Pour ce compte rendu, j'ai composé une mosaïque, transgressant l'ordre des pages, centrant l'histoire autour de la figure du père. Les citations insérées sont en italique -je préfère citer plutôt que de paraphraser...
Pendant les premières années de leur mariage, mon père et ma mère ont vécu là leur vie amoureuse, à Forestry House et sur les routes du haut pays camerounais, jusqu'à Banso [Kumbo]. C'est le temps de la jeunesse, de l'aventure, lit-on plus loin. Sa mère accompagne son père dans ses tournées médicales. Ils vivent en symbiose avec la nature, et près des gens.
Mon père y sera le seul médecin, et le seul Européen, ce qui n'est pas pour lui déplaire. On est alors en 1932. C'est à noter.
Pendant plus de quinze ans, ce pays sera le sien. Il est probablement que personne ne l'aura ressenti mieux que lui, à ce point parcouru, sondé, souffert. Rencontré chaque habitant, mis au monde beaucoup, accompagné d'autres vers la mort. Aimé surtout, parce que, même s'il n'en parlait pas, s'il n'en racontait rien, il aura gardé la marque et la trace de ces collines, de ces forêts, de ces herbages, et des gens qu'il a connus.
Et voilà que sa mère tombe enceinte. On peut facilement imaginer leur bonheur... Elle se rend alors en France, chez ses parents, pour accoucher. On est en 1938. Son père prend un congé pour la naissance de l'enfant, et se rend en Bretagne où il reste jusqu'à l'été 1939. Puis, il retourne en Afrique à Ogoja, un poste avancé de la colonie anglaise. Et... la guerre éclate.
Il sera pris dans une sourcière: impossible de sortir du pays. Il essayera, mais sans succès, s'aventurant au Sahara à la frontière des possessions françaises. En temps de guerre, tout étranger est un espion. Finalement, il est arrêté, refoulé. La mort de l'âme, il doit revenir en arrière, refaire la route jusqu'à Kano, jusqu'à Ogaja. À partir de cet échec, l'Afrique n'a plus pour lui le même goût de la liberté. Désormais, il sera seul, isolé. Cette cassure en fera un homme brisé, à tout jamais. La guerre contribuera aussi à changer l'Afrique, et pas pour le meilleur.
À 8 ans, en 1948, Jean-Marie-Gustave, se rend en Afrique, avec son frère et sa mère. Le père qu'il rencontre est homme, usé, vieilli, irritable, rendu amer par la solitude, d'avoir vécu toutes les années de guerre coupé du monde, sans nouvelles de sa famille, dans l'impossibilité de quitter son poste pour aller au secours de sa femme et de ses enfants, ou même de leur envoyer de l'argent. Autoritaire, intolérant, il imposait à ses enfants une rude discipline. Il était plein de manies et de rituels, il avait tracé une ligne de conduite, pour ainsi dire, militaire. Nous avons appris d'un coup qu'un père pouvait être redoutable, qu'il pouvait sévir, aller couper des cannes dans le bois et s'en servir pour nous fouetter les jambes. Qu'il pouvait instituer une justice virile, qui excluait tout dialogue, et toute excuse. Ce qui contrastait avec leur éducation antérieure marquée par la tolérance et l'amour. Ce qui contrastait avec la douceur et la compréhension de leur mère.
Il n'en demeure pas moins que les enfants Le Clézio ont passé de belles années en Afrique. Jean-Marie-Gustave écrit de belles pages à ce sujet. La liberté, la beauté, le plaisir des découvertes, la joie de jouer avec les autres enfants... et la crainte de dangers, bien réels... On sent son attachement à cette terre d'Afrique, à jamais disparue. On sent sa douleur pour ses plaies et ses misères, pour ce qu'elle est devenue.
Le dernier chapitre intitulé L'oubli va vous chavirer. Vous serez ensorcelé par la douce poésie de ce texte imprégné d'une nostalgie qui dit l'absence, qui dit l'amour espéré. En voici un extrait: Quelque chose m'a été donné, quelque chose m'a été repris. Ce qui est définitivement absent de mon enfance: avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. Je sais que cela m'a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire. Quand un homme regarde jour après jour changer la lumière sur le visage de la femme qu'il aime, qu'il guette chaque éclat furtif dans le regard de son enfant. Tout cela qu'aucun portrait, aucune photo ne pourra jamais saisir.
L'Africain de Jean-Marie-Gustave Le Clézio, 124 pages, aux Éditions Mercure de France, avec des photos et une carte provenant des archives de l'auteur. Un récit aussi court que profond. Un récit touchant d'un homme de 64 ans à la recherche de son enfance, à la recherche de son père. Un voyage, au temps passé, dans une Afrique à jamais perdue.
