que le monde(1) vient non pas d'un poème d'Aragon, mais du deuxième chant Que la vie en vaut la peine de ce poème intitulé Les Yeux et la mémoire, qui comprend 15 chants.

«À côté de passages d'une poésie saisissante, l'ouvrage contient des séquences qui comptent parmi les textes les plus ouvertement communistes écrits par Aragon sous forme de poème, empreints d'un enthousiasme crédule susceptible de provoquer le hochement de tête du lecteur d'aujourd'hui.» (2)
Ici, pas de politique, de la poésie.

Afin de situer le chant (chant II) en rapport avec le titre –et la réflexion- de Jean d’Ormesson, voici l’ensemble des titres des quinze chants:

Le poème: Les yeux et la mémoire,  Louis Aragon, 1954

Chant I : Il n'y aura pas de jugement dernier
Chant II : Que la vie en vaut la peine
Chant III : Les vêpres interrompues
Chant IV : Je plaide pour les rues et les bois d'aujourd'hui
Chant V : Nocturne des frères divisés
Chant VI : L'enfer
Chant VII : Le peuple
Chant VIII : On vient de loin
Chant IX : Comment l'eau devint claire
Chant X : Sacre de l'avenir
Chant XI : Le 19 juin 1954
Chant XII : L'enfant
Chant XIII : L'ombre et le mulet
Chant XIV : Pareils à ceux qui s'aiment
Chant XV : Chant de la paix

À présent, lisons ensemble le chant II, à la fin duquel je vous réserve une belle surprise.

Chant II : Que la vie en vaut la peine

C'est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes.

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.

D'autres qui referont comme moi le voyage
D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.

II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l'aube première
II y aura toujours l'eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.

C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n'était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d'être et d'avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.

Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.

Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L'entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.

La cruauté générale et les saloperies
Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.

Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
De toute sa croyance imbécile à l'azur.

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

Believe / Epm, 2008



À présent, je vous propose d'écouter le même chant, mais lu, cette fois, par nul autre que Aragon lui-même...
«[...] N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Émouvant!

Telle est la surprise -du moins j'espère que c'en est une, que je vous réservais.

Cliquez ici pour écouter cette lecture unique. (Vous y trouverez des extraits de 14 titres, en écoute gratuite ou en téléchargement)




Bon dimanche! Merci de me lire!


La lecture: Que la vie en vaut la peine, Louis Aragon, 1954
___
[] (1) C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
[] (2) Source de la citation, ici. De plus, vous trouverez, à cette adresse, un texte des plus complets, et des plus intéressants, sur le poème d'Aragon Les yeux et la mémoire.
[] Pour des heures d'écoute, Camus, Mozart, Brel, Elvis Presley, Céline Dion, etc., visitez le site  http://www.musicme.com.

dimanche 12 septembre 2010

C'est une chose étrange à la fin que le monde - Jean d'Ormesson / Critiques - Extraits

Il y a quelques années, Jean d’Ormesson a publié Une autre histoire de la littérature française(1). Cette fois-ci, il présente une autre histoire de la philosophie, pour ainsi dire: C’est une chose étrange à la fin que le monde (Robert Laffont, 2010). Dès maintenant, tirons un point au clair. Ce livre n’est pas un roman bien qu’il en porte l’étiquette, ce n’est pas non plus un essai. C’est, en fait, un livre de réflexions dans lequel l’auteur reprend les grandes, et sempiternelles, questions aux impossibles réponses: D’où venons-nous? Où allons-nous? Que faisons-nous sur cette terre? Dieu existe-t-il?, etc. L’auteur convoque des mathématiciens, des philosophes, des scientifiques, des écrivains…

Soit dit en passant … c’est une chose étrange à la fin que ce titre. Il faut le lire à l’oreille… avec des intonations «de conversation». Ce n’est pas un titre parlant, mais un titre parlé. Amusons-nous, un petit moment, un peu aux dépens de l’auteur, fin causeur, un brin malicieux, qui entend à rire et s’en tirerait avec une pirouette pleine d’esprit.

