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dimanche 31 janvier 2010

L'hiver. Vigneault - Mallarmé - Dumont - Miron / Verne - Gogol - Richepin - Constant

«Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver», chante Gilles Vigneault. Personne ne dit mieux l'hiver qu'un poète, il le dit en des mots qui nous charment et nous enchantent, les pieds bien au chaud... Avec Stéphane Mallarmé, c'est «l'hiver lucide...»; Fernand Dumont, «Vient le temps...»; Gaston Miron, «Les siècles de l'hiver...». Dans un autre volet, «Michel Strogoff» de Jules Verne nous lancera une œillade, qui nous rappellera «Le manteau» de Gogol; Jean Richepin penchera du côté de Gogol, dans «La Chanson des gueux» et «Adolphe» de Benjamin Constant échappera un soupir, un de plus.

Stéphane Mallarmé, L'hiver lucide
Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau
Et triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane

Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève...
― Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
[Poésies. Renouveau, 1866]


Fernand Dumont, Vient le temps
Vient le temps où la brise n’a plus de secret
Où le givre a perdu sa douceur
Où la parole a tour ravi l’hiver

Alors l’homme grave se résume
Parvient au dernier labeur
Met à l’abri quelques rêves encore
Et livre les autres aux patients abatis.
[La part de l’ombre, Veiller encore, 1995]


Gaston Miron, Les siècles de l’hiver
Le gris, l’agacé, le brun, le farouche
Tu craques dans la beauté fantôme du froid
Dans les marées de bouleaux, les confréries
d’épinettes, de sapins et autres compères
parmi les rocs occultes et parmi l’hostilité

pays chauve d’ancêtres, pays
tu déferles sur des milles de patience à bout
en une campagne affolée de désolement
en des villes où ta maigreur ton visage
nous nos amours vidées de leurs meubles
nous comme empesés d’humiliation et de mort

et tu ne peux rien dans l’abondance captive
et tu frisonnes à petit feu dans notre dos
[L'homme rapaillé, La vie agonique, 1979]


Dans Michel Strogoff , de Jules Verne, on lit cette amusante réplique:
__ L’hiver est l’ami du Russe.
__ Oui… mais quel tempérament il faut pour résister à une telle amitié!

Ce qui n'est pas sans rappeler la fine remarque de Nicolas Gogol dans «Le manteau»:
«À Saint-Peterbourg les riches, les pauvres, les plus-que-pauvres ont un même ennemi: «le froid du Nord, quoiqu'on le dise favorable à la santé.» L'hiver s'annonçait, et Akaki Akakievitch avait froid. Son manteau était terriblement usé, à ce point qu'on lui avait même refusé le noble nom de manteau pour le baptiser capuchon.»

Jean Richepin, Les quatre saisons
Voici venir l’Hiver, tueur des pauvres gens
[La Chanson des gueux, 1876]

Adolphe soupire... dans le roman de Benjamin Constant
«C’était une de ces journées d’hiver où le soleil semble éclairer tristement la campagne grisâtre, comme s’il regardait en pitié la terre qu’il a cessé de réchauffer.»

Bonne lecture en ce dernier jour de janvier 2010.

Passe le temps, passe la vie, trépassent nos amours!
__
[] Fernand Dumont, La part de l'ombre. Poèmes 1952-1995, L'Hexagone - Rétrospectives, 1996.
[] Gaston Miron, L'homme rapaillé, PUM, 1970. Réédité avec une préface d'Édouard Gillant, NRF, Poésie, Gallimard, 1999.

vendredi 29 janvier 2010

Marie Darrieussecq - Camille Laurens / Yannick Haenel - Claude Lanzmann - Annette Wieviorka / Polémique.

La polémique entre Marie Darrieussecq et Camille Laurens amène l'une et l'autre à publier un livre y faisant écho. Marie Darrieussecq avance à visage découvert dans «Rapport de police. Accusations et autres modes de surveillance de la fiction», un essai de 368p. chez POL. Pour Camille Laurens, c'est dans un roman à clefs qu'elle règle ses comptes, «Romance nerveuse». La polémique entre les 2 romancières court sur les fils de presse. Impossible de l'éviter: chacune revient sur «l'affaire», une accusation de plagiat -rien de moins- de Camille Laurens contre Marie Darieusseq. Devant la virulence des propos, leur éditeur commun, Paul Otchakovsky-Laurens (sans lien de parenté), le patron des éditions P.O.L, décide de ne plus publier Camille Laurens, qui passe chez Gallimard.

Marie Darrieussecq versus Camille Laurens. Polémique.

Tout d'abord, en 1998, Marie NDiaye accuse Marie Darrieussecq de "singerie", lui reprochant de s'être inspirée de deux de ses livres pour l'un de ses romans. Marie Darieusseq, qui publiait «Naissance des fantômes»(1) lui répond, en substance, que les fantômes ne lui appartiennent pas.
«Lors de l'affaire Marie NDiaye, Philippe Sollers m'avait dit:
"Faites très attention. C'est une tentative d'assassinat".»


En 2007, Marie Darrieussecq publie «Tom est mort», un roman dans lequel elle imagine la mort de son fils. Douze ans auparavant, Camille Laurens avait publié «Philippe» portant sur le deuil de son «fils mort-né (il a vécu exactement deux heures et dix minutes)». Un récit, ou témoignage, sur un drame poignant.

Camille Laurens l'accuse alors de «plagiat psychique». Un nouveau concept.. qui revient à dire: un écrivain n'a pas le droit d'écrire à propos d'un drame qu'il n'a pas personnellement vécu. A fortiori, si un autre écrivain a déjà publié un livre qui relate son cas vécu. Oups! Dérapage en vue... Que serait le littérature sans l'imagination créatrice des écrivains et écrivaines. Autofiction, autobiographie, récit, témoignage...? Du vécu, et le mien prime sur le tien? Quid!!!
À bas le concept de «plagiat psychique» forgé de toutes pièces!

Sauf exception, j'avoue que je n'aurais pas grand-chose à me mettre sous l'œil. Que serait les écrivains de romans policiers, de polars, à l'aune du «plagiat psychique»? D'Edgard Allan Poe, en passant par Agatha Christie, Patricia Highsmith et bien d'autres, jusqu'à James Ellroy... Terrifiant!(2)
Pitié pour les écrivains de polars !

Pour clore le sujet, je vous présente le texte d'un critique pour chacun des livres. Si vous les avez lus, ces livres, c'est encore mieux... Ce sont 2 textes différents, portant sur le même sujet -la mort d'un enfant et la douleur de la mère-, publiés chez le même éditeur, POL, dans la collection «Fiction». Il suffit de savoir lire pour s'en rendre compte.

Philippe, Camille Laurens, POL, collection Fiction, 1995, 80 pages. Repris chez Folio (Poche) en 2008.
«Philippe est né le 7 février 1994 à Dijon -clinique Sainte-Marthe. Le lendemain, je suis allée avec Yves, son père, le voir à la morgue", lit-on dans le premier chapitre de Philippe intitulé "Souffrir". Philippe est le fils mort-né (il a vécu exactement deux heures et dix minutes) de Camille Laurens. La mort aurait pu être évitée. L'obstétricien qui a procédé à son accouchement n'est pas intervenu quand il le fallait. Même si "le malheur est toujours un secret", parce que les mots restent en deçà, Camille Laurens s'est mise à écrire : c'est son seul moyen de défense. Elle décrit avec précision, dans le chapitre intitulé "Comprendre" le déroulement de son accouchement, et notamment l'évolution du rythme cardiaque de l'enfant, qui, mis en perspective avec des extraits du rapport d'expertise, accable l'action, ou plus exactement l'inaction de son médecin.
Il faut malgré tout continuer à "vivre", titre du chapitre suivant, où elle cite les différentes réactions des autres après cette mort, réactions peu courageuses en règle générale. Enfin, le verbe "Ecrire" ouvre le dernier chapitre. "On écrit pour faire vivre les morts, dit-elle, et aussi, peut-être, comme lorsqu'on était petit, pour faire mourir les traîtres."Philippe" transmet au lecteur le dégoût de ces traîtres", médecins suffisants, incompétents, meurtriers.
Mais dans les quelques pages finales, une conception de l'écriture s'exprime aussi. Pour soigner comme pour écrire, il faut avoir un regard aigu, une sensibilité aux signes les plus subtils et une grande capacité à les réfléchir" Le livre aurait pu s'achever sur un chapitre intitulé "Publier". Pourquoi Camille Laurens a-t-elle décidé, hormis pour "rendre justice", de publier ce texte, éminemment -mais presque forcément- bouleversant? Et par-là même de l'intégrer à son œuvre, qui comptait jusque-là trois romans sans aucun caractère autobiographique? Parce que "Philippe" -nous le disons au risque de choquer- est aussi un superbe texte littéraire, qui exauce le vœu de Camille Laurens : "Pleurez, vous qui lisez, pleurez: que vos larmes tirent Philippe du néant."»
[Le Matricule des Anges, le mensuel de la littérature contemporaine]

