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dimanche 19 septembre 2010

Que la vie en vaut la peine - C'est une chose étrange à la fin que le monde - Aragon. Poésie

Pour un dimanche en beauté, lisons de la poésie! Avec un titre fait pour nous requinquer: Que la vie en vaut la peine, de Louis Aragon. Poème dont la connaissance confondra ceux et celles qui se sont moqués de Jean d'Ormesson. Pensez donc un titre pareil... C'est une chose étrange à la fin que le monde. Ah ben dis donc... Pardonnez, lecteurs et lectrices, à ceux qui ne savaient pas... et qui se voient moqués à leur tour. Rien de bien malin, il faut bien le dire. M'enfin...

Comme je vous le mentionnais, dans mon dernier blogue, le titre du récent livre de Jean d’Ormesson C'est une chose étrange à la fin que le monde(1) vient non pas d'un poème d'Aragon, mais du deuxième chant Que la vie en vaut la peine de ce poème intitulé Les Yeux et la mémoire, qui comprend 15 chants.

«À côté de passages d'une poésie saisissante, l'ouvrage contient des séquences qui comptent parmi les textes les plus ouvertement communistes écrits par Aragon sous forme de poème, empreints d'un enthousiasme crédule susceptible de provoquer le hochement de tête du lecteur d'aujourd'hui.» (2)
Ici, pas de politique, de la poésie.

Afin de situer le chant (chant II) en rapport avec le titre –et la réflexion- de Jean d’Ormesson, voici l’ensemble des titres des quinze chants:

Le poème: Les yeux et la mémoire,  Louis Aragon, 1954

Chant I : Il n'y aura pas de jugement dernier
Chant II : Que la vie en vaut la peine
Chant III : Les vêpres interrompues
Chant IV : Je plaide pour les rues et les bois d'aujourd'hui
Chant V : Nocturne des frères divisés
Chant VI : L'enfer
Chant VII : Le peuple
Chant VIII : On vient de loin
Chant IX : Comment l'eau devint claire
Chant X : Sacre de l'avenir
Chant XI : Le 19 juin 1954
Chant XII : L'enfant
Chant XIII : L'ombre et le mulet
Chant XIV : Pareils à ceux qui s'aiment
Chant XV : Chant de la paix

À présent, lisons ensemble le chant II, à la fin duquel je vous réserve une belle surprise.

Chant II : Que la vie en vaut la peine

C'est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes.

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.

D'autres qui referont comme moi le voyage
D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.

II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l'aube première
II y aura toujours l'eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.

C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n'était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d'être et d'avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.

Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.

Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L'entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.

La cruauté générale et les saloperies
Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.

Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
De toute sa croyance imbécile à l'azur.

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

Believe / Epm, 2008



À présent, je vous propose d'écouter le même chant, mais lu, cette fois, par nul autre que Aragon lui-même...
«[...] N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Émouvant!

Telle est la surprise -du moins j'espère que c'en est une, que je vous réservais.

Cliquez ici pour écouter cette lecture unique. (Vous y trouverez des extraits de 14 titres, en écoute gratuite ou en téléchargement)




Bon dimanche! Merci de me lire!


La lecture: Que la vie en vaut la peine, Louis Aragon, 1954
___
[] (1) C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
[] (2) Source de la citation, ici. De plus, vous trouverez, à cette adresse, un texte des plus complets, et des plus intéressants, sur le poème d'Aragon Les yeux et la mémoire.
[] Pour des heures d'écoute, Camus, Mozart, Brel, Elvis Presley, Céline Dion, etc., visitez le site  http://www.musicme.com.

dimanche 12 septembre 2010

C'est une chose étrange à la fin que le monde - Jean d'Ormesson / Critiques - Extraits

