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dimanche 19 septembre 2010

Que la vie en vaut la peine - C'est une chose étrange à la fin que le monde - Aragon. Poésie

Pour un dimanche en beauté, lisons de la poésie! Avec un titre fait pour nous requinquer: Que la vie en vaut la peine, de Louis Aragon. Poème dont la connaissance confondra ceux et celles qui se sont moqués de Jean d'Ormesson. Pensez donc un titre pareil... C'est une chose étrange à la fin que le monde. Ah ben dis donc... Pardonnez, lecteurs et lectrices, à ceux qui ne savaient pas... et qui se voient moqués à leur tour. Rien de bien malin, il faut bien le dire. M'enfin...

Comme je vous le mentionnais, dans mon dernier blogue, le titre du récent livre de Jean d’Ormesson C'est une chose étrange à la fin que le monde(1) vient non pas d'un poème d'Aragon, mais du deuxième chant Que la vie en vaut la peine de ce poème intitulé Les Yeux et la mémoire, qui comprend 15 chants.

«À côté de passages d'une poésie saisissante, l'ouvrage contient des séquences qui comptent parmi les textes les plus ouvertement communistes écrits par Aragon sous forme de poème, empreints d'un enthousiasme crédule susceptible de provoquer le hochement de tête du lecteur d'aujourd'hui.» (2)
Ici, pas de politique, de la poésie.

Afin de situer le chant (chant II) en rapport avec le titre –et la réflexion- de Jean d’Ormesson, voici l’ensemble des titres des quinze chants:

Le poème: Les yeux et la mémoire,  Louis Aragon, 1954

Chant I : Il n'y aura pas de jugement dernier
Chant II : Que la vie en vaut la peine
Chant III : Les vêpres interrompues
Chant IV : Je plaide pour les rues et les bois d'aujourd'hui
Chant V : Nocturne des frères divisés
Chant VI : L'enfer
Chant VII : Le peuple
Chant VIII : On vient de loin
Chant IX : Comment l'eau devint claire
Chant X : Sacre de l'avenir
Chant XI : Le 19 juin 1954
Chant XII : L'enfant
Chant XIII : L'ombre et le mulet
Chant XIV : Pareils à ceux qui s'aiment
Chant XV : Chant de la paix

À présent, lisons ensemble le chant II, à la fin duquel je vous réserve une belle surprise.

Chant II : Que la vie en vaut la peine

C'est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes.

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.

D'autres qui referont comme moi le voyage
D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.

II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l'aube première
II y aura toujours l'eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.

C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n'était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d'être et d'avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.

Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.

Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L'entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.

La cruauté générale et les saloperies
Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.

Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
De toute sa croyance imbécile à l'azur.

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

Believe / Epm, 2008



À présent, je vous propose d'écouter le même chant, mais lu, cette fois, par nul autre que Aragon lui-même...
«[...] N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Émouvant!

Telle est la surprise -du moins j'espère que c'en est une, que je vous réservais.

Cliquez ici pour écouter cette lecture unique. (Vous y trouverez des extraits de 14 titres, en écoute gratuite ou en téléchargement)




Bon dimanche! Merci de me lire!


La lecture: Que la vie en vaut la peine, Louis Aragon, 1954
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[] (1) C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
[] (2) Source de la citation, ici. De plus, vous trouverez, à cette adresse, un texte des plus complets, et des plus intéressants, sur le poème d'Aragon Les yeux et la mémoire.
[] Pour des heures d'écoute, Camus, Mozart, Brel, Elvis Presley, Céline Dion, etc., visitez le site  http://www.musicme.com.
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