Tom est mort, Marie Darieusseq, POL, Collection Fiction, 2007, 246 pages. Repris dans Folio (Poche) 2009.
«La mort de son enfant, nous dit Marie Darrieussecq, c'est la vie qui s'arrête, irrévocablement, puis une autre qui commence, différente, marquée de douleur et de vide, à jamais. 'Tom est mort' n'est pas un témoignage, mais plutôt un exercice littéraire. C'est à peine un roman, mais bien une fiction, écrite avec la conviction et l'implication que l'on pouvait attendre de l'écrivain. Le titre revient comme un leitmotiv, une digression sur la même obsession, la même douleur lancinante. Et il faut avouer que le travail de Marie Darrieussecq impressionne. Pas tant parce qu'il est criant de réalisme, mais surtout pour la maîtrise de l’écriture, la recomposition des sentiments dans un style syncopé, essoufflé, qui transmet plus que le sens des mots la désolation et l'angoisse. Pourtant l'auteur ne verse pas dans la tragédie, par pudeur, peut-être. C'est du deuil, du vide viscéral qu'elle dessine les symptômes. Elle cherche à mettre les mots sur l'indicible, là où le mutisme semble être un refuge acceptable. Elle va jusqu'à comparer, raconter d'autres douleurs pour trouver l'expression juste de cette perte innommable. Il n'y a que le vide, qui fait écho au vide. L'absence dans laquelle on guette le moindre souffle, le signe d'une présence qui ne s'incarne plus.Pour sa maîtrise, son évocation sensible des désordres intérieurs, pour la prouesse toute littéraire et l'empathie la plus franche, la plus humaine, 'Tom est mort' est un livre précieux, qui confirme un talent que l'on soupçonnait déjà fortement.»
[Tomas Flamerion, Évènement]

Et surtout, lisons ces deux romancières, tout en espérant qu'elles en aient fini avec leur querelle... après leur récent livre. Je reviendrai très prochainement sur les deux livres.

Yannick Haenel versus Claude Lanzmann, Annette Wieviorka, et bien d'autres. Polémique.

La querelle entre Marie Darieusseq et Camille Laurens devrait pâlir et prendre le chemin des oubliettes face à la foire d'empoigne entre Yannick Haenel et Claude Lanzmann, Annette Wieviorka, et d'autres encore. Une vaste polémique autour du livre de Yannick Haenel «Jan Karski»; elle s'accentuera dès la parution du livre de Jan Karski, «Mon témoignage devant le monde. Histoire d'un État secret». À commencer par la diffusion du documentaire «Shoah» de Claude Lanzmann sur Arte cette semaine.

Je vous ai déjà dit le peu de bien que je pensais des 2 premières parties du livre de Yannick Haenel... une reprise du texte de Claude Lanzmann, aisément disponible; un résumé du livre de Jan Karski. L'écrivain-résumeur... se fait rattraper par sa facilité.
Je ne me suis pas prononcé alors sur la 3e partie, seule partie fictive... un bien court roman, avec de belles pages sur «Le Cavalier polonais» de Rembrandt. Toutefois, si on place cette partie romanesque en regard des deux autres, il y a un problème de concordance. Par exemple, des idées prêtées à Jan Karski sont historiquement fausses.

On ne le sait que trop... une polémique en balaie une autre, une information en chasse une autre, un drame en remplace un autre, une diversion masque un problème. Dans notre société du «va-vite» et de la nouveauté «forcenée», on gambade d’une idée à l’idée. Ainsi vogue l’actualité en tous domaines.
L’actualité littéraire n’y échappe pas... C’est à qui glissera sur la peau de banane, se fera assommer par la rumeur assassine, étouffera dans l’ambiance empoisonnée.
Dans la polémique autour de Jan Karski, des critiques acerbes, des propos virulents font rage sur internet. Les hostilités sont ouvertes, les passions s'exacerbent. Cette dure polémique rendra bien fade la querelle entre les deux écrivaines.
Ne comptez pas sur moi pour plonger mes belles mains blanches et douces dans ce panier de crabes.

Tout de même... passez un bon vendredi en cette fin de janvier! Bonne journée!
___
(1) C'est son 2e roman. «Truismes» l'a déjà rendue célèbre en 1996.
(2) Je fais implicitement référence au hors-série «Le Polar d'Edgar Poe à James Ellroy», Le Magazine Littéraire. Un numéro des plus intéressants (no 17, Juillet-Août 2009). Il présente un long historique du polar, une sélection des meilleurs romans, un hommage à Raymond Chandler, un guide des 50 maîtres du genre, des suggestions de lecture et d'autres chroniques. À lire sans modération.

mercredi 27 janvier 2010

Livre des préfaces - Essai biographique - Jorge Luis Borges

J'ai reçu ce matin, par la poste, le livre en titre, «Livre des préfaces, suivi de Essai biographique», de Jorge Luis Borges (Gallimard, Folio). Une vraie mine d'or! Les textes des préfaces que Borges a écrites de 1923 à 1974 - sauf quelques pages ultérieures- sont de courtes études de chacun des livres. Un texte condensé et clair, accompagné de notes et de citations. Une écriture magnifique! Chacune des préfaces est une pépite d'or. Je n'exagère pas... Celui, ou celle, qui a lu ce livre sera d'accord avec moi, j'en suis certaine.

Au plaisir de lire des textes courts et exceptionnels, s'ajoute celui de la découverte d'auteurs espagnols. Almafuerte, Hilario Ascasubi, Estanislao Del Campo et d'autres. Dans la Préface des préfaces, Borges présente quelques auteurs:
«La fumée et le feu de Carlyle, père du nazisme, les récits de Cervantes n'ayant pas encore fini de rêver au second Quichotte, le mythe génial de Fucundo, l'immense voix continentale de Walt Whtiman, les aimables artifices de Valéry, l'échiquier onirique de Lewis Carroll, les éléatiques atermoiements de Kafka, les cieux ouverts de Swedenborg, le bruit et la fureur de Macbeth, la mystique souriante de Madonia Fernandez, et celle désespérée, d'Alamafuerte ont ici leur écho.»

Au sujet de ce que j'appellerais l'art de la préface, Borges déplore que la «préface, la plupart du temps, hélas! ressemble à un discours de fin de banquet ou à une oraison funèbre et elle abonde en hyperboles gratuites que le lecteur qui n 'est pas dupe prend pour de simples clauses de style.»

Il mentionne, par ailleurs, des œuvres dont la préface est une belle page qui fait partie intégrante du livre,. Par exemple, celle de Montaigne à ses Essais, celle des Mille et une Nuits avec sa fable initiale du roi qui veut décapiter la reine chaque matin.

«La préface, quand elle est réussie, n'est pas une manière de toast;
c'est une forme latérale de la critique.»
Borges

Thuriféraires, tenez-vous-le pour dit!

Je ne me suis jamais senti autant d'affinités avec un auteur comme Emerson;
il ne m'appartient donc pas de faire l'apologie de son œuvre.
Nietzsche

En parlant de Ralph Waldo Emerson, «Les Hommes représentatifs», 1949.

Vous l'aurez deviné... je vous reparlerai du livre de Borges et de son riche contenu.

Bonne journée!
__
[] La citation de Nietzsche est tirée de la p.55, du Livre des préfaces, de Borges.
[] «Livre des préfaces suivi de Essai biographique», Jorge Luis Borges, Gallimard, Folio, 1980, 240 pages. Pour en savoir plus, notamment sur l'Essai biographique, cliquez ici.

lundi 25 janvier 2010

Amour volcanique. Sylvia Path - Ted Hughes - Assia Wewill -Claude Pujade-Renaud

Amour volcanique. En 1956, Sylvia Path, poétesse et romancière américaine, rencontre, à Cambridge, Ted Hughes, poète anglais prometteur, homme d’une force et d’une séduction puissantes. La liaison de Ted avec la poétesse Assia Wewill brouillera le couple. Claude Pujade-Renaud vient de publier un roman... une fiction basée sur cette histoire vraie, sous le titre «Les femmes du braconnier».

«Les femmes du braconnier». Descriptif
«Très vite, en 1956, les deux écrivains entament une vie conjugale où vont se mêler création, passion, voyages, enfantements. Mais l’ardente Sylvia semble peu à peu reprise par sa part nocturne, alors que le “braconnier ” Ted dévore la vie et apprivoise le monde sauvage qu’il affectionne et porte en lui. Bientôt ses amours avec la poétesse Assia Wevill vont sonner le glas d’un des couples les plus séduisants de la littérature et, aux yeux de bien des commentateurs, l’histoire s’achève avec le suicide de l’infortunée Sylvia -soit de 1956 à 1963.