Il y a quelques années, Jean d’Ormesson a publié Une autre histoire de la littérature française(1). Cette fois-ci, il présente une autre histoire de la philosophie, pour ainsi dire: C’est une chose étrange à la fin que le monde (Robert Laffont, 2010). Dès maintenant, tirons un point au clair. Ce livre n’est pas un roman bien qu’il en porte l’étiquette, ce n’est pas non plus un essai. C’est, en fait, un livre de réflexions dans lequel l’auteur reprend les grandes, et sempiternelles, questions aux impossibles réponses: D’où venons-nous? Où allons-nous? Que faisons-nous sur cette terre? Dieu existe-t-il?, etc. L’auteur convoque des mathématiciens, des philosophes, des scientifiques, des écrivains…

Soit dit en passant … c’est une chose étrange à la fin que ce titre. Il faut le lire à l’oreille… avec des intonations «de conversation». Ce n’est pas un titre parlant, mais un titre parlé. Amusons-nous, un petit moment, un peu aux dépens de l’auteur, fin causeur, un brin malicieux, qui entend à rire et s’en tirerait avec une pirouette pleine d’esprit.

« (…) Voulez-vous que je vous pitche le prochain Jean d'Ormesson? Dont le titre, au passage, est si merveilleusement d'Ormessonnant (et trébuchant). «C'est une chose étrange à la fin que le monde». Voyez, nous sommes dans les sujets graves, mais traités avec de l'esprit. Je me demande comment ce titre, pour exprimer un aussi grand détachement des aléas du quotidien, a pu lui venir à l'esprit. En payant le jardinier, peut-être. Je vois la scène pour vous. Le brave homme arrive en bas du perron. Il fait soleil, et doublement: l'astre et l'écrivain, tous les deux, lui font face, et ils se tiennent, l'un et l'autre, quoiqu'un peu distants kilométriquement, à la même hauteur. C'est peut-être à ce moment que Jean, seigneurial comme il se doit, a vu passer, telle une biche à l'orée du sous-bois, le titre dans sa tête. (…)» Didier Jacob(2)

Sérieusement, Jean d’Ormesson tire le titre de son livre d’un poème d’Aragon, intitulé Que la vie en vaut la peine; plus spécifiquement du premier de ce poème : C'est une chose étrange à la fin que le monde. Eh bien! Le seigneur Jean n’a pas vu passer le titre dans sa tête, telle une biche à l’orée du sous-bois, mais comme un vers luisant de Louis d’Aragon. Voilà l'arroseur arrosé!. Qui est doté d'un bon sens de l'humour, lui aussi, d'un esprit fin et d'une plume alerte.

Quatrième de couverture
Qu’est-ce que la vie et d’où vient-elle? Comment fonctionne l’univers? Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien? Des mathématiciens aux philosophes grecs, à Einstein et à la théorie des quanta, en passant par Newton et Darwin, voilà déjà trois mille ans que les hommes s’efforcent de répondre à ces questions. L’histoire s’est accélérée depuis trois ou quatre siècles. Nous sommes entrés dans l’âge moderne et postmoderne. La science, la technique, les chiffres ont conquis la planète. Il semble que la raison l’ait emporté. Elle a permis aux hommes de remplacer les dieux à la tête des affaires du monde. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dieu est-il à reléguer au musée des gloires étrangères et des puissances déchues ? La vie a-t-elle un sens ou est-elle une parenthèse entre deux néants? Est-il permis d’espérer quoi que ce soit au-delà de la mort? Avec les mots les plus simples et les plus clairs, avec une rigueur mêlée de gaieté, Jean d’Ormesson aborde de façon neuve ces problèmes de toujours et raconte au lecteur le roman fabuleux de l’univers et des hommes.

