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lundi 26 avril 2010

Amour, haine et propagande - Apocalypse: la 2e Guerre mondiale / Aragon - Cayrol - Tardieu - Éluard - Césaire. Poésie

Le temps est beau, mais les esprits sont orageux. Le printemps est doux, mais les esprits s'échauffent. C'est que la télé avec «Amour, haine et propagande», et la vidéo avec le coffret «Apocalypse: la 2e Guerre mondiale» nous ramènent à l'horreur de la Seconde Guerre mondiale.(1) Mais, la barbarie est toujours là derrière nos portes. Et la propagande lui donne des ailes, et fait «consentir à l'horreur», comme le résume si bien le titre de l'article d'Alexandre Shelds, dans l'Agenda du journal Le Devoir(2).

«Adieu donc, et sans regrets! On ne le bénira certes pas, ce XXe siècle enfin achevé. Qu'il fut, de toute l'Histoire, celui où l'homme s'est montré le plus sauvage, le plus abominable à l'égard de ses semblables, est désormais une triste évidence. Qu'on puisse en même temps le créditer des plus formidables avancées de nos connaissances et de nos modes de vie n'est pas une contradiction. Mais une interrogation décisive pour la suite des événements: ne faut-il pas vivre avec l'idée d'un être humain qui, malgré ses apparences de progrès, reste incarcéré dans sa nature profondément barbare?», écrit Dominique Simonnet en introduction à son entrevue avec Georges Steiner. (3) Hélas...
«La culture ne rend pas plus humain»
Georges Steiner

Cependant... dans la tourmente de 39-45, les hommes et les femmes qui avaient un cœur et un esprit sain ont manifesté leur humanité, et leur compassion envers leurs semblables, et ce, bien souvent, au péril de leur vie. En ces années où il valait mieux se taire et se terrer -pour ne pas dire ramper- des poètes ont pris leur plume pour dire tout haut leurs sentiments, leur réprobation, pour parler au nom de ceux et celles contraints à penser tout bas, et à plier l'échine.
J'ai sélectionné, pour vous, des poèmes qui témoignent de ces temps difficiles, et sauront vous émouvoir. Le temps est beau, le printemps est doux, cultivons notre humanité... avec Louis Aragon, Jean Cayrol, Jean Tardieu, Paul Éluard, Aimé Césaire. Pour terminer un «Poème de joie», un poème pour la paix, de Paul Éluard.


La rose et le réséda
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle et lequel guettait en bas

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle et l'autre s'y dérobât

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle vive et qui vivra verra

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle la sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle l'autre tombe qui mourra

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel a le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle lequel préfère les rats

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle passent de vie à trépas

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat

Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes de Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle la rose et le réséda
Louis Aragon, 1943


J’accuse
Au nom du mort qui fut sans nom
Au nom des portes verrouillées
Au nom de l'arbre qui répond
Au nom des plaies au nom des prés mouillés

Au nom du ciel en feu de nos remords
Au nom d'un père qui n'aura plus son fils
Au nom du livre où le sage s'endort
Au nom de tous les fruits qui mûrissent

Au nom de l'ennemi au nom de vrai combat
Où l'oiseau avait fait son nid
Au nom du grand retour de flamme et de soldats
Au nom des feuilles dans le puits

Au nom des justices sommaires
Au nom de la paix si faible et dans nos bras
Au nom des nuits vivantes d'une mère
Au nom d'un peuple dont s'effacent les pas

Au nom de tous les noms qui n'ont plus de renom
Au nom des lois remuantes au nom des Voix
Qui disent oui qui disent non
Au nom des hommes aux yeux de proie

Amour je te livre aux premières fureurs de la Joie.
Jean Cayrol, Poèmes de la nuit et du brouillard, 1945


Oradour

Oradour n'a plus de femmes
Oradour n'a plus un homme
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus de pierres
Oradour n'a plus d'église
Oradour n'a plus d'enfants

Plus de fumée plus de rires
Plus de toits plus de greniers
Plus de meules plus d'amour
Plus de vin plus de chansons.

Oradour, j'ai peur d'entendre
Oradour, je n'ose pas
Approcher de tes blessures
De ton sang de tes ruines
Je ne peux je ne peux pas
Voir ni entendre ton nom.

Oradour je crie et hurle
Chaque fois qu'un cœur éclate
Sous les coups des assassins
Une tête épouvantée
Deux yeux larges deux yeux rouges
Deux yeux graves deux yeux grands
Comme la nuit la folie
Deux yeux de petits enfants:
Ils ne me quitteront pas.
Oradour je n'ose plus
Lire ou prononcer ton nom.

Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos cœurs ne s'apaiseront
Que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.

Oradour n'a plus de forme
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n'a plus d'enfants
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus d'église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
Plus de pleurs ni de chansons.

Oradour n'est plus qu'un cri
Et c'est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c'est bien la pire honte
Que de n'être plus qu'un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu'à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant.
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps.
Jean Tardieu, 1944(4)


Un petit nombre d'intellectuels français s'est mis au service de l'ennemi
Épouvantés épouvantable
L’heure est venue de les compter
Car la fin de leur règne arrive
Ils nous ont vanté nos bourreaux
Ils nous ont détaillé le mal
Ils n’ont rien dit innocemment

Belles paroles d’alliance
Ils vous ont voilées de vermine
Leur bouche donne sur la mort

Mais voici que l’heure est venue
De s’aimer et de s’unir
Pour les vaincre et les punir.
Paul Éluard, Au rendez-vous allemand, 1944


Les Armes de la douleur


à la mémoire de Lucien Legros fusillé pour ses dix-huit ans.

I
Daddy des Ruines
Hommes au chapeau trouvé
Homme aux orbites creuses
Homme au feu noir
Homme au ciel vide
Corbeau fait pour vivre vieux
Tu avais rêvé d’être heureux

Daddy des Ruines
Ton fils est mort
Assassiné

Daddy la Haine
Ô victime cruelle
Mon camarade des deux guerres
Notre vie est tailladée
Saignante et laide
Mais nous jurons
De tenir bientôt le couteau

Daddy l’Espoir
L’espoir des autres
Tu es partout.

II
J’avais dans mes serments bâti trois châteaux
Un pour la vie un pour la mort un pour l’amour
Je cachais comme un trésor
Les pauvres petites peines
De ma vie heureuse et bonne

J’avais dans la douceur tissé trois manteaux
Un pour nous deux et deux pour notre enfant
Nous avions les mêmes mains
Et nous pensions l’un pour l’autre
Nous embellissions la terre

J’avais dans la nuit compté trois lumières
Le temps de dormir tout se confondait
Fils d’espoir et fleur miroir œil et lune
Homme sans saveur mais clair de langage
Femme sans éclat mais fluide aux doigts

Brusquement c’est le désert
Et je me perds dans le noir
L’ennemi s’est révélé
Je suis seule dans ma chair
Je suis seule pour aimer.

III
Cet enfant aurait pu menti
Et se sauver

La molle plaine infranchissable
Cet enfant n’aimait pas mentir
Il cria très fort ses forfaits

Il opposa sa vérité
La vérité
Comme une épée à ses bourreaux
Comme une épée sa loi suprême

Et ses bourreaux se sont vengés
Ils ont fait défiler la mort
L’espoir la mort l’espoir la mort
Ils l’ont gracié puis ils l’ont tué
On l’avait durement traité
Ses pieds ses mains étaient brisés
Dit le gardien du cimetière.

IV
Une seule pensée une seule passion
Et les armes de la douleur.