Attentive à la rémanence des faits et des comportements, Claude Pujade-Renaud porte sur ce triangle amoureux un tout autre regard. Réinventant les voix multiples des témoins -parents et amis, médecins, proches ou simples voisins -, elle nous invite à traverser les apparences, à découvrir les déchirements si mimétiques des deux jeunes femmes, à déchiffrer la fascination réciproque et morbide qu’elles entretiennent, partageant à Londres ou à Court Green la tumultueuse existence du poète.

L’ombre portée des œuvres, mais aussi les séquelles de leur propre histoire familiale -deuils, exils, Holocauste, dont elles portent les stigmates -, donnent aux destins en miroir des “femmes du braconnier” un relief aux strates nombreuses, dont Claude Pujade-Renaud excelle à lire et révéler la géologie intime.»


Les premières critiques

[] Jean-Claude Lebrun, dans L'Humanité du 14 janvier 2010

«C'est une composition romanesque particulièrement remarquable, et foisonnante de sens, que nous propose Claude Pujade-Renaud. Ainsi qu'à l'accoutumée, elle tente une fiction sur une histoire vraie dont elle s'attache à dénouer la trame complexe. Faisant parler des silences, débusquant des rapports souterrains, démasquant ce qui voudrait se donner pour insignifiant. Donnant en somme à lire un ordre sous les apparences du chaos...
Dans l'intime viennent à la fois cogner et se répondre le vacarme du monde et les chocs silencieux de la vie. Chacun à sa manière, Sylvia et Ted
 les saisirent dans leur écriture. Comme aujourd'hui Claude Pujade-Renaud.»

[] Un «coup de cœur» de Hélène Camus, de la librairie «Tournez la page», de Combourg (France)

«A paraître tout début janvier 2010 ce magnifique roman de Claude Pujade-Renaud. Un diamant vraiment, noir aussi. Les notes se succèdent au fil des pages, les phrases soulignées, reprises, relues, l'immersion est totale dans cette superbe histoire d'une famille éclatée par delà les frontières, les religions, les époques, les langues aussi, mais au sein de laquelle la poésie est le média choisi pour tisser tous ces fils disparates en une longue élégie.
C'est l'histoire de Sylvia et Ted, tous deux poètes, l'une américaine l'autre anglais, leur rencontre à Cambridge, leurs amours fulgurantes et tenaces et terribles, leurs enfants, leurs maisons, leurs amis, la poésie encore et encore pour transposer la vie, la magnifier aussi, l'exorciser toujours.
Sylvia est un oxymore vivant, aux paradoxes alliant onirisme et réalité, faits de vide et de plein, où "l'être cloîtré à l'intérieur de la dépression" qu'elle se devine au fond d'elle-même cherche un ancrage fort dans l'appétit de vivre.
Alors lire ces chapitres rythmés, s'attacher à Sylvia et à tous les personnages, les faire siens, s'immerger dans cette vie riche et belle et terrible aussi.»

J'attends ce livre avec impatience... Vu que le roman est basé sur une histoire vraie, je termine sur de très courtes notes biographiques. Des notes tristes...
«Mais la tristesse en moi monte comme la mer»
Les Fleurs du mal
Charles Baudelaire


Tragique Destin!

Sylvia Path, née en 1932, se suicide en 1963, dans sa cuisine, par empoisonnement au gaz. À 31 ans. Elle laisse 2 enfants: Frieda, née en 1960, et Nicholas, né en 1962.
Assia Wewill, née en 1927, se suicide en 1969 avec sa fille de 4 ans -dont Ted n'a pas reconnu sa paternité- Alexandra Tatiana Eloise Wewill, surnommée Shura, dans sa cuisine, par empoisonnement au gaz sous l'effet de somnifères. À 42 ans, emportant son enfant de 4 ans.
Nicholas Hughes, né en 1962, se suicide en mars 2009, par pendaison à sa résidence en Alaska. À 47 ans.

Quant à Ted Hughes, né en 1930, l'époux, l'amant, le père, il est mort d'un cancer du foie, en 1998. En 1970, il épousa Carol Orchard, une infirmière -de 20 ans sa cadette- avec laquelle il est resté jusqu'à sa mort.

Parmi les Ombres, un Soleil demeure: Frida Hughes, poétesse et peintre.

Peinture de Frieda Hughes, 1996

«C'est comme si ma mère n'arrêtait pas de mourir.»
Frieda Hughes
Merci de me lire!
___
Suggestions:
[] Sur le suicide de Sylvia Path, lire un dossier thématique de l'Encyclopédie L'Agora, en cliquant ici.
[] Pour visiter le beau site de Frieda Hughes, cliquer ici.

dimanche 24 janvier 2010

Stèles - Paul-Marie Lapointe / Perec - Baudelaire - Blake - Nerval - Novalis - Rimbaud - Coltrane. Poésie - jazz

Dans «Stèles», poèmes tirés de «L'espace de vivre. Poèmes 1968-2002», Paul-Marie Lapointe érige une stèle à Georges Perec, illustre membre de l'Oulipo, aux poètes Charles Baudelaire, William Blake, Gérard de Nerval, Novalis, Arthur Rimbaud. Comme l'écrivait Proust: «Et toutes les âmes intérieures des poètes sont amies et s'appellent les unes les autres». Par contre, une stèle dédié à John Coltrane, saxophoniste jazz, intrigue... Une association Poésie - Jazz. Qui mieux que Paul-Marie Lapointe lui-même pour l'expliquer.

«Le poème est proféré pour une oreille ambiante, charnelle et géographique pour l'homme et le continent et de telle façon qu'il résume et traduise l'un et l'autre. La plus haute forme de la poésie, comme la plus haute forme d'art, est l'improvisation qui ne met aucun frein à l'expression, bien qu'elle tire son excellence d'un artisanat préalable, aussi bien sur la matière du créateur que sur celle du matériau.

La forme particulière au jazz -ad libitum sur une structure donnée, linéaire et verticale- me paraît devoir exprimer de la forme la plus concrète la forme de la nouvelle poésie.
Sur le plan formel (et cela est réalisé par après, et comme pour permettre de vérifier le jazz du poème) la reprise d'un thème sur différents modes crée l'identité.
[...]
Cette poésie est une nouvelle forme du lyrisme, une forme nord-américaine, sœur du jazz [...]
[...]
Il faut à ce propos écouter et savoir aimer John Coltrane [...] dans certaines improvisations (Cousin Mary, Mr. P.C., Village Blues, etc.) [...]»

J'ai tiré cet extrait de «Notes pour une poétique contemporaine», écrit en... 1962. Tout le texte serait à citer tant il me semble indispensable pour savourer les poèmes dans leur ultime «quintessence». Tout de même, «ce peu» dit beaucoup... Il suffira pour vous séduire, et faire aimer (davantage) la poésie jazzée de Paul-Marie Lapointe, l'un des plus grands et des plus accomplis poètes québécois. Et vous inciter à la lire, sa poésie ... en écoutant du Coltrane ou du Miles Davis.

«Pierres» termine le volet «Stèles»... par l'édification des «pierres / horizontales / superposées. Nous quitterons le chemin bordé de stèles dédiées aux poètes et au jazzman par un «délire d'aimer»...


STÈLES


pour PEREC
et le Pere
C
leste

rocher
PERCE

CREPE
noir

stèle
telle








BAUDELAIRE


terrasse sur l'
abîme terre
..................d'où
Baudelaire
regarde un ultime
Nuage
.................en l'
agonie du
ciel obscène
s'effacer








BLAKE


tigre tigre d'
acier mortel
...................dont
Blake en la nuit s'
alarma
...........et qu'en son
reapire Dieu le
Néant l'ait
................avec l'
agneau sa proie
créé d'
ossements déjà et de
sang







COLTRANE


torrent torride l'
arcade d'acier fuse
bataille et bouscule
.............................blessure l'
âme alarmée qui
rage refuse et rêve
nirvana nébuleuse noire qu'
appelle l'adoration
Coltrane
............. ouragan
oraison
souffle suprême







NERVAL


tombez ténèbres
...........sur l'
agonie de Nerval

bercez-le de pur
tombez ténèbres

amour enfin
...................et que son
rêve soit rendu à la
Nuit où se consume
Aurélia
...........dans le
cri d'
Orphée
...........solitude
soleil noir








NOVALIS


tous ses
astres
brandits
ardents de
rêve et de nuit
Novalis chante l'âme
clairon d'
obscurité
sainte








RIMBAUD

terrible
...........tel l'
archange de
braise
..........l'enfant
Arthur
Rimbaud
nu en son
âme
.......s'envole du
cadavre Europe

outrage sublime






Pierres


pierres
horizontales
superposées

posées l'une
lisse à face grise
sur l'autre
de marbre blanc

galets à peine
d'un couple
que la mer
à gésir
sur terre
jeta

par l'artifice
et le hasard
les saillies de l'un
aux creux de l'autre
soudées

pierres
vues du ciel
que révèle et cèle
une fissure

entre lesquelles
passe le vent

TABLEAUX DE L'AMOUREUSE

Le matin

le matin serait griffé d'un cri
pour brûler l'albâtre et le gel
pour tirer de l'effroi
la dernière nébuleuse avant la mort

pour l'adorable délire d'aimer


Je vous souhaite un beau dimanche, plein de soleil. Et de «délire d'aimer»!

