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lundi 15 février 2010

Critique -Rapport de police - Marie Darrieusseuq / Amalgames - Approximations - Erreurs - Manipulation

La critique de l'essai Rapport de police, de Marie Darrieusseq, fait suite à l'analyse du texte axée sur 3 thèmes: la plagiomnie, le sampling, et le salmigondis de l'auteur. La critique mettra en évidence les amalgames, les approximations, les erreurs, les manipulations. Les cas de Celan, de Danilo Kiss, de Mandelstam, sont biaisés... preuve à l'appui. Ceci n'est pas un essai..., c'est un pamphlet, qui tire dans tous les sens, et dont le sens est élastique. C'est le moins que l'on puisse...

Dégageons des problèmes de fond

[] La position sur le sampling... est une limite majeure du texte. On ne peut à la fois se défendre contre un accusation de plagiat ―à modérer― et endosser le plagiat (sous le vocable de sampling) comme une vision de l'avenir. De deux choses l'une! Les passages sur ce sujet sont d'une telle ambiguïté... qu'ils donnent à penser que l'auteure est assise entre 2 chaises. Il y aurait d'autres exemples, mais passons. [Voir mon billet du 12 février 2010, ici]

[] Même les critiques positives le soulignent... l'amalgame» douteux.
«... la liste est longue de ceux qui connurent un jour (ou une grande partie de leur vie, dans le cas de Celan) les affres engendrées par ce soupçon. Se trouvant "en très bonne compagnie", la romancière analyse avec beaucoup de minutie les cas des uns et des autres, quitte à pratiquer une forme d'amalgame assez gênante, quand elle observe la manière dont le plagiat peut servir d'arme à ceux qui veulent abattre les créateurs, dans le contexte d'une dictature. Le fait de suggérer, même implicitement, que, dans d'autres contextes, l'accusation pourrait avoir des conséquences aussi dramatiques que la prison ou la mort est un acte grave.»(1)
[] Il ne faut pas s'étonner que Florent Georgesco -qui avait pris parti pour Camille Laurens, et descendu en flammes Marie Darrieussecq- relève des amalgames, et «des approximations qui tournent parfois en erreurs grossières» «une juxtaposition hasardeuse d'éléments hétéroclites».(2) À la lecture du «bouquet» qui suit, vous verrez qu'il a raison...

Fin 2009, Marie Darrieussecq envoie un exemplaire dédicacé de son livre »Rapport de police» à Alexandre Prstojevic, universitaire et chercheur réputé. Par la suite, celui-ci a fait parvenir une copie de sa réponse à Marie Darrieusseq à Florent Georgesco qui la reproduit avec permission, c'est là que je l'ai trouvé le texte. Ici, j'en cite des extraits:
[] Alexandre Prstojevic écrit «...l’auteur de «Truismes» consacre un chapitre entier à Danilo Kis, notamment à l’accusation de plagiat dont il a été l’objet à la sortie de son livre «Un tombeau pour Boris Davidovitch»(1976). Elle se réfère peut-être à mon travail dans une note de bas de page, me suis-je dit. Était-il bien raisonnable de m’envoyer un exemplaire pour si peu de chose? Quelle ne fut ma surprise lorsque j’ai constaté que pas loin d’un quart de chapitre porte en réalité sur mon propre travail. Plus encore, la lecture du livre (320 pages, tout de même) m’apprend que je suis le seul universitaire à avoir bénéficié d’une telle attention.
Les lignes qui suivent sont un accusé de réception: une réponse à Marie Darrieussecq et à sa façon de présenter aux lecteurs de «Rapport de police» l’article auquel elle fait référence.

[] Dans «vox poetica» «Un certain goût de l’archive», je le rappelle pour mémoire, je «revisite» l’affaire d’Un tombeau et montre que l’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être, que la poétique de Kis, nourrie de l’idéal encyclopédique, a pour but de dévoiler la vérité historique sur le Goulag et sur les méfaits du communisme, à travers, entre autres techniques, l’analyse littéraire des documents laissés par l’époque.
Cette «bonne lecture» la pousse à me confondrepar allusions et clins d’œilavec la meute qui a attaqué Danilo Kis en 1976 en dépit du fait que mon article se conclut par les lignes suivantes:
[] On comprend donc pourquoi l’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être: la poétique de Kis est une poétique de la métamorphose, de la différence et du décalage. Elle repose autant sur l’idéal encyclopédique du savoir total que sur celui du fantastique de la bibliothèque. Son but est de dévoiler les points faibles d’un témoignage écrit, de démontrer sa faillibilité, de trouver dans ses interstices de silence les secrets qu’on a essayé d’y cacher.
[] «L’accusation de plagiat n’a pas lieu d’être», écrivais-je il y a dix ans. Mais cette affirmation s’est transformée, sous la plume de Marie Darrieussecq, en quelque chose de douteux, de dangereux, de «pas très clair», en une accusation voilée de Danilo Kis.
«Rapport de police» est le plaidoyer d’un écrivain deux fois accusé de plagiat. Après l’avoir lu, on est forcé de reconnaître que les accusations portées contre Marie Darrieussecq sont sans fondement: pour plagier quelqu’un, il faut d’abord être capable de comprendre ce qu’on lit.»(3)