Pendant les premières années de leur mariage, mon père et ma mère ont vécu là leur vie amoureuse, à Forestry House et sur les routes du haut pays camerounais, jusqu'à Banso [Kumbo]. C'est le temps de la jeunesse, de l'aventure, lit-on plus loin. Sa mère accompagne son père dans ses tournées médicales. Ils vivent en symbiose avec la nature, et près des gens.
Mon père y sera le seul médecin, et le seul Européen, ce qui n'est pas pour lui déplaire. On est alors en 1932. C'est à noter.
Pendant plus de quinze ans, ce pays sera le sien. Il est probablement que personne ne l'aura ressenti mieux que lui, à ce point parcouru, sondé, souffert. Rencontré chaque habitant, mis au monde beaucoup, accompagné d'autres vers la mort. Aimé surtout, parce que, même s'il n'en parlait pas, s'il n'en racontait rien, il aura gardé la marque et la trace de ces collines, de ces forêts, de ces herbages, et des gens qu'il a connus.
Et voilà que sa mère tombe enceinte. On peut facilement imaginer leur bonheur... Elle se rend alors en France, chez ses parents, pour accoucher. On est en 1938. Son père prend un congé pour la naissance de l'enfant, et se rend en Bretagne où il reste jusqu'à l'été 1939. Puis, il retourne en Afrique à Ogoja, un poste avancé de la colonie anglaise. Et... la guerre éclate.
Il sera pris dans une sourcière: impossible de sortir du pays. Il essayera, mais sans succès, s'aventurant au Sahara à la frontière des possessions françaises. En temps de guerre, tout étranger est un espion. Finalement, il est arrêté, refoulé. La mort de l'âme, il doit revenir en arrière, refaire la route jusqu'à Kano, jusqu'à Ogaja. À partir de cet échec, l'Afrique n'a plus pour lui le même goût de la liberté. Désormais, il sera seul, isolé. Cette cassure en fera un homme brisé, à tout jamais. La guerre contribuera aussi à changer l'Afrique, et pas pour le meilleur.
À 8 ans, en 1948, Jean-Marie-Gustave, se rend en Afrique, avec son frère et sa mère. Le père qu'il rencontre est homme, usé, vieilli, irritable, rendu amer par la solitude, d'avoir vécu toutes les années de guerre coupé du monde, sans nouvelles de sa famille, dans l'impossibilité de quitter son poste pour aller au secours de sa femme et de ses enfants, ou même de leur envoyer de l'argent. Autoritaire, intolérant, il imposait à ses enfants une rude discipline. Il était plein de manies et de rituels, il avait tracé une ligne de conduite, pour ainsi dire, militaire. Nous avons appris d'un coup qu'un père pouvait être redoutable, qu'il pouvait sévir, aller couper des cannes dans le bois et s'en servir pour nous fouetter les jambes. Qu'il pouvait instituer une justice virile, qui excluait tout dialogue, et toute excuse. Ce qui contrastait avec leur éducation antérieure marquée par la tolérance et l'amour. Ce qui contrastait avec la douceur et la compréhension de leur mère.
Il n'en demeure pas moins que les enfants Le Clézio ont passé de belles années en Afrique. Jean-Marie-Gustave écrit de belles pages à ce sujet. La liberté, la beauté, le plaisir des découvertes, la joie de jouer avec les autres enfants... et la crainte de dangers, bien réels... On sent son attachement à cette terre d'Afrique, à jamais disparue. On sent sa douleur pour ses plaies et ses misères, pour ce qu'elle est devenue.
Le dernier chapitre intitulé L'oubli va vous chavirer. Vous serez ensorcelé par la douce poésie de ce texte imprégné d'une nostalgie qui dit l'absence, qui dit l'amour espéré. En voici un extrait: Quelque chose m'a été donné, quelque chose m'a été repris. Ce qui est définitivement absent de mon enfance: avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. Je sais que cela m'a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire. Quand un homme regarde jour après jour changer la lumière sur le visage de la femme qu'il aime, qu'il guette chaque éclat furtif dans le regard de son enfant. Tout cela qu'aucun portrait, aucune photo ne pourra jamais saisir.
L'Africain de Jean-Marie-Gustave Le Clézio, 124 pages, aux Éditions Mercure de France, avec des photos et une carte provenant des archives de l'auteur. Un récit aussi court que profond. Un récit touchant d'un homme de 64 ans à la recherche de son enfance, à la recherche de son père. Un voyage, au temps passé, dans une Afrique à jamais perdue.