__
«L'espace de vivre. Poèmes 1968-2002», Paul-Marie Lapointe, L'Hexagone, 2004, 645 pages
[] «Notes pour une poétique contemporaine», dans «Espace de vivre», p. 607 à p.609.
[] Poèmes de STÈLES, p. 545 à p. 555
[] Le matin, dans Tableaux de l'amoureuse, p. 23

vendredi 22 janvier 2010

Danger! Les femmes qui aiment sont dangereuses - Laura Adler

Danger! «Les femmes qui aiment sont dangereuses». Sous ce titre, Laura Adler publiait, fin 2009, le 3e livre d'une série, chez Arts Flammarion, «Les femmes qui...» En 2006, «Les femmes qui lisent sont dangereuses»; en 2007, «Les femmes qui écrivent vivent dangereusement». Il s'agit de 3 beaux albums qui mêlent art, sensualité et histoire. Laura Adler présente, dans chacun d'eux, une galerie de personnages féminins et une galerie d'art.


«Les femmes qui aiment sont dangereuses»: un tour d'horizon.


Au début de son ouvrage, Laure Adler explique:
«Longtemps, explique Laura Adler, les femmes ne furent pas autorisées à aimer. Bienveillante et innocente lorsqu'elle est vierge ou mère, la femme symbolise également la séduction dangereuse d'Ève qui cède au serpent tentateur. Un jour sorcière et le lendemain victime, elle est une initiatrice ou un objet adulé, l'éternel féminin ou la femme fatale. Les images du Bien et du Mal se côtoient sans cesse, poursuit la journaliste-écrivain. A travers Vénus alanguie ou Junon l'ombrageuse, Juliette ou Médée, Cléopâtre ou la marquise de Pompadour, Jackie Kennedy ou Camille Claudel, de multiples héroïnes sont ensuite évoquées par l'historienne Élisa Lécosse* qui décrypte l'histoire de l'art du côté du "deuxième sexe", comme disait Simone de Beauvoir. Ce tour d'horizon passionnant permet de mieux comprendre l'évolution d'une société qui avance lentement vers l'autonomie du corps féminin, de son désir et de son plaisir enfin reconnus.» (1)

«De Salomé à Marilyn, d’Ophélie à Sapho ou de Lilith à Camille Claudel, ces figures de femmes et leur histoire disent la même chose: lorsqu’une femme aime, c’est généralement pour le pire. Déshonorées, rejetées, maudites, abandonnées, elles ont vécu leur passion à leurs risques et périls, et payé le prix fort. Laure Adler (...) s’est penchée sur la représentation de ces grandes amoureuses de l’histoire, et le regard que les peintres, donc les hommes, ont jeté sur elles.» [Présentation de Isabelle Falconnier](2)

Des peintres... depuis des siècles, de Titien à Boucher en passant par Delacroix, ou récemment Niki de Saint-Phalle. À travers les images, mythes et fables se dessine une histoire de femmes amoureuses.

Des peintures... «... L'Origine du monde de Gustave Courbet est absolument décisive, rendant hommage à l’essence de la femme, à sa nature, à sa féminité, à son essence cachée. C’est l’un des peintres les plus importants en ce qui concerne les représentations de l’identité de la femme amoureuse. (...) Picasso –encore une fois un homme– fera le plus bel hommage qui soit à la femme en la rendant dans sa peinture à moitié animale, mystérieuse et forte, primitive, revenant pour elle aux mythes archétypaux de la femme terre, de la femme mère.» [Laure Adler](2)

Laura Adler a dit...

«Une femme amoureuse en vaut cent. Par sa puissance sexuelle et son intelligence du cœur, elle peut en se donnant à celui qu’elle a choisi, le capturer dans les rets de son désir et faire de lui son égal, voire son esclave.»

«Le désir de la femme a toujours été perçu, et sous toutes les latitudes, plus fort, plus ensorcelant, plus mystérieux que le désir des hommes.»

«Lorsqu’elle sont en état d’amour, les femmes sont surpuissantes.»

«Une femme amoureuse en vaut cent. Peut-être même encore plus! Elle en vaut "mille e tre", comme dans le Don Juan de Mozart.»**

Danger! Qui est en danger?
«... les hommes! C’est comme cela qu’elles ont été vues depuis l’aube de l’humanité: elles font perdre leur superbe et leur raison aux hommes. Elles affolent les hommes. Lorsqu’elles sont en état d’amour, les femmes sont surpuissantes. Aucune barrière, aucun obstacle, aucune infériorité ne peut se manifester à ce moment. Elles sont comme possédées.»

L'amour est enfant de Bohême,
Il n'a jamais, jamais connu de loi,
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
Mais je t'aime, prends garde à toi!

[Opéra «Carmen» de Georges Bizet]
Aria chantée par Carmen
«L'amour est un oiseau rebelle»
Mes meilleurs bonjours!
___
«Les femmes qui aiment sont dangereuses», Laure Adler, Élise Lécosse, Arts Flammarion, 2009, 155 pages.
Illustration ci-haut: Circé offrant la coupe à Ulysse, par John William Waterhouse. Circé, la belle et puissante magicienne. Voir l'image de Circé et d'autres ainsi que le récit mythologique sur Wikipédia. Suivre le lien...
* Psitt! Élise Lécosse... Sur la première de couverture, je lis Élise de Halleux! Est-ce je vois double?
** Mille e tre, c'est aussi le nom de l'exposition que Umberto Eco, le grand invité du Louvre, a programmé au Louvre, en 2009. Son splendide livre «Vertige de la liste» découle de cette exposition. Voir mon billet du 19 septembre 2009. Suivre le lien...
Articles:
(1) Sur L'express.fr. «Les femmes qui aiment sont dangereuses». Un texte par Christine Ferniot (Lire). Suivre le lien...
(2) Propos recueillis par Isabelle Falconnier. «Entretien. Laure Adler. Femmes amoureuse? Danger!», sur Payot.ch
Je vous invite à lire cet article, il en vaut... "mille e tre". Suivre le lien...
À écouter: L'entrevue de Laura Adler par Lorraine Pintal, excellente lectrice, voix et accueil chaleureux, questions intelligentes. Émission «Vous m'en lirez tant». Suivre le lien...

jeudi 21 janvier 2010

Témoignage d'un SS contre le génocide - Kurt Gerstein / C'était le XXe siècle - Alain Decaux

Témoignage d'un SS contre le génocide, Kurt Gerstein, tiré de «C'était le 20e siècle», de Alain Decaux. Jan Karski a livré son «Témoignage devant le monde». Il n'est pas le seul -ce qui ne lui enlève aucun mérite. Kurt Gerstein, un Allemand enrôlé dans les SS s'est élevé contre le génocide des Juifs: un cas sidérant qui présente, vous le verrez, des similitudes avec celui de Jan Karski. Kurt Gerstein a fait des mains et des pieds -au péril de sa vie- pour alerter le clergé, les politiques, les Alliés. Personne ne l'a cru... Vous verrez comment les Alliés l'ont remercié... coincé qu'il était entre les 2 camps ennemis.

Le témoignage de Kurt Gerstein, un Allemand chrétien, est émouvant; c'est celui qui a vu de l'intérieur la machine infernale, du côté des bourreaux. Jan Karki, un Polonais catholique, est celui qui a vu de l'extérieur, du côté des victimes. Ce sont les 2 facettes d'une même pièce, qui se rejoignent. Étonnant Destin!

Alain Decaux -qui n'a plus besoin de présentation depuis longtemps- nous livre un récit documenté et poignant, principalement basé sur le témoignage à vif de Kurt Gerstein, et sur les résultats de sa propre enquête. Le témoignage est un long rapport nommé «Confession du lieutenant Gerstein», remis aux alliés le 22 avril 1945. C'était son premier pas vers la Mort!