Comment expliquer l'interprétation fautive -les sous-entendus- de Marie Darrieusseq? Elle cite Alexandre Prstojevic, mais omet ce qui suit: «Les exemples de similitudes constatées entre le texte de Kis et celui de Réau "n’accréditent pas la thèse de plagiat", "ces emprunts peuvent être considérés comme légitimes", voilà ce que Marie Darrieussecq retranche de mon texte. La déontologie élémentaire exige que les passages qu’on choisit de citer soient conformes à l’esprit du texte qui les contient. User du ciseau de façon à laisser croire que l’auteur cité dit autre chose que ce qu’il a réellement dit, cela s’appelle de la manipulation(3)
L'auteure formule même des accusations grossières non fondées à l'encontre de Alexandre Prstojevic.

Il faut absolument lire l'article de Alexandre Prstojevic, «Pourquoi lire, pourquoi comparer. Réponse à Marie Darrieusseq», pour en comprendre les travers, il y en a d'autres: http://www.vox-poetica.com/t/darrieussecq/reponse1.html
D'autres critiques éclairées s'ajoutent à ce lourd contentieux.

Géraldine Arlon
écrit:
[] «... Alors, ce Rapport de police? Dans des va-et-vient constants entre psychanalyse, histoire du communisme et analyse littéraire, Marie Darrieussecq met sur le même plan le bouillonnement d'idées qui a accompagné la naissance de la psychanalyse autour de la figure pivot de Freud, la blessure narcissique de la veuve d'un poète qui fut proche de Celan, […]
On a mal pour elle à la voir s'enferrer dans les amalgames et les approximations. D'où tire-t-elle sa science et ses certitudes? Est-elle une spécialiste de la poésie allemande? Pour juger de l'éventuel plagiat de Goll par Celan, elle ne cite que des traductions. […] On a tout aussi mal de voir la psychanalyste (car elle se présente comme telle) se moquer (oui, se moquer) des personnalités délirantes qu'elle diagnostique sauvagement. La critique littéraire et la psychanalyse sont passablement malmenées, et le lecteur est mis à rude épreuve. […] Juste un petit commentaire de ma part : je n'ai pas lu ce livre. Je n'en ai pas du tout envie. Je ne soutiens aucunement ce genre de texte : règlement de compte ou pas, cela m'agace. Merci à Emma de l'avoir lu pour moi.» (4)

Le cas de Ossip Emilievitch Mandelstam est largement connu. Le poète a été arrêté, une première fois, en 1934 à cause de l'épigramme «Le Montagnard du Kremlin» -«Et chaque massacre réjouit / L'Ogre Ossète...». L'Ogre l'exila. En 1938, il fut arrêté pour activités contre-révolutionnaires, et condamné à 5 ans de travaux forcés. Sa femme, Nadejda Mandelstam, a d'ailleurs publié ses propres mémoires «Espoir contre Espoir» (1970) et «Fin de l'espoir» (1974), qui décrivent leur vie et l'ère stalinienne.
Le cas Madelstam: Pierre Assouline en parle dans un article,«L'épigramme que Staline fit payer à Mandelstam»(5) dans lequel il fait référence au roman de Robert Littell(6); BiblioMonde en fait état dans un court texte, Wikipédia en traite et caetera, etc. Personne ne relie l'accusation de plagiat dont il fut victime et à laquelle il répondit dans un texte virulent à son arrestation... Per-son-ne, sauf Marie Darrieusseq! Comment expliquer une si grossière erreur? Eureka! Lisez bien ce qui suit:

