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vendredi 14 août 2009

Apostille - Nom de la rose / Umberto Eco -2/2 (A)

C'est la fin... Je termine mes commentaires sur «Apostille au "Nom de la rose" de Umberto Eco. Il est temps de quitter l'abbaye et le vieil Adso... «Stat rosa pristina nomine; nomina nuda tenemus» - «La rose d'autrefois existe en tant que nom (ou mot), il ne nous reste que des noms (ou des mots) nus» - «Yesterday's rose endure in its name; we hold empty names». En latin, en français, en anglais... la rose ne dure que du matin au soir. Le temps passe... et ne repasse jamais...

Mes commentaires prendront la forme d'apostrophes. Des interpellations amicales, cela va de soi. Des «apostrophes» aux écrivains, en première partie -dans mon présent billet; et des «apostrophes» aux lecteurs, en deuxième partie, dans mon billet de demain.

Apostrophes aux écrivains

Écrivains, inspirez... lisez!
«Quoi que l'on fasse, je suis né à la recherche en traversant des forêts symboliques peuplées de licornes et de griffons, en comparant les structures pinaculaires et carrées des cathédrales aux pointes de malice exégétique celées dans les formules tétragones des Summulae, en vagabondant de la rue du Fouarre aux nefs cisterciennes, en m'entretenant aimablement avec des moines clunisiens, érudits et fastueux, tenu à l'œil par un Thomas d'Aquin grassouillet et rationaliste, tenté par Honorius d'Autun, par ses géographies fantastiques où l'on expliquait à la fois quare in pueritia coitus non contingat, comment on arrive à l'Île Perdue et comment on capture un basilic muni d'un seul miroir de poche et d'une inébranlable foi dans le Bestiaire. (p.21)

Trois longues phrases, trois paragraphes de suite. Une véritable incantation... une accumulation d'images qui crée un monde rempli de merveilleux... Une mélodie qui chante à l'oreille... Comme le musicien, l'écrivain doit avoir de l'oreille. Sinon, il jouera faux, sinon il écrira faux. Vrai de vrai. Oui.

Écrivains, à vos marques... écrivez!
«J'ai écrit ce roman parce que l'envie m'est venue. Je pense que c'est une raison suffisante pour se mettre à raconter. L'homme est un animal fabulateur par nature. (...). J'avais envie d'empoisonner un moine. Je crois qu'un roman peut naître d'une idée de ce genre, le reste est chair que l'on ajoute, chemin faisant.»

Cette idée remonte à mars 1978. De plus loin encore: il a retrouvé dans un cahier daté de 1975, une liste de moines. Il possédait le «Traité des poisons» de Orfila de Huysmans, acheté 20 ans plus tôt, par fidélité à l'auteur, et jamais lu.
Ce passage que je viens de citer provient d'une lettre que Umberto Eco adressait à un éditeur (à propos de son commentaire du commentaire de l'apocalypse de Beatus de Liebana), il y avait des années de cela.

Écrivains, gardez vos vieux papiers, vos écrits... Gardez à l'esprit que la Bibliothèque Nationale de France a découvert, par hasard, le premier écrit de Rimbaud, publié dans une obscure revue des Ardennes.
Parmi vos archives, vous pourriez retrouver, à moment donné, des documents utiles... comme Umberto Eco. Quant à la postérité, oubliez-la. Ce n'est pas de votre ressort!

Écrivains, résistez... ne coupez pas!
La maison d'édition a suggéré à Umberto Eco de raccourcir les 100 premières pages, trop absorbantes, trop fatigantes. «Je n'eus aucune hésitation, je refusai» Pourquoi? Parce que ces pages avaient une fonction: préparer le lecteur à «entrer dans l'abbaye (pour) y vivre 7 jours». Pour expliciter sa pensée, Umberto Eco compare le fait d'entrer dans un roman à une excursion en montagne.

En bref, et dans d'autres termes, l'écrivain est le guide, il donne le rythme de la marche. Qui veut me lire me suive... Le lecteur est le scout qui doit s'adapter pour suivre... quitte à chercher son souffle ou son second souffle ou quitte à s'impatienter pas lenteur du guide, estimant qu'il fait du surplace.

Umberto Eco ajoute: «S'il (le lecteur) n'y arrivait pas (à lire les 100 premières pages), il ne réussirait jamais à lire le livre dans son entier» À la lumière de cette explication, je comprends pour quelle raison des lecteurs disent avoir aimé le film et ne pas avoir apprécié le roman... ou d'en avoir passé des bouts... ou d'être revenu au roman après avoir vu le film... Ils avaient loupé le rite d'initiation.

À moins qu'il ne s'agisse de longueurs injustifiables ou de redites, inutiles et même nuisibles, qu'il serait à propos de couper, c'est l'écrivain qui a raison... C'est à l'éditeur d'entendre raison...

Demain, ne manquez la deuxième partie: des «apostrophes» aux lecteurs. À suivre...

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Image: Enfer, de François de Nomé, 1622. Musée des beaux-Arts, Besançon.
Cette image illustre la couverture de l'essai Apostille au «Nom de la rose», Umberto Eco, Biblio - essais, Le livre de poche.
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