« (…) Voulez-vous que je vous pitche le prochain Jean d'Ormesson? Dont le titre, au passage, est si merveilleusement d'Ormessonnant (et trébuchant). «C'est une chose étrange à la fin que le monde». Voyez, nous sommes dans les sujets graves, mais traités avec de l'esprit. Je me demande comment ce titre, pour exprimer un aussi grand détachement des aléas du quotidien, a pu lui venir à l'esprit. En payant le jardinier, peut-être. Je vois la scène pour vous. Le brave homme arrive en bas du perron. Il fait soleil, et doublement: l'astre et l'écrivain, tous les deux, lui font face, et ils se tiennent, l'un et l'autre, quoiqu'un peu distants kilométriquement, à la même hauteur. C'est peut-être à ce moment que Jean, seigneurial comme il se doit, a vu passer, telle une biche à l'orée du sous-bois, le titre dans sa tête. (…)» Didier Jacob(2)

Sérieusement, Jean d’Ormesson tire le titre de son livre d’un poème d’Aragon, intitulé Que la vie en vaut la peine; plus spécifiquement du premier de ce poème : C'est une chose étrange à la fin que le monde. Eh bien! Le seigneur Jean n’a pas vu passer le titre dans sa tête, telle une biche à l’orée du sous-bois, mais comme un vers luisant de Louis d’Aragon. Voilà l'arroseur arrosé!. Qui est doté d'un bon sens de l'humour, lui aussi, d'un esprit fin et d'une plume alerte.

Quatrième de couverture
Qu’est-ce que la vie et d’où vient-elle? Comment fonctionne l’univers? Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien? Des mathématiciens aux philosophes grecs, à Einstein et à la théorie des quanta, en passant par Newton et Darwin, voilà déjà trois mille ans que les hommes s’efforcent de répondre à ces questions. L’histoire s’est accélérée depuis trois ou quatre siècles. Nous sommes entrés dans l’âge moderne et postmoderne. La science, la technique, les chiffres ont conquis la planète. Il semble que la raison l’ait emporté. Elle a permis aux hommes de remplacer les dieux à la tête des affaires du monde. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dieu est-il à reléguer au musée des gloires étrangères et des puissances déchues ? La vie a-t-elle un sens ou est-elle une parenthèse entre deux néants? Est-il permis d’espérer quoi que ce soit au-delà de la mort? Avec les mots les plus simples et les plus clairs, avec une rigueur mêlée de gaieté, Jean d’Ormesson aborde de façon neuve ces problèmes de toujours et raconte au lecteur le roman fabuleux de l’univers et des hommes.

Avec les mots les plus simples… L’auteur en convient largement. Il dit sur Le Journal sonore des livres, que son livre est une espèce de réflexion sur le monde où nous vivons et un tableau romanesque de l’univers. C’est un livre qui pose des questions difficiles avec la plus grande simplicité. Je crois, dit-il, qu’un enfant de dix ans pourrait très bien le lire. Ah oui! Le contenu du livre est à la portée d’un enfant de dix ans… Il y a de quoi être perplexe… Je crois plutôt qu’à force de vouloir «faire simple», on finit par tomber dans le simplisme.(3)

Quelques critiques du livre
Tous les critiques littéraires s’entendent pour dire que C’est une chose étrange à la fin que le monde est un bon livre, un livre intéressant; une lecture agréable, «facile» -un adolescent… pourrait le lire avec intérêt, du moins en partie. Chacun à sa manière émet une opinion favorable. Dans la revue de presse, on peut relever les noms de Tristan Savin(4), Franz-Olivier Giesbert(5), Dans Le Figaro, on souligne que : «Jean d'Ormesson confesse qu'il a écrit ce livre pour tenter «d'inverser le mouvement et de donner ses chances à Dieu dont il est aussi impossible de prouver l'existence que la non-existence». Pour ma part, j’ai choisi les trois critiques qui me semblent les plus perspicaces. Celle de Julien Blanc-Gras, celle  de Roger-Pol Droit et celle de Trinh Xuan Thuan qui donnent le la dans un ton juste.