V
Des combattants saignant le feu
Ceux qui feront la paix sur terre
Des ouvriers des paysans
Des guerriers mêlés à la foule
Et quels prodiges de raison
Pour mieux frapper

Des guerriers comme des ruisseaux
Partout sur les champs desséchés
Ou battant d’ailes acharnées
Le ciel boueux pour effacer
La morale de fin du monde
Des oppresseurs

Et selon l’amour la haine
Des guerriers selon l’espoir
Selon le sens de la vie
Et la commune parole
Selon la passion de vaincre
Et de réparer le mal
Qu’on nous a fait

Des guerriers selon mon cœur
Celui-ci pense à la mort
Celui-là n’y pense pas
L’un dort l’autre ne dort pas
Mais tous font le même rêve
Se libérer

Chacun est l’ombre de tous.

VI
Les uns sombres les autres nus
Chantant leur bien mâchant leur mal
Mâchant le poids de leur corps
Ou chantant comme on s’envole

Par mille rêves humains
Par mille voies de nature
Ils sortent de leur pays
Et leur pays entre en eux
De l’air passe dans leur sang

Leur pays peut devenir
Le vrai pays des merveilles
Le pays de l’innocence.

VII
Des réfractaires selon l’homme
Sous le ciel de tous les hommes
Sur la terre unie et pleine

Au-dedans de ce fruit mûr
Le soleil comme un cœur pur
Tout le soleil pour les hommes

Tous les hommes pour les hommes
La terre entière et le temps
Le bonheur dans un seul corps.

Je dis ce que je vois
Ce que je sais
Ce qui est vrai.
Paul Éluard, Les Armes de la douleur, 1944

Varsovie
1948
ici la brique est le ricanement du mal
briques sur les rues dispersées
briques sur les juifs massacrés
briques briques briques
fers tordus moignons nus rats sas tas sur tas
linceul

ici la brique est la syllabe la plus simple du cauchemar
ici la brique s'emmêle à la brique comme le corps au cadavre
ici la brique est l'accumulation des jours frappés en plein soleil
et des lettres sans réponse

ici le raz de marée s'appelle brique
le buisson ardent s'appelle brique
brique l'éruption volcanique
brique le hoquet
brique la secousse sismique
brique les trois balles dans la peau
brique la vomissure du soldat

il y a des briques sur l'odeur des morts
des briques sur le dernier sursaut
des briques sur l'innocence des mots

mais qu'importe que jours et nuits
semblent un champ non défait des griffes d'une escadre de sauterelles assassinées
brique c'est désormais hors du monde le pas premier du monde
brique chaque poussée de l'enfant en avance sur l'encoche
brique la frêle marche énorme du pétrel sur le grondement montant des eaux

brique surtout
l'aile feu de l'oiseau feu

et à jamais
plus fort que l'ostensible mât blanc
le sabre de la sirène ou le trou du dragon
toute aile
jusqu'au lait qui nourrit la naissance méconnue d'un astre
L'ESPOIR
notre ESPOIR
moins fort seulement
que les prairies bleues où se balancent les yeux de tes enfants
POLOGNE

et l'insolence tranquille des vastes tournesols.
Aimé Césaire, Sept poèmes reniés, 1948

À la fin de la terrible guerre des tranchées de 1914-1918, les voix s'élevaient à l'unisson pour dire, pour crier: «Plus jamais!». Hélas... la même génération d'hommes combattra, aux côtés des plus jeunes, bien souvent leurs fils... au cours de la Seconde Guerre mondiale. En '18, on ignorait, ou on voulait oublier, que la barbarie est là derrière nos portes... Tout de même, à la fin de la guerre les cœurs sont à la joie, même si les plaies sont ouvertes et les blessures profondes, et peut-être inguérissables... Fêtons, la guerre est finie!

Poème de joie...

Poème pour la paix
Monde ébloui, Monde étourdi.
Toutes les femmes heureuses ont
Retrouvé leur mari — il revient du soleil
Tant il apporte de chaleur.
Il rit et dit bonjour tout doucement
Avant d’embrasser sa merveille.

II
Splendide, la poitrine cambrée légèrement,
Sainte ma femme, tu es à moi bien mieux qu’au temps
Où avec lui, et lui, et lui, et lui, et lui,
Je tenais un fusil, un bidon — notre vie !

III
Tous les camarades du monde,
Ô ! mes amis !
Ne valent pas à ma table ronde
Ma femme et mes enfants assis,
Ô ! mes amis !

IV
Après le combat dans la foule,
Tu t’endormais dans la foule.
Maintenant, tu n’auras qu’un souffle près de toi,
Et ta femme partageant ta couche
T’inquiétera bien plus que les mille autres bouches.

V
Mon enfant est capricieux —
Tous ces caprices sont faits.
J’ai un bel enfant coquet
Qui me fait rire et rire.

VI
Travaille.Travail de mes dix doigts et travail de ma tête,
Travail de Dieu, travail de bête,
Ma vie et notre espoir de tous les jours,
La nourriture et notre amour.
Travaille.

VII
Ma belle, il nous faut voir fleurir
La rose blanche de ton lait.
Ma belle, il faut vite être mère,
Fais un enfant à mon image...

VIII
J’ai eu longtemps un visage inutile,
Mais maintenant
J’ai un visage pour être aimé,
J’ai un visage pour être heureux.

IX
Il me faut une amoureuse,
Une vierge amoureuse,
Une vierge à la robe légère.

X
Je rêve de toutes les belles
Qui se promènent dans la nuit,
Très calmes,
Avec la lune qui voyage.

XI
Toute la fleur des fruits éclaire mon jardin,
Les arbres de beauté et les arbres fruitiers.
Et je travaille et je suis seul dans mon jardin.
Et le soleil brûle en feu sombre sur mes mains
Paul Éluard, 1918

°°°
Ne soyez pas triste, c'est la vie!
Profitez de la vie tandis qu'elle est là. N'attendez pas à demain.
Allez, soyez heureux, chers lecteurs et lectrices!
Et merci de me lire, et de lire...
__
[](1) «Amour, haine et propagande», une série diffusée à Radio-Canada. À voir les vendredi 30 avril, et ainsi de suite jusqu'au 4 juin 2010, à 21h. Pour en savoir plus sur la série, cliquez ici. Ça vaut le détour (ou le clic...)
[] (1) Le coffret de 3 DVD «Apocalypse, la 2e Guerre mondiale» est en prévente chez Archambault à 34,99$ (aussi bien dire 35$). Pour en savoir plus, cliquez ici.
[] (2) «Consentir à l'horreur», par Alexandre Shelds, L'Agenda, Le Devoir, semaine du 24 au 30 avril 2010. Pour comprendre en peu de mots, le mécanisme de la propagande, cliquez ici.
[] (3) «La culture ne rend pas plus humain», par Dominique Simonnet. Entrevue avec Georges Steiner, publiée dans L'Express. Pour accéder à l'article, cliquez ici.
[] (4) Jean Tardieu écrit ce poème en homme posthume au village d'Oradour-sur-Glane -un village martyr- dont la population -hommes, femmes, enfants- a été massacré par la Waffen-SS, le 10 juin 1944. Une horreur sans nom. Un exemple «parfait» de la barbarie. Lisez l'article sur Wikipédia pour en savoir plus, il est ici.

mercredi 21 avril 2010

La petite et le vieux - Marie-Renée Lavoie / Hemingway - Kipling / Pierre Foglia. Extraits

