Il y a quelques années, Jean d’Ormesson a publié Une autre histoire de la littérature française(1). Cette fois-ci, il présente une autre histoire de la philosophie, pour ainsi dire: C’est une chose étrange à la fin que le monde (Robert Laffont, 2010). Dès maintenant, tirons un point au clair. Ce livre n’est pas un roman bien qu’il en porte l’étiquette, ce n’est pas non plus un essai. C’est, en fait, un livre de réflexions dans lequel l’auteur reprend les grandes, et sempiternelles, questions aux impossibles réponses: D’où venons-nous? Où allons-nous? Que faisons-nous sur cette terre? Dieu existe-t-il?, etc. L’auteur convoque des mathématiciens, des philosophes, des scientifiques, des écrivains…
Soit dit en passant … c’est une chose étrange à la fin que ce titre. Il faut le lire à l’oreille… avec des intonations «de conversation». Ce n’est pas un titre parlant, mais un titre parlé. Amusons-nous, un petit moment, un peu aux dépens de l’auteur, fin causeur, un brin malicieux, qui entend à rire et s’en tirerait avec une pirouette pleine d’esprit.
« (…) Voulez-vous que je vous pitche le prochain Jean d'Ormesson? Dont le titre, au passage, est si merveilleusement d'Ormessonnant (et trébuchant). «C'est une chose étrange à la fin que le monde». Voyez, nous sommes dans les sujets graves, mais traités avec de l'esprit. Je me demande comment ce titre, pour exprimer un aussi grand détachement des aléas du quotidien, a pu lui venir à l'esprit. En payant le jardinier, peut-être. Je vois la scène pour vous. Le brave homme arrive en bas du perron. Il fait soleil, et doublement: l'astre et l'écrivain, tous les deux, lui font face, et ils se tiennent, l'un et l'autre, quoiqu'un peu distants kilométriquement, à la même hauteur. C'est peut-être à ce moment que Jean, seigneurial comme il se doit, a vu passer, telle une biche à l'orée du sous-bois, le titre dans sa tête. (…)» Didier Jacob(2)
Sérieusement, Jean d’Ormesson tire le titre de son livre d’un poème d’Aragon, intitulé Que la vie en vaut la peine; plus spécifiquement du premier de ce poème : C'est une chose étrange à la fin que le monde. Eh bien! Le seigneur Jean n’a pas vu passer le titre dans sa tête, telle une biche à l’orée du sous-bois, mais comme un vers luisant de Louis d’Aragon. Voilà l'arroseur arrosé!. Qui est doté d'un bon sens de l'humour, lui aussi, d'un esprit fin et d'une plume alerte.
Quatrième de couverture
Qu’est-ce que la vie et d’où vient-elle? Comment fonctionne l’univers? Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien? Des mathématiciens aux philosophes grecs, à Einstein et à la théorie des quanta, en passant par Newton et Darwin, voilà déjà trois mille ans que les hommes s’efforcent de répondre à ces questions. L’histoire s’est accélérée depuis trois ou quatre siècles. Nous sommes entrés dans l’âge moderne et postmoderne. La science, la technique, les chiffres ont conquis la planète. Il semble que la raison l’ait emporté. Elle a permis aux hommes de remplacer les dieux à la tête des affaires du monde. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dieu est-il à reléguer au musée des gloires étrangères et des puissances déchues ? La vie a-t-elle un sens ou est-elle une parenthèse entre deux néants? Est-il permis d’espérer quoi que ce soit au-delà de la mort? Avec les mots les plus simples et les plus clairs, avec une rigueur mêlée de gaieté, Jean d’Ormesson aborde de façon neuve ces problèmes de toujours et raconte au lecteur le roman fabuleux de l’univers et des hommes.
Avec les mots les plus simples… L’auteur en convient largement. Il dit sur Le Journal sonore des livres, que son livre est une espèce de réflexion sur le monde où nous vivons et un tableau romanesque de l’univers. C’est un livre qui pose des questions difficiles avec la plus grande simplicité. Je crois, dit-il, qu’un enfant de dix ans pourrait très bien le lire. Ah oui! Le contenu du livre est à la portée d’un enfant de dix ans… Il y a de quoi être perplexe… Je crois plutôt qu’à force de vouloir «faire simple», on finit par tomber dans le simplisme.(3)
Quelques critiques du livre
Tous les critiques littéraires s’entendent pour dire que C’est une chose étrange à la fin que le monde est un bon livre, un livre intéressant; une lecture agréable, «facile» -un adolescent… pourrait le lire avec intérêt, du moins en partie. Chacun à sa manière émet une opinion favorable. Dans la revue de presse, on peut relever les noms de Tristan Savin(4), Franz-Olivier Giesbert(5), Dans Le Figaro, on souligne que : «Jean d'Ormesson confesse qu'il a écrit ce livre pour tenter «d'inverser le mouvement et de donner ses chances à Dieu dont il est aussi impossible de prouver l'existence que la non-existence». Pour ma part, j’ai choisi les trois critiques qui me semblent les plus perspicaces. Celle de Julien Blanc-Gras, celle de Roger-Pol Droit et celle de Trinh Xuan Thuan qui donnent le la dans un ton juste.