C'est une chose étrange à la fin que le monde, par Julien Blanc-Gras
Après son « autre histoire de la littérature française », Jean d’Ormesson nous propose son autre histoire de la philosophie, rapide parcours à travers les âges de la pensée. « D’où venons-nous ? », « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » : l’académicien s’empare des questions éternelles et nous promène chez Platon, Saint Augustin, Kant, Nietzsche et les autres, avec quelques détours par Homère, Darwin et la Bible. Il convoque la science (Newton, Einstein, Planck et tutti quanta) qui éclaire la philosophie, part du big bang pour nous entraîner sur les rives de l’infini et de l’inaccessible. De telle sorte qu’on se sent parfois plus chez Hubert Reeves que chez Chateaubriand.

On se laisse guider par notre papy littéraire national. Un peu radoteur, mais bienveillant et malicieux. Il s’agit moins d’une somme philosophique que d’une balade érudite, parfois un peu fourre-tout, mêlant souvenirs personnels et digressions historiques. D’Ormesson slalome avec l’idée de Dieu, rode autour de la mort, médite longuement sur le mystère du temps. Il choisit la posture de l’émerveillement, s’extasie sur le miracle des petites choses simples et infiniment complexes, comme la lumière, la vie ou la pensée, accrochant, parfois, quelques éclats poétiques à son tableau d’écriture. On reste charmé par le regard amoureux porté sur le monde. Revigoré par l’optimisme d’un homme qui, au soir de son existence, écrit : «J’ai eu de la chance. Je suis né». Julien Blanc-Gras(6)


La banalité du miracle, par Roger Pol Droit (extrait de l’article)
Prenez des questions. Choisissez-les simples, compréhensibles par tous, mais impossibles à résoudre. Par exemple : le monde a-t-il un sens? Dieu existe-t-il? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Laissez de côté l'air grave. Évitez comme la peste concepts et références. Faites comme si, un matin, tout ça vous tombait dessus. Découpez ces grandes interrogations en fines lamelles, nappez d'une couche d'histoire universelle, saupoudrez d'un rien de Platon, de Hegel, de Darwin, ajoutez un zeste de Heidegger, un soupçon de Max Planck. Intitulez le tout "roman" et prenez l'air ingénu. Vous croirez tenir la recette de Jean d'Ormesson. La vôtre sera ratée. Parce qu'il joue, lui, pour de vrai. Assez rusé pour être réellement candide. Assez factice pour sonner juste. Suffisamment hâbleur pour émouvoir. Du coup, même dans son rôle d'énergumène officiel, il finit par charmer [...]. Roger-Pol Droit(7).

Dieu, sa vie, son œuvre, par Trinh Xuan Thuan (extrait de l'article)
Nous pensons aujourd'hui qu'il y a quelque 13,7 milliards d'années, une déflagration fulgurante, le big bang, a donné naissance à l'Univers, à l'espace et au temps. S'est ensuite poursuivie une incessante ascension vers la complexité. À partir du vide microscopique initial s'est tissée une immense tapisserie cosmique. Des centaines de milliards de galaxies, peuplées chacune de centaines de milliards d'étoiles, composent un fantastique ballet. Perdue dans un petit coin de notre galaxie, la Voie lactée, une étoile appelée Soleil, dispense généreusement sa chaleur aux huit planètes qui l'entourent. Sur l'une d'entre elles, la Terre, il a permis d'éveiller et d'entretenir la vie. L'homme, fait de poussière d'étoiles, est apparu, capable de s'interroger sur l'univers qui l'a engendré.

Tous ces événements et péripéties, tout ce «roman» fabuleux de l'Univers et des hommes, Jean d'Ormesson nous les raconte dans son nouvel ouvrage, à mi-chemin entre le récit et l'essai, de manière érudite et malicieuse, dans un style élégant et toujours inimitable. Comme à l'habitude de l'auteur, l'ouvrage échappe aux conventions du ¬genre romanesque. L'intrigue du «roman», ce que l'auteur appelle «le fil du labyrinthe» - en référence peut-être aux nombreuses impasses, aux maints cul-de-sac et aux multiples va-et-vient de la science - est ici l'histoire de l'Univers: le big bang et après (le premier chapitre s'intitule «Que la lumière soit !»). De l'astrophysique à la neurobiologie, de la physique à la chimie, en passant par l'anthropologie, la primatologie et la géologie, toutes les sciences concourent sans relâche à élaborer et à affiner cette grande fresque historique de 13,7 milliards d'années, toujours magnifique et sans cesse envoûtante. Quant aux personnages, en plus d'un casting de support de haute volée - Platon, Aristote, Kepler, Galilée, Newton, Laplace, Darwin, Einstein et tous les autres scientifiques qui ont contribué à élaborer cette fabuleuse épopée cosmique, - deux tiennent les rôles principaux : le premier est Dieu en personne, surnommé «le Vieux [...]». Trinh Xuan Thuan(8)


