RArthur Rimbaud n'a plus 17 ans... depuis que Alban Caussé et Jacques Desse -des libraires «chasseurs de trésor»- ont publié un cliché du poète à l'âge adulte dans la revue «Histoires littéraires» (en page frontispice), repris dans le «Figaro littéraire» et autres sites Internet dont BibliObs. Bien que la photo ne puisse être datée avec précision, Alban Caussé et Jacques Desse estiment qu'elle a été prise entre 1880 et 1890, une photo de groupe prise sur le perron de l'Hôtel de l'Univers à Aden (Abyssie). Visiblement, Rimbaud n'est plus «l'homme aux semelles de vent», ni le funambule qui fredonnait: (1)
«J'ai tendu des cordes de clocher en clocher;
des guirlandes de fenêtre à fenêtre;
de chaînes d'or s'étoile à étoile,
et je danse.»
Un visage inconnu d'Arthur Rimbaud. Quelle allure a-t-il donc, le poète? Jean-Jacques Lefrère -auteur de plusieurs livres sur Rimbaud dont une biographie de référence- et Jacques Desse répondent:
«... celle d'un homme fatigué et un peu égaré, dont quelques traits - l'expression de lassitude, l'enfoncement des yeux - semblent porter la marque d'un passé difficile.» (1) En examinant la photo ci-haut, et celle en bas de page, on peut se faire une idée.
«... celle d'un homme fatigué et un peu égaré, dont quelques traits - l'expression de lassitude, l'enfoncement des yeux - semblent porter la marque d'un passé difficile.» (1) En examinant la photo ci-haut, et celle en bas de page, on peut se faire une idée.
Lire, et écouter Rimbaud en 12 CD
Les Éditions Thélèmes nous proposent d'écouter l'œuvre intégrale d'Arthur Rimbaud en 12 CD. Bibliobs en présente des extraits audio tirés de son Œuvre poétique, de sa Correspondance, et du surprenant récit satirique «Un cœur sous une soutane» -pour moi, une découverte, qui m'a fait lancer l'exclamation bien sentie: «Tiens, donc!» (2)
J'ai écouté ces extraits, et j'apprécie «la voix sombre» et le débit lent de Denis Lavant; un peu moins la voix de Denis Podalydès -voix claire et débit rapide-, tout en reconnaissant qu'elle rend bien la jeunesse et la fébrilité de Rimbaud, et son «ironie policée»; mais, on s'y habitue. La voix et les intonations de voix de Lorant Deutsch rendent, on ne peut mieux, le texte de Rimbaud.
Pour écouter les extraits, il faut vous rendre sur BibliObs, en cliquant ici.
[] Denis Lavant lit «Départ»: c'est un court extrait, sur la 1ère bande audio.
[] Denis Podalydès et Lorant Deutsch lisent, en alternance les autres textes, sur la seconde bande vidéo
Pour ma part, je vous donne à lire tous les textes lus par les 3 interprètes de Rimbaud.
J'espère que la lecture et l'écoute de la poésie, de la correspondance (dont une touchante lettre à sa mère) et du «surprenant» récit vous feront passer de bons moments car... on ne peut pas toujours avoir 17 ans! Même pas Arthur Rimbaud...
Départ
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l'affection et le bruit neufs!
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l'affection et le bruit neufs!
Roman
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants!
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête.
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête..
Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !
Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on va sous les tilleuls verts sur la promenade
Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme
Lettre à Théodore de Banville
Mars 1870
Charleville (Ardennes), le 24 mai 1870
À Monsieur Théodore de Banville.
Cher Maître,
Nous sommes aux mois d’amour; j’ai presque dix-sept ans, l’âge des espérances et des chimères, comme on dit. — et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, — pardon si c’est banal, — à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes — moi j’appelle cela du printemps.
Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, — et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, — c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est un Parnassien, — épris de la beauté idéale; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin?
Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris. — Anch’io, messieurs du journal, je serai Parnassien! — Je ne sais ce que j’ai là... qui veut monter... — je jure, cher maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.
Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers... Vous me rendriez fou de joie et d’espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens... je viendrais à la dernière série du Parnasse: cela ferait le Credo des poètes!... — Ambition! ô Folle!
Arthur RimbaudQue si je vous envoie quelques-uns de ces vers, — et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, — c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est un Parnassien, — épris de la beauté idéale; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin?
Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris. — Anch’io, messieurs du journal, je serai Parnassien! — Je ne sais ce que j’ai là... qui veut monter... — je jure, cher maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.
Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers... Vous me rendriez fou de joie et d’espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens... je viendrais à la dernière série du Parnasse: cela ferait le Credo des poètes!... — Ambition! ô Folle!
