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mercredi 14 avril 2010

Flops en stock - Grégoire Leménager / La prospérité me rendra justice - Pierre Jourde. Edistat.

«Flops en stock», par Grégoire Leménager / «La prospérité me rendra justice», par Pierre Jourde . Edistat publie le chiffre des ventes, au 04 avril 2010, des livres français et étrangers parus en France. Les journaux et blogues en font état sur tous les tons. Pour en rendre compte, j'ai choisi les 2 articles en titre parus sur Bibliobs. Eh, oui! Le chœur Web se réjouit, s'étonne, grince, grinche... Il «s'émotionne ou commotionne». Il y a de quoi, vous verrez. Grégoire Leménager résume bien la situation:

«C'est à vous désespérer d'être célèbre, de passer chez Laurent Ruquier et d'intriguer pour avoir droit à de flatteurs entretiens de six pages dans les gazettes en vue. «Le Parisien» du jour s'est amusé à publier quelques-uns des vrais chiffres de vente «des livres dont on a beaucoup parlé» ces derniers temps. C'est édifiant.»

J'explore mon écran, pour vous donner quelques résultats exprimés par ordre des «meilleures ventes», sur 200 auteurs inscrits au palmarès. À chacun et à chacune de se faire une idée. Je ne commente pas... mais par moment, je pouffe de rire: c'est sûrement nerveux!

Au palmarès Edistat

Les premiers:
[] Le lauréat. Guillaume Musso. 1er... La fille de papier et 3e... Que serais-je sans toi?
[] Katherine Pancol. 2e... Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi
[] Pierre Dukan. 4e... Je ne sais pas maigrir et 6e... Les recettes de Dukan
[] Harlan Cohen. 5e... Sans un mot

En bonne position:
[] Paul Auster. 10e... Invisible
[] Élisabeth Badinter. 11e Le conflit. La femme et la mère.
[] J. D. Salinger. L'attrape-cœurs

Les grands romans:
[] Cormac McCarthy. 45e... La route.
[] Albert Camus. 63e... L'étranger
[] Jean Anouilh. 88e... Antigone

Les lauréats des prix prestigieux:
[] Marie NDiaye. 124e... Trois femmes puissantes (Prix Goncourt)
Les autres? Ils sont absents de la liste du palmarès... «C'est à vous désespérer d'être célèbre...»

Au dernier (et honorable) rang:
Stefan Zweig. 201e... Le joueur d'échecs.

Bernard-Henri Lévy, l'admirateur du célèbre Botul... «Pièces d'identité»... 3721 exemplaire vendus; et 5282 pour «De la guerre en philosophie». Grégoire Leménager écrit: «Mieux vaut qu'il s'abstienne, en somme, de lorgner sur les chiffres atteints par Elisabeth Badinter (114 953 ex. (...) pour «Conflit: la femme et la mère» (…) Florence Aubenas (122.227 ex. pour «Le Quai de Ouistreham» (…)» Il ferait mieux, pour se consoler, d'admirer les impressionnantes performances réalisées par les délicates confidences de Patrick Poivre d'Arvor «Tenir et se tenir», 6542 ex.), Francis Huster («Lettres aux femmes», 3252 ex.), Patrick Balkany («Une vérité autre que la mienne», 2950 ex.)»

«La condition de l'homme médiatique est décidément bien cruelle. Mais c'est sans doute que l'époque peine à reconnaître ses génies, comme d'habitude. Après tout, Stendhal ne vendait pas beaucoup de son vivant non plus. Restons donc confiants pour Manoukian* , BHL et Balkany, puisque la postérité saura faire le tri.»
*«André Manoukian dans la catégorie «people». Avec «Deleuze, Sheila et moi» (…), ce juré de la prestigieuse «Nouvelle Star», sur M6, a plafonné à 174 exemplaires. Rien ne permet de discerner si c'est la faute à Deleuze ou à Sheila.»


Prix de consolation! Un ticket pour l'éternité...


Dans son article intitulé «La prospérité me rendra justice», Pierre Jourde présente une réflexion sérieuse, qui s'appuie sur de nombreux exemples. Ce texte mérite toute notre attention. Je vous en donne des extraits les plus marquants.