Extraits: C'est une chose étrange à la fin que le monde
Extrait lu par Jean d’Ormesson:
Cessez de courir, arrêtez-vous un instant, prenez deux minutes pour réfléchir un peu et répondre à une question parmi beaucoup d’autres. Croyez-vous que la vie, la pensée, le langage et l’écriture étaient nécessaires de toute éternité ou pensez-vous, au contraire, que la vie, la pensée, le langage et l’écriture auraient pu ne pas apparaître et ne jamais exister?

Extraits tirés du livre(9)

Prologue - le fil du labyrinthe
Un beau matin de juillet, sous un soleil qui tapait fort, je me suis demandé d’où nous venions, où nous allions et ce que nous faisions sur cette terre. p.9

le rêve du Vieux (p10)
le fil du labyrinthe
D’où nous venons? De très loin. Derrière moi, il y avait les fleuves de sperme et de sang, des montagnes de cadavres, un rêve collectif et étrange qui traînait sous des crânes, dans des descriptions sur des pierres ou du marbre, dans des livres, depuis peu dans des machines –et que nous appelons le passé, Et des torrents, des déserts, es océans d’oubli. (p.11)

Le rêve du Vieux
Il n’y avait rien (p.12)

le fil du labyrinthe
«Où nous allons ? Qui le sait ? Devant moi, il y avait... qu'y avait-il ? Autre chose. Autre chose qui n'existait pas encore et que nous appelons l'avenir. Quelque chose de différent, et même de très différent - et pourtant de semblable. Autre chose, mais la même chose. Et la mort.» (p.13)


le rêve du Vieux
Il n’y avait ni espace ni temps. Il y avait autre
chose. Il n’y avait rien. Et le rien était tout. (p.16)

le fil du labyrinthe
La vie est très gaie. Elle est brève, mais longue. Il lui arrive d’être enchanteresse. Nous détestons la quitter. Elle est une vallé de larmes –et une vallée de roses. In hac lacrimarum valle. In hac valle rosarum.
J’ai beaucoup ri. Le monde m’amuse. J’aime les mots, l’ironie, le ski au printemps, le courage, les côtes couvertes d’oliviers et de plus qui descendent vers la mer, l’admiration, l’insolence, les bistrots dans les îles, les contradictions de l’existence, travailler et ne rien faire, la vitesse et l’espérance, les films de Lubisch et de Cukor, Gary Grant, Gene Tierney, Sigourey Weaver et Keira Knightley. J’ai eu de la chance. Je sus né. Je ne m’en plains pas. Je mourrai, naturellement. En attendant, je vis.
Les imbéciles pullulent, les raseurs exagèrent et il arrive à de pauvres types, à une poignée d’égoïstes –j’appelle égoïstes ceux qui ne pensent pas à moi- de se glisser parmi eux. Mais beaucoup de personnes m’ont bien plu. J’en ai aimé quelques-unes et, même quand elles ne m’aimaient pas, ou pas asez à mon goût, c’était assez délicieux. Je n’ai pas pleuré sur la vie. J’étais content d’être là. (p.17, p.18)

le rêve du vieux
Il n’y avait rien. Mais le tout était déjà dans le rien.
Et le temps et l’histoire étaient déjà cachés sous l’éternel. (p.19)

Je vous souhaite un bon dimanche!