Avec les mots les plus simples… L’auteur en convient largement. Il dit sur Le Journal sonore des livres, que son livre est une espèce de réflexion sur le monde où nous vivons et un tableau romanesque de l’univers. C’est un livre qui pose des questions difficiles avec la plus grande simplicité. Je crois, dit-il, qu’un enfant de dix ans pourrait très bien le lire. Ah oui! Le contenu du livre est à la portée d’un enfant de dix ans… Il y a de quoi être perplexe… Je crois plutôt qu’à force de vouloir «faire simple», on finit par tomber dans le simplisme.(3)

Quelques critiques du livre
Tous les critiques littéraires s’entendent pour dire que C’est une chose étrange à la fin que le monde est un bon livre, un livre intéressant; une lecture agréable, «facile» -un adolescent… pourrait le lire avec intérêt, du moins en partie. Chacun à sa manière émet une opinion favorable. Dans la revue de presse, on peut relever les noms de Tristan Savin(4), Franz-Olivier Giesbert(5), Dans Le Figaro, on souligne que : «Jean d'Ormesson confesse qu'il a écrit ce livre pour tenter «d'inverser le mouvement et de donner ses chances à Dieu dont il est aussi impossible de prouver l'existence que la non-existence». Pour ma part, j’ai choisi les trois critiques qui me semblent les plus perspicaces. Celle de Julien Blanc-Gras, celle  de Roger-Pol Droit et celle de Trinh Xuan Thuan qui donnent le la dans un ton juste.


C'est une chose étrange à la fin que le monde, par Julien Blanc-Gras
Après son « autre histoire de la littérature française », Jean d’Ormesson nous propose son autre histoire de la philosophie, rapide parcours à travers les âges de la pensée. « D’où venons-nous ? », « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » : l’académicien s’empare des questions éternelles et nous promène chez Platon, Saint Augustin, Kant, Nietzsche et les autres, avec quelques détours par Homère, Darwin et la Bible. Il convoque la science (Newton, Einstein, Planck et tutti quanta) qui éclaire la philosophie, part du big bang pour nous entraîner sur les rives de l’infini et de l’inaccessible. De telle sorte qu’on se sent parfois plus chez Hubert Reeves que chez Chateaubriand.

On se laisse guider par notre papy littéraire national. Un peu radoteur, mais bienveillant et malicieux. Il s’agit moins d’une somme philosophique que d’une balade érudite, parfois un peu fourre-tout, mêlant souvenirs personnels et digressions historiques. D’Ormesson slalome avec l’idée de Dieu, rode autour de la mort, médite longuement sur le mystère du temps. Il choisit la posture de l’émerveillement, s’extasie sur le miracle des petites choses simples et infiniment complexes, comme la lumière, la vie ou la pensée, accrochant, parfois, quelques éclats poétiques à son tableau d’écriture. On reste charmé par le regard amoureux porté sur le monde. Revigoré par l’optimisme d’un homme qui, au soir de son existence, écrit : «J’ai eu de la chance. Je suis né». Julien Blanc-Gras(6)


La banalité du miracle, par Roger Pol Droit (extrait de l’article)
Prenez des questions. Choisissez-les simples, compréhensibles par tous, mais impossibles à résoudre. Par exemple : le monde a-t-il un sens? Dieu existe-t-il? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Laissez de côté l'air grave. Évitez comme la peste concepts et références. Faites comme si, un matin, tout ça vous tombait dessus. Découpez ces grandes interrogations en fines lamelles, nappez d'une couche d'histoire universelle, saupoudrez d'un rien de Platon, de Hegel, de Darwin, ajoutez un zeste de Heidegger, un soupçon de Max Planck. Intitulez le tout "roman" et prenez l'air ingénu. Vous croirez tenir la recette de Jean d'Ormesson. La vôtre sera ratée. Parce qu'il joue, lui, pour de vrai. Assez rusé pour être réellement candide. Assez factice pour sonner juste. Suffisamment hâbleur pour émouvoir. Du coup, même dans son rôle d'énergumène officiel, il finit par charmer [...]. Roger-Pol Droit(7).