«Les écrivains qui remportent peu de succès public se consolent parfois en se disant que la postérité reconnaîtra leurs mérites. Les denrées périssables à la Marc Levy, Guillaume Musso seront vite oubliées, se disent-ils, tandis que Truc ou Machin ou moi, qui vendons 2000 exemplaires, serons au programme des lycées et figurerons dans les anthologies, conformément aux cas de Baudelaire (…) La mauvaise littérature ne connaît qu'un succès éphémère. (…) Reste que l'idée de postérité paraît une illusion. Qu'avons-nous retenu des écrivains du passé? 99,9% d'entre eux, les meilleurs y compris, sont tombés dans l'oubli. Quelques spécialistes en pratiquent encore une petite portion.(…)

L'idée a le mérite d'être consolante pour les auteurs auxquels il ne reste plus à espérer qu'une reconnaissance posthume.
Il paraît cruel de les en dépouiller. Mais la postérité n'est peut-être pas cette distribution des prix mérités, ce jugement dernier séparant les bons et les mauvais, ce happy end final automatique que l'on se plaît à imaginer.On peut d'abord se demander quel intérêt il peut y avoir à plaire aux êtres inconnus qui nous liront dans des décennies ou des siècles, plutôt qu'à nos concitoyens.

Le recours à la postérité n'est peut-être que la version allégée du vieux désir d'éternité qui continue à habiter, même bien caché, la demeure de l'artiste. Mais il n'y a pas d'éternité des œuvres. Elles finissent toutes, ou presque par mourir. (...) Reste que l'idée de postérité paraît une illusion.

Et il est bien possible que cela ne s'arrange pas dans la suite des temps.
La surproduction de livres est devenue telle, couplée avec la démission presque complète de la critique et la dilution de l'idée de valeur, que la postérité, s'il y en a une, aura bien du mal à s'y retrouver.

Comme le pensaient Maurice Blanchot, si l'on est ignoré par les sots d'aujourd'hui,
pourquoi diable confier la reconnaissance de son œuvre aux imbéciles de demain?

Il n'y a pas de raison a priori de prêter plus d'intelligence et de clairvoyance au lecteur et au critique du futur qu'à celui du présent. Malgré tous ces arguments, il me semble que l'idée d'un travail du temps, permettant de faire le tri entre les œuvres, demeure valide. Et valide aujourd'hui plus que jamais.Le livre industriel, plus encore qu'au XIXe siècle, écrase la littérature.

En outre, beaucoup plus fortement qu'au XIXe siècle, les intermédiaires se sont multipliés entre l'écrivain et son lecteur. La presse, la télévision, internet ont un double effet: d'une part, ils démultiplient les effets de l'industrialisation littéraire, en martelant la promotion de quelques œuvres. D'autre part, ils disséminent les lieux et les instances de reconnaissance. (…)

Si internet compense pour une part le matraquage médiatique, souvent intéressé, la contrepartie en est que le jugement et la promotion des œuvres se retrouvent confiés à une nébuleuse de subjectivités, de petits groupes, de chapelles.
Contrepartie de la liberté ouverte par le net, la compétence se noie dans l'incompétence, l'évaluation raisonnée dans les décrets sans appel, les grandes voix dans la grande cacophonie. Enfin, l'idée qu'au fond toute œuvre est légitime, puisqu'elle est le produit d'une particularité individuelle, en suspendant le jugement pour aujourd'hui, renvoie le tri nécessaire à plus tard. (…)

Car nous sommes myopes. Nous sommes encore trop près des livres, et en dehors d'un petit nombre de gens capables de reconnaître les vrais écrivains, nous manquons de la distance nécessaire. Le vacarme et la cohue les engloutissent. L'énormité de la production rend très difficile la distinction. (…)

Même pour la critique censée rechercher la qualité littéraire, toutes sortes de préjugés, de traits d'époque font obstacle à la perception de l'originalité d'un langage et d'une démarche littéraire. On distingue des effets de style voyants, des thèmes intéressants, une image idéologiquement satisfaisante, des effets de modernité, bref une image de livre plus qu'une réalité textuelle.

Ce qui se voit le moins, dans un livre, c'est sa réalité concrète, c'est-à-dire le grain de sa langue, son rythme propre, la subtilité ou la force de sa construction. Cette réalité si peu perceptible, si facilement masquée par l'illusion qui nous fait croire que nous lisons alors que nous ne lisons pas, est précisément le noyau dur qui finira par demeurer lorsque nos illusions se seront dissipées, lorsque les effets de littérature dont sont faits les autres livres se seront dissipés.
Alors apparaîtra dans toute sa force ce qui, pendant des années, n'a presque pas été vu: un texte.
[Pierre Jourde]

Bonne lecture! Lisez les auteurs que vous aimez... L'important, c'est de lire!
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Sources:
[] Edistat. Pour accéder au palmarès, cliquez ici.
[] «Flops en stock», par Grégoire Leménager, sur BibliObs. Pour lire l'article, cliquez ici.
[] «La prospérité me rendra justice», par Pierre Jourde. Je vous invite à lire l'article au complet. Vous le trouverez ici.
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