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lundi 15 mars 2010

La Morta - Jean Ferrat. Un hommage / Poèmes - Aragon

La Morta - Jean Ferrat. Un hommage. La Morta, l’infatigable filandière, a coupé le fil de la vie de Jean Ferrat, le 13 mars 2010. L’implacable sœur de Nona et de Decima -qui, toutes deux, tissent la trame de la destinée de chacun-, le guettait depuis un certain temps, voyant ses jours déclinés. Né le 26 décembre 1930, il avait 79 ans. Les trois Parques ont ainsi scellé la destinée de Jean Ferrat.
Les poètes ne meurent pas… ils nous quittent. De même, on peut dire que Jean Ferrat nous a quittés, car son œuvre, fortement marquée par sa personnalité et ses engagements sincères et courageux, nous reste. Une œuvre unique, inoubliable, immortelle! Sur Internet, on a largement couvert la biographie de Jean Ferrat; quant à moi, je m’en tiendrai à sa carrière, et à ses chansons.


Un mot sur la carrière de Jean Ferrat

La carrière de Jean Ferrat a commencé dans les années 1950. Elle s’est poursuivie, avec des hésitations et des ratés jusqu’en 1956, alors qu’il connaît le succès. Jamais, au cours de ses années de galère, il ne s’est découragé. Au contraire, il a décidé, malgré tout, de se consacrer entièrement à sa musique. Donc, en 1956, il met en musique le poème de Louis Aragon «Les yeux d’Elsa». Une musique à la hauteur du magnifique poème. Chantée par André Claveau, la chanson-poème propulse Jean Ferrat dans la lumière; toutefois, sa notoriété est éphémère… Jean Ferrat sortira définitivement de l’ombre en 1959 avec sa chanson «Ma Môme». Alain Gorager, le génial arrangeur musical, a été l’arrangeur des chansons de Jean Ferrat, une collaboration fructueuse.

J’écoute Jean Ferrat depuis belle lurette. J’aime toutes ses chansons, sa voix chaude, ses «r» qui roulent… j’aime tout, dans un bloc. Mais… tout de même, j’ai mes préférences, vous vous en doutez bien: c’est le Jean Ferrat, fou de poésie. Fou d’Aragon. Pour lui rendre hommage, j’ai donc choisi de vous donner à lire trois textes de Louis Aragon que chantent admirablement Jean Ferrat.


Les poèmes d'Aragon, chantés par Jean Ferrat

Les yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Que serais-je sans toi
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines;
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon;
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines;
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines;
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson;
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne;
Qu'il fait jour à midi, qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes;
N'est-ce pas un sanglot que la déconvenue;
Une corde brisée aux doigts du guitariste;
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe;
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues;
Terre, terre, voici ses rades inconnues.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre;
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant;
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre;
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Aimer à en perdre la raison
Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.

Ah, c'est toujours toi que l'on blesse
C'est toujours ton miroir brisé,
Mon pauvre bonheur ma faiblesse
Toi qu'on insulte et qu'on délaisse
Dans toute chair martyrisée.

Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison.

La faim la fatigue et le froid,
Toutes les misères du monde,
C'est par mon amour que j'y crois
En elles je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde.

Aimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur de partir
Poème d'Aragon, chanté par Jean Ferrat

Le 1er décembre 2009, j'ai publié un billet, sur Littéranaute, intitulé «Elsa je t'aime - Aragon - Elsa Triolet. Le Crève-Cœur», qui se terminait ainsi:
Jean Ferrat chante Aragon, de sa voix chaude, juste pour vous... et moi: «Que serais-je sans toi» et «Aimer à en perdre la raison» Le Crève-cœur...

En hommage à Jean Ferrat, je reprends ici la vidéo, et vous invite à relire mon billet, disponible ici.



Je vous souhaite une bonne journée!
Paperblog