Dieu, sa vie, son œuvre, par Trinh Xuan Thuan (extrait de l'article)
Nous pensons aujourd'hui qu'il y a quelque 13,7 milliards d'années, une déflagration fulgurante, le big bang, a donné naissance à l'Univers, à l'espace et au temps. S'est ensuite poursuivie une incessante ascension vers la complexité. À partir du vide microscopique initial s'est tissée une immense tapisserie cosmique. Des centaines de milliards de galaxies, peuplées chacune de centaines de milliards d'étoiles, composent un fantastique ballet. Perdue dans un petit coin de notre galaxie, la Voie lactée, une étoile appelée Soleil, dispense généreusement sa chaleur aux huit planètes qui l'entourent. Sur l'une d'entre elles, la Terre, il a permis d'éveiller et d'entretenir la vie. L'homme, fait de poussière d'étoiles, est apparu, capable de s'interroger sur l'univers qui l'a engendré.

Tous ces événements et péripéties, tout ce «roman» fabuleux de l'Univers et des hommes, Jean d'Ormesson nous les raconte dans son nouvel ouvrage, à mi-chemin entre le récit et l'essai, de manière érudite et malicieuse, dans un style élégant et toujours inimitable. Comme à l'habitude de l'auteur, l'ouvrage échappe aux conventions du ¬genre romanesque. L'intrigue du «roman», ce que l'auteur appelle «le fil du labyrinthe» - en référence peut-être aux nombreuses impasses, aux maints cul-de-sac et aux multiples va-et-vient de la science - est ici l'histoire de l'Univers: le big bang et après (le premier chapitre s'intitule «Que la lumière soit !»). De l'astrophysique à la neurobiologie, de la physique à la chimie, en passant par l'anthropologie, la primatologie et la géologie, toutes les sciences concourent sans relâche à élaborer et à affiner cette grande fresque historique de 13,7 milliards d'années, toujours magnifique et sans cesse envoûtante. Quant aux personnages, en plus d'un casting de support de haute volée - Platon, Aristote, Kepler, Galilée, Newton, Laplace, Darwin, Einstein et tous les autres scientifiques qui ont contribué à élaborer cette fabuleuse épopée cosmique, - deux tiennent les rôles principaux : le premier est Dieu en personne, surnommé «le Vieux [...]». Trinh Xuan Thuan(8)


Extraits: C'est une chose étrange à la fin que le monde
Extrait lu par Jean d’Ormesson:
Cessez de courir, arrêtez-vous un instant, prenez deux minutes pour réfléchir un peu et répondre à une question parmi beaucoup d’autres. Croyez-vous que la vie, la pensée, le langage et l’écriture étaient nécessaires de toute éternité ou pensez-vous, au contraire, que la vie, la pensée, le langage et l’écriture auraient pu ne pas apparaître et ne jamais exister?

Extraits tirés du livre(9)

Prologue - le fil du labyrinthe
Un beau matin de juillet, sous un soleil qui tapait fort, je me suis demandé d’où nous venions, où nous allions et ce que nous faisions sur cette terre. p.9

le rêve du Vieux (p10)
le fil du labyrinthe
D’où nous venons? De très loin. Derrière moi, il y avait les fleuves de sperme et de sang, des montagnes de cadavres, un rêve collectif et étrange qui traînait sous des crânes, dans des descriptions sur des pierres ou du marbre, dans des livres, depuis peu dans des machines –et que nous appelons le passé, Et des torrents, des déserts, es océans d’oubli. (p.11)

Le rêve du Vieux
Il n’y avait rien (p.12)

le fil du labyrinthe
«Où nous allons ? Qui le sait ? Devant moi, il y avait... qu'y avait-il ? Autre chose. Autre chose qui n'existait pas encore et que nous appelons l'avenir. Quelque chose de différent, et même de très différent - et pourtant de semblable. Autre chose, mais la même chose. Et la mort.» (p.13)


le rêve du Vieux
Il n’y avait ni espace ni temps. Il y avait autre
chose. Il n’y avait rien. Et le rien était tout. (p.16)