Un récit fiable que celui de Alain Decaux... Un récit qui raconte, avec vivacité, une histoire à vous couper le souffle, à vous tirer les larmes: «Le SS qui hurlait contre le génocide». Un récit qui a fait l'objet d'un billet sur Littéranaute, le 13 novembre 2009. Pour le lire -ou le relire- veuillez cliquer ici.

Des âmes grises...


... comme dans le livre de Philippe Claudel, «Les âmes grises».
... comme dans les livres de Michel Quint «Effroyables jardins» et Max» (Jean Moulin).
... comme dans le livre de Irène Némirouski, «Suite française».

Des âmes ni tout à fait noires, ni tout à fait blanches. Grises...

Rappel: Une critique du livre de Jan Karki, datée de 2004 vous attend sur Livranaute, en attendant Les Mémoires republiés de l'auteur... Veuillez cliquer dans la colonne de gauche sur «Livranaute».
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Source: Alain Decaux, C'était le XXe siècle, tome 3, La guerre absolue. «Le SS qui hurlait contre le génocide», p. 133 à p. 177.
Lectures:
(1) Le témoignage «Confession du lieutenant Gerstein» a été publiée dans «Kurt Gerstein: L'ambiguïté du bien», Saul Friedlander, Nouveau Monde, Postface de Léon Poliakov, 2009, 221 p. Pour plus d'informations...
(2) «Le vicaire», une pièce de théâtre de Rolf Hochhut, Seuil, 1963, 315 p. Elle présente Kurt Gerstein intervenant auprès du Vatican en faveur des Juifs menacés par l’extermination finale. Dans cette pièce, Rolf Hochhut dénonce l'attitude du Vatican face au nazisme et à la Shoah. Pour plus d'informations...
Film:
«Amen», un film de Constantin Costa-Gavras, 2002. Le cinéaste s’appuie sur la pièce de S. Frienlander pour démontrer les jeux diplomatiques du Vatican peu conscient de la menace d’extermination qui pèse sur le sort des Juifs. Le scénario du film est moins âpre que le texte de la pièce de théâtre. Pour voir l'entrevue de Constantin Costa-Gavras par Thierry Ardisson, en présence de Mathieu Kossovitz, une vidéo INA: pour la première partie, cliquer ici. Pour la deuxième partie, cliquer ici.

mercredi 20 janvier 2010

Mémoires de Jan Karski / Jan Karski - Yannick Haenel / Polémique en vue!

Le livre des Mémoires de Jan Karski, «Mon témoignage devant le monde», paraîtra le mois prochain. Une polémique s'annonce au sujet du livre éponyme de Yannik Haenel, à ce qu'en dit L'Express sous le titre «Les Mémoires de Jan Karski republiés». Évitons de résumer, citons : «... Ce texte, publié en France en 1948, réédité en 2004 et depuis introuvable*, met en évidence les libertés prises par l'écrivain français.

Le livre de Karski est un livre sur la résistance polonaise, pas sur l'extermination des juifs, qui occupe à peine une dizaine de pages. Logique: juste après guerre, la Shoah n'est pas un thème central; le mot, d'ailleurs, n'existe pas dans cette acception. Dans le récit de Haenel, Jan Karski n'a que mépris pour Roosevelt, indifférent à tout sauf aux jambes de sa secrétaire. Dans son propre témoignage, au contraire, il exprime une grande admiration pour le président américain. Pourquoi Haenel accable-t-il les Américains? Pourquoi dédouane-t-il les Polonais? Quel est son dessein? Réponse dans un mois.»

Qu'en est-il du livre de Yannik Haenel, de 190 pages? Ce livre, dont le but est de faire connaître le Résistant polonais, est divisé en trois parties:
  1. La présentation du témoignage de Jan Karsky devant la caméra de Claude Lanzmann dans «Shoah», alors qu'il avait 60 ans;
  2. Le condensé (ou résumé) des Mémoires Jan Karsk, son pseudonyme dans La Résistance polonaise. Il est né en 1914 à Lodz, en Pologne et il est décédé à 86 ans, soit en 2000, à Washington. Après la guerre, il a enseigné les sciences politiques, plus précisément, les relations internationales à l'Université de Georgetown. Il s'est engagé dans le combat contre le second totalitarisme qu'il a connu: le communisme soviétique. En 1954, il est devenu citoyen des États-Unis;
  3. Un monologue intérieur de Jan Karski, imaginé par Yannik Haenel. C'est la seule partie «roman», je n'en discuterai pas ici.
Voici ce que je pense de ce livre des 2 parties documentaires du livre.
Pourquoi lire un «succédané» quand l'original est disponible sur le marché? Depuis 2003, on peut se procurer facilement le film la «Shoah», daté de 1985, en DVD, d'une durée de 9h30. Le texte in extenso du film, publié en 1997, Gallimard (Folio), est disponible en librairie, à peu de frais. Chacun peut y lire le témoignage de Jan Karsky. Je ne vois pas la pertinence de cette partie du livre.

Les Mémoires de Jan Karski furent publiés aux États Unis, en 1944, sous le titre «Story of a secret State». Traduit en français sous le titre «Mon témoignage devant le monde. Histoire d'un État secret», en 1948, et réédité en 2004 avec une présentation et des notes de Céline Gervais et Jean-Louis Panné, aux éditions Point de Mire, 640 pages.Le livre était indisponible en 2009*. «On» attribuait, alors, grand mérite à Yannick Haenel d'avoir résumé le livre pour en livrer l'essentiel. «On» déchantera...

Une courte virée sur Internet m'a mis la puce à l'oreille: le résumé du livre rédigé par l'éditeur, en 2004, ne me semblait pas correspondre tout à fait au résumé de Yannick Haenel, ni aux propos qu'il tenait sur toutes les tribunes. Une question me turlupinait: comment résumer un gros livre de 640 pages, dont le sujet est fort complexe, en si peu de pages, sans en échapper?

* C'est alors que, sur Amazon, j'ai lu un commentaire de Weil-barais titré: «Une découverte, 14 janvier 2010»:

«Après la lecture du livre de Yannick Haenel intitulé "Jan karski", je me suis mis à la recherche de l'original, "épuisé". Grâce au service de recherche d'Amazon, j'ai enfin réussi à le trouver. Merci Amazon!
Quand on connaît les difficultés qu'a rencontré Karski à diffuser son témoignage, on s'interroge vraiment sur les mobiles qui poussent à couronner un pilleur plutôt qu'à promouvoir le véritable témoin. Jan Karski décrit dans un style précis et rigoureux ce dont il a été témoin, à partir des notes qu'il a prises entre 1940 et 1943: défaite de l'armée polonaise face à l'armée allemande, sa captivité, la destruction des juifs d'Europe et de la Pologne. Sa réflexion sur la situation de l'Europe en 1944 est tout à fait intéressante. Les notes et commentaires de l'édition de 2004 que nous avons acquise sont du plus haut intérêt. Nous suggérons à l'éditeur de cet ouvrage (Editions Point de Mire) de ne pas laisser un tel ouvrage dans ses cartons...»

Donc... le livre de Jan Karski, édition 2004, était encore disponible en 2009!!! C'est une suite logique. Ma question: comment expliquer que «on» n'a pas eu la (saine) curiosité de vouloir comparer le «Mon témoignage devant le monde. Histoire d'un État secret» avec le résumé de Yannick Haenel? Il est opportun de rappeler que la lumière s'est posée sur le livre de l'écrivain... «résumeur» parce qu'il a reçu le Prix Interallié 2009, obtenu à l'arraché par 6 voix contre 5, devant Bernard Chapuis «Le rêve entouré d'eau», et ce au 4ème tour... Le Prix Interallié a été fondé par une trentaine de journalistes en 1930, et un jury permanent de 10 journalistes décerne ce prix à un roman d'un auteur... journaliste. Les journalistes n'ont-ils pas la «mission» de vérifier les sources des textes? Et bien des critiques n'y ont vu que du feu, enfourchant le cheval de Troie de la déesse Louange. Notons que le livre n'a pas fait l'unanimité... Il a été même l'objet de critiques acerbes.

«Misère noire», dans quel monde...vivons-nous! À qui peut-on se fier? Triste affaire que celle de Yannick Haenel qui posera, sans aucun doute, bien d'autres questions, dont plusieurs resteront sans réponse...
Patience, nous en saurons plus d'ici peu.

Demain, vous pourrez lire sur mon site siamois «Livranaute» une critique du livre de Jan Karki, datée de 2004. Et plus encore... Un rendez-vous à ne pas manquer.
Un autre billet vous attendra ici, sur «Littéranaute». Un programme double, quoi!