Hier, Pierre Foglia nous faisait un «cadeau de lecture» dans un texte intitulé «A-do-ra-ble» (sur Cyberpresse): La Petite et le vieux, de Marie-Renée Lavoie. Il s'exprimait en ces termes: «(…) la petite du titre est un sacré numéro, comme on dit, comme souvent les petites filles dans les romans, vous l'aviez peut-être remarqué. Bien sûr, le vieux monsieur est... tiens, on va voir si vous vous y connaissez en littérature, cochez la bonne réponse: Le vieux monsieur est bourru / Le vieux monsieur est daltonien / Le vieux monsieur est luxembourgeois.
Bourru, bravo, je vous félicite. Vers le milieu du roman, la petite offre au vieux monsieur un livre, pas n'importe quoi - l'auteur est prof de littérature, rappelez-vous - Le vieil homme et la mer, c'est le livre, il y a un punch à propos de ce cadeau, je l'avais deviné mais peut-être pas vous et je ne veux pas gâcher votre plaisir. Le livre commence par une citation de Romain Gary, mais elle aurait aussi pu être tirée du Catcher in the Rye, ou de Queneau, voilà je ne peux vraiment pas vous tordre le bras plus que ça, si vous ne lisez pas ce livre-là non plus, alors c'en est bien fini de la lecture, celui-là a vraiment été écrit pour être lu, croyez-moi. J'exagère comme toujours. En fait, vous pouvez aussi attendre le film, c'est bien parti pour ça.»

Intriguée, j'ai cherché à en savoir plus. Voici le résultat de mon enquête....

La petite et le vieux. Résumé du livre.
Elle se nomme Hélène, mais se fait appeler Joe parce qu’elle veut vivre en garçon comme lady Oscar, son héroïne de dessins animés préférés qui est le capitaine de la garde rapprochée de Marie-Antoinette. Comme elle, elle aimerait vivre à une autre époque et réaliser de grands exploits, car elle a l’âme romantique et un imaginaire avide de grands drames. Mais elle doit se contenter de passer les journaux, puis de travailler comme serveuse dans une salle de bingo. Après tout, au début du roman, elle n’a que huit ans, même si elle prétend en avoir dix.
Hélène a trois sœurs, un père très occupé à être malheureux et une mère compréhensive mais stricte qui ponctue ses phrases d’un «C’é toute» sans réplique. Elle vit dans un quartier populaire peuplé de gens souvent colorés dont le plus attachant est sans nul doute son nouveau voisin, Monsieur Roger, un vieil homme qui rêve de mourir. Il passe ses journées à boire de la bière, mais il accourt dès qu’on a besoin de lui. Hélène et lui développent une amitié indéfectible.
Le roman est traversé par une grande tendresse et rendu avec une grande vivacité. Hélène peut se rassurer: elle fait preuve d’autant d’héroïsme que Lady Oscar et sa vie est tout aussi palpitante que la sienne. La vraie aventure n’est-elle pas de vivre au quotidien?

Lady Oscar, capitaine de la garde rapprochée de Marie-Antoinette?
Pour savoir qui est cette Lady Oscar, héroïne de la série animée La Rose de Versailles -série adaptée d'un manga-, rendez vous sur Wikipédia, à cette page ici.

Le vieil homme et la mer, de Ernest Hemingway. Extraits.
À vue de nez, on voit... que l'on peut faire un parallèle entre Hélène alias Jos et le vieux Roger, d'une part, et entre Manolin et le vieux pêcheur Santiago, d'autre part.
Pour vous remettre en mémoire ce magnifique texte, je vous en donne 2 extraits

Extrait 1. Dialogue entre Manolin et Santiago
Note. Le roman met en scène deux personnages principaux: Santiago, un vieux pêcheur pauvre, et Manolin, jeune garçon tendre. L’histoire se déroule à Cuba,dans un petit port près du Gulf_Stream.

«Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer.
- Santiago, dit le gamin tandis qu'ils escaladaient le talus après avoir tiré la barque au sec, je pourrais revenir avec toi maintenant. On a de l'argent.
Le vieux avait appris au gamin à pêcher et le gamin aimait le vieux.
- Non, dit le vieux, t'es sur un bateau qu'a de la veine. Faut y rester.
- Mais rappelle-toi quand on a passé tous les deux vingt-sept jours sans rien attraper, et puis tout d'un coup qu'on en a ramené des gros tous les jours pendant trois semaines.
- Je me rappelle, dit le vieux. Je sais bien que c'est pas par découragement que tu m'as quitté.
- C'est papa qui m'a fait partir. Je suis pas assez grand. Faut que j'obéisse, tu comprends.
- Je sais, dit le vieux. C'est bien naturel.
- Il a pas confiance.
- Non, dit le vieux. Mais on a confiance, nous autres, hein ?
- Oui, dit le gamin. Tu veux-t-y que je te paye une bière à la Terrasse ? On remisera tout ça ensuite.
- C'est ça, dit le vieux. Entre pêcheurs.»

Entre eux, le jeune et le vieux, pas de pitié, mais de l’amour et du respect. Le passage qui suit vous rappellera, à coup sûr, la lutte du capitaine Achad –son corps à corps- contre le cachalot Moby Dick, dans le roman Moby Dick de Herman Manville.

Extrait 2. Le vieux pêcheur, Santiago et l'Espadon
Note. Le vieux décide alors de partir seul et de trouver «Le» poisson, ainsi il retrouvera l’estime de ses congénères. Il laisse Manolin, le seul qui croit toujours en lui. Il part au large et rencontre son adversaire.

«Il ne distinguait plus la ligne verte du rivage; seuls les sommets des collines bleues se détachaient en blanc comme s'ils étaient couverts de neige; les nuages qui les couronnaient ressemblaient aussi à de hautes montagnes neigeuses. La mer avait pris une couleur foncée et la lumière découpait des prismes dans l'eau. Les taches innombrables du plancton se dissolvaient dans l'éclat du soleil à son zénith; le vieux ne voyait plus que les irisations profondes sous l'eau violettes et ses lignes qui descendaient tout droit dans la mer. Il y avait mille mètres de fond. Au large, tout à coup, sa ligne plonge, c’est un gros choc dans ses mains (…) Cela doit être une grosse prise, se dit-il».

Il donne du mou pour ne pas casser la ligne, il est entraîné au grand large. Ainsi commence une lutte acharnée entre l’homme et le poisson qui durera trois jours et deux nuits, le vieux n’a plus rien à boire ni à manger, ses mains ensanglantées sont douloureuses, le soleil tape, le duel sera long, le vieux a du respect pour son «adversaire», il parle à son ami poisson pour lui exprimer toute sa sympathie, ils lutteront jusqu’au bout.

Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, j'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ça m'est égal lequel de nous deux tue l'autre. Qu'est-ce que je raconte? pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson.

À la fin de la lutte, au prix d'efforts incroyables, le vieux est vainqueur, loin de crier au triomphe, il remercie Dieu pour ce combat incertain. L’orgueil n’est pas le fait d’avoir vaincu un si gros spécimen, mais d’avoir vaincu un adversaire si brave.

Le vieux se mit à tirer sur l'espadon pour l'amener à flanc de barque. Je veux le regarder, pensait-il, le toucher, le tâter. C'est ma fortune, ce poisson là.»

