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mercredi 10 mars 2010

Dossier. Proust, lire et relire - Carnet nomade / Lire, Hors-série / Jean-Yves Tadié- Antoine Compagnon

«Proust, lire et relire». Dans son dernier Carnet nomade, Collette Fellous s'entretient de Marcel Proust avec 3 invités prestigieux: Diane de Margerie; Jean-Yves Tadié; Jacqueline Risset.(1) Elle rencontre brièvement Micha Lescot, jeune acteur de théâtre renommé, qui incarnera Proust (le narrateur) dans «À la recherche du temps perdu», transposé à la télé par Nina Companeez pour France Télévisions et Arte France. Dominique Blanc interprétera le rôle principal de Madame Verdurin. Voilà qui promet!(2)

«Marcel a renouvelé un genre littéraire: le roman. Il y a dans la littérature, un avant et un après Marcel Proust. Et pourtant, il n'est pas inutile de s'armer d'un trousseau de clés pour aborder cette œuvre unique -Proust lui-même l'admettait. Ce trousseau de clés, le voici.» C'est en ces termes que François Busnel, auteur de la page éditoriale, présente le hors-série de Lire consacré à Proust. Personne ne peut passer à côté de Proust, personne ne peut l'ignorer. «Il n'y a pas de "vrai" Proust, ajoute-t-il avec raison. Sauf celui que chaque lecteur imagine.»(3)

Pour cerner l'écrivain et son œuvre, aussi complexes l'un que l'autre, deux guides ne seront pas de trop... d'autant plus, qu'ils se complètent et s'harmonisent. Je vous invite donc à cheminer avec moi, le temps... de ce blogue, puis avec le Carnet nomade à l'oreille (sur le fil RSS ou en Podcast), et la revue Lire, hors-série sur Proust, à la portée de la main.


Colette Fellous. Proust, lire et relire. Carnet nomade.


D'entrée de jeu, Colette Fellous situe l'œuvre en amont: «Dans une lettre à Louis d'Albufera, en mai 1908, bien avant de se mettre à la rédaction de son œuvre somptueuse et unique dans la littérature française, «A la recherche du temps perdu", une œuvre, inachevée et posthume, de trois mille pages, Marcel Proust écrit : "J'ai en train : une étude sur la noblesse, un roman parisien, un essai sur Sainte-Beuve et Flaubert, un essai sur les femmes, un essai sur la Pédérastie (pas facile à publier); une étude sur les vitraux, une étude sur les pierres tombales, une étude sur le roman."
Lire Proust, c'est en effet lire une œuvre totale, un roman qui en contient mille, c'est entrer dans une sensibilité qui éclaire la vôtre, c'est apprendre à mieux regarder, sentir, écouter, aimer, se souvenir, c'est accepter de se plonger dans un univers infini, miroir de notre société, miroir de l'Histoire.»

«Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l'obscurité et du silence»
Marcel Proust, Le Temps retrouvé.


La lecture de Proust par Diane de Margerie. «Proust et l'obscur» (Albin Michel. 2010)
Obscurité. Textes fondateurs. Solitude.

Diane de Margerie sonde l'obscurité qui enveloppe l'œuvre romanesque (mensonge, sadisme, obsession de l'enfance et ses révoltes, passion de l'art) Elle l'explore à partir de La Recherche, mais aussi des premiers textes fondateurs méconnus, Les Plaisirs et les Jours ou Jean Santeuil; elle en note la violence et l'ambivalence.
Dès ses 25 ans, Proust se prépare à la solitude, dit-elle, devient le peintre de la jalousie et l'analyste du sadisme. Pourquoi tant d'obscure révolte contre la mère, sublimée par la suite dans La Recherche? Pourquoi tant de voyeurisme?
«C'est un point de vue personnel et particulier que j'adopte ici où, derrière les faux-semblants, loin des salons et des anecdotes, j'essaie de plonger au cœur ténébreux de son inspiration.»

La lecture de Jacqueline Risset. «Une certaine joie: essai sur Proust» (Hermann 2009)
Désir et profanation. Rêve et réalité. Le mal.

Dans son essai, Jacqueline Risset présente une suite de lectures qui mettent en évidence les rapports entre théorie et fascination, entre désir et profanation. Et traite aussi des illuminations qui préparent l'écriture du grand livre, des lieux, des figures concrètes de l'espace. Elle s'intéresse à l'évolution de l'idée du mal et à la «centralité transgressive» du sommeil.
Dans À la Recherche du temps perdu, dit-elle, toutes les rencontres sont possibles, et tout compte, comme dans les rêves. Qui écoute Proust part à la recherche, et s'efforce de transmettre les saisies, les étapes et les surprises de la poursuite.


Jean-Yves Tadié. «Proust et le roman» (Gallimard, 1986)
Le je et le Temps. Le récit et le roman. La phrase et le rythme.

D'entrée de jeu, Jean-Yves Tadié précise que la création romanesque de Proust s'appuie sur deux formes essentielles, le «je» et le «Temps». La première unifie les perspectives du récit, soumet les héros à un point de vue central; la seconde contrôle le déroulement du roman, l'histoire de la vocation du narrateur et la vie des personnages. Ce sont les deux formes de la sensibilité du romancier, son esthétique transcendantale.
C'est ainsi que se succèdent, explique-t-il, dans une composition savante qui n'est pas sans évoquer le roman proustien, le côté du «je» - des problèmes du narrateur à la peinture des personnages -et le côté du «Temps»- de l'étude du romanesque à celle des techniques du récit -, tandis qu'une analyse charnière concerne l'architecture de l'œuvre, le «je» reconstruisant le «Temps» pour qu'il soit saisi comme l'espace d'un mouvement, et qu'une analyse finale, «Du roman des lois au roman poétique», montre comment, de la phrase jusqu'au récit, une même figure, celle de la métaphore, confère à l'œuvre une forme, la forme de sa forme, qui est aussi un rythme. Jean-Yves Tadié relève que:

«Longtemps, je me suis couché de bonne heure...», c'est ainsi que commence le roman.