À demain! Merci de me lire.
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Psitt! Un livre éponyme, et non pas homonyne. Les doigts anonymes du rédacteur de l'article sur L'Express se sont emmêlés les doigts dans les touches du clavier. Soyez indulgents: nous «coquillons» tous et toutes, un jour ou l'autre!
Sources:
[] L'express.fr, «Les Mémoires de Jan Karski republiés», le 15 janvier 2010. Cliquer ici.
[] Amazon.fr, «Mon témoignage devant le monde», Commentaires de Weil-Barais, le 14 janvier 2010. Cliquer ici.
[] Arkheia.revue.org, une revue d'histoire de haut niveau, qu'il fait bon de c0nsulter.

lundi 18 janvier 2010

Roman des rois - Les Capétiens - Max Gallo / Des racines et des ailes - tv5

Je lis actuellement, par à-coups, un livre reçu en cadeau, «Le Roman des rois», de Max Gallo (1). Grand historien et habile romancier, Max Gallo excelle dans ce roman qui soulève l'intérêt, et dont on ne perd pas le fil. L'histoire des rois Capétiens, fondateurs du royaume de France, est racontée par Hugues de Thorenc, comte de Villeneuve -personnage fictif- dernier de sa lignée qui a fidèlement servi les rois Capétiens: Philippe Auguste le Conquérant, Saint Louis le Croisé, Philippe le Bel l'Énigmatique.
Huges de Thorenc raconte l'histoire de sa lignée, qui est aussi la chronique des rois de France. Il est le témoin de son époque, mais aussi le gardien des témoignages familiaux depuis l'aïeul Martin de Villeneuve de Thorenc. Voilà une astuce romanesque qui donne une belle tournure au récit de Hugues, un ton vivant et personnel, et crée une complicité avec le lecteur... d'aujourd'hui. Extraits.
«Moi, Huges de Thorence, j'écris cette chronique en l'an de grâces 1322.
Mon père, Hugues Villeneuve de Thorenc, est mort il y a cinquante et une années, le 8 septembre 1271.
J'étais alors un écuyer d'à peine quinze ans.
J'avais le cœur percé d'une douleur si brûlante que je souhaitais que la mort m'entraîne.
[...]
"Ne meurent et ne vont en enfer que ceux dont on ne se souvient plus. L'oubli est la ruse du Diable." (lui dit un moine).

Ces mots ont germé en moi.
J'avais devoir de rassembler ce que mes aïeux, depuis qu'ils servaient les rois capétiens, en avaient écrit.
[...]
Ce moment est venu. Dieu s'est montré généreux envers moi. Je suis vieux de soixante-six années.» (p.393 et p.394)

Des phrases courtes, détachées. Des paragraphes et des chapitres courts. Un texte hachuré? Non pas. Un texte aéré, des idées claires exprimées nettement, sans le superflu qui perdrait le lecteur pris entre, si je puis dire... «la gloire et les turpitudes. La foi et le fanatisme. La compassion, la haine et l'injustice.», pris entre des chamailleries et des guerres, des actes glorieux et des bassesses, des bonheurs et des malheurs. Une histoire mouvementée, riche en multiple péripéties.

Un mot encore. L'horrible affaire des Templiers, le châtiment cruel infligé aux frères d'Aunay, et tout aussi cruel envers ses filles adultères, Marguerite et Blanche, se retournèrent, et plus encore, contre Philippe le Bel. (2) On murmurait contre lui:
Ainsi lui fut dit pleinement/ Qu'il allait contre le serment/ Qu'il avait à Reims donné/ Quand eut été Roi couronné. (p.499)
Roi couronné dans la cathédrale de Reims
comme 32 rois de France. (3) Dans cette cathédrale où fut baptisé Clovis 1er, le roi des Francs, par saint Rémy, évêque de Reims.

L'émission Des Racines et des Ailes, nous présentera, justement, Reims, sa cathédrale, ses monuments, et de là, la dynastie des rois de France, ainsi que les dynasties d'Angleterre et d'Italie. On présentera 3 grands reportages, comme d'habitude, aussi excellents les uns que les autres. De quoi s'en mettre plein l'esprit et plein la vue. Savoir et beauté seront au rendez-vous. Un grand moment télévisuel. Un avant-goût des reportages...

Des Racines et des Ailes, tv5
émission diffusée lundi, le 18 janvier 2010, 20h00.
Rediffusion, mardi, le 19 janvier 2010, à 13h00.

Le sacre de Reims
Même si Paris devient une capitale politique, c’est à Reims que s’organisent les sacres des rois. Sa superbe cathédrale gothique est un véritable manifeste, architectural, historique et religieux. Théâtre d’un rituel chargé de sens et de symboles, l’édifice a néanmoins accueilli moins de sacres que ses statues de rois présentes sur le fronton ne le laisse supposer! 32 rois y ont été couronnés... Tout de même!
[] Tout commence donc à Reims… il y a 1500 ans, au baptême de Clovis, en : c'est l’alliance de l’Église et du pouvoir. L’onction étant, selon les écrits religieux, littéralement tombée du ciel, la monarchie de droit divin en découle logiquement. C’est à cet acte fondateur que se réfèreront tous les rois de France. On expliquera l’origine mythique de la sainte ampoule et son caractère sacré. Entre la cathédrale, l’abbaye de Saint Rémi et l’ancien palais archiépiscopale, on racontera les étapes de la cérémonie.
[] En 1789, la Révolution a voulu détruire tous les symboles qui faisaient les rois, mais l’actuel curé de la cathédrale de Reims nous révèlera comment le baume des sacres a survécu et traversé les régimes les plus hostiles. Les insignes royaux, quant à eux, étaient sous la garde de l’abbé de Saint Denis. Sceptre, éperons, épée et mains de justice sont conservés au Louvre. On en révèlera quelques aspects méconnus et insolites.



Reims: une cathédrale pour l’éternité

Dès le début de la première Guerre Mondiale, Reims est en grande partie détruite... Ses habitants survivent comme ils le peuvent. Sa cathédrale, symbole de l’histoire royale de France, n’est pas épargnée par les Allemands. Des bombardements et un incendie gigantesque, en septembre 1914, laissent la cathédrale en ruine. Un siècle plus tard, on panse encore les blessures infligées par le conflit.
[] La charpente en ciment armé réalisée, dans les années 30, par Henri Deneux est une prouesse technique qui impressionne encore les spécialistes. Les travaux de restauration doivent se réaliser plus rapidement que l’avancée de la dégradation naturelle du monument: une lutte contre la montre! Actuellement, une dizaine de chantiers sont en cours, les artisans et compagnons sont à l’œuvre: tailleurs de pierre, couvreurs, sculpteurs...
[] Benoit Marq restaure plusieurs panneaux de vitraux de chœur. Un savoir-faire familial et ancestral. Il partie de la 12e génération -vous lisez bien 12e...- d’une famille de maître-verriers installée à Reims depuis 1640! C’est son grand-père qui a mis à l’abri les éléments de verre de la cathédrale pendant la Grande Guerre. Et c’est son père qui participa à la réalisation des vitraux exceptionnels signés Chagall... Des vitraux du maître russe qui attirent aujourd’hui les visiteurs du monde entier.

Le trésor des Farnèse
La puissante famille Farnèse a légué à la postérité un somptueux héritage architectural et artistique: des palais, des collections... De Rome à Caprarola, en passant par Parme et Naples, on verra comment les arts ont servi leur pouvoir et comment leur pouvoir a servi les arts...
[] On visitera les beaux espaces du Palais Farnèse conçu comme demeure familiale par le pape Paul III, fondateur de la dynastie Farnèse. Antonio da Sangallo et Michel-Ange en furent les premiers architectes. Objectif visé: affirmer la puissance des Farnèse!
[] Pour décorer son palais romain, Paul III va financer les fouilles des termes de Caracalla. Un incroyable site où l’on dénombre 150 niches qui devaient accueillir autant de statues de marbre! Mais, pour les voir, il faut aller au Musée archéologique de Naples où 2 chefs d’œuvres sont exposés: un Hercule de plus de 3 mètres de haut et le fameux «Taureau Farnèse» qui pèse 24 tonnes! À la mort de Paul III, la famille Farnèse est devenue l'une des plus importantes de Rome, elle tentera de conquérir l’Italie... Rien de moins!
[] Le Cardinal Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III, quant à lui, s'est fait bâtir à Caprarola une résidence secondaire à l’architecture étonnante: hexagonale à l’extérieur, ronde à l’intérieur! Œuvre maîtresse de Vignole, il y construit un escalier hélicoïdal unique au monde et une salle des cartes où l’on découvre sur les murs le monde tel qu’il était connu en 1574...
[] Le petit-neveu du Cardinal Alexandre a, lui aussi, marqué du sceau des Farnèse l’histoire de l’art en créant un gigantesque théâtre de bois qui devait écraser de sa beauté ses «concurrents», notamment les Médicis!
[] Aujourd’hui, il reste un héritier de cette grande famille, mais l’actuel duc de Parme ne s’appelle plus Farnèse: c’est un Bourbon. Les grandes familles de Parme le reçoivent encore comme un chef d’État: cérémonie, palais, bal… Si la dynastie de ces mécènes amoureux des arts a perdu son nom, elle n’a en revanche rien perdu de son prestige!

