}

dimanche 2 août 2009

La bibliothèque - Mémoire du monde / UNESCO

La bibliothèque de l'Abbaye cistercienne de Clairvaux, en France, à l'époque de Pierre de Virey, en 1472, vient d'être inscrite au Registre UNESCO de la Mémoire du Monde. C'est l'un des 35 biens documentaires nouvellement ajoutés au Registre, parmi lesquels se trouve Le Journal d'Anne Frank qui a fait l'objet d'un billet, hier, sur Livranaute. Un message aussi succinct que bien senti. Pour le lire, cliquez ici.

Parmi ces 35 nouveaux trésors, j'ai fait un choix: la bibliothèque de l'Abbaye cistercienne de Clairvaux. Faut-il y voir une influence de Le Nom de la Rose, Umberto Eco? Ou la mention du capitaine Nemo dans le texte qui suit? Peut-être... Par contre, ce que je sais avec certitude, c'est que j'aime les livres dont l'ensemble constitue une bibliothèque. Comme vous, sans aucun doute...

En guise d'introduction à la présentation de la Bibliothèque de Claivaux -objet d'un autre billet- je vous présente des extraits tirés du film documentaire d'Alain Resnais. Musique de Maurice Jarre. Voix de Jacques Dumesnil*. Film dont la facture et le rythme me font penser à «L'année dernière à Marienbad».

Un texte éblouissant sur la Bibliothèque Nationale de France, mais un texte qui la transcende pour devenir celui sur une bibliothèque partout dans le monde. Qu'est-ce qu'une bibliothèque? Sinon toute la mémoire du monde.


Toute la mémoire du monde.

Parce que leur mémoire est courte, les hommes accumulent d'innombrables pense-bêtes.

Devant ces souks pleins à craquer, les hommes prennent peur, ils craignent d'être submergés par une multitude d'écrits, par cet amas de mots, alors pour garantir leur liberté, ils construisent d'immenses forteresses.

À Paris, c'est à la Bibliothèque Nationale que les mots sont emprisonnés. On y trouve tout ce qui s'imprime en France. Tous les signes que la main de l'homme a écrits se retrouvent dans le plus riche département, les manuscrits.

Un spectacle changeant se déroule dans la salle de lecture du Département des périodiques. On y consulte la plupart des journaux du monde.

Au Cabinet des estampes sont conservées les images qu'elles soient gravées, lithographiées ou même photographiées: c'est un musée. Musée aussi le Cabinet des médailles. C'est Louis XIV qui le premier y rassembla des trésors.

Les étoiles, les satellites, les météores, les capitales et leurs banlieues sont à notre portée au Département des cartes et des plans.

Édifiée dans un temps où on en imprimait peu, la Nationale s'enrichit de quelque 3 millions de livres -encore plus aujourd'hui- par siècle. Pour éviter l'éclatement perpétuel, elle s'enfonce plus avant dans le sol, elle s'élève plus haut dans le ciel.

Pour que le recours à cette gigantesque mémoire soit possible, ceux qui ont charge de conserver les trésors qu'elle recèle les dénombrent, ils les trient, les analysent, les classent, les numérotent méthodiquement.

Il a fallu des siècles pour inventorier les 6 millions de livres, les 5 millions d'estampes conservés à la Nationale.

Travaux indispensables, car sans ce catalogue, la forteresse ne serait que comme un pays sans routes.

Il a fallu concevoir des disciplines qui, avec le temps, se sont muées en lois. Pour inventorier la masse des connaissances, il a fallu recourir aux mots-clefs.

Avec le temps est né le grand catalogue des imprimés dont le propre est d'être toujours en chantier. Mémoire exemplaire, la Nationale emmagasine tout ce qui s'imprime en France.

Un seul Département comme celui des périodes doit digérer chaque jour 200 kilogrammes de papier, de journaux, de périodiques, de bulletins, d'almanachs. Si un numéro manque, il sera réclamé. Dépareillée, une collection perd sa valeur. Cest pourquoi on s'interdit ici toute faute d'inattention. Même si certains de ces imprimés ne devaient être consultés qu'une seule fois, il faut les conserver: c'est la règle du jeu.

Parmi ces collections fut découvert le premier écrit de Rimbaud, publié dans une obscure revue des Ardennes. Qui sait si ces feuilles ne recèlent pas quelque autre texte révélateur.

Ces richesses, il faut les préserver. C'est pourquoi l'air doit être contrôlé et corrigé. Une machinerie pareille à celle du capitaine Nemo maintient une température constante favorable au papier, au cuir, au parchemin. Il faut faire échec à la destruction.

Qui sait ce qui demain témoignera le plus sûrement de notre civilisation.

Et voici le livre en marche vers la ligne idéale. Un équateur plus décisif pour son existence que la traversée du miroir. Ce n'est plus le même livre. À l'instant, il faisait partie d'une mémoire universelle, abstraite, indifférente où les livres étaient tous égaux entre eux, où ils bénéficiaient tous ensemble d'une attention aussi tendrement glacée que Dieu pour les hommes.

Et le voici choisi, préféré, indispensable à son lecteur, arraché à sa galaxie pour nourrir ces faux insectes, croqueurs de papier, irrémédiablement différents des vrais insectes en ceci que chacun est attelé à une besogne distincte.

Astrophysique, physiologie, théologie, taxonomie, philologie, cosmologie, mécanique, logique, poétique, technologie. Ici se préfigure un temps où toutes les énigmes seront résolues. Un temps où cet univers ou quelques-uns d'autres, nous livrerons leur clef.

Et ceci, simplement, parce que ces lecteurs assis devant leur morceau de mémoire universelle auront mis bout à bout les fragments d'un secret qui a peut-être un beau nom qui s'appelle le bonheur.

___
*Vous pouvez visionner le documentaire, en deux parties, sur YouTube.
Image: Grande Bible de Clairvaux. Début du livre de la Genèse, In principio... (folio 7)
Paperblog