Il installe sa voile et met le cap sur la terre mais, au bout d'une heure arrivent d’autres combattants: les requins. Contrairement à l’espadon, ceux-ci sont lâches et vils, ils attaquent à plusieurs, le vieux se défend, toute la nuit il lutte, il lutte pour l’honneur de son poisson qui s’est si bien défendu, le poisson était un adversaire digne à qui il doit le respect, ce n’est plus seulement une prise qu’il va vendre. Le vieux tue autant qu'il peut de requins, les forces lui manquent, ils sont trop nombreux, il assiste, impuissant, à l’anéantissement de tant d’efforts, il ne reste du poisson que la tête et l'arête.
Santiago, le vieil homme, rentre au port, épuisé, éreinté, mais il a son honneur pour lui, il a une preuve qu'il n’est plus «salao» -le malchanceux.

Santiago ... « lutte pour l’honneur de son poisson...»... il son honneur pour lui. Il a tout perdu, sauf l'essentiel.

Ce qui me ramène à ce poème de Kipling -à savoir par cœur.... -Décidément, je dois avoir mangé des madeleines dernièrement...
Tu seras un homme, mon fils
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir;
Rudyard Kipling

Pour lire -et méditer- le poème au complet, rendez vous sur mon billet sur Littéranaute, en cliquant ici.

Bonne journée! Soyez heureux, envers et contre tout, envers et contre tous!
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Le livre. La Petite et le vieux, Éditions XYZ, Collection Romanichels, 238 pages, 23,95$

dimanche 18 avril 2010

Un visage inconnu d'Arthur Rimbaud - Histoires littéraires - BibliObs / Extraits. Poésie

RArthur Rimbaud n'a plus 17 ans... depuis que Alban Caussé et Jacques Desse -des libraires «chasseurs de trésor»- ont publié un cliché du poète à l'âge adulte dans la revue «Histoires littéraires» (en page frontispice), repris dans le «Figaro littéraire» et autres sites Internet dont BibliObs. Bien que la photo ne puisse être datée avec précision, Alban Caussé et Jacques Desse estiment qu'elle a été prise entre 1880 et 1890, une photo de groupe prise sur le perron de l'Hôtel de l'Univers à Aden (Abyssie). Visiblement, Rimbaud n'est plus «l'homme aux semelles de vent», ni le funambule qui fredonnait: (1)

«J'ai tendu des cordes de clocher en clocher;
des guirlandes de fenêtre à fenêtre;
de chaînes d'or s'étoile à étoile,
et je danse.»

Un visage inconnu d'Arthur Rimbaud. Quelle allure a-t-il donc, le poète? Jean-Jacques Lefrère -auteur de plusieurs livres sur Rimbaud dont une biographie de référence- et Jacques Desse répondent:
«... celle d'un homme fatigué et un peu égaré, dont quelques traits - l'expression de lassitude, l'enfoncement des yeux - semblent porter la marque d'un passé difficile.» (1) En examinant la photo ci-haut, et celle en bas de page, on peut se faire une idée.


Lire, et écouter Rimbaud en 12 CD


Les Éditions Thélèmes nous proposent d'écouter l'œuvre intégrale d'Arthur Rimbaud en 12 CD. Bibliobs en présente des extraits audio tirés de son Œuvre poétique, de sa Correspondance, et du surprenant récit satirique «Un cœur sous une soutane» -pour moi, une découverte, qui m'a fait lancer l'exclamation bien sentie: «Tiens, donc!» (2)

J'ai écouté ces extraits, et j'apprécie «la voix sombre» et le débit lent de Denis Lavant; un peu moins la voix de Denis Podalydès -voix claire et débit rapide-, tout en reconnaissant qu'elle rend bien la jeunesse et la fébrilité de Rimbaud, et son «ironie policée»; mais, on s'y habitue. La voix et les intonations de voix de Lorant Deutsch rendent, on ne peut mieux, le texte de Rimbaud.

Pour écouter les extraits, il faut vous rendre sur BibliObs, en cliquant ici.
[] Denis Lavant lit «Départ»: c'est un court extrait, sur la 1ère bande audio.
[] Denis Podalydès et Lorant Deutsch lisent, en alternance les autres textes, sur la seconde bande vidéo

Pour ma part, je vous donne à lire tous les textes lus par les 3 interprètes de Rimbaud.

J'espère que la lecture et l'écoute de la poésie, de la correspondance (dont une touchante lettre à sa mère) et du «surprenant» récit vous feront passer de bons moments car... on ne peut pas toujours avoir 17 ans! Même pas Arthur Rimbaud...

Départ
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l'affection et le bruit neufs!

Roman
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants!
On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête.
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête..

Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !

Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on va sous les tilleuls verts sur la promenade

Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme

Lettre à Théodore de Banville
Mars 1870

Charleville (Ardennes), le 24 mai 1870

À Monsieur Théodore de Banville.

Cher Maître,

Nous sommes aux mois d’amour; j’ai presque dix-sept ans, l’âge des espérances et des chimères, comme on dit. — et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, — pardon si c’est banal, — à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes — moi j’appelle cela du printemps.

Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, — et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, — c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est un Parnassien, — épris de la beauté idéale; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin?

Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris. — Anch’io, messieurs du journal, je serai Parnassien! — Je ne sais ce que j’ai là... qui veut monter... — je jure, cher maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.

Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers... Vous me rendriez fou de joie et d’espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens... je viendrais à la dernière série du Parnasse: cela ferait le Credo des poètes!... — Ambition! ô Folle!
Arthur Rimbaud


Lettre à sa mère
(Aden, 30 avril 1891

Ma chère maman,
J'ai bien reçu vos deux bas et votre lettre, et je les ai reçus dans de tristes circonstances. Voyant toujours augmenter l'enflure de mon genou droit et la douleur dans l'articulation, sans trouver aucun remède ni aucun avis, puisqu'au Harar nous sommes au milieu des nègres et qu'il n'y a point là d'Européens, je me décidai à descendre. Il fallait abandonner les affaires : ce qui n'était pas très facile, car j'avais de l'argent dispersé de tous les côtés; mais enfin je réussis à liquider à peu près totalement. Depuis déjà une vingtaine de jours, j'étais couché au Harar et dans l'impossibilité de faire un seul mouvement, souffrant des douleurs atroces et ne dormant jamais. Je louai seize nègres porteurs, à raison de 15 thalaris l'un, du Harar à Zeilah; je fis fabriquer une civière recouverte d'une toile, et c'est là dessus que je viens de faire, en douze jours, les 300 kilomètres de désert qui séparent les monts du Harar du port de Zeilah. Inutile de vous dire quelles horribles souffrances j'ai subies en route. Je n'ai jamais pu faire un pas hors de ma civière; mon genou gonflait à vue d'œil, et la douleur augmentait continuellement.