Sans oublier la monarchie britannique, très largement inspirée de l'ancienne royauté française. Un exemple: la cérémonie de couronnement de la reine Élisabeth II. Des images et des commentaires qui nous sont plus... familiers, si j'ose dire. Of course, my Dear!

Vous l'aurez deviné... je vous invite à voir ce numéro de «Racines et des Ailes». Visiter de si beaux lieux et espaces, admirer des œuvres d'arts magnifiques, rencontrer des artisans et compagnons venus d'un autre âge, se faire raconter l'Histoire et des histoires, bien au chaud dans son salon, c'est assurément une belle occasion à saisir.

Dans le sillon de cette émission, on peut en profiter pour lire sur les sujets qui nous attirent davantage. Sur Internet, on peut trouver de belles pages à lire sur des sites ou dans des articles fiables. Il ne manque pas de livres dans les librairies ou les bibliothèques... Je vous recommande, cela va de soi, «Le Roman des rois, de Max gallo; et, vous suggère de revoir les «Les Rois maudits», de Maurice Druon.
Voir, écouter, lire... en un mot aimer!

Bonne semaine à chacun et à chacune!
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(1) «Le Roman des rois», de Max Gallo, 2009, Fayard, 500 pages, divisé en 88 courts chapitres. À lire avec plaisir.
(2) La série «Les Rois maudits», d'après le livre de Maurice Druon accompagne, fort bien, le récit de Hugues de Thorenc qui porte sur le règne de Philippe le Bel.
(3) Pour vous y retrouver, vous pouvez consulter la «Liste des monarques de France», Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, etc. etc. sur Wikipédia. Cliquer ici.

dimanche 17 janvier 2010

Tu seras un homme, mon fils - Kipling / J'suis un enfant perdu - d'Ormesson / Leçon aux enfants - Villon - Favier. Poésie

En ce dimanche de la mi-janvier 2010 -Le temps file comme sable entre nos doigts...- je vous offre 3 poèmes. Un père s'adresse à son fils; un adulte à sa mère; un poète aux enfants perdus. Soit, «Tu seras un homme, mon fils», de Rudyard Kipling; «J'suis un enfant perdu», la ballade d'un communard, ou d'un chouan, monté sur la potence, cité par Jean d'Ormesson dans un texte à propos de «Tombeau de la Rouerie», de Michel Morht; «Belle leçon aux enfants perdus», de François Villon, poète à qui Jean Favier a consacré une biographie éponyme.

Tu seras un homme, mon fils (1907)
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
[Tiré de «Vertige de la liste», de Umberto Eco, p.276
chapitre 15. «L'excès à partir de Rabelais».]
À droite, une peinture de Walter Quirt.

Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle de Michel Morht, auteur de «Tombeau de la Rouerie», en indiquant que celui-ci a voulu peindre «ces soldats perdus que la France a connu tout au long de son histoire, de Cadoudal à Roussel, combattant de la Commune de paris en 1871...» À fin de son texte, il cite une ballade de cette époque, peut-être que l'air vous reviendra en tête?

J'suis un enfant perdu
... Monté sur la potence
Je regardai la France:
J'y vis mes compagnons
À l'ombre de... vous m'entendez!
J'y vis mes compagnons
À l'ombre d'un buisson.

Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne me verra plus.
J'suis un enfant... Vous m'entendez!
Qu'elle ne me verra plus:
J'suis un enfant perdu.
[Tiré de «Saveur du temps», de Jean d'Ormesson, p.137
Michel Morth: «Tombeau de la Rouerie»]

Dans son livre «Saveur du temps», Jean d'Ormesson parle, au passage, de François Villon «voleur, assassin, immense poète célébré à juste titre par Jean Favier», qui «met en garde ceux qu'il appelle 'les enfants perdus" contre la vie trop semblable à la sienne. La description du poète faite par Jean d'Ormesson est un peu courte. Ajoutons celle de Jean Favier:

Francois Villon. «Un homme comme les autres, dans le futur quartier Latin des années 1450. Il ressemble à quelques milliers d'écoliers plus riches d'illusions que de bagage ou d'emploi. En ce temps de dynamisme retrouvé au sortir de la guerre, il y a des places à prendre, mais la société, déjà, se défend des nouvelles ambitions: beaucoup de places sont prises, ou réservées.
[] Clerc et célibataire par opportunité, amoureux par tempérament et misogyne par résignation, il hésite entre les femmes et les filles. Il n'hésite pas moins entre l'école et la taverne. Sa science est courte, tout juste propre à fournir les références indispensables en une époque où mieux vaut s'appuyer sur les autorités que faire preuve d'originalité.
[] Le malheur fond sur l'écolier sans emploi. Il tue, il vole, il s'essaie à la vie de cour et se retrouve sur les grands chemins. On veut le prendre. Est-il un bandit? Est-il un amuseur qui joue au truand?» Quoiqu'il en soit sa mise en garde est pertinente.
[Jean Favier, François Villon, Fayard. Descriptif du livre]

Belle leçon aux enfants perdus
Beaux enfants, vous perdrez la plus
Belle rose de vos chapeaux;
Mes clercs près prenant comme glus,
Se vous allez à Montpipeau
Ou à Ruel, gardez la peau:
Car, pour s'ébattre en ces deux lieux,
Cuidant que vausît le rappeau,
Le perdit Colin de Cayeux.

Ce n'est pas un jeu de trois mailles,
Où va corps, et peut-être l'âme.
Qui perd, rien n'y sont repentailles
Qu'on n'en meure à honte et diffame;
Et qui gagne n'a pas à femme
Dido, la reine de Carthage.
L'homme est donc bien fol et infâme
Qui, pour si peu, couche tel gage.

Qu'un chacun encore m'écoute!
On dit, et il est vérité,
Que charterie se boit toute,
Au feu l'hiver, au bois l'été.
S'argent avez, il n'est enté,
Mais le dépendez tôt et vite.
Qui en voyez-vous hérité?
Jamais mal acquît ne profite.

Je vous souhaite un bon dimanche! À demain... sans faute.

vendredi 15 janvier 2010

Tremblement de terre- Haïti / Lisbonne 1755 - Poème de Voltaire

On ne saurait passer sous silence l'effroyable tremblement de terre qui vient de frapper Haïti, pays pauvre parmi les pauvres. frappé de tant de cattastrophes Je cherchais les mots pour le dire... C'est alors que le nombre de 50 000 morts m'a ramené en mémoire «Poème sur le désastre de Lisbonne» de Voltaire, en 1756. Ce poème s'élève somme un chant de compassion envers les victimes et un cri d'indignation contre les imbécillités proférées au nom de Dieu. La lecture de certains textes sur des sites Internet «religieux» m'a fait dresser les cheveux sur la tête, et me permet de dire que le texte de Voltaire est bien actuel. Il n'y a pas si loin, dans certaines mentalités, de 1755 à 2010... Tout d'abord, un mot sur le tremblement de Lisbonne.

Lisbonne, 1er novembr
e 1755.
Un violent tremblement de terre –magnitude estimée entre 8,5 à 8,7 à l’échelle de Richter-, suivi d’un tsunami et d’incendies dévasta la ville de Lisbonne, et fit de 50 000 à 100 000 victimes. L’onde de choc se fit sentir très loin de l’épicentre, en Europe, en Finlande, en Afrique… Survenu le matin de la fête catholique de La Toussaint, engloutissant ceux qui priaient dans les églises, il détruisit, entre autres, nombre d’édifices religieux: la cathédrale de Santa Maria, basiliques, églises, couvents, faisant nombre de victimes, l’Hôpital Royal de Tous les Saints dont les patients périrent dans les flammes.

La violence du tremblement de terre ébranla le Portugal, très catholique, la pieuse Lisbonne et ses fervents croyants, et la mission de colonisation et d’évangélisation des Portugais.

Ce tremblement de terre provoqua un véritable tsunami intellectuel. Les croyants, les théologiens et les philosophes furent accolés au pied du mur. Qu’est-ce qui pouvait expliquer un tel déchaînement de la colère de Dieu? La punition des péchés… il s’en est trouvé pour dire pareille sottise. La question du mal sur la terre se posa… On cherchait à comprendre la cause profonde d’une si effroyable catastrophe qui heurtait les esprits, les croyances, qui déchiraient les cœurs.