C'est une chose étrange à la fin que le monde, par Julien Blanc-Gras
Après son « autre histoire de la littérature française », Jean d’Ormesson nous propose son autre histoire de la philosophie, rapide parcours à travers les âges de la pensée. « D’où venons-nous ? », « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » : l’académicien s’empare des questions éternelles et nous promène chez Platon, Saint Augustin, Kant, Nietzsche et les autres, avec quelques détours par Homère, Darwin et la Bible. Il convoque la science (Newton, Einstein, Planck et tutti quanta) qui éclaire la philosophie, part du big bang pour nous entraîner sur les rives de l’infini et de l’inaccessible. De telle sorte qu’on se sent parfois plus chez Hubert Reeves que chez Chateaubriand.
On se laisse guider par notre papy littéraire national. Un peu radoteur, mais bienveillant et malicieux. Il s’agit moins d’une somme philosophique que d’une balade érudite, parfois un peu fourre-tout, mêlant souvenirs personnels et digressions historiques. D’Ormesson slalome avec l’idée de Dieu, rode autour de la mort, médite longuement sur le mystère du temps. Il choisit la posture de l’émerveillement, s’extasie sur le miracle des petites choses simples et infiniment complexes, comme la lumière, la vie ou la pensée, accrochant, parfois, quelques éclats poétiques à son tableau d’écriture. On reste charmé par le regard amoureux porté sur le monde. Revigoré par l’optimisme d’un homme qui, au soir de son existence, écrit : «J’ai eu de la chance. Je suis né». Julien Blanc-Gras(6)
La banalité du miracle, par Roger Pol Droit (extrait de l’article)
Prenez des questions. Choisissez-les simples, compréhensibles par tous, mais impossibles à résoudre. Par exemple : le monde a-t-il un sens? Dieu existe-t-il? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Laissez de côté l'air grave. Évitez comme la peste concepts et références. Faites comme si, un matin, tout ça vous tombait dessus. Découpez ces grandes interrogations en fines lamelles, nappez d'une couche d'histoire universelle, saupoudrez d'un rien de Platon, de Hegel, de Darwin, ajoutez un zeste de Heidegger, un soupçon de Max Planck. Intitulez le tout "roman" et prenez l'air ingénu. Vous croirez tenir la recette de Jean d'Ormesson. La vôtre sera ratée. Parce qu'il joue, lui, pour de vrai. Assez rusé pour être réellement candide. Assez factice pour sonner juste. Suffisamment hâbleur pour émouvoir. Du coup, même dans son rôle d'énergumène officiel, il finit par charmer [...]. Roger-Pol Droit(7).
Dieu, sa vie, son œuvre, par Trinh Xuan Thuan (extrait de l'article)
Nous pensons aujourd'hui qu'il y a quelque 13,7 milliards d'années, une déflagration fulgurante, le big bang, a donné naissance à l'Univers, à l'espace et au temps. S'est ensuite poursuivie une incessante ascension vers la complexité. À partir du vide microscopique initial s'est tissée une immense tapisserie cosmique. Des centaines de milliards de galaxies, peuplées chacune de centaines de milliards d'étoiles, composent un fantastique ballet. Perdue dans un petit coin de notre galaxie, la Voie lactée, une étoile appelée Soleil, dispense généreusement sa chaleur aux huit planètes qui l'entourent. Sur l'une d'entre elles, la Terre, il a permis d'éveiller et d'entretenir la vie. L'homme, fait de poussière d'étoiles, est apparu, capable de s'interroger sur l'univers qui l'a engendré.
Tous ces événements et péripéties, tout ce «roman» fabuleux de l'Univers et des hommes, Jean d'Ormesson nous les raconte dans son nouvel ouvrage, à mi-chemin entre le récit et l'essai, de manière érudite et malicieuse, dans un style élégant et toujours inimitable. Comme à l'habitude de l'auteur, l'ouvrage échappe aux conventions du ¬genre romanesque. L'intrigue du «roman», ce que l'auteur appelle «le fil du labyrinthe» - en référence peut-être aux nombreuses impasses, aux maints cul-de-sac et aux multiples va-et-vient de la science - est ici l'histoire de l'Univers: le big bang et après (le premier chapitre s'intitule «Que la lumière soit !»). De l'astrophysique à la neurobiologie, de la physique à la chimie, en passant par l'anthropologie, la primatologie et la géologie, toutes les sciences concourent sans relâche à élaborer et à affiner cette grande fresque historique de 13,7 milliards d'années, toujours magnifique et sans cesse envoûtante. Quant aux personnages, en plus d'un casting de support de haute volée - Platon, Aristote, Kepler, Galilée, Newton, Laplace, Darwin, Einstein et tous les autres scientifiques qui ont contribué à élaborer cette fabuleuse épopée cosmique, - deux tiennent les rôles principaux : le premier est Dieu en personne, surnommé «le Vieux [...]». Trinh Xuan Thuan(8)
Extraits: C'est une chose étrange à la fin que le monde
Extrait lu par Jean d’Ormesson:
Cessez de courir, arrêtez-vous un instant, prenez deux minutes pour réfléchir un peu et répondre à une question parmi beaucoup d’autres. Croyez-vous que la vie, la pensée, le langage et l’écriture étaient nécessaires de toute éternité ou pensez-vous, au contraire, que la vie, la pensée, le langage et l’écriture auraient pu ne pas apparaître et ne jamais exister?