Le livre: C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
___
[] (1)Jean d'Ormesson, Une autre histoire de la littérature française, Tome 1 et Tome 2, 1997 et 1998, Éditions NIL (Robert Laffont)

[] (2) Didier Jacob, Goncourt: C'est Houllebeccq qui l'aura cette année, BibliObs, 06/06/2010. L'article est ici.
[] Oups! Hein! Houellebecq? Tiens donc... Ma critique est presque prête, je vous la livre dans un prochain blogue. D'ici là, cachez vos lunettes!
[] (3) Écoutez Jean d'Ormesson, sur Le Journal sonore des livres, sur le site Le choix des libraires, en cliquant ici.
[] (4) Tristan Savin, Le monde étrange de Jean d'Ormesson, L'Express, 27/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (5) Franz-Olivier Giesbert, "C'est une chose étrange à la fin que le monde": Jean d'Ormesson l'homme qui "doute en Dieu", Le Point, 26/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (6) Julien Blanc-Gras, C'est une chose étrange à la fin que le monde, evene.fr 
[] (7) Roger-Pol Droit, Banalité du miracle, Le Monde des livres, 26/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (8) Trinh Xuan Thuan, éminent scientifique, décrypte le fabuleux récit des origines du monde par Jean d'Ormesson, Dieu, sa vie, son œuvre, Le Figaro, 03/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (9) Pour feuilleter le livre, Robert Laffont (c), cliquez ici.

dimanche 29 août 2010

La formule flirt - Anne Portugal / Version Live - Sigolène Prébois / Extraits. Poésie.

Parmi les nouvelles parutions aux Éditions P.O.L., j'ai choisi 4 poètes. À la suite de Les temps traversés de Michelle Grangaud, et de Météo des plages de Christian Prigent (blogue du 23 août 2010), je vous présente le recueil des deux autres poètes, soit La formule flirt, d'Anne Portugal; et, Version Live, de Sigolène Prébois. On poursuit la notion de couple, mais, rappelez-vous, au sens premier du terme donné par Le Petit Robert: couple vient de cople (1190), qui vient du latin copula, signifiant «lien, liaison». 

[] Pour Anne Portugal, les couples sont des textes qui vont deux par deux. Un face-à-face, une page paire et une page impaire, que j'ai essayé de rendre au mieux dans ce blogue. On comprend que le but visé ici est de donner un aperçu du recueil et, de là, vous inviter à le lire au complet dans sa présentation originale.

[] Sans le dire explicitement, Sigolène Prébois aborde le couple dont le lien est le plus intime qui soit: mère-enfant. Plus justement, la rupture définitive de ce lien: la mort d'une mère. Sans épanchement excessif, sans «miaulerie», le texte, bien au contraire, est simple et sincère -un texte nu, sans artifice. Les croquis naïfs de Catherine Lévy, qui accompagnent les courts paragraphes, sont là pour alléger la souffrance, la rendre supportable.
Vous serez, peut-être... désarçonnés par les croquis. Alors, relisez le texte avec votre cœur d'enfant... et rappelez-vous de visites au salon mortuaire ou revoyez des films qui en présentent. Vous trouverez:
« Des situations cocasses, des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère et la douleur exaspérante des pleureurs échaudés», écrit Thomas Flamerion.
Dans sa critique du recueil, Thomas Flamerion en livre une analyse fort et juste. Plutôt que de paraphraser son texte, je vous donne à lire sa critique du recueil: c'est une perle rare (je parle de sa critique... naturellement).


Anne Portugal LA FORMULE FLIRT, P.O.L., 96 pages

Ce nouveau recueil d'Anne Portugal évoque le tremblé des choses, il est construit à partir de textes qui vont deux par deux, se font face à face. Différents ils portent le même titre et se croisent en se frôlant, un peu à la manière de Jane et de Tarzan qui chacun sur sa liane va de son côté mais ils s'approchent de si près cependant, s'effleurent, cela s'appelle le flirt. On pourrait dire qu'il s'agit de ne jamais conclure, de ne jamais figer, de ne jamais entrer dans la chronologie dramatique: rien ne commence, rien ne peut s'arrêter. Tout est en suspens, fugitif, évanescent: on peut appeler ça la poésie, une certaine formule flirt de la poésie, cela pourrait être l'amour.

