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dimanche 8 août 2010

Nouveautés. Chevaillier - Ray - Wachill - Venaille - Romarès / Collection blanche, Gallimard. Poésie.

J'aurais pu intituler mon blogue «Sur un banc de parc, en été», car les beaux jours -Ah! les beaux jours- sont là pour un bon moment encore. J'aurais pu aussi bien l'intituler «Salle d'attente, en automne», car... on sait pourquoi, inutile d'insister. Pour lire sur ce banc de bois ou sur cette chaise en plastique, rien ne vaut un livre de poésie. Vous lisez un poème ou un bout de poème, puis vous le laissez trotter dans votre tête, le nez en l'air... pour admirer le paysage ou pour laisser passer -excusez, madame; pardon. monsieur; pour supporter l'«imbroglio de voix». Essayez, vous verrez «ça fonctionne». Un roman, un récit, un essai... c'est pour les déplacements en train. Justement, dans mon prochain blogue, je vous proposerai un récit à lire dans le train... ou chez soi.

J'ai puisé dans la Collection blanche de Gallimard des nouveautés. Les voici, par ordre de lecture:
[] Louis Chevaillier, jeune poète, qui nous séduit par son imagination débridée avec son «Icare en transe»;
[] Lionel Ray, qui nous donne à entendre les sons harmonieux de ses mots dans «Entre nuit et soleil»;
[] Hassam Wachill nous joue des partitions musicales dans «La rive-errance»;
[] Franck Venaille, grand poète et marcheur, reconnu comme un «passeur d'émotions et de défis» nous livre son chant incomparable dans «La descente de Lescaut»;
[] Alexandre Romanès, dans un style naïf, livre ses pensées et trace des tableaux ancrés dans la vie quotidienne, proches de la vie, proche de la mort, dans «Sur l'épaule de l'ange», avec une préface de Christian Bobin
Voici donc, pour chacun de ces livres, des extraits et des commentaires.

Louis Chevaillier - Icare en transe
¬¬ __ Métro
«Le métropolitain il tangue
et je crois voir cet imbroglio de voix
enfler et tourner
à croire que seuls ceux qui lisent
sont muets
si d’autres défrisent
C’est l’ombre d’une ville sur les tempes du Nil
où l’œil racé s’envole
vers d’autres vignes
aux bonnes heures la crue est telle que
je ne sais plus penser.»
ICARE EN TRANSE, Collection blanche, Gallimard, 72 pages, 2010.

Commentaire.
«… Le Penseur » de Rodin éternue et le métro tangue sur le Nil. La grande ville n'a plus de frontières : elle se prolonge jusqu'à Dakar, Brasilia, Essaouira, Ankara. De Pigalle à Montparnasse, Louis Chevaillier traverse la capitale comme un miroir. C'est un héritier très triste, très drôle, du surréalisme.»
"Si Paris est l'oeil/de quelle longueur sont les cils". Transe assurée.» Jérôme Garcin, BibliObs(1)


Lionel Ray - Entre nuit et soleil

¬¬ __ premier extrait
«Me voilà une fois de plus parmi les mots épars,
Est-ce au centre, en marge, à la périphérie?
Je ne sais trop qui je suis, eux-mêmes le savent
Ou ne le savent pas, mais toujours poursuivant

En eux mon chemin obstiné, je mesure de l'un
À l'autre que du temps précieux a passé,
Un temps sans retour. Et moi tel un aveugle
Je suis quelqu'un qui cherche un univers

Absent. Il est encore bien tôt. Le soleil n'a pas encore
Posé ses douces griffes de lumière sur la page

Et je distingue à peine voyelles et consonnes,
Ces phrases qui me ressemblent et qui parfois hors de moi
S'éloignent, semant çà et là quelque poussière d'astre ou
Rien, seulement des ombres qu'on ne reconnaît pas.»

Lionel Ray - Entre nuit et soleil
¬¬ __ deuxième extrait
«…une voix tout à coup comme à l’horizon proche
la perfection de l’oubli c’est le toucher d’un invisible feu
ce fil inconnu l’empire des soifs ta voix
comme un frôlement de fougères un songe où c’est mourir
sans blessure tout à part soi le réel semble avoir été
inventé ce matin avec des raffinements de primevères
cette fraîcheur blanche inexplicable une manière de seconde
vie un rivage où l’on vient perdre son ombre
une fois pour toutes
ô ta voix mon miroir ma danse mon opéra.»
ENTRE NUIT ET SOLEIL, Collection blanche, Gallimard, 112 pages, 2010.

