Parmi les nouvelles parutions aux Éditions P.O.L., j'ai choisi 4 poètes. À la suite de Les temps traversés de Michelle Grangaud, et de Météo des plages de Christian Prigent (blogue du 23 août 2010), je vous présente le recueil des deux autres poètes, soit La formule flirt, d'Anne Portugal; et, Version Live, de Sigolène Prébois. On poursuit la notion de couple, mais, rappelez-vous, au sens premier du terme donné par Le Petit Robert: couple vient de cople (1190), qui vient du latin copula, signifiant «lien, liaison».
[] Pour Anne Portugal, les couples sont des textes qui vont deux par deux. Un face-à-face, une page paire et une page impaire, que j'ai essayé de rendre au mieux dans ce blogue. On comprend que le but visé ici est de donner un aperçu du recueil et, de là, vous inviter à le lire au complet dans sa présentation originale.
[] Sans le dire explicitement, Sigolène Prébois aborde le couple dont le lien est le plus intime qui soit: mère-enfant. Plus justement, la rupture définitive de ce lien: la mort d'une mère. Sans épanchement excessif, sans «miaulerie», le texte, bien au contraire, est simple et sincère -un texte nu, sans artifice. Les croquis naïfs de Catherine Lévy, qui accompagnent les courts paragraphes, sont là pour alléger la souffrance, la rendre supportable.
Vous serez, peut-être... désarçonnés par les croquis. Alors, relisez le texte avec votre cœur d'enfant... et rappelez-vous de visites au salon mortuaire ou revoyez des films qui en présentent. Vous trouverez:
« Des situations cocasses, des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère et la douleur exaspérante des pleureurs échaudés», écrit Thomas Flamerion.
Dans sa critique du recueil, Thomas Flamerion en livre une analyse fort et juste. Plutôt que de paraphraser son texte, je vous donne à lire sa critique du recueil: c'est une perle rare (je parle de sa critique... naturellement).
Anne Portugal LA FORMULE FLIRT, P.O.L., 96 pages
Ce nouveau recueil d'Anne Portugal évoque le tremblé des choses, il est construit à partir de textes qui vont deux par deux, se font face à face. Différents ils portent le même titre et se croisent en se frôlant, un peu à la manière de Jane et de Tarzan qui chacun sur sa liane va de son côté mais ils s'approchent de si près cependant, s'effleurent, cela s'appelle le flirt. On pourrait dire qu'il s'agit de ne jamais conclure, de ne jamais figer, de ne jamais entrer dans la chronologie dramatique: rien ne commence, rien ne peut s'arrêter. Tout est en suspens, fugitif, évanescent: on peut appeler ça la poésie, une certaine formule flirt de la poésie, cela pourrait être l'amour.
Voici des extraits de La formule flirt, d'Anne Portugal
on aimait à se rendre et peu situés connaître
qu’on était des naïfs
que des bouquets juxtaposés
que chacun avait son truc social
minimum tendre
de la fancy surprise nous disions
corps secret
des liaisons du courant
nous disions
justement ligne
ainsi de l’ordre à un autre
L’exercice simple à son fiancé
à son nouvel l’appartement des terres
peut pas sonner le triomphe lys blancs
où le ranger l’adresse égare
tout corps voisin du sien
p.8
[texte en vis-à-vis]
avoir vu sa créature à l’intérieur
d’un format elle était on la refait
à la sphère plus qu’à la première
dans les fils et qu’il est né dedans
tenue de tout à l’heure.
p.9
Cher seul décor il faut qu’il soit petit
s’adapte à l’opacité la modèle l’ombre
avec des traits délai sens
à un proche je t’aime saisir dans
un léger sang d’insecte sur épingle
p.10
[texte en vis-à-vis]
réduit bonus de l’édifice l’aiguille
oh voilà qu’elle se trouve si concurrente de
des ailes au choix elle va circuler autour
jette des clous bang dans le décor
est proposée est affûtée d’alfa précision.