Voici des extraits de La formule flirt, d'Anne Portugal

on aimait à se rendre et peu situés connaître
qu’on était des naïfs
que des bouquets juxtaposés
que chacun avait son truc social
minimum tendre
de la fancy surprise nous disions
corps secret
des liaisons du courant
nous disions
justement ligne
ainsi de l’ordre à un autre

L’exercice simple à son fiancé
à son nouvel l’appartement des terres
peut pas sonner le triomphe lys blancs
où le ranger l’adresse égare
tout corps voisin du sien
p.8
[texte en vis-à-vis]
avoir vu sa créature à l’intérieur
d’un format elle était on la refait
à la sphère plus qu’à la première
dans les fils et qu’il est né dedans
tenue de tout à l’heure.
p.9

Cher seul décor il faut qu’il soit petit
s’adapte à l’opacité la modèle l’ombre
avec des traits délai sens
à un proche je t’aime saisir dans
un léger sang d’insecte sur épingle
p.10

[texte en vis-à-vis]
réduit bonus de l’édifice l’aiguille
oh voilà qu’elle se trouve si concurrente de
des ailes au choix elle va circuler autour
jette des clous bang dans le décor
est proposée est affûtée d’alfa précision.
p.11

Cette ouverture est traitée d’origine
jetée sur la grand-route section
la poussière aux méchants halte bon capitaine
simple consolidation des rambardes
dextérité pour l’attente de la fée aussi bas
que vous et elle dans quelle mesure elle brode
p.12

[texte en vis-à-vis]
surface docile se changer d’où elle part
son vieux jour suspecté tout d’argent
que parc exclut que dans le défilé
rarement les retrouve panorama les amis
une foule de gens votre point à ce corps de boutons
livraison d’illustrés l’indiffère et décore les allées.
p.13


Tout son matin se réfugie tréma
son caractère réduit dès qu’il s’agit de permanence
le choix naturellement des ifs sa valeur exiguë
pour une composition graphique la rêve
avec des foules régent d’imitation
p.14

[texte en vis-à-vis]
avant propos avant la naissance où il est
avant lui l’a écrit en pensant à l’autre d’orléans
tous les frais du voyage des glaçons et la liste est close
pour qui veut être kidnappé nous sommes spécialistes
ou affirmons que l’on est disposé.
p.15


Toi brother pour gagner la ville des roses initiales
à ton nom mets des lèvres à la belle meunière
indication de toi simplement conditionnelle
ne pouvant concentrer un tel rôle négocie
opium motion processus inconscient dossier
régisseur et le matériel serait le plus joli
p.16

[texte en vis-à-vis]
passait dans les veines porsche pressa le cou
s’améliora vit ce soleil jusqu’à poser devant
épuisée rouge volume refondation conversa
pensa un peu que tout est résidence au lieu
d’herbe y’a en pinçant les lèvres individus
jolis dauphins pointus qui rentrent à la maison.
p.17


Voyageait libre cours avec une grande partie du mobilier
que j’ai plaisir tout se passait en excentricité
à sa faveur vivants milieux les milieux panachés
et poursuivait plus calmement préférait elle aussi
d’apparaître et puis de disparaître en gute nacht
allant se disait sur ce sujet le service appartient
à l’immédiat
p.18

[texte en vis-à-vis]
vrai l’isolement d’une santé le bon déroulement
de la rivière un prénom avec des paysages il
se servait de ces petits indices et c’est quoi le suivant
le catalogue l’accompagnait permet d’y adhérer
l’emplacement bonne nuit sans conséquence
ordonnait au-dessous et comment il faut faire
sa mobilisation physique.
p.19



De l’effort perpétuel juste échappait au vide
l’emmenait dans sa bibliothèque tôt et elle
disposait de la voiture parcourait les longs jours
se sentait sur l’eau exemplaire
dressait devant des cercles clairement apparus
partait humaine sectionnait des localisations
p.20

[texte en vis-à-vis]
lui-même surpris ne l’agitait pas davantage
son corps à vitesse solennelle rendu à la circulation
il l’accorde en adoptant penses-tu trouver un beau
terrier une succession de blancs si frais
en longueur en quelque plaine s’affirmant
radical a inventé comme il appartenait.
p.21