Extraits tirés du livre(9)
Prologue - le fil du labyrinthe
Un beau matin de juillet, sous un soleil qui tapait fort, je me suis demandé d’où nous venions, où nous allions et ce que nous faisions sur cette terre. p.9
le rêve du Vieux (p10)
le fil du labyrinthe
D’où nous venons? De très loin. Derrière moi, il y avait les fleuves de sperme et de sang, des montagnes de cadavres, un rêve collectif et étrange qui traînait sous des crânes, dans des descriptions sur des pierres ou du marbre, dans des livres, depuis peu dans des machines –et que nous appelons le passé, Et des torrents, des déserts, es océans d’oubli. (p.11)
Le rêve du Vieux
Il n’y avait rien (p.12)
le fil du labyrinthe
«Où nous allons ? Qui le sait ? Devant moi, il y avait... qu'y avait-il ? Autre chose. Autre chose qui n'existait pas encore et que nous appelons l'avenir. Quelque chose de différent, et même de très différent - et pourtant de semblable. Autre chose, mais la même chose. Et la mort.» (p.13)
le rêve du Vieux
Il n’y avait ni espace ni temps. Il y avait autre
chose. Il n’y avait rien. Et le rien était tout. (p.16)
le fil du labyrinthe
La vie est très gaie. Elle est brève, mais longue. Il lui arrive d’être enchanteresse. Nous détestons la quitter. Elle est une vallé de larmes –et une vallée de roses. In hac lacrimarum valle. In hac valle rosarum.
J’ai beaucoup ri. Le monde m’amuse. J’aime les mots, l’ironie, le ski au printemps, le courage, les côtes couvertes d’oliviers et de plus qui descendent vers la mer, l’admiration, l’insolence, les bistrots dans les îles, les contradictions de l’existence, travailler et ne rien faire, la vitesse et l’espérance, les films de Lubisch et de Cukor, Gary Grant, Gene Tierney, Sigourey Weaver et Keira Knightley. J’ai eu de la chance. Je sus né. Je ne m’en plains pas. Je mourrai, naturellement. En attendant, je vis.
Les imbéciles pullulent, les raseurs exagèrent et il arrive à de pauvres types, à une poignée d’égoïstes –j’appelle égoïstes ceux qui ne pensent pas à moi- de se glisser parmi eux. Mais beaucoup de personnes m’ont bien plu. J’en ai aimé quelques-unes et, même quand elles ne m’aimaient pas, ou pas asez à mon goût, c’était assez délicieux. Je n’ai pas pleuré sur la vie. J’étais content d’être là. (p.17, p.18)
le rêve du vieux
Il n’y avait rien. Mais le tout était déjà dans le rien.
Et le temps et l’histoire étaient déjà cachés sous l’éternel. (p.19)
Je vous souhaite un bon dimanche!
Le livre: C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
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[] (1)Jean d'Ormesson, Une autre histoire de la littérature française, Tome 1 et Tome 2, 1997 et 1998, Éditions NIL (Robert Laffont)
[] (2) Didier Jacob, Goncourt: C'est Houllebeccq qui l'aura cette année, BibliObs, 06/06/2010. L'article est ici.
[] Oups! Hein! Houellebecq? Tiens donc... Ma critique est presque prête, je vous la livre dans un prochain blogue. D'ici là, cachez vos lunettes!
[] (3) Écoutez Jean d'Ormesson, sur Le Journal sonore des livres, sur le site Le choix des libraires, en cliquant ici.[] (4) Tristan Savin, Le monde étrange de Jean d'Ormesson, L'Express, 27/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (5) Franz-Olivier Giesbert, "C'est une chose étrange à la fin que le monde": Jean d'Ormesson l'homme qui "doute en Dieu", Le Point, 26/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (6) Julien Blanc-Gras, C'est une chose étrange à la fin que le monde, evene.fr
[] (7) Roger-Pol Droit, Banalité du miracle, Le Monde des livres, 26/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.[] (8) Trinh Xuan Thuan, éminent scientifique, décrypte le fabuleux récit des origines du monde par Jean d'Ormesson, Dieu, sa vie, son œuvre, Le Figaro, 03/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (9) Pour feuilleter le livre, Robert Laffont (c), cliquez ici.