Ayant de la suite dans les idées, je vous propose de lire… dans le train. Que vous alliez à Poitiers, ou ailleurs, quelle que soit votre destination en train, la suggestion de Jérôme Garcin –que je fais mienne- tient… les rails.
Il écrit : «Cet été, si vous allez à Poitiers en TGV depuis Paris, comptez une heure trente. Le temps de lire, à tête reposée, dans ce confort ouaté que le silence donne à la vitesse, l'incroyable récit d'une femme jetée, il y a soixante-dix ans, sur la longue route de l'exode. Partie à pied de Paris, le 12 juin 1940, elle arrive à Poitiers le 29 juin. »(1)
Oui, cette femme, Germaine Bloch, et tant d’autres, des enfants, des malades, des infirmes, des vieux et des «moins vieux»… des gens de toutes classes sociales fuient Paris sous l’avancée des Allemands.
Il écrit : «Cet été, si vous allez à Poitiers en TGV depuis Paris, comptez une heure trente. Le temps de lire, à tête reposée, dans ce confort ouaté que le silence donne à la vitesse, l'incroyable récit d'une femme jetée, il y a soixante-dix ans, sur la longue route de l'exode. Partie à pied de Paris, le 12 juin 1940, elle arrive à Poitiers le 29 juin. »(1)
Oui, cette femme, Germaine Bloch, et tant d’autres, des enfants, des malades, des infirmes, des vieux et des «moins vieux»… des gens de toutes classes sociales fuient Paris sous l’avancée des Allemands.
«Elle est accompagnée de sa fille enceinte –Marianne, d'une amie allemande, d'un peintre flamand –Frans Masereel- et de son épouse. Elle décrit, jour après jour, la lente progression de leur petite troupe vers la Loire par les routes secondaires. La traversée des villages aux volets clos et aux commerces fermés. Les nuits blanches dans les granges, les presbytères, à la belle étoile. Les pieds cloqués qu'on soigne à la pommade de Reclus. La faim, la soif, le désarroi. Et, soudain, l'annonce de la signature de l'armistice qui couronne, en pleine campagne, une chorégraphie de l'absurde dont ils sont les témoins accablés : derrière eux, les troupes allemandes aguerries descendent vers le sud ; devant eux, les soldats français en loques remontent vers le nord ; au milieu, la cohorte sans fin des civils apeurés dont "l'étrange silence [lui] paraît un hurlement "». Jérôme Garcin(1)
Qui est donc Germaine Bloch?
Pierre Largesse, historien, la présente ainsi : «Marguerite (1884-1975), née Herzog, d’une famille de fabricants de drap alsaciens, était la sœur d’Émile (André Maurois). À dix-neuf ans, elle rencontre Jean-Richard Bloch (1884-1947), jeune agrégé d'allemand et futur romancier. Ils se marient à Elbeuf en 1907 et auront cinq enfants. Cette famille juive et communiste participe pleinement à la vie intellectuelle et politique ; elle allait être frappée de plein fouet par la guerre.»(2)
Mercredi 12 juin 1940, 21 h 30. Dans son appartement de la rue de Richelieu, à Paris, Marguerite Bloch, […] allume la radio. Les nouvelles sont terrifiantes : «L'ennemi accentue sa pression des deux côtés de la capitale.» Impossible de dormir. La peur, bien sûr. Mais aussi le bruit. Celui des canons, au loin. Celui des gens, surtout, écrit-elle(3) :
«Des gens à pied, avec des ballots, des sacs, des valises ; des gens à bicyclette avec des chargements biscornus, des gens avec des poussettes, des charrettes à bras, et dessus, au milieu des paquets, les enfants, leurs jouets, quelquefois une vieille femme»
Juive et communiste… aussi bien dire en danger de mort, elle et ses proches. Les Bloch craignent, avec raison, d’être arrêtés par les Nazis. Marguerite va donc fuir Paris avec sa fille et des amis, alors que son mari fuit de son côté. Elle cherche à rejoindre la maison familiale à Poitiers, elle réussira. En effet, Marguerite et sa fille retrouvent Jean-Richard dans leur maison de La Mérigotte, en Poitou. Avec l’aide de l’ambassade soviétique, le couple Bloch quitte la France pour l’Union soviétique le 15 avril 1941, il reviendra en France quelques années plus tard.
«Sur les routes avec le peuple de France. 12 – 20 juin 1940»
Simplement signée à l’origine «Une Française», ce récit de Marguerite Bloch vient d’être publié. «Claire Paulhan, grande éditrice d'introuvables, a déniché ce manuscrit dans les archives de son grand-père, Jean Paulhan, le patron de la NRF, qui l'avait jugé aussi «poignant» que «sobre». Mais il ne parut jamais. [...]. C’est un modèle d’Histoire en direct», écrit Jérôme Garcin.
«Le récit de ces journées chaotiques est confirmé par les études historiques de Marc Bloch (l’Étrange défaite), de Claude Willard, Robert O. Paxton ou d’Olivier Wieviorka», précise l’historien Pierre Largesse.
Pour sa part, Irène Némirovsky, trace un portrait touchant, et réaliste, de cette exode de juin 1940 dans son roman «Suite française» qui m’a profondément bouleversée.
Pour sa part, Irène Némirovsky, trace un portrait touchant, et réaliste, de cette exode de juin 1940 dans son roman «Suite française» qui m’a profondément bouleversée.
Voici quelques extraits du livre de Marguerite Bloch.