Arrivé ici, je suis entré à l'hôpital européen. Il y a une seule chambre pour les malades payants : je l'occupe. Le docteur anglais, dès que je lui ai montré mon genou, a crié que c'est une synovite arrivée à un point très dangereux, par suite du manque de soins et des fatigues. Il parlait tout de suite de couper la jambe ; ensuite, il a décidé d'attendre quelques jours pour voir si le gonflement diminuerait un peu après les soins médicaux. Il y a six jours de cela, mais aucune amélioration, sinon que, comme je suis au repos, la douleur a beaucoup diminué. Vous savez que la synovite est une maladie des liquides de l'articulation du genou, cela peut provenir d'hérédité, ou d'accidents, ou de bien des causes. Pour moi, cela a été certainement causé par les fatigues des marches à pied et à cheval au Harar. Enfin, à l'état où je suis arrivé, il ne faut pas espérer que je guérisse avant au moins trois mois, sous les circonstances les plus favorables. Et je suis étendu, la jambe bandée, liée, reliée, enchaînée, de façon à ne pouvoir la mouvoir. Je suis devenu un squelette : je fais peur. Mon dos est tout écorché du lit ; je ne dors pas une minute. Et ici la chaleur est devenue très forte. La nourriture de l'hôpital, que je paie pourtant assez cher, est très mauvaise. Je ne sais quoi faire. D'un autre côté, je n'ai pas encore terminé mes comptes avec mon associé, mr Tian. Cela ne finira pas avant la huitaine. Je sortirai de cette affaire avec 35000 francs environ. J'aurais eu plus ; mais, à cause de mon malheureux départ, je perds quel ques milliers de francs. J'ai envie de me faire porter à un vapeur, et de venir me traiter en France, le voyage me ferait encore passer le temps. Et, en France, les soins médicaux et les remèdes sont bon marché, et l'air bon. Il est donc fort probable que je vais venir. Les vapeurs pour la France à présent sont malheureusement toujours combles, parce que tout le monde rentre des colonies à ce temps de l'année. Et je suis un pauvre infirme qu'il faut transporter très doucement! Enfin, je vais prendre mon parti dans la huitaine.

Ne vous effrayez pas de tout cela, cependant. De meilleurs jours viendront. Mais c'est une triste récompense de tant de travail, de privations et de peines! Hélas! que notre vie est misérable!
Je vous salue de cœur.
Rimbaud.

Rêvé pour l'hiver
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien.Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,

Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou.
Et tu me diras : "Cherche ! " en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup

Vagabonds
Pitoyable frère! Que d'atroces veillées je lui dus! "Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m'étais joué de son infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage." Il me supposait un guignon et une innocence très-bizarres, et il ajoutait des raisons inquiétantes.
Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
Après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, - tel qu'il se rêvait - et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule.

Une saison en enfer
Jadis
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour 'étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.

Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!

"Tu resteras hyène, etc..." se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."

A ! j'en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

Un cœur sous une soutane
2 mai
Le sup*** est descendu hier de sa chambre, et, en fermant les yeux, les mains cachées, craintif et frileux, il a traîné à quatre pas dans la cour ses pantoufles de chanoine!...
Voici mon cœur qui bat la mesure dans ma poitrine, et ma poitrine qui bat contre mon pupitre crasseux! Oh! je déteste maintenant le temps où les élèves étaient comme de grosses brebis suant dans leurs habits sales, et dormaient dans l'atmosphère empuantie de l'étude, sous la lumière du gaz, dans la chaleur fade du poêle!... J'étends mes bras! je soupire, j'étends mes jambes... je sens des choses dans ma tête, oh! des choses!...



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[] (1) Grégoire Leménager, La photo inédite du jour. Un visage inconnu d'Arthur Rimbaud, sur BibliObs. L'article est ici.
[] (2) Rimbaud, mode audio, par Grégoire Leménager sur BibliObs. L'article est ici
[] La page frontispice de la revue Histoires littéraires (avec la photo de Rimbaud) est ici.

mercredi 14 avril 2010

Flops en stock - Grégoire Leménager / La prospérité me rendra justice - Pierre Jourde. Edistat.

«Flops en stock», par Grégoire Leménager / «La prospérité me rendra justice», par Pierre Jourde . Edistat publie le chiffre des ventes, au 04 avril 2010, des livres français et étrangers parus en France. Les journaux et blogues en font état sur tous les tons. Pour en rendre compte, j'ai choisi les 2 articles en titre parus sur Bibliobs. Eh, oui! Le chœur Web se réjouit, s'étonne, grince, grinche... Il «s'émotionne ou commotionne». Il y a de quoi, vous verrez. Grégoire Leménager résume bien la situation:

«C'est à vous désespérer d'être célèbre, de passer chez Laurent Ruquier et d'intriguer pour avoir droit à de flatteurs entretiens de six pages dans les gazettes en vue. «Le Parisien» du jour s'est amusé à publier quelques-uns des vrais chiffres de vente «des livres dont on a beaucoup parlé» ces derniers temps. C'est édifiant.»

J'explore mon écran, pour vous donner quelques résultats exprimés par ordre des «meilleures ventes», sur 200 auteurs inscrits au palmarès. À chacun et à chacune de se faire une idée. Je ne commente pas... mais par moment, je pouffe de rire: c'est sûrement nerveux!

Au palmarès Edistat

Les premiers:
[] Le lauréat. Guillaume Musso. 1er... La fille de papier et 3e... Que serais-je sans toi?
[] Katherine Pancol. 2e... Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi
[] Pierre Dukan. 4e... Je ne sais pas maigrir et 6e... Les recettes de Dukan
[] Harlan Cohen. 5e... Sans un mot

En bonne position:
[] Paul Auster. 10e... Invisible
[] Élisabeth Badinter. 11e Le conflit. La femme et la mère.
[] J. D. Salinger. L'attrape-cœurs

Les grands romans:
[] Cormac McCarthy. 45e... La route.
[] Albert Camus. 63e... L'étranger
[] Jean Anouilh. 88e... Antigone

Les lauréats des prix prestigieux:
[] Marie NDiaye. 124e... Trois femmes puissantes (Prix Goncourt)
Les autres? Ils sont absents de la liste du palmarès... «C'est à vous désespérer d'être célèbre...»

Au dernier (et honorable) rang:
Stefan Zweig. 201e... Le joueur d'échecs.

Bernard-Henri Lévy, l'admirateur du célèbre Botul... «Pièces d'identité»... 3721 exemplaire vendus; et 5282 pour «De la guerre en philosophie». Grégoire Leménager écrit: «Mieux vaut qu'il s'abstienne, en somme, de lorgner sur les chiffres atteints par Elisabeth Badinter (114 953 ex. (...) pour «Conflit: la femme et la mère» (…) Florence Aubenas (122.227 ex. pour «Le Quai de Ouistreham» (…)» Il ferait mieux, pour se consoler, d'admirer les impressionnantes performances réalisées par les délicates confidences de Patrick Poivre d'Arvor «Tenir et se tenir», 6542 ex.), Francis Huster («Lettres aux femmes», 3252 ex.), Patrick Balkany («Une vérité autre que la mienne», 2950 ex.)»

«La condition de l'homme médiatique est décidément bien cruelle. Mais c'est sans doute que l'époque peine à reconnaître ses génies, comme d'habitude. Après tout, Stendhal ne vendait pas beaucoup de son vivant non plus. Restons donc confiants pour Manoukian* , BHL et Balkany, puisque la postérité saura faire le tri.»
*«André Manoukian dans la catégorie «people». Avec «Deleuze, Sheila et moi» (…), ce juré de la prestigieuse «Nouvelle Star», sur M6, a plafonné à 174 exemplaires. Rien ne permet de discerner si c'est la faute à Deleuze ou à Sheila.»


Prix de consolation! Un ticket pour l'éternité...


Dans son article intitulé «La prospérité me rendra justice», Pierre Jourde présente une réflexion sérieuse, qui s'appuie sur de nombreux exemples. Ce texte mérite toute notre attention. Je vous en donne des extraits les plus marquants.