En parlant des cas de plagiat rapportés dans l'essai, Vincent Jolit écrit:
[] «... Tout est très résumé, très simplifié. L’utilisation de ces auteurs n’est aucunement convaincante et ne réussit qu’à souligner combien la colère de Darrieussecq, tout à fait légitime, la pousse à une exagération qui la dessert.
Point de concentration de l’irrecevabilité d’une telle manœuvre, l’évocation du cas Ossip Mandelstam entraîne l’auteur de "Tom est mort" dans les méandres du régime stalinien, époque ô combien douloureuse mais rarement évoquée dans le but de laver quiconque du soupçon de plagiat.
Darrieussecq précise qu’elle ne cherche pas à se comparer aux écrivains mentionnés, mais que si l’accusation de plagiat dont elle fut victime en 2007 lui avait été assénée en U.R.S.S. dans les années 1930, il lui serait arrivé le même sort que Mandelstam. Hypothèse qui en aucun cas ne peut faire office d’argument, d’autant que pour ce qui est de Mandelstam, réduire son envoi au goulag à la conséquence des attaques de plagiat dont il fut victime est une décontextualisation surprenante, pour ne pas dire choquante.
Darrieussecq met en avant l’idée que le combat que mena Mandelstam pour dénoncer la plagiomnie le fit entrer dans un engrenage qui scella son destin, interprétation tragique (littéraire);qui ignore la complexité des éléments historiques (et politiques). "Il eut, comme Celan, à subir l’infamante accusation de plagiat. La bataille dura de 1928 à 1931." Cette bataille est très bien racontée, avec beaucoup de notes pour faire sérieux et valider le propos. Le chapitre s’achève par ces lignes: "Neuf ans après, un autre écrivain, Piotr Pavlenko, envoie à la police une dénonciation écrite qui conduit Mandelstam au goulag."
Ainsi les écrivains sont impitoyables entre eux. Mais le plagiat fut-il à l’origine de cette seconde accusation ? Elle ne le dit pas. Car de 1928 à 1937, il se passa beaucoup de choses dans la vie de Mandelstam. Il y eut surtout, en 1933, la composition du Montagnard du Kremlin; poème assez peu social réaliste attaquant directement Staline: "On entend seulement le montagnard du Kremlin,/ Le bourreau et l’assassin de moujiks." C’est à cause de ce poème-là qu’il fut arrêté et exilé à Tcherdyne, puis à Voronej jusqu’en 1937(4).
Penser que l’écriture de ce poème soit une conséquence des accusations dont fut victime Mandelstam est un point de vue équivoque, pour ne pas dire hasardeux. Peut-être est-ce pour cette raison que Darrieussecq ne le mentionne pas, laissant le lecteur avec l’impression que le plagiat est plus fort que Staline(5). Un tel tri des faits laisse songeur. (....)» (7)
[]Notes reliées à l'extrait: (4)À nouveau arrêté, suite à une dénonciation (Piotr Pavlenko?) pour "activités contre-révolutionnaires" en mai 1938, Mandelstam est condamné à cinq ans de travaux forcés. (5)Plus tard dans le livre, elle revient sur cette affaire avec plus de précisions, mais continue à minimiser les poèmes dévastateurs adressés à Staline, préférant souligner les conséquences de l’accusation de plagiat.

Ambiguïtés, qui sauvent la mise; amalgames, approximations, erreurs grossières, masqués par les salmigondis; manipulation; critique littéraire et psychanalyse malmenées; décontextualisation; point de vue équivoque...

Je vous le dis, je suis complément sonnée, sidérée. Comment se fait-il que tant de critiques, tant de journalistes se soient laissés berner. Ils font confiance... aveuglément? Comment ont-ils pu avaler de telles couleuvres? Beaucoup d'entrevues avec Marie Darrieusseq, reprises tant et plus; mais peu de critiques de l'essai. Triste constatation.

L'essai de Marie Darrieusseq est un livre biaisé, mal foutu. Florent Georgesco estime que c'est un livre médiocre. Il est bien généreux! C'est un livre nul, nul, nul... qui sèmera, à tout vent, plein d'erreurs. Au fait l'éditeur sait-il lire? Il ne l'a pas lu, quoi?

Enfin, une seule conclusion s'impose: on devrait éviter «Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance», de Marie Darrieusseq. Ce livre n'en vaut pas la peine.
En d'autres mots: Sauve qui peut!

Bon lundi! Bonne semaine!
___
«Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance». Marie Darrieussecq, Éditions POL, 2010, 324 pages
* C'est moi qui souligne.
[]
(1) Raphaëlle Rérolle, «"Rapport de police", de Marie Darrieussecq : Marie Darrieussecq publie un essai pour défendre son "honneur d'écrivain"», sur Le Monde. L'article est ici.
[] (2) Florent Georgesco, «Notes de lecteur/La rentrée de janvier. Marie Darrieussecq, Rapport de police». Il vaut la peine de lire cet article incendiaire qui cite nombre de phrases tirées de l'essai. L'article est ici.
[] (3)Alexandre Prstojevic, «Pourquoi lire, pourquoi comparer. Réponse à Marie Darrieusseq». L'article est ici.
[] (4) Géraldine Arlon, «Rapport de police, Marie Darrieusseq, L'article est ici.
[] (5) Pierre Assouline, «L'épigramme que Staline fit payer à Mandelstam». L'article est ici.
[] (6) Robert Lintell, «L'hirondelle avant l'orage», éditions Baker Street, 2009. Un roman sur le parcours de Mandelstam.
[] (7) Vincent Jolit, «Marie Darrieusseq. Rapport de police». L'article est ici.
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