Lettre à sa mère
(Aden, 30 avril 1891
Ma chère maman,
J'ai bien reçu vos deux bas et votre lettre, et je les ai reçus dans de tristes circonstances. Voyant toujours augmenter l'enflure de mon genou droit et la douleur dans l'articulation, sans trouver aucun remède ni aucun avis, puisqu'au Harar nous sommes au milieu des nègres et qu'il n'y a point là d'Européens, je me décidai à descendre. Il fallait abandonner les affaires : ce qui n'était pas très facile, car j'avais de l'argent dispersé de tous les côtés; mais enfin je réussis à liquider à peu près totalement. Depuis déjà une vingtaine de jours, j'étais couché au Harar et dans l'impossibilité de faire un seul mouvement, souffrant des douleurs atroces et ne dormant jamais. Je louai seize nègres porteurs, à raison de 15 thalaris l'un, du Harar à Zeilah; je fis fabriquer une civière recouverte d'une toile, et c'est là dessus que je viens de faire, en douze jours, les 300 kilomètres de désert qui séparent les monts du Harar du port de Zeilah. Inutile de vous dire quelles horribles souffrances j'ai subies en route. Je n'ai jamais pu faire un pas hors de ma civière; mon genou gonflait à vue d'œil, et la douleur augmentait continuellement.
Arrivé ici, je suis entré à l'hôpital européen. Il y a une seule chambre pour les malades payants : je l'occupe. Le docteur anglais, dès que je lui ai montré mon genou, a crié que c'est une synovite arrivée à un point très dangereux, par suite du manque de soins et des fatigues. Il parlait tout de suite de couper la jambe ; ensuite, il a décidé d'attendre quelques jours pour voir si le gonflement diminuerait un peu après les soins médicaux. Il y a six jours de cela, mais aucune amélioration, sinon que, comme je suis au repos, la douleur a beaucoup diminué. Vous savez que la synovite est une maladie des liquides de l'articulation du genou, cela peut provenir d'hérédité, ou d'accidents, ou de bien des causes. Pour moi, cela a été certainement causé par les fatigues des marches à pied et à cheval au Harar. Enfin, à l'état où je suis arrivé, il ne faut pas espérer que je guérisse avant au moins trois mois, sous les circonstances les plus favorables. Et je suis étendu, la jambe bandée, liée, reliée, enchaînée, de façon à ne pouvoir la mouvoir. Je suis devenu un squelette : je fais peur. Mon dos est tout écorché du lit ; je ne dors pas une minute. Et ici la chaleur est devenue très forte. La nourriture de l'hôpital, que je paie pourtant assez cher, est très mauvaise. Je ne sais quoi faire. D'un autre côté, je n'ai pas encore terminé mes comptes avec mon associé, mr Tian. Cela ne finira pas avant la huitaine. Je sortirai de cette affaire avec 35000 francs environ. J'aurais eu plus ; mais, à cause de mon malheureux départ, je perds quel ques milliers de francs. J'ai envie de me faire porter à un vapeur, et de venir me traiter en France, le voyage me ferait encore passer le temps. Et, en France, les soins médicaux et les remèdes sont bon marché, et l'air bon. Il est donc fort probable que je vais venir. Les vapeurs pour la France à présent sont malheureusement toujours combles, parce que tout le monde rentre des colonies à ce temps de l'année. Et je suis un pauvre infirme qu'il faut transporter très doucement! Enfin, je vais prendre mon parti dans la huitaine.
Ne vous effrayez pas de tout cela, cependant. De meilleurs jours viendront. Mais c'est une triste récompense de tant de travail, de privations et de peines! Hélas! que notre vie est misérable!
Je vous salue de cœur.Rimbaud.
Rêvé pour l'hiver
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien.Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou.
Et tu me diras : "Cherche ! " en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien.Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou.
Et tu me diras : "Cherche ! " en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup
Vagabonds
Pitoyable frère! Que d'atroces veillées je lui dus! "Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m'étais joué de son infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage." Il me supposait un guignon et une innocence très-bizarres, et il ajoutait des raisons inquiétantes.
Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
Après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, - tel qu'il se rêvait - et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule.
Une saison en enfer
Jadis
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour 'étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!
"Tu resteras hyène, etc..." se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
A ! j'en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
Un cœur sous une soutane
2 mai
Le sup*** est descendu hier de sa chambre, et, en fermant les yeux, les mains cachées, craintif et frileux, il a traîné à quatre pas dans la cour ses pantoufles de chanoine!...
Voici mon cœur qui bat la mesure dans ma poitrine, et ma poitrine qui bat contre mon pupitre crasseux! Oh! je déteste maintenant le temps où les élèves étaient comme de grosses brebis suant dans leurs habits sales, et dormaient dans l'atmosphère empuantie de l'étude, sous la lumière du gaz, dans la chaleur fade du poêle!... J'étends mes bras! je soupire, j'étends mes jambes... je sens des choses dans ma tête, oh! des choses!...
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[] (1) Grégoire Leménager, La photo inédite du jour. Un visage inconnu d'Arthur Rimbaud, sur BibliObs. L'article est ici.
[] (2) Rimbaud, mode audio, par Grégoire Leménager sur BibliObs. L'article est ici
[] La page frontispice de la revue Histoires littéraires (avec la photo de Rimbaud) est ici.