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lundi 23 novembre 2009

Le SS qui hurlait contre le génocide - Alain Decaux / Apocalypse - Épisode 4 - tv5

«Le SS qui hurlait contre le génocide». Un récit, documenté et poignant, de Alain Decaux, C'était le XXe siècle, tome 3. La guerre absolue. Un récit qui raconte une histoire à vous souffler, qui dépeint une «âme grise» se rapprochant, dans l'essentiel, du livre «Les âmes grises» de Philippe Claudel. Les extraits que je vous donne à lire aideront à approfondir un aspect traité dans l'émission «Apocalypse, la 2e guerre mondiale» Épisode 4: L'embrasement (1941-1942), sur Tv5, diffusée ce lundi, 20h00 et rediffusée demain à 13h00.

«Le SS qui hurlait contre le génocide».
Alain Decaux raconte.
«Devant le prêtre qui le dévisage avec une méfiance grandissante. L'homme se tient debout. Il est grand -1,86m- athlétique, châtain-blond. L'image même de l'aryen si fort en honneur au temps où, de Brest au Caucase, du cap Nord à la Sicile, les armées de Hitler occupent l'Europe.
Or les paroles qui jaillissent de la bouche du visiteur sont inouïes. Là au siège berlinois de la délégation du Vatican, son débit s'accélère: il faut, absolument, que le nonce l'entende. Ce qu'il a vu, ce qu'il sait, le monde entier doit le découvrir.
Ces juifs que l'on arrête, que l'on envoie vers l'est, ce n'est pas, comme le gouvernement allemand l'affirme, comme les populations naïves le croient, pour s'y voir enfermés dans des camps de travail. C'est pour être exterminés. Hors de lui, proche des larmes, il crie ce qu'il a vu -de ses yeux- les installations qui permettent d'exécuter, chaque jour, des milliers de juifs. Il a vu mourir des hommes , des femmes des enfants. Oui, des enfants. Des bébés dans les bras de leur mère. Il a vu!

Les mains de l'homme tremblent. Dans son regard se lit une horreur indicible. Il répète que cette abomination doit être connue de tous et qu'il lui faut donc rencontrer le nonce. Le pape, seul, pourra faire cesser cette atteinte sans exemple aux lois divines et humaines. Le pape!
Ce n'est plus de la défiance qui se lit sur le visage de l'ecclésiastique mais de la réprobation. Il coupe court.
_ Êtes-vous soldat?
Interloqué, l'homme répond positivement. Dans cas, dit le prêtre, tout entretien devient impossible. Bien plus: il faut que le visiteur quitte sur-le-champ la légation de Sa Sainteté. C'est un homme accablé qui prend congé.
Le premier témoin qui se soit proposé d'apporter la preuve que la solution finale de la «question juive» avait été mise en oeuvre se nomme Kurt Gerstein. Officier dans la SS, il a prêté serment à Hitler et sa devise est celle de tous les SS: Mon honneur s'appelle fidélité.»

«Ceux qui croient à la prédestination se demanderont peut-être si, dans son paradoxe, l'histoire de Kurt Gerstein ne renferme quelque logique. Certains y découvrirons la trace de la folle incohérence de notre siècle. D'autres, persuadés que chaque homme est unique, se borderont à se demander pourquoi ce SS en est venu là.»

En bref. Les Gerstein sont membres de l'Église évangélique. L'attirance de Kurt «vers l'Église se confirme au cours de ses premières années d'école. Quasiment, toutes les Églises protestants accueille favorablement l'avènement du national-socialisme. Elles déchanteront...
«Le programme de Hitler s'enveloppe d'une brume volontaire qui génère des analyses contradictoires.» Kurt Gerstein suit le mouvement. En 1933, il s'engage dans le parti, et même dans les S.A. Mais, il n'abandonne pas son militantisme chrétien. Audacieux, il invitera même la Jeunesse hitlérienne à revenir au sein des organisations chrétiennes. Plus tard, il publiera, à ses frais, des brochures religieuses, et donnera des conférences; il se garde de parler d'autre chose que la religion.

Arrêté, en 1938, pour une peccadille (une plaisanterie)-«mais existe-t-il des peccadilles sous le joug de Hitler?»- il est emprisonné. À sa femme, fille de pasteur, il déclare être «à bout de forces»; le médecin constate qu'il est atteint d'une affection cardiaque. Libéré par la Gestapo, son Église, elle-même persécutée, ne peut pas l'aider. En 1938, l'Allemagne délire, le Führer triomphe sur tous les fronts.
Le père de Kurt Gerstein écrit même: «Quelle grande époque nous vivons!... Notre grand et bien-aimé Führer...» Il déchantera.. . En 1941, sa belle-fille internée dans un hôpital psychiatrique décéda inopinément. Kurt Gerstein assiste à l'inhumation avec sa famille consternée. Son frère, Karl dira: Si étonnés que nous fussions, nous ne soupçonnions rien. Ce fut mon frère Kurt qui, sur le chemin du retour, après l'enterrement, nous éclaira ma femme et moi. "Ils les tuent de sang-froid!»» Du même souffle, Kurt ajoute: «Je vais m'engager dans les Waffen-SS.» On comprend la stupeur du couple. «Je pourrai ainsi voir ce qu'il y a de vrai dans ces diverses rumeurs et ce qui se passe dans les SS.»