Commentaire et extrait.
«Ecoutons enfin bruire les harmoniques de Lionel Ray, sur le rythme un peu déhanché qui nous rappelle Armen Lubin», Claude Pirotte, L'express(2):
¬¬ __ Entre nuit et soleil
«Cette heure seule dans le crépuscule d'été :
on n'entend déjà plus qu'un bruit de clefs.
Les mots changent, sable de plus d'éclat,
sans brume ni reflet sinon la voix.
Les mots changent de base et de fenêtre,
inquiets du surcroît de silence qui les pénètre.
Poussière à jamais, est-ce un dieu qui dort
dans la mémoire étrange de l'aurore ?
Ou bien les années revenant de plus loin
ayant perdu la lumière en chemin ?
L'hiver est proche et sa douceur déborde
et la nuit tourne en moi étourdiment.
La beauté pend à cette corde
comme un corps trop usé, gémissant.»


Hassam Wachill - La rive-errance


«J’entends ta respiration sur
le toit de mon rire…
si près qu’aucune crainte…
et vois à travers la grande verrière
de la gare un après-midi…
Plus tard, nous promet le gris
profond au-dessus
du verre et les entrelacs
de ferraille à travers quoi je vois
les herbages dans le ciel.
LA RIVE-ERRANCE, Collection blanche, Gallimard, 104 pages, 2010.

Commentaire et extrait.
«Et puis que dire de l'œuvre de Hassam Wachill, sinon que la musique l'imprègne et la transcende. Claude Pirotte, L'express(2):
¬¬ __ La rive-errance
Une voix suit une ligne aux phrases qu'elle seule
doit porter, on croit qu'elle va s'éteindre parmi
les troncs grêles, qu'elle va s'en aller dans la solitude
de l'herbe avec des broussailles noires, c'est alors
qu'elle se fait plus nostalgique mais sans devenir
un simple ornement, sa mélodie toujours très pure.
Elle semble envelopper la terre dont elle est
sortie comme pour l'engloutir dans sa mélodie telle
une mère qui veut bénir l'oeuvre perdue,
charriée par les premiers torrents de printemps.


Franck Venaille - La descente de l'Escaut


Présentation.
«Avec La Descente de l’Escaut, Franck Venaille se tient au plus près des terres, des rives, du pays dont il fait son emblème. Il marche, entre France et Belgique, se rêvant, se voulant, se révélant "Flamand". La voix de Venaille, pressante, coupante, par saccades, remous ou lentes dérives, change insensiblement une expérience douloureuse, une destinée meurtrie, en un vaste chant maîtrisé. Polyphonie qui accueille tous les rythmes pour mener la plus digne et la plus implacable quête, La Descente de l’Escaut s’impose comme une œuvre majeure. Il y a là, creusant l’effroi au plus intime, une parole toute de noblesse qui, d’un seul cri, sait créer défi et tendresse.
«Sarcastique, désespéré, violent, fragile et froid, Franck Venaille fait entendre depuis son premier recueil des années 60, une voix singulière, solitaire jusque dans l’expression de la fraternité. D’abord poète du « vivre-révolté », du cri en forme d’exorcisme, Venaille devient ensuite un écrivain en conscience. Le spontané, l’éruptif, passent derrière plusieurs écrans et l’écriture accède au labyrinthe, restitue le processus intérieur qui creuse, dénude et tout à la fois obscurcit. Chaque poème, chaque récit se voient investis de hantises scrupuleuses, de phrases brutalement timbrées, et qui mettent le sens à vif et les sens en alarme.
Mais, chez Venaille, le ressassement tragique se défie des parures de la tragédie ; il s’oriente plutôt vers l’ironie sauvage, soudaine comme un coup de couteau, et les bouffonneries teintées de sperme et de sang. Surtout, l’agencement des phrases, la scansion des vers, le métier d’écrivain qu’il ritualise presque, lui permettent de choisir ses territoires et d’inventer son langage.
De la source à l’embouchure, il suit le fleuve, il suit son fleuve, son poème. Littéralement et pas à pas, il compose un « poème-fleuve » qui garde toujours à l’oreille cet écho de Maurice Maeterlinck :
«Il se peut que les maladies, le sommeil et la mort soient des fêtes profondes, mystérieuses et incomprises de la chair».
LA DESCENTE DE L'ESCAUT suivi de TRAGIQUE, préface de Jean-Baptiste Para, Collection Poésie/Gallimard, 320 pages, 2010.(3)