«... le Temps», c'est par ces mots que finit le roman (3000 pages plus tard, c'est moi qui parle...).

Je rappelle, en passant, que Jean-Yves Tadié est un spécialiste renommé de Marcel Proust. La biographie -la plus complète et la mieux articulée qui soit- qu'il lui a consacré est un incontournable, «Marcel Proust» (Gallimard, 1996, 960p.).


Lire, Hors-série. À la recherche de... Marcel Proust

Le magazine Lire consacre, comme je vous l'indiquais, un hors-série (no 8) à Marcel Proust, intitulé «A la recherche de... Marcel. Proust», en 4 volets: Dernières confidences (enfance, guerre, amours); Sur ses traces (Paris, Combray...); Le dictionnaire (des personnages); Insolite (20 000 lettres aux USA); on y trouve aussi bien d'autre sujets. Un presque-livre de 98 p, sur papier glacé, avec de belles et nombreuses illustrations.

Dans ce numéro, on peut lire, notamment, un long entretien de Jean-Yves Tadié; et un débat entre celui-ci et Antoine Compagnon. Deux textes importants qui complètent, on ne peut mieux, l'entrevue avec Colette Felloux ainsi que les deux livres de Jean-Yves Tadié, l'essai et la biographie, deux «essentiels».


«Proust, une vie d'écriture». Jean-Yves Tadié, propos recueillis par Philippe Delaroche et Tristan Savin.

Au cours de cet entretien, Jean-Yves Tadié dévoile les liens entre la personnalité et l'œuvre de Proust, entré en littérature dès l'âge de 18 ans. Au-delà de l'adolescence, la vie mondaine, techniques d'écriture, il révèle les fantasmes torturés de l'homme. Voyons quelques thèmes abordés.

Les mots qui reviennent le plus souvent dans la Recherche.
«... on trouve "temps, on trouve "amour et le troisième serait "maman" ou "mort". "Temps est le dernier mot du Temps retrouvé, il est partout. Proust emploie des mots très simples. En fait, Proust est un auteur simple, c'est la réalité qui est complexe.»

Proust est asthmatique, mais il fait de longues phrases. Un paradoxe.
«... Un tiers des phrases de Proust sont longues. Un tiers seulement. Mais elles font impression. Un tiers en revanche sont très courtes, comme par exemple: "Bouleversement de toute ma personne". Il y a chez lui de magnifiques phrases nominales et des phrases courtes.»

Jean-Yves Tadié relève que, chez Proust, il n'y a pas de prix, pas de dates, pas de chiffres, contrairement à Balzac. «Les prix, il considérait que c'était mal élevé. (...) ... les dates, il n'en voulait pas. À cause de cela, on n'est jamais absolument sûr de l'âge de ses personnages. (...).
« Proust a aboli le temps. C'est une technique comme une autre.»
Jean-Yves Tadié

«Écrire, pour lui, est un moment de bonheur.»
Jean-Yves Tadié

Que penser de la postérité de son œuvre.
«Se demander ce qui a vieilli chez Proust, c'est comme se demander ce qui a changé dans un tableau de Rubens. (...) Les grandes œuvres sont des grâces qui touchent.»


Le propre de tous les grands romans est de vous transformer. Débat: Jean-Yves Tadié et Antoine Compagnon.
Les deux spécialistes de Proust débattent de son style, de son influence, des méprises qu'il suscite.

«Le grand changement stylistique tient au passage à la première personne»
Antoine Compagnon

Jean-Yves Tadié pense de même.
Il précisait à Colette Fellous que la création romanesque de Proust s'appuie sur deux formes essentielles, le «je» et le «Temps».

Sur le thème du «comique proustien».
A.C.____ Il me semble surtout lié à la langue. (...)
J.-Y.T.__ Chez Proust, le comique est lié à cette distance ironique qui est aussi un phénomène de culture théâtrale.
A.C.____ Jean-Yves évoque le théâtre. Il faut ajouter la conversation. Avec Proust, quand on rit, c'est un art de la conversation, d'un esprit lié à la conversation.
J.-Y.T.__ En effet, il les tire de l'art de la grande conversation française fait pour aboutir à des mots d'esprit, parfois des cruels. Certains qui fusent dans le salon des Guermantes avaient fait le tour de Paris.

Bonne lecture! À bientôt...
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[] (1) Colette Fellous, «Proust, lire et relire». Carnet nomade. France culture, Univers Évasion, émission du 07 mars 2010. Pour lire la présentation, cliquer ici. Pour écouter le Podcast, voici le lien rss, ici. Une émission des plus intéressantes.
[] (2) À la recherche du temps perdu: Dominique Blanc et Micha Lescot revisitent l'œuvre de Proust à la télé, sur premiere.fr, ici. Lire l'article «À la recherche du film perdu», Lire, hors-série no 8, Jérôme Serri, «... Avec Raoul Ruiz, Le temps retrouvé s'inscrit dans la durée, sans sentimentalisme, p.12. Un survol de Proust au cinéma.
[] (3) «A la recherche de... Marcel. Proust», le magazine Lire, hors-série no 8, 98p. Et... une recette de madeleines. Et... au recto, une annonce pour la «La Madeleine au beurre frais.
Note. Vous trouverez sur L'Encyclopédie de L'Agora, des liens pour lire les œuvres de Proust en ligne, et de nombreuses autres références. Un excellent dossier. Cliquer ici.
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