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dimanche 7 mars 2010

Feux - Marguerite Yourcenar / Journée internationale de la femme - UNESCO

Pour souligner la Journée internationale de la femme, officialisée par l'UNESCO en 1977, chacun et chacune y va de sa contribution. Les uns choisissent de parler de Simone de Beauvoir, d'autres de Gabrielle Roy . D'autres abordent le rôle de la femme et la mère, Élizabeth Badinter, Lucie Joubert dont les journaux font mention [Le Devoir, Frédérique Doyon(1); La Presse, Anablle Nicoud(2)]. Pour ma part, j'ai choisi «mon» écrivaine préférée: Marguerite Yourcenar. Plus précisément, de son livre Feux. Je vous en dit un mot avant de vous en offrir des extraits.


Feux est une suite de textes, en proses lyriques, en presque-poèmes, inspirés par la mythologie et une certaine notion de l'amour. Textes intercalés d’apophtegmes (paroles ayant valeur de maximes), de notes sur la passion amoureuse. Marguerite Yourcenar raconte à merveille l'histoire «modernisée» de Phèdre, Achille, Patrocle, Antigone, Léna, Marie-Madeleine, Phédon, Clytemnestre, Sappho.

«… les proses lyriques de Feux (1936), ce somptueux chef-d’œuvre, d'une résonance unique dans la production de Marguerite Yourcenar. Dans Feux, des mythes antiques modernisés de façon à faire voler en éclats toute notion de temps et de durée illustrent d'incandescentes pensées sur l'amour et la souffrance, son corollaire. "Produit d'une crise passionnelle" (Préface de Feux), âpre, suppliant et révolté, cet ouvrage glorifie finalement "les valeurs de la passion, qu'elles soient de l'intelligence, de l'âme ou de la chair"(Lettre, 4 janvier 1978). Yvon Bernier (3)

«Dans Feux, où je croyais ne faire que glorifier un amour très concret, ou peut-être exorciser celui-ci, écrit l'auteur, l'idolâtrie de l'être aimé s'associe très visiblement à des passions plus abstraites, mais non moins intenses, qui prévalent parfois sur l'obsession sentimentale et charnelle : dans Antigone ou le choix, le choix d'Antigone est la justice; dans Phédon ou le vertige, le vertige est celui de la connaissance; dans Marie-Madeleine ou le salut, le salut est Dieu. Il n'y a pas là sublimation, comme le veut une formule décidément malheureuse et insultante pour la chair elle-même, mais perception obscure que l'amour pour une personne donnée, si poignant, n'est souvent qu'un bel accident passager, moins réel en un sens que des prédispositions et les choix qui l'antidatent et qui lui survivront.»(4)

«Absent, sa figure se dilate au point d'emplir l'univers. Tu passes à l'état fluide qui est celui des fantômes. Présent, elle se condense; tu atteins à la concentration des métaux les plus lourds, de l'iridium, du mercure. Je meurs de ce poids quand il me tombe sur le cœur.»

Rien à craindre. J'ai touché le fond. Je ne puis tomber plus bas que ton cœur.»

«Où me sauver? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu'en toi.»

«J'ai beau changer: mon sort ne change pas. Toute figure peut être inscrite à l'intérieur d'un cercle.»

«Le crime du fou, c'est qu'il se préfère. Cette préférence impie me répugne chez ceux qui tuent et m'épouvantent chez ceux qui aiment.La créature aimée n 'est plus pour ces avares qu'une pièce d'or où crisper les doigts. Ce n'est plus qu'un dieu: c'est à peine une chose. Je me refuse à faire de toi un objet, même quand je serais l'objet Aimé.»

«Brûlé de plus de feux... Bête fatiguée, un fouet de flammes me cingle les reins. J'ai retrouvé le vrai sens des métaphores de poètes. Je m'éveille chaque nuit dans l'incendie de mon propre sang.»

«Et tu t'en vas? Tu t'en vas?... Non, tu ne t'en vas pas: je te garde... Tu me laisses dans les mains ton âme comme un manteau.»

«Il faut aimer un être pour courir le risque d'en souffrir. Il faut t'aimer beaucoup pour rester capable de te souffrir.»

«On dit: fou de joie. On devrait dire: sage de douleur.»

«Tes cheveux, tes mains, ton sourire rappellent de loin quelqu'un que j'adore. Qui donc? Toi-même».

De l'esprit? Dans la douleur? Il y a bien du sel dans les larmes.»

«Cesser d'être aimée, c'est devenir invisible. Tu ne t'aperçois plus que j'ai un corps.»

Vous appréciez, ou apprécierez, sûrement ces magnifiques textes aux noms évocateurs: Phèdre ou le désespoir; Achille ou le Mensonge; Patrocle ou le Destin; Antigone ou le Choix; Léna ou le Secret; Marie-Madeleine ou le Salut; Phédon ou le Vertige; Clymtemnestre ou le Crime; Sappho ou le Suicide. Une liste qui chante comme un poème.


Ces paroles de Marguerite Yourcenar trouvent-elles un écho en vous? Je le parie...
«À travers la fugue ou la désinvolture inséparables dans ce genre d'aveux quasi publics, certains passages de Feux me semblent aujourd'hui contenir des vérités entrevues de bonne heure, mais qu'ensuite toute la vie n'aura pas été de trop pour essayer de retrouver et d'authentifier. Ce bal masqué a été l'une des étapes d'une prise de conscience.»(2)

Bon dimanche!
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Livre. Marguerite Yourcenar, Feux, coll. L'Imaginaire, Gallimard, Poche (livre et cd), 2007, 216 pages.
Le livre dont je me suis servi pour ce blogue.
Marguerite Yourcenar, Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1982. Bibliographie établie par Yvon Bernier. Feux, p.1073 à p. 1167.
[] (1) Frédérique Doyon, En avoir ou pas. Gare aux Diktats actuels qui tendent à ériger la maternité en idéal féminin et social, Le Devoir. Pour lire l'article, cliquer ici.
[] Vous trouverez une présentation du livre de Lucie Joubert, L'envers du landau, sur Littéranaute, et un lien pour en lire un extrait. Veuillez cliquer ici.
[] (2) Anabelle Nicoud, Le paradoxe de la femme-mère, La Presse. Pour lire l'article sur Cyberpresse, cliquer ici.
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(3) Yvon Bernier, Marguerite Yourcenar, itinéraire d'une œuvre. Article lu sur l'Encyclopédie de l'Agora, ici.
[] (4) Extraits tirés de la Préface de Feux, dans Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1982.
[] Note: Les citations sont également tirés de Feux, p.1073 à p. 1167(dans La Pléiade),
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