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dimanche 27 juin 2010

La joie! Trenet- Descartes - Hugo - Baudelaire - Beauchemin - de Benserade - Marion Brun. Poésie

La joie! Ce seul mot nous fait penser à Charles Trenet et, aussitôt, on l'entend chanter d'une voix pleine d'allant et de gaieté.«Y a d'la joie/Bonjour bonjour les hirondelles/Y a d'la joie...» Descartes estime, à juste raison, que «La joie est une agréable émotion de l'âme.» C'est dans cet esprit que je vous donne à lire des poèmes sur la joie. Des classiques: Victor Hugo, Charles Baudelaire, Nérée Beauchemin, Isaac de Benserade, et une nouvelle venue, Marion Brun, sauront vous enchanter en vous entretenant de la joie.


Il faut que le poète
Il faut que le poète, épris d'ombre et d'azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant!
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
Victor Hugo (1802-1885)
Les contemplations


Semper eadem
"D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu"
- Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,

Une douleur très simple et non mystérieuse,
Et, comme votre joie, éclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, ô belle curieuse!
Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!

Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie!
Bouche au rire enfantin! Plus encor que la Vie,
La Mort nous tient souvent par des liens subtils.

Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge,
Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe,
Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils!
Charles Baudelaire (1821-1867)
Les fleurs du mal


La branche d’alisier chantant
Je l'ai tout à fait désapprise
La berceuse au rythme flottant,
Qu'effeuille, par les soirs de brise,
La branche d'alisier chantant.

Du rameau qu'un souffle balance,
La miraculeuse chanson,
Au souvenir de mon enfance,
A communiqué son frisson.

La musique de l'air, sans rime,
Glisse en mon rêve, et, bien souvent,
Je cherche à noter ce qu'exprime
Le chant de la feuille et du vent.

J'attends que la brise reprenne
La note où tremble un doux passé,
Pour que mon cœur, malgré sa peine,
Un jour, une heure en soit bercé.

Nul écho ne me la renvoie,
La berceuse de l'autre jour,
Ni les collines de la joie,
Ni les collines de l'amour.

La branche éolienne est morte;
Et les rythmes mystérieux
Que le vent soupire à ma porte,
Gonflent le cœur, mouillent les yeux.

Le poète en mélancolie
Pleure de n'être plus enfant,
Pour ouïr ta chanson jolie,
Ô branche d'alisier chantant!
Nérée Beauchemin (1850-1931)
Patrie intime
--> Photo à droite. Un alisier (sorte de sorbier) blanc.


Sonnet

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
Duquel on ne saurait estimer la valeur;
S'il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.

Il n'est mal d'estomac, colique ni migraine
Qu'il ne puisse guérir, mais sur tout il a l'heur
Que contre l'accident de la pâle couleur
Il porte avecque soi la drogue souveraine.

Une dame le vit dans ma main, l'autre jour
Qui me dit que c'était un perroquet d'amour,
Et dès lors m'en offrit bon nombre de monnoie

Des autres perroquets il diffère pourtant:
Car eux fuient la cage, et lui, il l'aime tant
Qu'il n'y est jamais mis qu'il n'en pleure de joie.
Isaac de Benserade (1613-1691)
Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
--> Peinture à droite. Dame au perroquet, de Van Veen Otto

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Dans son premier recueil de poésie intitulé «Je cours après la joie», Marion Brun s'interroge sur la joie en ces termes:
«La joie est présumée coupable. Les chefs d'accusation sont: la futilité, la bêtise, voire la cruauté. Il s'agit d'abord d'enquêter. Qui est-elle? D'où vient-elle? Comment opère-t-elle? Pourquoi change-t-elle de visages? Où trouver la joie? Agit-elle seule? Sous la forme d'une parade amoureuse, cette poursuite poétique nous capture dans quelques filets: ceux des mots, ceux d'un jeu de séduction, ceux de la joie elle-même.»

Sa poésie est le fruit des images, odeurs, impressions ramenées de ses lointains voyages et de ses escapades au cœur des Cévennes qui lui sont chères. Les Cévennes, ce coin de pays également cher au cœur de Raymond Depardon, dont j'ai vu et revu le magnifique, et touchant, film «Les temps modernes» -et dont je vous ai parlé ici même sur Littéranaute (billet du 24 septembre 2099).

Voici deux poèmes de Marion Brun

Parfois, le foisonnement des douze coups
N’est plus seulement l’annonce du plus clair du jour.
Une panique craquelle la terre.
Dans un bruit sourd, un gouffre s’ouvre.

En risquant de s’y pencher, il n’y a plus rien:
Ni les balanciers qui sonneront bientôt la bonne heure,
Ni les nostalgiques ombres qui embellissent les
lumières des néons.
Les apaisantes pâleurs de la matinée sont passées dans
l’obscurité.

Puis, l’instant d’après, midi sonne,
Des phares s’allument,
Des fantômes blafards exultent,
Les arbres sur les mines font comme des pantomimes
dansantes,

Beauté arrachée qui sourit sous son fard riant.
Et les rires ferment les affres,
Les profondeurs véritables, les réelles failles.
Marion Brun

Midi, tu es la lente et longue amertume du réveil où les
mouches suffoquent
La fin de la badinerie sucrée, du tumulte pailleté, des
draps trempés,
Tu es l’heure qui éloigne les sueurs du matin et les
rires qui éclatent pour brise.
Tu es l’après, la fuite loin de la nuit vers l’infini.



Midi, tu es alors la preuve mûre des joies profondes
Quand tu t’assois entre les colonnes d’un cloître
Et qu’en un instant toutes les paix se concluent.
Quand l’explosion de la victoire barbare
Devient l’acquiescement d’un ciel païen.
Marion Brun

Je vous souhaite un beau, et joyeux, dimanche!
Mieux encore, «la joie intérieure, une joie si profonde que rien ne saurait l'altérer»
(Bernanos)

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Marion Brun, Je cours après la joie. Poésie. L'Harmattan, 2008, 34 pages. Les deux extraits ont été tirés de Google Livres. Vous pouvez en lire deux autres en cliquant ici.
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