p.11
Cette ouverture est traitée d’origine
jetée sur la grand-route section
la poussière aux méchants halte bon capitaine
simple consolidation des rambardes
dextérité pour l’attente de la fée aussi bas
que vous et elle dans quelle mesure elle brode
p.12
[texte en vis-à-vis]
surface docile se changer d’où elle part
son vieux jour suspecté tout d’argent
que parc exclut que dans le défilé
rarement les retrouve panorama les amis
une foule de gens votre point à ce corps de boutons
livraison d’illustrés l’indiffère et décore les allées.
p.13
Tout son matin se réfugie tréma
son caractère réduit dès qu’il s’agit de permanence
le choix naturellement des ifs sa valeur exiguë
pour une composition graphique la rêve
avec des foules régent d’imitation
p.14
[texte en vis-à-vis]
avant propos avant la naissance où il est
avant lui l’a écrit en pensant à l’autre d’orléans
tous les frais du voyage des glaçons et la liste est close
pour qui veut être kidnappé nous sommes spécialistes
ou affirmons que l’on est disposé.
p.15
Toi brother pour gagner la ville des roses initiales
à ton nom mets des lèvres à la belle meunière
indication de toi simplement conditionnelle
ne pouvant concentrer un tel rôle négocie
opium motion processus inconscient dossier
régisseur et le matériel serait le plus joli
p.16
[texte en vis-à-vis]
passait dans les veines porsche pressa le cou
s’améliora vit ce soleil jusqu’à poser devant
épuisée rouge volume refondation conversa
pensa un peu que tout est résidence au lieu
d’herbe y’a en pinçant les lèvres individus
jolis dauphins pointus qui rentrent à la maison.
p.17
Voyageait libre cours avec une grande partie du mobilier
que j’ai plaisir tout se passait en excentricité
à sa faveur vivants milieux les milieux panachés
et poursuivait plus calmement préférait elle aussi
d’apparaître et puis de disparaître en gute nacht
allant se disait sur ce sujet le service appartient
à l’immédiat
p.18
[texte en vis-à-vis]
vrai l’isolement d’une santé le bon déroulement
de la rivière un prénom avec des paysages il
se servait de ces petits indices et c’est quoi le suivant
le catalogue l’accompagnait permet d’y adhérer
l’emplacement bonne nuit sans conséquence
ordonnait au-dessous et comment il faut faire
sa mobilisation physique.
p.19
De l’effort perpétuel juste échappait au vide
l’emmenait dans sa bibliothèque tôt et elle
disposait de la voiture parcourait les longs jours
se sentait sur l’eau exemplaire
dressait devant des cercles clairement apparus
partait humaine sectionnait des localisations
p.20
[texte en vis-à-vis]
lui-même surpris ne l’agitait pas davantage
son corps à vitesse solennelle rendu à la circulation
il l’accorde en adoptant penses-tu trouver un beau
terrier une succession de blancs si frais
en longueur en quelque plaine s’affirmant
radical a inventé comme il appartenait.
p.21
}{ }{ }{
Sigolène Prébois, VERSION LIVE, P.O.L. 224 pages, ill. par avec Catherine Lévy
«Quelques minutes à peine suffisent(1) pour parcourir cette ‘Version Live’ de la mort d’une mère. Quelques minutes volées au temps distendu de l’agonie et aux jours de l’après, lorsque les trivialités funéraires agacent et absorbent. Là où d’autres auscultent la souffrance pour en appuyer la violence, Sigolène Prébois préfère cristalliser ces moments irréels où le drame flirte avec l’absurde.
Son arme, pour exorciser la peine, c’est son dessin naïf, ses personnages à peine esquissés qui, sous le masque d’animaux pour les plus proches, perdent de leur gravité. Pourtant l’angoisse de l’attente insupportable est bien palpable. Elle se déroule jusqu’au dernier souffle d’un corps décharné, dont l’énergie forcément extraordinaire s’échappe injustement.
Mais c’est dans l’humour désespéré des jours qui précèdent la mise en bière que s’épanouit l’insoutenable légèreté du deuil. Des situations cocasses, des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère et la douleur exaspérante des pleureurs échaudés, Sigolène Prébois inscrit à sa manière la perte d’un être cher dans la course effrénée de la vie.