«Les écrivains qui remportent peu de succès public se consolent parfois en se disant que la postérité reconnaîtra leurs mérites. Les denrées périssables à la Marc Levy, Guillaume Musso seront vite oubliées, se disent-ils, tandis que Truc ou Machin ou moi, qui vendons 2000 exemplaires, serons au programme des lycées et figurerons dans les anthologies, conformément aux cas de Baudelaire (…) La mauvaise littérature ne connaît qu'un succès éphémère. (…) Reste que l'idée de postérité paraît une illusion. Qu'avons-nous retenu des écrivains du passé? 99,9% d'entre eux, les meilleurs y compris, sont tombés dans l'oubli. Quelques spécialistes en pratiquent encore une petite portion.(…)

L'idée a le mérite d'être consolante pour les auteurs auxquels il ne reste plus à espérer qu'une reconnaissance posthume.
Il paraît cruel de les en dépouiller. Mais la postérité n'est peut-être pas cette distribution des prix mérités, ce jugement dernier séparant les bons et les mauvais, ce happy end final automatique que l'on se plaît à imaginer.On peut d'abord se demander quel intérêt il peut y avoir à plaire aux êtres inconnus qui nous liront dans des décennies ou des siècles, plutôt qu'à nos concitoyens.

Le recours à la postérité n'est peut-être que la version allégée du vieux désir d'éternité qui continue à habiter, même bien caché, la demeure de l'artiste. Mais il n'y a pas d'éternité des œuvres. Elles finissent toutes, ou presque par mourir. (...) Reste que l'idée de postérité paraît une illusion.

Et il est bien possible que cela ne s'arrange pas dans la suite des temps.
La surproduction de livres est devenue telle, couplée avec la démission presque complète de la critique et la dilution de l'idée de valeur, que la postérité, s'il y en a une, aura bien du mal à s'y retrouver.

Comme le pensaient Maurice Blanchot, si l'on est ignoré par les sots d'aujourd'hui,
pourquoi diable confier la reconnaissance de son œuvre aux imbéciles de demain?

Il n'y a pas de raison a priori de prêter plus d'intelligence et de clairvoyance au lecteur et au critique du futur qu'à celui du présent. Malgré tous ces arguments, il me semble que l'idée d'un travail du temps, permettant de faire le tri entre les œuvres, demeure valide. Et valide aujourd'hui plus que jamais.Le livre industriel, plus encore qu'au XIXe siècle, écrase la littérature.

En outre, beaucoup plus fortement qu'au XIXe siècle, les intermédiaires se sont multipliés entre l'écrivain et son lecteur. La presse, la télévision, internet ont un double effet: d'une part, ils démultiplient les effets de l'industrialisation littéraire, en martelant la promotion de quelques œuvres. D'autre part, ils disséminent les lieux et les instances de reconnaissance. (…)

Si internet compense pour une part le matraquage médiatique, souvent intéressé, la contrepartie en est que le jugement et la promotion des œuvres se retrouvent confiés à une nébuleuse de subjectivités, de petits groupes, de chapelles.
Contrepartie de la liberté ouverte par le net, la compétence se noie dans l'incompétence, l'évaluation raisonnée dans les décrets sans appel, les grandes voix dans la grande cacophonie. Enfin, l'idée qu'au fond toute œuvre est légitime, puisqu'elle est le produit d'une particularité individuelle, en suspendant le jugement pour aujourd'hui, renvoie le tri nécessaire à plus tard. (…)

Car nous sommes myopes. Nous sommes encore trop près des livres, et en dehors d'un petit nombre de gens capables de reconnaître les vrais écrivains, nous manquons de la distance nécessaire. Le vacarme et la cohue les engloutissent. L'énormité de la production rend très difficile la distinction. (…)

Même pour la critique censée rechercher la qualité littéraire, toutes sortes de préjugés, de traits d'époque font obstacle à la perception de l'originalité d'un langage et d'une démarche littéraire. On distingue des effets de style voyants, des thèmes intéressants, une image idéologiquement satisfaisante, des effets de modernité, bref une image de livre plus qu'une réalité textuelle.

Ce qui se voit le moins, dans un livre, c'est sa réalité concrète, c'est-à-dire le grain de sa langue, son rythme propre, la subtilité ou la force de sa construction. Cette réalité si peu perceptible, si facilement masquée par l'illusion qui nous fait croire que nous lisons alors que nous ne lisons pas, est précisément le noyau dur qui finira par demeurer lorsque nos illusions se seront dissipées, lorsque les effets de littérature dont sont faits les autres livres se seront dissipés.
Alors apparaîtra dans toute sa force ce qui, pendant des années, n'a presque pas été vu: un texte.
[Pierre Jourde]

Bonne lecture! Lisez les auteurs que vous aimez... L'important, c'est de lire!
___
Sources:
[] Edistat. Pour accéder au palmarès, cliquez ici.
[] «Flops en stock», par Grégoire Leménager, sur BibliObs. Pour lire l'article, cliquez ici.
[] «La prospérité me rendra justice», par Pierre Jourde. Je vous invite à lire l'article au complet. Vous le trouverez ici.

dimanche 11 avril 2010

Brocéliande - Louis Aragon. Poésie / Seconde Guerre mondiale

Brocéliande, de Louis Aragon. Poésie / Seconde Guerre mondiale. J'ouvre le sac de toile bleu marine comme un coffre aux trésors, curieuse de découvrir «ce qu'il me cache»... Le contenu glisse pêle-mêle sur mon bureau: 1 DVD, «L'amour au temps du choléra d'après le roman éponyme de Gabriel Garcia Marquez; deux livres à écouter, «L'œuvre au noir», de Marguerite Yourcenar et «La valse des adieux», de Louis Aragon; et un livre... à lire. Une reliure brune usée aux entournures, une tranche jaunie, je l'ouvre au hasard. Je tombe sur deux pages de garde jaunies, qui me rappellent les vieilles photos de famille. Quid? Brocéliande de Louis Aragon, une édition relativement rare. En frontispice, un portrait de l'auteur par Matisse. Je lis à la fin du livre:

«Cette deuxième édition a été
achevée d'imprimer le quinze
septembre MCMXLV sur les
presses d'Albert Kundig à
Geneve (Suisse)
Sous l'année écrite en chiffres romains «1945». L'émotion me gagne...

«Le 2 septembre 1945, dans la baie de Tokyo, à bord du cuirassé américain Missouri, l’émotion étreint les représentants des nations alliées, Chinois, Anglais, Russes ou Français. Ils ont le privilège d’assister à la reddition japonaise, signée par le ministre japonais des Affaires étrangères Mamoru Shigemitsu et par le général Mac Arthur qui représente les vainqueurs.
C’est la fin de la seconde guerre mondiale.

Le feu de l'Enfer
est éteint... mais les braises prendront du temps, beaucoup de temps, à refroidir...»
[Littéranaute, mon billet à propos du dernier épisode de la télésérie «L'Apocalyse - L'enfer 1944-1945». Il est ici.]

Donc... 13 jours après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce livre que je tiens dans mes mains sortaient des presses, en Suisse, dans une Europe dévastée. Dans les premières pages de garde, un lecteur a signé son nom et daté, de sa belle main d'écriture:
«J a Passy 28/4/47 108»
Les | dans le texte sont les passages qu'il a soulignés ainsi.
Où qu'il soit, je lui dédie ce blogue. Et le salue.

Avant de vous donner à lire la 1ère partie du poème -qui en comprend sept-, il me semble indispensable de le situer dans son contexte historique.