}{ }{ }{


Sigolène Prébois, VERSION LIVE, P.O.L. 224 pages, ill. par avec Catherine Lévy

«Quelques minutes à peine suffisent(1) pour parcourir cette ‘Version Live’ de la mort d’une mère. Quelques minutes volées au temps distendu de l’agonie et aux jours de l’après, lorsque les trivialités funéraires agacent et absorbent. Là où d’autres auscultent la souffrance pour en appuyer la violence, Sigolène Prébois préfère cristalliser ces moments irréels où le drame flirte avec l’absurde.

Son arme, pour exorciser la peine, c’est son dessin naïf, ses personnages à peine esquissés qui, sous le masque d’animaux pour les plus proches, perdent de leur gravité. Pourtant l’angoisse de l’attente insupportable est bien palpable. Elle se déroule jusqu’au dernier souffle d’un corps décharné, dont l’énergie forcément extraordinaire s’échappe injustement.

Mais c’est dans l’humour désespéré des jours qui précèdent la mise en bière que s’épanouit l’insoutenable légèreté du deuil. Des situations cocasses, des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère et la douleur exaspérante des pleureurs échaudés, Sigolène Prébois inscrit à sa manière la perte d’un être cher dans la course effrénée de la vie.

Un rythme dévorant, ridicule, qui laisse à peine le temps de digérer le choc entre la commande d’un cercueil en cellulose sur son iPhone et la dispersion de biens qu’on ne peut conserver. Le texte télégraphié - et télégraphique - qui accompagne ces sobres croquis se contente parfois d’en répéter le sens. Et l’inévitable chagrin des enfants ne s’illustre qu’au travers de pudiques réflexes affectueux.
Mais ce touchant roman graphique, étonnamment publié chez P.O.L, ne manque ni de poésie ni de justesse.»
Critique par Thomas Flamerion, sur evene.fr


Voici des extraits de Version Live, de Sigolène Prébois

Élisabeth me téléphone en milieu
de journée. Élisabeth, c’est la jeune
femme philippine qui s’occupe de ma
mère depuis qu’elle est malade.
En général, elle m’appelle
plutôt le soir.[croquis 1]
[croquis 1]

Elle me dit que ma mère n’a pas l’air
en grande forme et que l’une de ses
jambes est gonflée.[croquis 2]
[croquis 2]

Elle décide de l’emmener voir
un médecin.[croquis 3]
[croquis 3]

Une heure après, le téléphone sonne
encore.[croquis 4]
[croquis 4]

Elle a été transportée directement
aux urgences.[croquis 5]
[croquis 5]


Un ambulancier est venu la chercher.
[croquis 6]
[croquis 6]


Bastille-Sablons. C’est long pour se
faire du mouron. [croquis 7]
[croquis 7]

Autres extraits
Deux moments pénibles à vivre. Ils font d'autant plus mal qu'ils sont écrits en termes simples, sans artifice, dans un langage «de tous les jours». Et... cela n'arrive pas qu'aux autres. 


Le coup de fil qu'on ne voudrait jamais, mais jamais, recevoir:

«Ha bonjour, oui alors on a essayé de vous joindre ce matin un peu plus tôt, mais c'était votre répondeur, alors c'est bien que vous nous rappeliez parce qu'on voulait vous dire quelque chose, oui alors ce matin, tôt hein, vers 5 heures les infirmières sont passées voir votre maman, ce qu'elles font tous les matins, hein, et alors elles se sont rendu compte qu'elle était morte dans son sommeil, ce matin, alors voilà, faut passer, hein? faut venir, hein ?»

Le plus cruel des constats:
« La chambre a été faite. Il ne reste rien »

Et alors, on fait un pas dans le vide...  Maman est morte! Le mot «orphelin» ou «orpheline» vous tape dans la cervelle comme un glas sans fin. 

Ainsi va la vie! Allez, ne soyez pas (trop) triste: profitez des moments heureux, des petits comme des grands!

Merci de me lire! Je vous reviens bientôt...
_____
Paperblog