le fil du labyrinthe
La vie est très gaie. Elle est brève, mais longue. Il lui arrive d’être enchanteresse. Nous détestons la quitter. Elle est une vallé de larmes –et une vallée de roses. In hac lacrimarum valle. In hac valle rosarum.
J’ai beaucoup ri. Le monde m’amuse. J’aime les mots, l’ironie, le ski au printemps, le courage, les côtes couvertes d’oliviers et de plus qui descendent vers la mer, l’admiration, l’insolence, les bistrots dans les îles, les contradictions de l’existence, travailler et ne rien faire, la vitesse et l’espérance, les films de Lubisch et de Cukor, Gary Grant, Gene Tierney, Sigourey Weaver et Keira Knightley. J’ai eu de la chance. Je sus né. Je ne m’en plains pas. Je mourrai, naturellement. En attendant, je vis.
Les imbéciles pullulent, les raseurs exagèrent et il arrive à de pauvres types, à une poignée d’égoïstes –j’appelle égoïstes ceux qui ne pensent pas à moi- de se glisser parmi eux. Mais beaucoup de personnes m’ont bien plu. J’en ai aimé quelques-unes et, même quand elles ne m’aimaient pas, ou pas asez à mon goût, c’était assez délicieux. Je n’ai pas pleuré sur la vie. J’étais content d’être là. (p.17, p.18)

le rêve du vieux
Il n’y avait rien. Mais le tout était déjà dans le rien.
Et le temps et l’histoire étaient déjà cachés sous l’éternel. (p.19)

Je vous souhaite un bon dimanche!

Le livre: C’est une chose étrange à la fin que le monde, Jean d'Ormesson, Robert Laffont, 2010, 318 pages.
___
[] (1)Jean d'Ormesson, Une autre histoire de la littérature française, Tome 1 et Tome 2, 1997 et 1998, Éditions NIL (Robert Laffont)

[] (2) Didier Jacob, Goncourt: C'est Houllebeccq qui l'aura cette année, BibliObs, 06/06/2010. L'article est ici.
[] Oups! Hein! Houellebecq? Tiens donc... Ma critique est presque prête, je vous la livre dans un prochain blogue. D'ici là, cachez vos lunettes!
[] (3) Écoutez Jean d'Ormesson, sur Le Journal sonore des livres, sur le site Le choix des libraires, en cliquant ici.
[] (4) Tristan Savin, Le monde étrange de Jean d'Ormesson, L'Express, 27/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (5) Franz-Olivier Giesbert, "C'est une chose étrange à la fin que le monde": Jean d'Ormesson l'homme qui "doute en Dieu", Le Point, 26/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (6) Julien Blanc-Gras, C'est une chose étrange à la fin que le monde, evene.fr 
[] (7) Roger-Pol Droit, Banalité du miracle, Le Monde des livres, 26/08/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (8) Trinh Xuan Thuan, éminent scientifique, décrypte le fabuleux récit des origines du monde par Jean d'Ormesson, Dieu, sa vie, son œuvre, Le Figaro, 03/09/2010. Pour lire l'article au complet, cliquez ici.
[] (9) Pour feuilleter le livre, Robert Laffont (c), cliquez ici.

dimanche 28 février 2010

Poésie occitane. Louisa Paulin - Frédéric Mistral - Marie-Christine Bourgade - René Nelli - Alan Pelhon - Philippe Gardy - Jean-Paul Creissac