De l'extérieur, Kurt Gerstein est un excellent SS. Discipliné et autoritaire, on l'affecte «au service d'hygiène de la Waffen-SS, 1941. Il y est chargé de l'installation d'eau potable ainsi que de "la désinfection des camps militaires et de concentration.» Mais, ses amis le voient se modifier: «Ce garçon si franc, ouvert, amateur de plaisanteries, est devenu sombre et taciturne.»
En janvier 1942, «son ami Helmut Franz blessé le voit entrer dans dans chambre d'hôpital... "À mon grand étonnement, il apparut un jour devant mon lit, comme un fantôme en uniforme SS."»
«En juin 1942, le même Kurt Gerstein va rencontrer l'Histoire.» Dans les camps de concentration«L'horreur. L'absolu de l'horreur.». Je saute ce passage.
L'épisode 4 de «Apocalypse, la 2e guerre mondiale» devrait parler de cette horreur sans pareille. Néanmoins, je vous assure que lire «l'horreur dans le texte» est une dure épreuve.

«Si l'on se souvient que, de 1942-1944, sa santé -physique autant que morale- n'a cessé de se dégrader, on comprend mieux pourquoi, lors de l'effondrement du IIIe Reich, il s'est porté au-devant des troupes françaises et s'est volontairement livré à elles. On juge de la stupeur des militaires à qui il a révélé une horreur d'autant plus terrifiante qu'ils n'en soupçonnaient même pas l'existence. On n'a pas voulu croire ce personnage étrange dans son allure et plus encore dans ses propos. Il a proposé de mettre par écrit ce qu'il a vu. On accepte: il témoigne.

Il fera le récit de ce qu'il a vu à plusieurs personnes de confiance, afin de faire connaître les faits de bouche à oreille. Il faut que la vérité se répande partout et qu'elle soulève l'indignation du monde. «On sait comment s'est terminé sa démarche à la nonciature. Il s'entête.». Il rend visite à l'ambassade Suisse, à Berlin. Il avertit l'un de ses amis hollandais, celui-ci s'en réfère à Londres. Il fait des mains et des pieds pour se faire entendre, pour que l'on sache.
Il sait ce qu'il risque, il porte constamment sur lui un revolver et une capsule de cyanure. Il a les cheveux blancs. Son père Ludwig Gerstein lui dit, voulant le rassurer: «Tu es soldat et tu dois obéir aux ordres de tes supérieurs. C'est celui qui donne des ordres qui en porte la responsabilité...»

À la fin mars 1945, il quitte Berlin pour rejoindre Tübingen pour rejoindre sa femme et ses trois enfants. Avant même que la guerre soit achevée en Europe, il décide de se rendre chez les Alliés pour livrer son témoignage. Son ami Helmut Franz le met en garde: «Comment t'y prendras-tu pour expliquer aux troupes alliés que tu n'es pas un véritable offcier SS et que tu as commis des actes de résistance?» Selon Franz, il a prit congé de sa femme «plein d'espoir».

En 1945, des Américains et des Britanniques circulent dans la zone française. Kurt Gerstein donne une copie, écrite en français, de son rapport à un officier américain, et une autre à un officier britannique. «On lui pose une question redoutable: «Étiez-vous au courant de l'utilisation des chambres à gaz pour l'assassinat de détenus?» En répondant, il se perd: "En qualité d'ingénieur, j'ai eu souvent à donner des conseils au sujet du fonctionnement de ces installations..."»

«Le 26 mai 1945, Kurt adresse une lettre à sa femme. La dernière. Il est arrêté le même jour par les Français... Le 10 juillet, il est inculpé "d'assassinats et de complicité d'assassinats." ... Le 25 juillet, le gardien qui, à 14 heures, ouvre la porte de la cellule de Gerstein, le trouve pendu... Dans son rapport du 1er août, le docteur Piedelièvre, célèbre médecin légiste. confirme "qu'il s'agit d'un pendu banal"...» Inhumé, le 3 août dans la fosse commune du cimetière de Thiais... il ne demeure aucune trace de la sépulture de Kurt Gerstein "espion de Dieu"»

Dans une note en bas de page, Alain Decaux écrit: «Impossible, cependant de passer sous silence la lettre que j'ai reçue d'un ex-policier (M. Caillevet, le 30 mars 1983): «... nous avons entendu dire qu'un capitaine SS avait été battu à mort par les FFI», gardiens de la prison militaire où était détendu Kurt Gerstein.

Des âmes grises... dans le livre de Philippe Claudel, «Les âmes grises». Dans les livres de Michel Quint «Effroyables Jardins», et «Max». Dans le livre de Irène Némirouski, «Suite française».
Des âmes ni tout à fait noires, ni tout à fait blanches. Grises...


«Apocalypse, la 2e guerre mondiale» Épisode 4: L'embrasement (1941-1942)

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Source: Alain Decaux, C'était le XXe siècle, tome 3. La guerre absolue. «Le SS qui hurlait contre le génocide», p. 133 à p. 177.
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