Les légendes médiévales et la France en 1942
«D’après les indications données par Aragon lui-même, le poème Brocéliande fut écrit en été 1942 à Nice et à Villeneuve-lès-Avignon. Il donne une description de la situation qui fut celle de la France au milieu de l'année 1942. L'originalité d'Aragon consiste à recourir, pour cette description, du moins partiellement, à l'imagerie appartenant aux légendes médiévales de Brocéliande, cette "forêt légendaire où les romans de la Table ronde faisaient vivre l'enchanteur Merlin et la fée Viviane". L'enchanteur Merlin s'éprend de la fée Viviane et demeure en son pouvoir, banni par elle dans un arbre, une fontaine, un tombeau ou un cercueil de verre au fond d'un lac. Elle s'y connaît en matière de sorcellerie, après être devenue fée grâce au savoir de l'enchanteur. C'est elle aussi qui révèle à Lancelot les règles de la chevalerie. Dans la "réalité", on identifie Brocéliande avec la forêt de Paimpont (département Ille-et-Vilaine)».(1)


La situation de la France en 1940... 1942. La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) fait rage
.
En 1940, la France est divisée en 2 zones. La zone occupée: le nord et la côté atlantique. La zone d'occupation allemande est sous le Commandement militaire allemande siégeant à Paris. La Zone libre non occupée): au sud de la Loire où seules les lois du gouvernement de Vichy sont appliqués. Entre ces 2 zones, une ligne de démarcation. Le 11 novembre 1942, en représailles du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les Allemands franchissent la ligne de démarcation, envahissent la Zone libre. [Littéranaute, le billet est ici.]

«... la France de 1942 est pour Aragon une forêt pleine de monstres et de héros, une "Brocéliande" où "les sorciers de Vichy et les dragons de Germanie avaient donné à toutes les paroles une valeur incantatoire pervertie, rien ne s'appelait plus de son nom, et toute grandeur était avilie, toute vertu bafouée, persécutée." Dans cette "forêt de France" apparaissent des chevaliers d'un type nouveau, les gens de la Résistance, et le poète constate "une réincarnation de la légende dans l'histoire", "l'histoire confirmant la légende reprise". Aragon avait l'intention d'opposer aux "mythes" du national-socialisme les mythes français, "aux mythes de la race", opposer les images de la Nation»(1)

Le poème Brocéliande
Le poème se divise en 7 parties qui alternent entre des parties en alexandrins (rimes tiercées) et des vers libres, aux titres évocateurs:
1. D'une forêt qui ressemble à s'y méprendre à la mémoire des héros
2. Prière pour faire pleuvoir qui se dit une fois l'an sur le seuil de Brocéliande à la margelle de la fontaine de Bellenton
3. Vestiges du culte solaire célébré sur les pierres plates de Brocéliande
4. De la fausse pluie qui tomba sur une ville de pierre non loin de Brocéliande
5. De l'arbre où ce n'est pas Merlin qui est prisonnier
6. La nuit d'août
7. Le ciel exorcisé. Le poème (ou 7e partie) se termine par ses mots lourds de sens:

Je démonte pour vous ces démons mécaniques
Voyez leur sourcil d'ombre est fait de vos soucis
Et votre force fait leur force tyrannique

Il n'appartient qu'à vous de les chasser d'ici
Impossible est un mot béni de notre terre
Ce que vous redoutez est à votre merci

Connaître est la doublure blanche du mystère
On parle spectre encore et c'est pour la clarté
|Les enfants de la peur feront bien de se taire

Si je leur laisse place et rang dans la cité
Qu'ils cessent de servir nos maîtres transitoires
Et qu'ils ouvrent pour nous leurs forêts enchantées

Puisque les peseurs d'or ont fermé leurs comptoirs
Et que toute grandeur a passé son chemin
|Je te reprends Légende et j'en ferai l'Histoire

|Avenir qui ressemble aux lignes de nos mains

Revenons, à présent, lire la 1ère partie du poème.

Brocéliande, Louis Aragon
.......... 1 ............
D'une forêt qui ressemble à s'y méprendre à la mémoire des héros

Rien ne finit jamais comme on voit dans les livres
Une mort un bonheur après quoi tout est dit
Le paladin jamais la belle ne délivre

Et du dernier baiser renaît la tragédie
L'homme a le souffle court et pour peu qu'on le berce
Le dimanche l'endort que c'est déjà lundi

|La vie est une avoine et le vent la traverse
|Sans y trouver jamais un accord résolu
Si l'histoire y poursuit comme les rimes tierces

|L'irréversible amour des jours qui ne sont plus
Tout semble suffisant à l'étrange commère
Pour enchaîner sur le beau temps quand il a plu

Ou quand les amoureux enfin se désaimèrent
Au doigt d'autres enfants pour repasser l'anneau
Que pas un seul moment ne chôment les chimères

Elle transmet sans plus l'alphabet des signaux
Qui dicte à l'avenir une phrase secrète
Comme au ciel sans savoir fait un vol de vanneaux

Un passant dans la rue un second qui l'arrête
Avec le geste appris que la coutume veut
Il touche son chapeau montre sa cigarette

Et le rite accompli s'éloigne avec le feu
Que savent-ils de l'autre Un souffle Une étincelle
L'homme change mais pas la flamme et pas le jeu

La légendaire nuit ces étoiles l'ocellent
Il chantait l'air que tantôt vous fredonnerez
La fugue le reprend du bugle au violoncelle

|Et le monde est pareil à l'ancienne forêt
Cette tapisserie à verdure banales
Où dorment la licorne et le chardonneret

Rien n'y palpite plus des vieilles saturnales
Ni la mare de lune où les lutins dansaient
Inutile aujourd'hui de lire le journal

Vous n'y trouverez pas les mystères français
La fée a fui sans doute au fond de la fontaine
Et la fleur se fana qui chut de son corset

Les velours ont cédé le pas aux tiretaines
Le vin de violette est pour d'autres grisant
Les rêves de chez nous sont mis en quarantaine

|Mais le bel autrefois habite le présent
Le chèvrefeuille naît du cœur des sépultures
Et l'herbe se souvient au soir des vers luisants

Ma Mémoire est un chant sans appogiatures
Un manège qui tourne avec ses chevaliers
Et le refrain qu'il moud vient du cycle d'Arthur

Les pétales du temps tombent sur les halliers
D'où soudain de ses bois écartant les ramures
Sort le cerf que César orna de son collier

L'hermine s'y promène où la source murmure
Et s'arrête écoutant des reines chuchoter
Aux genoux des géants que leurs grands yeux émurent

Chênes verts souvenirs des belles enchantées
Brocéliande abri célèbre des bouvreuils
C'est toi forêt plus belle qu'est ombre en été

Comme je ne sais où dit Arnaud de Mareuil
Broussaille imaginaire où l'homme s'égara
Et la lumière est rousse où bondit l'écureuil

Brocéliande brune et blonde entre nos bras
Brocéliande bleue où brille le nom celte
Et tracent les sorciers leurs abracadabras

Brocéliande ouvre tes branches et descelle
Tes ténèbres voici dans leurs peaux de mouton
Ceux qui viennent prier pour que les eaux ruissellent

Tous les ans à la fontaine de Bellenton
Louis Aragon, 1942
[Partie extraite de la deuxième édition, 1945]

L'édition originale a été publié en 1942 à Paris, dans «Les poètes des cahiers du Rhône sous la direction d'Albert Béguin - III» Éditions de la Baconnière - Neuchâtel, Série rouge.
___
(1) Westfälische Wilhelms-Universität Münster (WWU Münster)/ Aragon

dimanche 4 avril 2010

Joyeuses Pâques! C'est le printemps! Cendras - Ronsard - Lemesle - Mulinié - Lamartine - Sabatier - Barbara. Poésie.