Poésie occitane. Découvrez avec moi des poèmes «bilingues» en occitan... dans leur version française. Ici et là, tout de même, quelques vers en occitan. À l’honneur: Louisa Paulin, Frédéric Mistral, Marie-Christine Bourgade, René Nelli, Alan Pelhon, Philippe Gardy, Jean-Paul Creissac. Pour mémoire:
[] Dès la fin du 13e siècle, Dante a désigné trois langues romanes selon la manière de dire «oui» : la langue d'oïl -le français; la langue d'oc -l’occitan; et la langue de si -l’italien. La langue d'oïl est parlée dans le Nord de la France. L’occitan est parlée dans le Sud de la France. On la retrouve également en Italie, en Espagne et à Monaco.
[] Surtout connu pour son utilisation littéraire, l’occitan était également une langue juridique et administrative au Moyen Age, dans le Sud de la France. Les premiers textes latins utilisant des mots occitans sont datés des années 700-800. Alors qu’il faudra attendre la période de l’An Mil pour avoir le premier écrit, conservé, entièrement en occitan; c’est au temps des troubadours entre le 12e et le 13e siècles, que la poésie lyrique en occitan connaît son apogée.
[] «En 1539.François 1er signe l'ordonnance (l'édit) de Villers-Cotterêts, première grande intervention étatique dans le domaine linguistique qui impose la rédaction des actes administratifs et de justice "en langue maternel françois". Elle vise à éliminer à la fois l'emploi du latin et celui des parlers locaux.»(1)

«Tout poème est un miracle»
Jean d'Ormesson,
Saveur du temps.


Nids
Nids de plumes, nids de feuilles, /Nises de plumas, nises de fuèlhas,
nids d'eau et nids d'étoiles, /nises d'aiga e nises d'estelas,
je vous ai cherchés, je vous ai trouvés,
je vous ai caressés de mes mains
et de mon cœur et de mon âme.
Mais le nid que j'ai le plus aimé,
mais le nid que j'ai le plus cherché,
mais le nid que je n'ai jamais trouvé,
c'est le cœur de celui que j'aime tant.
Louisa Paulin
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Mais vous, la moindre parole
Que vous me dîtes, o demoiselle,
Plus que nulle autre chansonnette /Mai que pas ges de cançoneta
Enchante mon oreille et torture mon cœur! / Encanta mon aurelha e borrola mon còr!
Frédéric Mistral
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Le chanteur
Tout est calme, pas un bruit; les étoiles et voilà
Tout d'un coup, dans le noir, s'entend comme un prélude
Clair et net, vif et fort, tel que je n'en ai jamais entendu.
L'oiseau inconnu, caché par les feuilles,
S'est mis à chanter, et puis s'est arrêté
Comme timidement, et a recommencé /Coma timidament, e a recomençat
Plus d'une fois, comme ça, sans y toucher.
A chaque fois, il chante plus haut, plus longuement
Tant et si bien que l'air s'en emplit lentement. /Tant e tant ben que l'air s'en emplís lentament.
L'oiseau, que j'admire, redit tout son amour
Pour la petite oiselle qui l'écoute toujours,
Donne toute sa voix, siffle comme un fou.
La force et la beauté se rejoignent dans son chant
Sans oublier l'enthousiasme, la justesse du ton
Et la magie légère toute de précision... / E la magia leugièra tota de precision...
Marie-Christine Bourgade
[Lu sur http://www.teleoc.com]

Le cri de cet oiseau file son arabesque
qui s'enroule au rouet phosphorescent des eaux.
Qu'il vienne à s'interrompre : un arbre se révèle
soufflant entre ses doigts l'haleine des couleurs.

Un arbre qui s'aveugle à force d'apparaître
et de se survoler dans le temps de patience
sans regards pour s'enfuir dans le décours des choses
où son cœur est déjà - comme il sera demain
pris dans plus de sommeil qu'il n'en faut pour dormir...

Âme continuée qui sens le froid divin
retrancher de l'Amour chaque instant qui le fane
Comme un gouffre à jamais qui se photographie
du plus profond de son étoile originelle
Respire tendrement avec la nuit profane /Respira tendrament dins la foscor profana
cette ombre de la Mort où Dieu fait le matin. /l'ombra d'aquela mòrt ont Dieus fa lo maitin..
René Nelli
[La serp de folhum (Le serpent de feuilles) «Obra poëtica occitana» (Institut d'études occitanes, 1981)*]

