}

dimanche 10 janvier 2010

Bruno Roy. Ce qu'il faut pour dire - Brûlés par la nuit - Tellurique d'amour - Peuple d'occasion - La Langue / Poésie

Bruno Roy, essayiste, romancier,parolier, homme généreux et engagé, est aussi... poète. Pardon, il était... Pardon, il était aussi poète: il est décédé au début de janvier 2010. La Morta -déesse implacable-, qui coupe le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel, a coupé le sien le jour des Rois. L'enfant abandonné, anonyme, s'est fait un nom, s'est tissé une existence sur la base du nom, vide de sens et dénué d'attache, qu'on lui a donné: Bruno Damase Roy. Une double naissance: naître comme un OVNI, puis naître à soi. L'orphelin de Duplessis, devenu père et grand-père, «aura rendu au centuple à sa société», écrit Chantal Guay, sur Cyberpresse. De nombreux, et émouvants, témoignages ont afflué dans les journaux et sur Internet. Le plus émouvant est celui de Stanley Péan... Dans son carnet, il écrit:

«J’ai le cœur qui bat trop vite, trop fort. Il va pourtant falloir encaisser, retrouver la maîtrise de moi-même et de mes émotions et, la tête froide, trouver les mots justes pour exprimer ce que la littérature d’ici, ce que les gens d’ici ont perdu. D’ici à ce que je puisse les formuler ces mots qui donneraient la pleine mesure de l’homme, de son œuvre, de son legs, je ne tromperai ni mon chagrin ni ma douleur, j’observerai un silence solennel et ressasserai les mots de ce poème que Bruno avait offert à son amie Chloé Sainte-Marie et qu’elle avait enregistré sur son album «Je marche à toi»:

Ce qu'il faut dire
«Je suis folle à la mesure de l’instant
Je chavire, je délire, je dérive
Je vole en éclats de soleil
J’habite une joie très abîmée de douleur
Je n’ai que mes troubles pour vous tendre la main
Je n’ai que ma brûlure pour marcher avec vous
Je n’ai que les ruines de la mort pour devenir vie

Je n’ai que moi-même pour tout dire
L’ombre à mon cou, je n’ai pas peur
Non, je ne me retournerai pas
J’irai chercher dans tes mains ce courage qui t’a fait
Oui, j’irai par un jour de lumière apprendre à mourir
Pour me rapprocher de moi
Pour me rapprocher de toi
Pour dire ce qu’il faut dire»
[Paroles de Bruno Roy]

Oui, j’irai par un jour de lumière apprendre à mourir / Pour me rapprocher de moi... Des vers magnifiques!

Bruno Roy, le poète
De l'œuvre abondante de cet écrivain aux multiples talents, je retiens quelques ouvrages de poésie. Je vous invite donc à me suivre sur le chemin de sa poésie.

Brûlés par la nuit, 2008.
Bruno Roy montre la ville comme «une embûche du corps». Il décrit la vie urbaine, par le biais de ses écorchés de la vie qui, «collés à la brique confuse» braquent leurs émotions dans «les ruelles mauves de l’enfance», tous ces regards blessés qui hantent le décor montréalais où:

«dans le grand fouillis des ombres
traînent des morceaux de pain noir
des boîtes jaunes de solitude
et des maillots de revues mouillées»

Le poète invite le lecteur à cette lente traversée de la nuit citadine, en dressant au passage un portrait à la fois sombre et touchant de Montréal au fil des rencontres et des drames qui laissent leur marque comme une empreinte indélébile sur la ville. Ainsi l’auteur parvient à faire un lien étroit entre les personnages qui l’habitent et...
«Montréal érigée en glaciers /-- ravalant au centre sa chaleur -- /s’épuise sous la nuit /à quérir la lumière.

Tellurique d'amour, 2006
[] «pour inventer la beauté
chacun de nous clame sa fleur
ou son poème
qui transporte l’autre dans l’éternité»

[] «dans ce monde sans certitude
je te veux pour l’éternité

je veux quitter ce rond-point du cœur
au carrefour improvisé

je ne sais plus si la vie existe
bien avant que ne commence l’ivresse
mais alors le monde
commence-t-il avec mes sens?»
[] «dans l'éclat intime
- spectacle foudroyant -
le voyage dévaste les lieux

il passe pour une caresse
tel un emportement»


Peuple d'occasion,1992

Pueblo de ocasion / Peuple d'occasion, 2009

Avec ce recueil, Bruno Roy entame sa quête d'identité en poésie en 1992.
[] «j’ai mon franc désir
au bout de ma parole
ma langue renonce à sa défaite
sur la terre comme au ciel»





Le détail de la langue, 2002
Après Peuple d'occasion, Bruno Roy poursuit sa quête d'identité en poésie. Âmes partagées, une suite poétique qui a mérité le prix Félix-Antoine-Savard de poésie en 1999, ouvre le recueil. La réflexion du poète s’articule aussitôt autour de l’affirmation suivante :
[] «oui le pays est tout entier dans le détail de la langue au lever de ses accents j’arrive de partout ».

Puis, à partir de cette parole identitaire, le poète s’intéresse à «l’ailleurs»: la France contemporaine «Paris dont nous serons humains»; «la naissance» dans l’histoire, «Les luttes du fleuve»; de nos jours «J’entends naître».

Et naître, c’est d’abord dire, assure le poète.

[] «grésillements d'accents
sur le disque de l'île
Montréal est un phonographe métissée
qui chante l'invariant de l'oreille
elle trouve sa parole
là où descendent ses rythmes
au fond de l'initial de l'humain»

* * *
Pour connaître et comprendre la démarche d'écriture de Bruno Roy, un livre me semble essentiel. Il fait partie de la collection «Écrire» aux Éditions Trois-Pistoles. Dans ce livre, il raconte pourquoi et comment il écrit. On y trouve avec une page manuscrite et un dessin réalisé de sa main.

Écrire. Consigner ma naissance.
«Sur la glace de son destin, depuis qu'il écrit, Bruno Roy a déjoué son anonymat.
Écrire le consigne.
Nécessairement engagé, il ne veut jamais trahir sa phrase.
Il pense l'acte d'écrire à partir de sa réalité.
Il n'y a pas d'œuvre universelle s'il n'y a pas d'abord un univers intérieur.»


J'espère que vous avez apprécié ce survol des œuvres poétiques de Bruno Roy et qu'il vous incitera à lire ses poèmes empreints de chaleur humaine, de profondeur, et d'émotions généreuses.
Bon, et beau, dimanche!
___
Les recueils de poèmes de Bruno Roy sont publiés aux «Écrits des Forges», une compagnie à but non lucratif. Sur son site, vous trouverez plus de 1000 titres de poésie.
Paperblog