«Orléans était encore loin. Nous avions hâte pourtant d’y arriver. Quand je dis nous, je veux dire nous tous, ces milliers et milliers de gens qui, comme nous, espéraient y trouver une poste, des trains, du ravitaillement, et, sans doute – idée moins claire peut-être mais dominante – l’armée, rassemblée sur la Loire et formant enfin rempart entre cet ennemi accourant de toute la vitesse de ses forces motorisées et le peuple de France, chassé de ses foyers.»
«Sans la crainte des bombardements, celle de ne plus rien trouver à manger, les mères de famille, les vieillards n’auraient pas entrepris de fuir, souvent sans savoir où aller… Cela a permis de créer une désorganisation complète… Incapacité, bien sûr, mais volonté de dissocier surtout. Livrer l’armée à l’ennemi ne suffisait pas sans doute, il fallait aussi lui livrer le peuple et dans un état d’abandon moral et matériel qui le laissait absolument sans défense. Combien de ces pauvres fuyards pensent à l’Espagne ? Ils pensent seulement à la minute présente. Partir, s’éloigner de la zone de feu, se réfugier dans un coin paisible. Une jeune femme devant une boulangerie en veut à mort et passion à Daladier, à Munich… j’abonde dans son sens pour la Tchécoslovaquie. Il est bien temps ! Courir le jour, courir la nuit ; sous le soleil et sous les avions ; avec des enfants, des vieillards, des petits chiens et des oiseaux en cage, oui, tout cela on peut l’endurer, mais il faut reprendre des forces. L’autorité militaire ne pouvait-elle pas ravitailler en même temps les soldats en retraite et les civils entraînés dans cette retraite ? Non ; rien. Leur refrain à tous était : on n’a pas été battus, on pouvait très bien tenir, on a été trahis, si on s’est repliés, c’est par ordre, notre défaite a été voulue».
«Dire que nous avons vu tant de films de réfugiés sur les routes... mais rien, non rien n’approchait de cela. Non seulement la route, mais les bas-côtés sont occupés et le trottoir. Gros camions commerciaux ; camions mi-militaires, attelages paysans, voitures de tourismes de tous modèles, de tous âges, et motocyclistes, et bicyclistes, et une collection de poussettes les plus invraisemblables; charrettes à bras traînées par l’homme et supportant le mobilier, les enfants, la grand’mère les jambes ballantes, petites voitures d’enfants contenant jusqu’à trois enfants et les paquets les plus biscornus, ou pas d’enfants du tout et toutes les richesses de la famille, - mais surtout des piétons chargés, écrasés sous les valises, les ballots, les sacs et se frayant un passage à travers les véhicules, foule tendue, qui ne pense qu’à avancer, qu’à fuir, la tête basse, et, chose impressionnante, complètement silencieuse.»
L’exode des Belges, en mai 1940, précédera celle des Français en juin 1940.
Le témoignage qu’en livrent les femmes et les hommes alors enfants, mais aujourd’hui âgés, font frissonner, et les images qui accompagnent leurs témoignages nous font vivre ses moments pénibles de la Seconde Guerre mondiale.
À vous arracher le cœur. Ce vieil homme qui raconte -il avait 10 ans en 1940- avoir vu sourire l'aviateur d'un bombardier juste avant qu'il lâche sa bombe sur son père et lui. Son père a été décapité; et lui fut aspiré et se retrouva dans le cratère de la bombe. Grièvement blessé, un médecin allemand en prit soin et lui sauva la vie...
Tous les témoignages ne sont pas aussi pathétiques, mais les témoins abondent dans le même sens: c'est à cet âge tendre qu'ils ont perdu leur enfance, qu'ils sont devenus adultes...
Le témoignage qu’en livrent les femmes et les hommes alors enfants, mais aujourd’hui âgés, font frissonner, et les images qui accompagnent leurs témoignages nous font vivre ses moments pénibles de la Seconde Guerre mondiale.
À vous arracher le cœur. Ce vieil homme qui raconte -il avait 10 ans en 1940- avoir vu sourire l'aviateur d'un bombardier juste avant qu'il lâche sa bombe sur son père et lui. Son père a été décapité; et lui fut aspiré et se retrouva dans le cratère de la bombe. Grièvement blessé, un médecin allemand en prit soin et lui sauva la vie...
Tous les témoignages ne sont pas aussi pathétiques, mais les témoins abondent dans le même sens: c'est à cet âge tendre qu'ils ont perdu leur enfance, qu'ils sont devenus adultes...
Haro sur les voleurs de vie, les voleurs d'enfance!
Ainsi en complément à mon billet, je vous invite à voir ce documentaire, en 10 épisodes, sur YouTube, qui s'intitule:
«Mai 1940, les enfants de l'exode».
Voici le premier épisode. Une page d'histoire touchante.
Le livre... . à lire sans faute: un essentiel.
«Sur les routes avec le peuple de France. 12 Juin - 29 juin 1940», de Marguerite Bloch. Édition établie et annotée par Philippe Niogret & Claire Paulhan. Préface par Danielle Milhaud-Cappe. Postface et Repères biographiques par Philippe Niogret.
Notes sur le texte par Claire Paulhan. 18 photographies et fac-similés en noir. et blanc. 9 illustrations de Frans Masereel, Éditions Claire Paulhan 2010, 192 pages.
Notes sur le texte par Claire Paulhan. 18 photographies et fac-similés en noir. et blanc. 9 illustrations de Frans Masereel, Éditions Claire Paulhan 2010, 192 pages.
Sources:
(1) Sur la route de Poitiers, par Jérôme Garcin, sur BiblioObs.
(2) Marguerite Bloch sur les routes de l'exode, par Pierre Largesse, historien, dans L'humanité.
(3) Le printemps où le peuple fut jeté sur les routes, Le Monde des livres.