Tu seras un homme, mon fils (1907)
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
[Tiré de «Vertige de la liste», de Umberto Eco, p.276
chapitre 15. «L'excès à partir de Rabelais».]
À droite, une peinture de Walter Quirt.
Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle de Michel Morht, auteur de «Tombeau de la Rouerie», en indiquant que celui-ci a voulu peindre «ces soldats perdus que la France a connu tout au long de son histoire, de Cadoudal à Roussel, combattant de la Commune de paris en 1871...» À fin de son texte, il cite une ballade de cette époque, peut-être que l'air vous reviendra en tête?
J'suis un enfant perdu
... Monté sur la potence
Je regardai la France:
J'y vis mes compagnons
À l'ombre de... vous m'entendez!
J'y vis mes compagnons
À l'ombre d'un buisson.
Je regardai la France:
J'y vis mes compagnons
À l'ombre de... vous m'entendez!
J'y vis mes compagnons
À l'ombre d'un buisson.
Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne me verra plus.
J'suis un enfant... Vous m'entendez!
Qu'elle ne me verra plus:
J'suis un enfant perdu.
[Tiré de «Saveur du temps», de Jean d'Ormesson, p.137
Michel Morth: «Tombeau de la Rouerie»]
Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle, au passage, de François Villon «voleur, assassin, immense poète célébré à juste titre par Jean Favier», qui «met en garde ceux qu'il appelle 'les enfants perdus" contre la vie trop semblable à la sienne. La description du poète faite par Jean d'Ormesson est un peu courte. Ajoutons celle de Jean Favier:
Francois Villon. «Un homme comme les autres, dans le futur quartier Latin des années 1450. Il ressemble à quelques milliers d'écoliers plus riches d'illusions que de bagage ou d'emploi. En ce temps de dynamisme retrouvé au sortir de la guerre, il y a des places à prendre, mais la société, déjà, se défend des nouvelles ambitions: beaucoup de places sont prises, ou réservées.
[] Clerc et célibataire par opportunité, amoureux par tempérament et misogyne par résignation, il hésite entre les femmes et les filles. Il n'hésite pas moins entre l'école et la taverne. Sa science est courte, tout juste propre à fournir les références indispensables en une époque où mieux vaut s'appuyer sur les autorités que faire preuve d'originalité.
[] Le malheur fond sur l'écolier sans emploi. Il tue, il vole, il s'essaie à la vie de cour et se retrouve sur les grands chemins. On veut le prendre. Est-il un bandit? Est-il un amuseur qui joue au truand?» Quoiqu'il en soit sa mise en garde est pertinente.
[Jean Favier, François Villon, Fayard. Descriptif du livre]
[] Clerc et célibataire par opportunité, amoureux par tempérament et misogyne par résignation, il hésite entre les femmes et les filles. Il n'hésite pas moins entre l'école et la taverne. Sa science est courte, tout juste propre à fournir les références indispensables en une époque où mieux vaut s'appuyer sur les autorités que faire preuve d'originalité.
[] Le malheur fond sur l'écolier sans emploi. Il tue, il vole, il s'essaie à la vie de cour et se retrouve sur les grands chemins. On veut le prendre. Est-il un bandit? Est-il un amuseur qui joue au truand?» Quoiqu'il en soit sa mise en garde est pertinente.
[Jean Favier, François Villon, Fayard. Descriptif du livre]
Belle leçon aux enfants perdus
Beaux enfants, vous perdrez la plus
Belle rose de vos chapeaux;
Mes clercs près prenant comme glus,
Se vous allez à Montpipeau
Ou à Ruel, gardez la peau:
Car, pour s'ébattre en ces deux lieux,
Cuidant que vausît le rappeau,
Le perdit Colin de Cayeux.
Ce n'est pas un jeu de trois mailles,
Où va corps, et peut-être l'âme.
Qui perd, rien n'y sont repentailles
Qu'on n'en meure à honte et diffame;
Et qui gagne n'a pas à femme
Dido, la reine de Carthage.
L'homme est donc bien fol et infâme
Qui, pour si peu, couche tel gage.
Qu'un chacun encore m'écoute!
On dit, et il est vérité,
Que charterie se boit toute,
Au feu l'hiver, au bois l'été.
S'argent avez, il n'est enté,
Mais le dépendez tôt et vite.
Qui en voyez-vous hérité?
Jamais mal acquît ne profite.
Je vous souhaite un bon dimanche! À demain... sans faute.