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vendredi 15 janvier 2010

Tremblement de terre- Haïti / Lisbonne 1755 - Poème de Voltaire

On ne saurait passer sous silence l'effroyable tremblement de terre qui vient de frapper Haïti, pays pauvre parmi les pauvres. frappé de tant de cattastrophes Je cherchais les mots pour le dire... C'est alors que le nombre de 50 000 morts m'a ramené en mémoire «Poème sur le désastre de Lisbonne» de Voltaire, en 1756. Ce poème s'élève somme un chant de compassion envers les victimes et un cri d'indignation contre les imbécillités proférées au nom de Dieu. La lecture de certains textes sur des sites Internet «religieux» m'a fait dresser les cheveux sur la tête, et me permet de dire que le texte de Voltaire est bien actuel. Il n'y a pas si loin, dans certaines mentalités, de 1755 à 2010... Tout d'abord, un mot sur le tremblement de Lisbonne.

Lisbonne, 1er novembr
e 1755.
Un violent tremblement de terre –magnitude estimée entre 8,5 à 8,7 à l’échelle de Richter-, suivi d’un tsunami et d’incendies dévasta la ville de Lisbonne, et fit de 50 000 à 100 000 victimes. L’onde de choc se fit sentir très loin de l’épicentre, en Europe, en Finlande, en Afrique… Survenu le matin de la fête catholique de La Toussaint, engloutissant ceux qui priaient dans les églises, il détruisit, entre autres, nombre d’édifices religieux: la cathédrale de Santa Maria, basiliques, églises, couvents, faisant nombre de victimes, l’Hôpital Royal de Tous les Saints dont les patients périrent dans les flammes.

La violence du tremblement de terre ébranla le Portugal, très catholique, la pieuse Lisbonne et ses fervents croyants, et la mission de colonisation et d’évangélisation des Portugais.

Ce tremblement de terre provoqua un véritable tsunami intellectuel. Les croyants, les théologiens et les philosophes furent accolés au pied du mur. Qu’est-ce qui pouvait expliquer un tel déchaînement de la colère de Dieu? La punition des péchés… il s’en est trouvé pour dire pareille sottise. La question du mal sur la terre se posa… On cherchait à comprendre la cause profonde d’une si effroyable catastrophe qui heurtait les esprits, les croyances, qui déchiraient les cœurs.

«Poème sur le désastre de Lisbonne» de Voltaire, 1756
[extraits]
O malheureux mortels!ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D’inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: «Tout est bien»;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours!

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: «C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix?»
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
«Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes?»
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices:
Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Croyez-moi, quand la terre entr’ouvre ses abîmes,

Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.
Partout environnés des cruautés du sort,
Des fureurs des méchants, des pièges de la mort,
De tous les éléments éprouvant les atteintes,
Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes.
[...]

Platon dit qu’autrefois l’homme avait eu des ailes,
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles;
La douleur, le trépas, n’approchaient point de lui.
De cet état brillant qu’il diffère aujourd’hui!
Il rampe, il souffre, il meurt; tout ce qui naît expire;
De la destruction la nature est l’empire.
Un faible composé de nerfs et d’ossements
Ne peut être insensible au choc des éléments;
Ce mélange de sang, de liqueurs, et de poudre,
Puisqu’il fut assemblé, fut fait pour se dissoudre;
Et le sentiment prompt de ces nerfs délicats
Fut soumis aux douleurs, ministres du trépas:
C’est là ce que m’apprend la voix de la nature.
J’abandonne Platon, je rejette Épicure.

Bayle en sait plus qu’eux tous; je vais le consulter:
La balance à la main, Bayle enseigne à douter
Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits, et se combat lui-même:
Semblable à cet aveugle en butte aux Philistins,
Qui tomba sous les murs abattus par ses mains.
Que peut donc de l’esprit la plus vaste étendue?
Rien: le livre du sort se ferme à notre vue.
L’homme, étranger à soi, de l’homme est ignoré.
Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d’où suis-je tiré?
Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit, et dont le sort se joue.
Mais atomes pensants, atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux;

Au sein de l’infini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître.
Ce monde, ce théâtre et d’orgueil et d’erreur,
Est plein d’infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être:
Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître
Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs;
Mais le plaisir s’envole, et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre.
Le passé n’est pour nous qu’un triste souvenir;
Le présent est affreux, s’il n’est point d’avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l’être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion.
[...]

Un calife autrefois, à son heure dernière,
Au Dieu qu’il adorait dit pour toute prière:
«Je t’apporte, ô seul roi, seul être illimité,
Tout ce que tu n’as pas dans ton immensité,
Les défauts, les regrets, les maux, et l’ignorance.
Mais il pouvait encore ajouter l’espérance.

Mes meilleures pensées de consolation, et d'espérance, accompagnent l'écrivain Dany Laferrière frappé par cette tragédie.

En terminant, je vous conseille 2 lectures:
[] L'article de Pierre Foglia, paru sur Cyberpresse, «Pays sans chapeau». Pour le lire, cliquer ici.
[] Une revue de presse, «Haïti, l'île maudite: la presse unanime revient sur le tremblement de terre». Veuillez cliquer ici.
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