Joyeuses Pâques! Le voilà, enfin, ce dimanche qui suit la première pleine lune du Printemps, le dimanche de Pâques. Pour certains, c'est une fête religieuse; d'autre fêtent simplement le Printemps. Des fleurs, du chocolat, une bonne table. Un brunch en famille, au menu des œufs, du jambon à l'érable, du pain de ménage: un vrai délice. Il n'y aucune raison d'en finir avec le jambon de Pâques: c'est le rituel des Québécois. Les Français, les Italiens, les Russes... ont leur propre façon de fêter Pâques. Gardons la nôtre, pardi!* Vive le jambon pascal!

C'est le printemps!
C'est le moment de s'ébaudir, de se réjouir, et de rire... avec Blaise Cendras; de dire bonjour, mon cœur... avec Pierre de Ronsard; de broder le printemps... avec Jean-Pierre Lemesle; d'écouter encore ce que neige dit, avec Bernard Mulinié; de cueillir l'amandier... avec Alphonse de Lamartine; de saisir ce qui fait d'un printemps la caresse... avec Robert Sabatier; de demander quand reviendras-tu?.... avec Barbara.

«Le printemps c'est joli pour se parler d'amour»
Barbara


Rire
Je ris
Je ris
Tu ris
Nous rions
Plus rien ne compte
Sauf ce rire que nous aimons
Il faut savoir être bête et content
Blaise Cendras

Bonjour mon cœur, bonjour…
Bonjour mon cœur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon œil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.

Hé! faudra-t-il que quelqu'un me reproche
Que j'aie vers toi le cœur plus dur que roche
De t'avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.
Pierre de Ronsard
Le second livre des amours (1555)


Ma ville par le chas d’une aiguille
J’ai glissé ma ville
par le chas d’une aiguille,
puis follement…….
je me suis mis à broder.

Sur ce parcours textile urbain, mais arboré,
j’ai rencontré le kiosquier qui m’a dit :
« en 5 colonnes :
les nouvelles rosnéennes
sont plutôt bonnes ».

Plus loin, une locomotive, un peu prétentieuse,
mais muée par des gens intelligents,
m’a proposé un tour sur son passé,
avant de prendre de la vitesse…
Par sa fenêtre il n’y avait plus de bois
sauf dans les fraises de mon pâtissier préféré.

C’est là que j’ai rencontré Mathilde, l’optimiste,
la princesse de ma rue, qui devant un nuage noir,
accroché au clocher de l’église, m’a dit :
« Pierrot ! : Demain, il fera beau ! »

Des mots à vous chavirer le cœur,
à faire passer votre ville
par le chas d’une aiguille,
pour broder du printemps.
Jean-Pierre Lemesle
Posny-sous-boy


Ville ? ville enfouie, moussue, mousse bleue
Ville ? ville enfouie, moussue, mousse bleue
plus d’attelages impatients de chevaux près des baraques mais
sur les places comme aujourd’hui des sculptures de neige


L’eau n’en finissait pas de descendre, mariée aux pluies d’avant printemps. Des accordéons s’étaient levés sur les vallées, chansons à la Cabane, à Pruns, à Versailles, au moulin de Nauze dans les étables aussi.
« Chante, Orphée, aucune bête ne fait cela » me disait tout bas l’amie


Écoute encore sur les mille chemins ce que neige dit
ils sont allés fouiller les trous aux bois de Dalbin et de Noyes
d’abondance elle avait laissé là sa plus vilaine robe la ville


Écoute encore ce que neige dit. Le monde serait-il plus beau?
Laisser venir la salive de la forêt, des mains de feu pour l’hirondelle, contre la débâcle le silence, la clarté. Sous les buissons le schiste et la source en sommeil.
Si cognait le forgeron et l’auberge repeinte, leurs maisons rassemblées, la naissance d’un rêve?
Qu’il faille alors élever des fontaines, détourner le brouillard, ne laisser de miettes qu’aux oiseaux….
Bernard Milinié
Pour la Communauté du Pays de Baraquevillois


La branche d’amandier

De l'amandier tige fleurie,
Symbole, hélas! de la beauté,
Comme toi, la fleur de la vie
Fleurit et tombe avant l'été.

Qu'on la néglige ou qu'on la cueille,
De nos fronts, des mains de l'Amour,
Elle s'échappe feuille à feuille,
Comme nos plaisirs jour à jour!

Savourons ces courtes délices;
Disputons-les même au zéphyr,
Épuisons les riants calices
De ces parfums qui vont mourir.

Souvent la beauté fugitive
Ressemble à la fleur du matin,
Qui, du front glacé du convive,
Tombe avant l'heure du festin.

Un jour tombe, un autre se lève;
Le printemps va s'évanouir;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit: Hâtez-vous de jouir.

Et, puisqu'il faut qu'elles périssent,
Qu'elles périssent sans retour!
Que ces roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l'amour!
Lamartine

Qui suis-je moi ?

Qui suis-je moi? Un autre? Non.
Désespéré, le même que naguère
et d’une étoile amoureux. Quelle guerre
que celle-là, et qui n’a pas de nom.

J’entends ta voix, mais c’est un autre son :
celui qui naît des amours éphémères
loin dans le temps. Comme un héros d’Homère
qui d’île en île en lui-même se fond.

Qui me parlait de lui qui te ressemble
sans que jamais Amour ne nous rassemble ?
Je reste seul. Que meure un souvenir !

Que disparaisse un regret de jeunesse
et que j’apprenne à ne pas revenir
sur ce qui fait d’un printemps la caresse !
Robert Sabatier


Dis, quand reviendras-tu?
Voilà combien de jours, voilà combien de nuits,
Voilà combien de temps que tu es reparti,
Tu m'as dit cette fois c'est le dernier voyage,
Pour nos cœurs déchirés c'est le dernier naufrage,
Au printemps tu verras, je serai de retour,
Le printemps c'est joli pour se parler d'amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris.
Dis, quand reviendras tu ?
Dis, au moins le sais-tu ?
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus.
Le printemps s'est enfui depuis longtemps déjà,
Craquent les feuilles mortes, brûlent les feux de bois,
voir Paris si beau dans cette fin d'automne,
Soudain je m'alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je tourne et je me traîne,
Ton image me hante et je te parle tout bas,
Et j'ai le mal d'amour et j'ai le mal de toi.
Dis, quand reviendras tu ?
Dis, au moins le sais-tu ?
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus.
J'ai beau t'aimer encore, j'ai beau t'aimer toujours,
J'ai beau n'aimer que toi, j'ai beau t'aimer d'amour,
Si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir,
Je ferais de nous deux mes plus beaux souvenirs,
Je reprendrais ma route, le monde m'émerveille,
J'irais me réchauffer à un autre soleil,
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n'ai pas la vertu des femmes de marin.
Dis, quand reviendras tu ?
Dis, au moins le sais-tu ?
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus.
Paroles et musique de Barbara

Une invitation toute spéciale.
En ce dimanche de Pâques, je vous invite à lire sur Livr
anaute le poème peu connu de Blaise Cendras «Les Pâques à New York». Il saura vous toucher, j'en suis certaine.

Je vous souhaite de Joyeuses Pâques!

___
*Psitt! Commentaire en contre-pied du "reportage" de Silvia Galipeau, «Pour en finir avec le jambon de Pâques», sur Cyberpresse, samedi 3 avril 2010. Pour lire le dit reportage et saliver devant des photos... appétissantes, sans jambon...
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