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mercredi 3 mars 2010

HHhH - Laurent Binet. Goncourt / Premier roman

Prix Goncourt du premier roman, l’énigmatique titre du roman de Laurent Binet, HHhH est un acronyme inventé par les SS qui signifie en allemand : «le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich» (Himmlers Hirn heisst Heydrich). Pire qu’Himmler… Heinrich Luitpold Himmler (1900-1945), maître absolu de la SS, chef de toutes les polices allemandes, des camps de concentration et d’extermination, de la mise en œuvre de la «Solution finale»: le diable en personne, un meurtrier… absolu. HHhH, pire qu’Himmler… Pour reprendre le mot de Bernard Loupias : «… une ordure». Je dirais même, l’ordure d’une ordure…

Reinhard Tristan Eugen Heydrich. «Patron de la Gestapo, créateur des services secrets et de sécurité (SD), planificateur de la «solution finale», protecteur de Bohème-Moravie, surnommé «le bourreau», «la bête blonde», «l’homme le plus dangereux du IIIe Reich». Heydrich avait droit aussi aux surnoms de "Boucher de Prague", une ville où il sema la terreur à partir de 1941, de "bourreau" ou encore de "L'homme au cœur de fer", un petit nom donné par Hitler lui-même, qui appréciait le physique "aryen" d'Heydrich, sa férocité et sa traque impitoyable des Juifs.»

En attendant que le roman soit disponible ici -plus tard en mars- je vous propose un tour d'horizon qui donnera une bonne idée du roman. À la suite de cette revue de presse, je vous signalerai deux articles passionnants, et éclairants, publiés par la radio tchèque «Radio-Praha». Parlons d'abord du livre.

Le livre HHNH, de Laurent Binet
Le livre raconte l’histoire –qui se déroule entre 1938 et 1942- des deux parachutistes tchécoslovaques, Jozef Gabcik et Jan Kubis, qui ont été envoyés par Londres avec la mission d’assassiner Reinhard Heydrich. Une mission à très haut risque, s’il en est une. «Entraînés en Angleterre et largués au-dessus de la campagne près de Prague en 1942, Gabcik et Kubis ont peu de chance de s'en tirer. "Dès le début, tout va de travers", explique Laurent Binet avec un regard admiratif et tendre à l'égard des deux jeunes héros sacrifiés.» Cependant, Gabsick et Kubis réussissent à abattre HHhH dans sa Mercedes.
«Oui, la mort était bien le métier de ce monstre. Elle fut son salaire»
Bernard Loupias

«Il s’ensuit une folle traque qui se termine dans une église du centre de Prague. Trahis par un membre de leur réseau (Karel Curda -que son nom soit effacé- et j’ajoute, maudit), ils meurent les armes à la main dans la crypte de l’église, après une résistance acharnée de huit heures et avoir mis hors de combat un nombre appréciable de SS, sur les 800 qui les cernaient.» (2)


Un roman est une écriture
Comment raconter une histoire vraie, un fait historique, sans dérailler? Dans son roman, Laurent Binet introduit une réflexion sur le rapport entre la réalité et la fiction. Il a évité de romancer…

L’histoire sans romance…
«…le roman aborde l'histoire de ce terrifiant SS, Reichsprotektor de Bohême-Moravie. […] mais ne la romance pas. C'est peut-être là la plus belle réussite de ce livre: il assume l'existence de l'auteur et son attachement à l'Europe centrale, véritable impulsion de ce travail à mi-chemin entre le roman, l'enquête et l'essai littéraire. Le récit fait des allers-retours entre lui et ses personnages ; on peut même dire qu'il est cet aller-retour, tant le questionnement autour de l'écriture et de l'Histoire y est important. Une belle réussite.»