Assommé par le déferlement des mots
Je m'en vais comme un fou /Me'n vau coma un fòl
Hurler aux éperviers que je suis vivant
Qu'ils ne m'effraient pas /Que non mi fan pas paur
Et que j'ai vu au bord de la mer un pêcheur
Pleurant de voir l'aube si belle /Si plorant de veire l'auba tan bèla
Et son cœur si petit
Alan Pelhon
[Extrait de Coma una musica, (Nice, Z'éditions, 1989, épuisé)*]

Mitologicas: Niobé
Entre l'arbre et la neige le monde immense
tout cet encroisement de pierres et de boue
cette construction patiente et jamais finie
de branches qui cherchent le dessus du ciel
de toits pour recueillir la pluie et les saisons
d'enclos de terres labourées et de galets par milliers
toujours plus loin qu'aucun regard puisse aller
jusqu'à la plaine jamais labourée des étoiles
entre l'arbre et la neige a disparu le chemin
qui mena un jour à quelque maison écroulée
souvenir de poussière et de cailloux désormais
multitude infime des présences enfuies
et des amours d'un temps la marque muette
rien qu'un rocher de larmes dans l'herbe

des pleurs du monde qui tourne comme vies /dei plors dau mond que vira coma vidas
et se noie dans le gouffre bleu du temps /e se nega dins lo gorg blau dau temps
des peines et des douleurs dans la spirale /dei penas e dei dolors dins l'espirala
jamais arrêtée que fait le cœur en train de se perdre /jamai arrestada que fai lo còs a mand de se perdre
aux rives de l'obscurité demeure la pierre dure /ai ribas de l'escur demòra la pèira dura
épine nue dans l'épaisseur de la terre /espinha nuda dins l'espés de la terra
Philippe Gardy
[Extrait de Mitologicas, paru aux éditions Fédérop*]

Escota...
Écoute / le silence lentement qui te saisit / ton souffle qui peu à peu se pose / profondément il retentit en toi

Ferme les yeux / ton cœur, ton souffle, ton sang / le chemin désert / le jappement au loin / et le troupeau qui monte

tu es seule / le rythme de ta respiration / occupe tout
Comment revivre / comment renaître /comment repartir

En toi le silence se fait / se réveiller, se ranimer, se mettre en chemin

Cela fait si longtemps que je t’ai appelée / et maintenant tu es là , près de moi

Ferme les yeux, le silence t’envahit / ton souffle rythme le temps / horloge de ton corps / tu es là, peau de mousse / haleine d’oiseau

Bouche ouverte sans cri / douleur, abandon, absence

Je te donne mon souffle pour gravir le chemin / je te donne mon sang pour respirer

Ferme les yeux / laisse le silence venir

De ta plaie surgit la révolte / sans voix, dans le silence / seul ton corps parle / se plie, tombe

se relève, se dresse / revivre / se ranimer / se remettre en chemin / encore
se releva, se dreiça / reviure / respelir / s’encaminar/ encara
Jean-Paul Creissac
[Poème inédit lu sur http://www.cardabelle.fr*]

Puisse la poésie enchanter votre vie!
Bon dimanche!
__
[] Jean d'Ormesson, Saveur du temps. Chroniques du temps qui passe. Éditions Héloïse d'Ormesson, 2009.
[] (1) Sylvie Prioul, L'irrésistible ascension du français, Il était une fois la Renaissance, Le Nouvel Obervateur, no 255-2356.
[] * Sauf indication contraire, les poèmes ont été lus sur http://www.cardabelle.fr
[] Visitez le site consacré à Louisa Paulin
[] Autres sources: Wikipédia et http://www.cardenal.org

dimanche 17 janvier 2010

Tu seras un homme, mon fils - Kipling / J'suis un enfant perdu - d'Ormesson / Leçon aux enfants - Villon - Favier. Poésie

En ce dimanche de la mi-janvier 2010 -Le temps file comme sable entre nos doigts...- je vous offre 3 poèmes. Un père s'adresse à son fils; un adulte à sa mère; un poète aux enfants perdus. Soit, «Tu seras un homme, mon fils», de Rudyard Kipling; «J'suis un enfant perdu», la ballade d'un communard, ou d'un chouan, monté sur la potence, cité par Jean d'Ormesson dans un texte à propos de «Tombeau de la Rouerie», de Michel Morht; «Belle leçon aux enfants perdus», de François Villon, poète à qui Jean Favier a consacré une biographie éponyme.

