Gerald Martin, un universitaire britannique, publie une biographie de Gabriel Garcia Marquez, sobrement intitulée «Une vie». Ce n'est pas un hommage, comme le dit l'éditeur (Grasset), ni une hagiographie ou un rapport de police, comme l'écrit André Clavel(1). Rassurant! Le biographe relie la vie et l'œuvre de Marquez, indissociables l'une de l'autre. Il nous donne ainsi une clef pour comprendre son œuvre, et situer chaque étape de son parcours. Et ce, sous un regard critique, et juste, sans complaisance. C'est là que réside la particularité du livre de Gerald Martin.
Le biographe passe en revue l'enfance de «Gabito»; son adolescence; ses débuts -extrêmement difficiles- en littérature; les évènements de sa vie (dignes de mention). Loin d'escamoter des moments peu glorieux... ses prises de position contestables; ses jugements à l'emporte-pièce; ses accointances... il les aborde avec rigueur. À certains moments, on est -et on a été- malheureux pour lui de le voir se prononcer sur toutes les tribunes, sur (presque) tous les sujets; on n'est -et on a été- malheureux de le voir se brûler les ailes. On a espéré, tout ce temps, qu'il finisse par se taire et... écrire. C'est là qui est «sa vie», dans ses livres.
«Il n'y a pas une seule ligne de mes livres que je ne puisse relier
à une expérience réelle et au monde concret»
Gabriel Garcia Marquez
Gabriel Garcia Marquez
Un amour de grand-père... Nicolas Marquez, bon conteur, plein de fantaisie qui apprendra à Gabito le monde de rêves. Une grand-mère, Tranquilina Iguaran, superstitieuse qui dialogue avec l'invisible et les morts. Les grands-parents maternels qui l'ont élevé ont nourri l'imagination de Gabriel Garcia Marquez; ils ont ouvert son esprit à une autre vision du monde. Il avouera, un jour, qu'il est superstitieux et interprète ses rêves.
«Cent ans de solitude» fait justement surgir au grand jour ses mondes souterrains. Légendes, mythes, superstitions dévoilent, dans une écriture flamboyante, l'âme, si j'ose dire, de l'Amérique du Sud. Un chef d'œuvre!
Ce livre lui apporte la notoriété et la fortune. Il croule sous les hommages et les honneurs.«... le vrai Gabriel Garcia Marquez disparut à jamais sous le poids de la célébrité.»
Gerald Martin
Puis Gabo se reprendra, et retournera à la solitude de l'écriture. Il publiera, entre autres, le livre tendre et poétique, «L'amour au temps du choléra». Une histoire d'amour touchante que l'écriture de Gabriel Garcia Marquez rehausse par la richesse de son imagination et son talent de conteur, puisant aux sources de ses racines caraïbéennes.
En 1982, Gabriel Garcia Marquez est le lauréat du Prix Nobel de littérature. Malheureusement, un cancer le guette... et l'envahit.
Depuis quelques années, il est un homme épuisé, perdant la mémoire. Il avait écrit un premier tome de ses mémoires, projetant de les compléter par 2 tomes, mais la maladie en a décidé autrement...
Depuis quelques années, il est un homme épuisé, perdant la mémoire. Il avait écrit un premier tome de ses mémoires, projetant de les compléter par 2 tomes, mais la maladie en a décidé autrement...
Aujourd'hui, Gerald Martin nous offre une biographie de Gabriel Garcia Marquez, fruit de 17 ans d'un travail marqué par la constance et la persévérance. Un livre abouti, fruit d'une longue maturation. L'auteur a rencontré Gabriel Garcia Marquez, il a interrogé son entourage, ses amis, ses «ennemis»; il a vérifié et contre-vérifié les informations recueillies, il a épluché les archives; il a plongé aux racines de l'œuvre. Un travail de moine qui ne se laisse pas deviner sous l'écriture fluide. Le texte est découpé par ordre chronologique.
Extraits
La biographie commence ainsi:«Cinq cents ans après l'arrivée des Européens, l'Amérique latine semble souvent décevoir ses habitants. C'est un peu comme si sa destinée avait été fixée par Christophe Colomb, le "grand capitaine" qui découvrit par erreur le nouveau continent, le baptisa à tort "les Indes", puis mourut, amer et désabusé, au début du XVIe siècle ; ou bien par le "grand libérateur" Simón Bolívar, qui mit un terme à la domination coloniale espagnole au début du XIXe siècle, mais finit ses jours consterné par la désunion de la région qui venait d'être affranchie de ce joug et par la constatation que " celui qui sert la révolution laboure la mer". Plus récemment, le sort d'Ernesto "Che" Guevara, l'icône révolutionnaire la plus romantique du XXe siècle, mort en martyr en Bolivie en 1967, ne fit que confirmer l'idée que l'Amérique latine, continent encore inconnu et toujours terre d'avenir, abrite des rêves grandioses et des échecs lamentables.
[...]L'enfant, un beau bébé de 4,2 kilos, dit-on, naquit avec le cordon ombilical enroulé autour du cou - ce à quoi il attribuerait par la suite sa tendance à la claustrophobie. Sa grand-tante, Francisca Cimodosea Mejía, proposa de le frotter de rhum et de le bénir avec de l'eau baptismale, en cas de souci ultérieur. Le petit garçon ne serait néanmoins officiellement baptisé qu'à trois ans passés, en même temps que sa sœur Margot, confiée elle aussi à ses grands-parents à l'époque. (Gabito se souviendrait très bien de son baptême, qui fut célébré par le père Francisco Angarita dans l'église San José d'Aracataca le 27 juillet 1930. Le parrain et la marraine étaient les deux témoins au mariage de ses parents, son oncle Juan de Dios et sa grand-tante Francisca Cimodosea.)
Le colonel Márquez fêta cette naissance. Sa fille chérie avait déçu ses espoirs, mais il décida qu'il avait perdu une bataille, pas la guerre. La vie continuerait et il investirait désormais toute son énergie, encore considérable, dans le premier-né de Luisa, son petit-fils, son " petit Napoléon ".»
[Première partie. La patrie: la Colombie. 1899-1955. Chapitre 1 - Colonels et causes perdus. 1899-1927](2)Gerald Martin nous donne des clefs pour comprendre Gabriel Garcia Marquez, l'un des grands écrivains du XXe siècle, et pour saisir la portée de son œuvre complexe et la culture sud-américaine. Il n'impose pas son point de vue, il nous sert de guide. Il revient à chacun de tirer ses propres conclusions.
Sa biographie est, à n'en pas douter, un ouvrage de référence incontournable!Bonne journée! Oubliez la grisaille des jours, lisez...
__Le livre. Gabriel Garcia Marquez. Une vie. Grasset, 2009, 688 pages.
[] (1) André Clavel, Gabriel Garcia Marquez. Une vie. Gerald Martin, Tv5.org. Pour lire l'article, cliquer ici.
[] (2) Pour lire le chapitre au complet, cliquer ici.
[] Note. Pour écouter la critique du livre de Jean Fugère, sur la zone radio de la SRC, cliquer ici.