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lundi 6 juillet 2009

Jean-Marie-Gustave Le Clézio / La ronde

La prise de position récente de Jean-Marie-Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature 2009, contre le projet de barrage sur la rivière Romaine, dans le quotidien Le Monde, a fait la Une de l'actualité.
Je saisis cette occasion -ce blogue étant dédié à la littérature- pour vous parler de deux de ses livres qui m'ont particulièrement touchée: La ronde et autres faits divers, et L'Africain. Aujourd'hui, je verrai le premier des deux livres.
Je relève ici ces quelques mots dans l'article de Marie-Andrée Chouinard, paru dans Le Devoir des samedi et dimanche 5 juillet 2009: «cet écrivain des nomades, des pauvres et des exclus» On ne peut trouver une meilleure introduction à la lecture de La ronde et autres faits divers.

Onze courts textes qui disent la détresse de ceux et celles qui sont touchés par des événements classés sous la rubrique Faits divers. Ça n'arrive pas qu'aux autres... Voici le titre sommaire de dépêches que j'imagine, suivies d'un aperçu de trois récits.
* Deux jeunes filles, qui roulaient en vélomoteurs, ont été arrêtées pour avoir volé le sac à main d'une dame qui attendait l'autobus.
La ronde. C'est bien sec pour dire «ce cri de souffrance et de surprise» de la dame à la robe bleue qui porte un sac noir. C 'est bien peu pour expliquer le geste de Martine et de Titi. «Alors c'est Titi qui a dit qu'on allait leur montrer, qu'on ne se dégonflerait pas, qu'ils pourraient aller se rhabiller, les types et les filles de la bande, et que Martine après ça n'aurait plus rien à craindre.»
* La police recherche une jeune femme qui s'est enfuie avec son bébé naissant et un chien-loup.
Moloch. Liana, une pauvre fille, vit dans un misérable mobil home (sic), loin de tout, avec un chien-loup. Enceinte, elle accouche seule. «(...) elle sait ce qu'elle doit faire, elle l'a compris enfin. Peut-être qu'il est trop tard déjà, qu'ils sont en route, guidés par Simon (le père de l'enfant) ou la jeune femme aux lunettes dorées (l'assistante sociale). (...) Ils doivent venir maintenant, avant la nuit, pur tuer le chien et emporter le bébé dans leur hôpital, et pour l'enfermer, elle, dans une grande salle blanche aux murs lisses, dont on ne s'échappe pas.» Elle s'enfuit donc... serrant contre elle son bébé enveloppé dans une serviette-éponge, elle en prend soin, elle l'allaite. Elle veut retarder «l'avancée des hommes qui les cherchent, pendant quelques heures encore.»
* Aucune dépêche.
Ariane. Une adolescente, Christine, se fait surprendre par un groupe de motards, en arrivant chez ses parents, dans un H.L.M. Ils la renferment dans une cave froide et humide, sordide. Et, ils la violent chacun leur tour. «Si tu parles, on te tue.»

Notons que l'accouchement et le viol collectif sont décrits sans pathos, avec justesse et délicatesse. Des scènes qui vous toucheront... et vous émouvront plus, sans doute, que vous ne le croyez.
Je pourrais passer en revue tous les autres récits: chacun recèle les mêmes qualités humaines qu'on peut résumer en un seul mot: compassion. On s'attache à ces personnages brimés, floués, dont les événements majeurs de leur «petite vie» sont traités comme des «faits divers». À la fin, on se dit qu'il vaut toujours mieux juger autrui avec prudence...
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