Bernard Loupias revient sur l’idée de ne pas romancer. Ne pas romancer, «refuser ces faux dialogues censés rendre l'histoire plus vivante. En revanche, jouer cartes sur table. Laurent Binet procède par allers-retours dans le temps et l'espace, entre réflexions personnelles et documents historiques, composant peu à peu un puzzle d'où émergent une image de plus en plus nette de ce qui s'est joué ce jour-là, et quelques visages. D'abord, ceux, inoubliables, de ces parachutistes d'un courage inouï. Et celui, terrifiant, du Reichsprotektor de Bohême-Moravie, le SS Reinhard Heydrich, «l'homme le plus dangereux du IIIe Reich», alias «la bête blonde». Un ange de la mort, un pervers, excellent violoniste, en qui Hitler et Himmler -"petit hamster à lunettes, châtain foncé, moustaches, à l'allure somme toute très peu aryenne" - avaient vu l'incarnation du nazi parfait, et qui organisa avec une efficacité effroyable la "solution finale".

Pour sa part, l’éditeur Grasset abonde dans le même sens :
«… L’auteur a rapporté les faits le plus fidèlement possible mais a dû résister à la tentation de romancer. Comment raconter l’Histoire? Cette question conduit parfois l’auteur à se mettre en scène pour rendre compte de ses conditions d’écriture, de ses recherches, de ses hésitations. La vérité historique se révèle à la fois une obsession névrotique et une quête sans fin.»
Il donne des précisions sur la structure du roman :
«Le récit est structuré comme un entonnoir: des chapitres courts relatent différents épisodes en divers lieux et à diverses époques, qui tous convergent vers Prague où s’est déroulé l’attentat.»

«Laurent Binet, habité pendant des années par l'histoire croisée de ces personnages bien réels et l'énorme documentation qu'il a recueillie, entrecoupe son récit d'interrogations sur les mots qu'il emploie pour restituer ce passé, sa difficulté à "passer" au roman. Rien n'est inventé et pourtant: pourquoi écrire qu'Heydrich est assis plutôt que debout, habillé d'un manteau plutôt que d'un imper, que le ciel est noir plutôt que bleu, les parachutistes crispés ou terrorisés..., s'interroge l'auteur. Il introduit aussi sa vie privée dans le livre, au fil de courts dialogues avec une petite amie ou un copain curieux, témoignant ainsi de l'intrusion du livre dans sa vie quotidienne.» Tv5, AFP

Les faits historiques
La radio tchèque «Radio-Praha» a publié les 6 et 20 mai 2009 deux articles, sous la plume de David Alon, deux chapitres de l'histoire. Le premier s'intitule «Attentat contre Heydrich: la préparation». Une histoire haletant, on a la chair de poule. Comme le dit Laurent Binet «Dès le début, tout va de travers.» Par exemple, le pistolet de Gabcik s'enraye et c'est Kubis qui jette une grenade sur la voiture de Heydrich, et le blesse mortellement. Le quartier n'est pas désert... il y a donc nombre de témoins.

Dans le deuxième article, on voit que des Tchèques font tout ce qu'ils peuvent pour retarder l'accès aux soins pour Heydrich grièvement blessé. Par exemple, le marchand de bonbons dont une sympathisante nazie avait arrêté le camion pour transporter le «Protecteur» vide son amion avec une grande lenteur. À l'hôpital, le médecin tchèque hésite. Le personnel allemand ne tardera à le prendre en charge. Heydrich décède de septicémie quelques jours plus tard. Hitler est furieux!

«Seule la trahison de Karel Curda, l'un des parachutistes, permettra à la Gestapo de localiser la cache du commando, dans la crypte de l'église Saint-Cyrille-et-Méthode à Prague.» Une honte!

À sans-cœur... sans-cœur et demi. Selon un témoignage, la femme de Heydrich est restée de marbre à la nouvelle de la mort de son mari. Elle n'a pas assisté à ses funérailles, y déléguant ses 2 fils, elle était occupée à expédier des vivres pour Berlin.

Jozef Gabcik et Jan Kubis,

Sources:
Paperblog