Un rythme dévorant, ridicule, qui laisse à peine le temps de digérer le choc entre la commande d’un cercueil en cellulose sur son iPhone et la dispersion de biens qu’on ne peut conserver. Le texte télégraphié - et télégraphique - qui accompagne ces sobres croquis se contente parfois d’en répéter le sens. Et l’inévitable chagrin des enfants ne s’illustre qu’au travers de pudiques réflexes affectueux.
Mais ce touchant roman graphique, étonnamment publié chez P.O.L, ne manque ni de poésie ni de justesse.»
Son arme, pour exorciser la peine, c’est son dessin naïf, ses personnages à peine esquissés qui, sous le masque d’animaux pour les plus proches, perdent de leur gravité. Pourtant l’angoisse de l’attente insupportable est bien palpable. Elle se déroule jusqu’au dernier souffle d’un corps décharné, dont l’énergie forcément extraordinaire s’échappe injustement.
Mais c’est dans l’humour désespéré des jours qui précèdent la mise en bière que s’épanouit l’insoutenable légèreté du deuil. Des situations cocasses, des blagues vaseuses pour détendre l’atmosphère et la douleur exaspérante des pleureurs échaudés, Sigolène Prébois inscrit à sa manière la perte d’un être cher dans la course effrénée de la vie.
Un rythme dévorant, ridicule, qui laisse à peine le temps de digérer le choc entre la commande d’un cercueil en cellulose sur son iPhone et la dispersion de biens qu’on ne peut conserver. Le texte télégraphié - et télégraphique - qui accompagne ces sobres croquis se contente parfois d’en répéter le sens. Et l’inévitable chagrin des enfants ne s’illustre qu’au travers de pudiques réflexes affectueux.
Mais ce touchant roman graphique, étonnamment publié chez P.O.L, ne manque ni de poésie ni de justesse.»
Critique par Thomas Flamerion, sur evene.fr
Voici des extraits de Version Live, de Sigolène Prébois
Élisabeth me téléphone en milieu
de journée. Élisabeth, c’est la jeune
femme philippine qui s’occupe de ma
mère depuis qu’elle est malade.
En général, elle m’appelle
plutôt le soir.[croquis 1]
[croquis 1] |
Elle me dit que ma mère n’a pas l’air
en grande forme et que l’une de ses
jambes est gonflée.[croquis 2]
[croquis 2] |
Elle décide de l’emmener voir
un médecin.[croquis 3]
[croquis 3] |
Une heure après, le téléphone sonne
encore.[croquis 4]
[croquis 4] |
Elle a été transportée directement
aux urgences.[croquis 5]
[croquis 5] |
Un ambulancier est venu la chercher.
[croquis 6]
[croquis 6] |
Bastille-Sablons. C’est long pour se
faire du mouron. [croquis 7]
[croquis 7] |
Autres extraits
Deux moments pénibles à vivre. Ils font d'autant plus mal qu'ils sont écrits en termes simples, sans artifice, dans un langage «de tous les jours». Et... cela n'arrive pas qu'aux autres.
Le coup de fil qu'on ne voudrait jamais, mais jamais, recevoir:
«Ha bonjour, oui alors on a essayé de vous joindre ce matin un peu plus tôt, mais c'était votre répondeur, alors c'est bien que vous nous rappeliez parce qu'on voulait vous dire quelque chose, oui alors ce matin, tôt hein, vers 5 heures les infirmières sont passées voir votre maman, ce qu'elles font tous les matins, hein, et alors elles se sont rendu compte qu'elle était morte dans son sommeil, ce matin, alors voilà, faut passer, hein? faut venir, hein ?»
Le plus cruel des constats:
« La chambre a été faite. Il ne reste rien »
Et alors, on fait un pas dans le vide... Maman est morte! Le mot «orphelin» ou «orpheline» vous tape dans la cervelle comme un glas sans fin.
Ainsi va la vie! Allez, ne soyez pas (trop) triste: profitez des moments heureux, des petits comme des grands!
[] Source des extraits de La formule flirt, d'Anne Portugal, chez P.O.L.: le pdf est ici.
[] Source des extraits de Version Live, de Sigolène Prébois, chez P.O.L.: le pdf est ici.