Tu seras un homme, mon fils (1907)
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
[Tiré de «Vertige de la liste», de Umberto Eco, p.276
chapitre 15. «L'excès à partir de Rabelais».]
À droite, une peinture de Walter Quirt.

Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle de Michel Morht, auteur de «Tombeau de la Rouerie», en indiquant que celui-ci a voulu peindre «ces soldats perdus que la France a connu tout au long de son histoire, de Cadoudal à Roussel, combattant de la Commune de paris en 1871...» À fin de son texte, il cite une ballade de cette époque, peut-être que l'air vous reviendra en tête?

J'suis un enfant perdu
... Monté sur la potence
Je regardai la France:
J'y vis mes compagnons
À l'ombre de... vous m'entendez!
J'y vis mes compagnons
À l'ombre d'un buisson.

Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne me verra plus.
J'suis un enfant... Vous m'entendez!
Qu'elle ne me verra plus:
J'suis un enfant perdu.
[Tiré de «Saveur du temps», de Jean d'Ormesson, p.137
Michel Morth: «Tombeau de la Rouerie»]

Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle, au passage, de François Villon «voleur, assassin, immense poète célébré à juste titre par Jean Favier», qui «met en garde ceux qu'il appelle 'les enfants perdus" contre la vie trop semblable à la sienne. La description du poète faite par Jean d'Ormesson est un peu courte. Ajoutons celle de Jean Favier:

Francois Villon. «Un homme comme les autres, dans le futur quartier Latin des années 1450. Il ressemble à quelques milliers d'écoliers plus riches d'illusions que de bagage ou d'emploi. En ce temps de dynamisme retrouvé au sortir de la guerre, il y a des places à prendre, mais la société, déjà, se défend des nouvelles ambitions: beaucoup de places sont prises, ou réservées.
[] Clerc et célibataire par opportunité, amoureux par tempérament et misogyne par résignation, il hésite entre les femmes et les filles. Il n'hésite pas moins entre l'école et la taverne. Sa science est courte, tout juste propre à fournir les références indispensables en une époque où mieux vaut s'appuyer sur les autorités que faire preuve d'originalité.
[] Le malheur fond sur l'écolier sans emploi. Il tue, il vole, il s'essaie à la vie de cour et se retrouve sur les grands chemins. On veut le prendre. Est-il un bandit? Est-il un amuseur qui joue au truand?» Quoiqu'il en soit sa mise en garde est pertinente.
[Jean Favier, François Villon, Fayard. Descriptif du livre]

Belle leçon aux enfants perdus
Beaux enfants, vous perdrez la plus
Belle rose de vos chapeaux;
Mes clercs près prenant comme glus,
Se vous allez à Montpipeau
Ou à Ruel, gardez la peau:
Car, pour s'ébattre en ces deux lieux,
Cuidant que vausît le rappeau,
Le perdit Colin de Cayeux.

Ce n'est pas un jeu de trois mailles,
Où va corps, et peut-être l'âme.
Qui perd, rien n'y sont repentailles
Qu'on n'en meure à honte et diffame;
Et qui gagne n'a pas à femme
Dido, la reine de Carthage.
L'homme est donc bien fol et infâme
Qui, pour si peu, couche tel gage.

Qu'un chacun encore m'écoute!
On dit, et il est vérité,
Que charterie se boit toute,
Au feu l'hiver, au bois l'été.
S'argent avez, il n'est enté,
Mais le dépendez tôt et vite.
Qui en voyez-vous hérité?
Jamais mal acquît ne profite.

Je vous souhaite un bon dimanche! À demain... sans faute.
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