«Poème sur le désastre de Lisbonne» de Voltaire, 1756
[extraits]
O malheureux mortels!ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D’inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: «Tout est bien»;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours!

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: «C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix?»
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
«Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes?»
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices:
Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Croyez-moi, quand la terre entr’ouvre ses abîmes,

Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.
Partout environnés des cruautés du sort,
Des fureurs des méchants, des pièges de la mort,
De tous les éléments éprouvant les atteintes,
Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes.
[...]

Platon dit qu’autrefois l’homme avait eu des ailes,
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles;
La douleur, le trépas, n’approchaient point de lui.
De cet état brillant qu’il diffère aujourd’hui!
Il rampe, il souffre, il meurt; tout ce qui naît expire;
De la destruction la nature est l’empire.
Un faible composé de nerfs et d’ossements
Ne peut être insensible au choc des éléments;
Ce mélange de sang, de liqueurs, et de poudre,
Puisqu’il fut assemblé, fut fait pour se dissoudre;
Et le sentiment prompt de ces nerfs délicats
Fut soumis aux douleurs, ministres du trépas:
C’est là ce que m’apprend la voix de la nature.
J’abandonne Platon, je rejette Épicure.

Bayle en sait plus qu’eux tous; je vais le consulter:
La balance à la main, Bayle enseigne à douter
Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits, et se combat lui-même:
Semblable à cet aveugle en butte aux Philistins,
Qui tomba sous les murs abattus par ses mains.
Que peut donc de l’esprit la plus vaste étendue?
Rien: le livre du sort se ferme à notre vue.
L’homme, étranger à soi, de l’homme est ignoré.
Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d’où suis-je tiré?
Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit, et dont le sort se joue.
Mais atomes pensants, atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux;

Au sein de l’infini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître.
Ce monde, ce théâtre et d’orgueil et d’erreur,
Est plein d’infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être:
Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître
Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs;
Mais le plaisir s’envole, et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre.
Le passé n’est pour nous qu’un triste souvenir;
Le présent est affreux, s’il n’est point d’avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l’être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion.
[...]

Un calife autrefois, à son heure dernière,
Au Dieu qu’il adorait dit pour toute prière:
«Je t’apporte, ô seul roi, seul être illimité,
Tout ce que tu n’as pas dans ton immensité,
Les défauts, les regrets, les maux, et l’ignorance.
Mais il pouvait encore ajouter l’espérance.

Mes meilleures pensées de consolation, et d'espérance, accompagnent l'écrivain Dany Laferrière frappé par cette tragédie.

En terminant, je vous conseille 2 lectures:
[] L'article de Pierre Foglia, paru sur Cyberpresse, «Pays sans chapeau». Pour le lire, cliquer ici.
[] Une revue de presse, «Haïti, l'île maudite: la presse unanime revient sur le tremblement de terre». Veuillez cliquer ici.

mercredi 13 janvier 2010

"Je préfèrerai toujours ma mère à la justice" - Albert Camus / Pierre Assouline

«Je préfèrerai toujours ma mère à la justice» - Albert Camus. Pierre Assouline a le mérite de situer cette phrase dans son contexte. Phrase bien connue, lancée à tous vents, répétée, reprise, interprétée à qui mieux mieux, tiraillée de tous bords et de tous côtés. Évidemment, quand on pense à sa propre mère, on comprend... Mais Albert Camus est un grand écrivain, un homme connu, une personnalité internationale, ce qu'il dit a du poids.

On sait que Camus, né en Algérie, a pris position sur la guerre d'Algérie et sur l'Algérie française. «Dénonciation du caractère "faciste" du FLN, soutien aux demandes de grâces des condamnés à mort algériens, ralliement à la politique d'intégration», rappelle Pierre Assouline. On pourrait ajouter un et caetera... etc.

Savez-vous quand, où et à quelle occasion -précisément- Camus a prononcé cette «petite phrase» qui allait le suivre jusqu'à aujourd'hui? jusqu'à vous et moi... ? Il fallait être dans le secret des dieux pour le savoir!

Dans la foulée de l'obtention du Prix Nobel de littérature, Albert Camus donne une conférence à la «Maison des étudiants» de Stockholm. C'était le 12 décembre 1957. Un seul journaliste est présent dans la salle, Dominique Birman, du journal Le Monde. Deux jours plus tard, il publie un compte rendu (sans trait d'union...). La presse internationale se lance sur cette phrase «Je préfèrerai toujours ma mère à la justice», qui se répand comme une traînée de poudre. Et voilà, c'est parti... la phrase court, court et court... Elle fait sensation! Dominique Birman a dû, d'ailleurs, produire la bande de son enregistrement pour confirmer ses propos. Camus avait bien prononcé cette phrase. On en cherche le sens. On lui en donne mille et un*.

Mais que s'est-il donc passé dans cette salle de conférence?
Un Algérien l'agresse en lui lançant à la figure cette accusation: «Vous avez signé beaucoup de pétitions pour les pays de l’Est mais jamais, depuis trois ans, vous n’avez rien fait pour l’Algérie ! (le reste se perd dans le brouhaha). L’Algérie sera libre !»

Sommé de répondre, blessé de voir un «visage de haine chez un frère», Camus répond:
«[...]
Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifie pas que j’aie cessé d’agir. J’ai été et je suis toujours partisan d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l’égalité.
[...]
Il m’a semblé que mieux vaut attendre jusqu’au moment propice d’unir au lieu de diviser. Je puis vous assurer cependant que vous avez des camarades en vie aujourd’hui grâce à des actions que vous ne connaissez pas. C’est avec une certaine répugnance que je donne ainsi mes raisons en public.
J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.»

Albert Camus est un homme complexe, difficile à cerner, qui parlait alors d'une situation complexe, inextricable même -qui a changé, mais pas du tout au tout... La guerre d'Algérie, c'est encore un clair-obscur: à preuve, le livre de Laurent Mauvignier, «Des hommes», qui a pour toile de fond la guerre d'Algérie, et les remous qu'il a suscités en France, en 2009... (1)

Lors de la conférence de Stockholm, Carl-Gustav Bjürström -traducteur réputé de Camus-, était aux côtés de Dominique Birman. Il a apporté des précisions à Olivier Todd, qui préparait une biographie de Camus, au sujet la célèbre phrase: «Je préfèrerai toujours ma mère à la justice»
«Par la forme et par le fond, explique Carl-Gustav Bjürström, il a voulu dire: si c’est là ce que vous entendez par la justice, si c’est là votre justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette justice terroriste.»
Voilà qui est clair, désormais...

Pour (mieux) connaître Albert Camus: l'excellente biographie, de 1188 pages, de Olivier Todd, s'impose... chez Gallimard, (Poche).
«Albert Camus, une vie». En voici le descriptif.

«Camus fut algérien et algérois, journaliste, essayiste, romancier, dramaturge, metteur en scène, acteur... Avec cette biographie, sa personnalité apparaît dans toute sa complexité, grâce à de nombreux inédits dont sa correspondance.
Camus était charmeur et ombrageux, sincère et théâtral, plein de doutes et arrogant. Il voulait être aimé et y parvint souvent. Il cherchait à être compris et n’y parvint pas toujours. Il parla trop de bonheur pour être heureux et serein. Faut-il pour autant l’imaginer malheureux comme Sisyphe?
Dans sa vie privée et ses engagements publics, un Camus inattendu - souvent inconnu - surgit à travers ses prises de position politiques ou artistiques, ses amitiés et ses amours.
Camus reste inclassable, solitaire et solidaire, un frère ennemi de Sartre... Communiste puis anticommuniste, il connaissait le prix humain des idéologies. Il ne voulait être ni victime ni bourreau.
our lui, la souffrance n’avait pas de frontière mais les tyrans avaient toujours la carte d’un parti.
Déchiré par la guerre d’Algérie, Camus vécut aussi les amères victoires et les fécondes défaites de la justice et de la violence. Plus de trente-cinq ans (en 1996) après sa mort, celui qui prétendait ne pas être le Clamence de La Chute - ce juge pénitent qui se vouait à l’enfer ou au purgatoire - redevient un dangereux classique».

Dangereux? Vous lirez, avec intérêt, l'entrevue de Olivier Todd publiée sur Paris (AFP), le 03 janvier 2010, intitulée «Camus est un écrivain dangereux». On l'admettra, Olivier Todd a de la suite dans les idées...

Je vous souhaite une bonne journée!
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Psitt! C'était avant Internet... avant les blogues. Avant... À bon entendeur, salut!
Source principale: l'article «Camus: petite piqûre de rappel», de Pierre Assouline, sur son blogue publié sur lemonde.fr. L'article est ici.
(1) Laurent Mauvignier, «Des hommes». Je suis entrain de lire ce livre dont je pense le plus grand bien. Je vous en reparle.
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