Commentaire et extraits.
«Un homme marche, obstinément, longeant un fleuve lent, des collines de l'Artois à la mer du Nord. De ce voyage initiatique "dans la fêlure du monde" est né un ample et sublime poème, La Descente de l'Escaut (Obsidiane 1995), qui pourrait être un Bateau ivre ou une Prose du Transsibérien pour notre temps. (…)
D'amont en aval, c'est d'abord un parcours de près de cinq cents kilomètres, par les chemins de halage, les docks et les entrepôts.
"Marcheur, ô sentinelle/ qu'entends-tu de la nuit? /Des crissements d'ancres/ Des plaintes de granges ouvertes sur l'eau./ Marcheur, ô sentinelle nocturne/ Quel est cet homme s'activant près du brasier ?"
Mais le voyageur, le "wanderer" solitaire - un "réfractaire au bonheur" qui marche aussi pour se connaître - s'interroge sur le sens de cette marche rédemptrice:
"Ce que je cherche ne s'apparente pas à la beauté. Ce que je reçois du fleuve est semblable à la grâce." »

«Fougue noire et ascèse. Dans ce vaste chant admirablement maîtrisé, "le ton Venaille" s'impose, par-delà les formes et les rythmes poétiques les plus variés. C'est, au plus près du souffle, une écriture des profondeurs, comme venue du maëlstrom, avec sa véhémence et ses cris muets.
Mais le poème est aussi scandé par de nombreuses citations en exergue, d’Emile Verhaeren, Hugo Claus, Henri Michaux et surtout, au coeur du livre, celle-ci, de Maurice Maeterlinck: "Il se peut que les maladies, le sommeil et la mort soient des fêtes profondes, mystérieuses et incomprises de la chair. " On pourrait aussi déceler l'influence de la peinture de Permeke ou d'Ensor. (...). Monique Petillon, Le Monde des livres.(4)


Alexandre Romanès - Sur l’épaule de l’ange


Préface. «Lire Alexandre Romanès c'est connaître l'épreuve de la plus grande nudité spirituelle. Juste une voix et surtout le ton de cette voix : une corde de luth pincée jusqu'à l'os, ce luth dont il a joué dans sa jeunesse. Les morts doivent parler avec la même douceur sourde et sans reproche. À la lecture c'est comme si on traversait une larme. Cette larme que le poète refuse de verser fait l'humanité profonde de son livre. Il y a de l'eau, c'est tout, et un tout petit brillant de sel. Dans la dernière partie du livre, il y a de l'air. On a atteint la chambre des résurrections. Une douceur sans mélange, si pure qu'elle fait éclater la vitre de la mort. C'est le silence désormais qui tient le livre entre ses mains.» Christian Bobin

Table des matières.

Petites pièces pour luth / Dans l’herbe tendre, 48 / L’accusateur, 64 / Près de toi, 72 / Les beaux jours, 80.

Extraits (les poèmes n'ont pas de titre, les astérisques sont de l'auteur, les pages sont aérées).
¬¬ __ Sur l’épaule de l’ange
«Le ciel, donner et Dieu
Dans la langue tzigane,
C’est le même mot.» (n.p.)

«Petites pièces pour luth» (n.p.)

«J’ai partagé le monde en deux :
D’un côté il y a ce qui est poétique,
De l’autre côté ce qui ne l’est pas.
Ce qui est poétiques existe à mes yeux,
Ce qui n’est pas poétique,
je ne le regarde même pas.» (p.19)

«Je n’ai pas été à l’école
Et je n’en n’éprouve aucun regret.
*
Les gens qui se croient importants
Ont à mes yeux moins d’importance
Que les dessins d’enfants
*
La première fois
Qu’on m’a appelé monsieur
J’ai été stupéfait.
Avec le temps je me suis habitué
Mais moi je me vois toujours
Comme un petit garçon de dix ans.» (p.20)
L'ÉPAULE DE L'ANGE, Collection blanche, Gallimard, 96 pages, 2010.(5)

Folle imagination, harmonique de sons, partition de musique, un long chant, une poésie naïve.
Belle est la poésie!
Beau sera votre dimanche, en ce début d'août: tel est mon souhait!
_____
Sources consultées:
(1) Icare en transe, par Jérôme Garcin, BibliObs.
(2) La chronique de Jean-Claude Pirotte intitulée La chanson, idéal poétique, L'Express.
(3) Sur le site de Gallimard, tout comme les autres extraits.
(4)La Descente de l'Escaut suivi de Tragique, de Franck Venaille : le "voyage d'hiver" de Franck Venaille, par Monique Petillon, Le Monde des livres.
(5) Gallimard, sur le site Eden livres.
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