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dimanche 6 septembre 2009

Rentrez, littéraires! - Jérôme Garcin

Dans une vidéo, sur BibliObs, Jérôme Garcin* porte son choix, pour la rentrée littéraire, sur 4 livres parmi les 20 qu'il a lus. Je rapporte ici l'essentiel de ses propos. Ce sont: «Personne», «Mon enfant de Berlin», «BW», «Des hommes». Deux de ces livres m'attirent particulièrement, je vous dirai brièvement pourquoi.

Préambule. Pourquoi il a aimé ces livres
Ces romans sont à proprement des récits, au sens propre; ce ne sont pas des œuvres d'imagination. Ce sont des œuvres intimes où les femmes prennent en compte, et presque sur leurs épaules, la mémoire des leurs, de ceux qui leur sont chers, de ceux qui ont disparu.

«Personne», de Qwenaëlle Aubry
«Personne» est son père, sa fille rend son identité à ce père qu'elle a tant aimé.

Son propre texte se nourrit du texte de son père, un grand professeur de droit qui est devenu fou, un maniaco-dépressif, interné. Il allait balayer les marches du Palais de Justice où il avait été stagiaire; il se prenait pour James Bond, etc.
Il a laissé des notes qu'il avait consignées dans un texte «Le mouton noir mélancolique ». Elle a restitué son texte, lui a redonné la parole. C'est ainsi que sa fille transforme «personne», son père, en quelqu'un. C'est bouleversant.

«Mon enfant de Berlin», de Anne Wiazemsky
Ce livre est consacré à sa mère, Claire Mauriac, qui épouse, à Berlin, le prince russe Yvan Wiazemsky. De leur union naîtra, à Berlin, une petite fille, «un enfant de Berlin», et cette petite, c'est Anne.

Étrangement, dit Jérôme Garcin, on retrouve dans ce livre la même méthode que dans le livre précédent. En 1945, sa mère, ambulancière dans la Croix-Rouge, était partie pour Berlin en ruines. On peut imaginer l'Allemagne après la défaite: c'était un champ de ruines avec en dessous, les Allemands qui crient famine. Au-dessus, les Alliés qui se partagent les décombres. Anne a retrouvé les notes, le journal, les lettres de sa mère. Tout ça remonte en 1947, à la naissance de Anna Wiazemsky née de la rencontre amoureuse de Claire Mauriac et d'un prince russe qui travaillait aussi pour les personnes déplacées à Berlin.

«BW», de Lydie Salvayre
BW, ce sont les initiales de Bernard Wallet, compagnon de Lydie Savayre qui a recueilli les propos dans une circonstance particulière.

Un troisième témoignage, dit Jerôme Garcin, qui va dans le sens que je dis, c'est-à-dire ces livres qui me frappent par la manière dont, je crois, seules les femmes ont cette façon de s'effacer pour faire parler les autres. Aujourd'hui âgé de 63 ans, BW, éditeur chez Verticales, à la retraite, a failli perdre la vue. C'est comme ça que dans la nuit obscure de la cécité, de la douleur, de la souffrance que sa compagne a commencé à recueillir ses propos. C'est l'histoire d'un éditeur dont on ignorait, avant ce livre, qu'il avait été un bourlingueur incroyable, il avait été, par exemple, au Liban en guerre. Il avait été champion du 4 fois 200 mètres, etc.

«Des hommes», de Laurent Mauvignier
Ce livre est un (vrai) roman qui a pour toile de fond la guerre d'Algérie, et qui dit la souffrance de ces jeunes hommes qui en sont revenus.

C'est un très grand livre, dit Jérôme Garcin. C'est un auteur que je suis depuis ses débuts et qui me passionne. Il a la faculté de faire entendre la voix de ceux qui ont du mal à parler. Il a une écriture unique aujourd'hui dans la littérature contemporaine, entre l'écrit et le parler. Ce romancier, pour moi, tient à la fois de l'accoucheur, du psychanalyste, du témoin, du «recueilleur» de paroles.
Il fait entendre la parole de ces garçons, dans la fleur de l'âge, qui sont partis au début des années '60 pour la guerre d'Algérie. et qui sont revenus traumatisés. Il a pris un petit village de France, dans la France paysanne, pour montrer les séquelles incroyables de ceux qui en sont revenus. Tout ça est raconté et décrit d'une manière époustouflante, avec au centre la guerre d'Algérie. Il ne l'a pas connue, il est né en '67, sauf au travers la propre aventure de son père, mais ça il ne le dit pas dans le livre, bien sûr.
Et c'est pour ça que je l'ajoute à ces trois femmes, car d'une certaine manière il traite de la mémoire de son père. Sauf que, lui, il la traite par une fiction pure, une fiction totale et un très grand roman.

La conclusion de Jérôme Garcin
Ce sont des livres qui m'ont profondément marqué, qui ne sont pas les plus gais, mais qui sont, chacun à sa manière, une façon de montrer le pouvoir de la littérature -lorsqu'elle est réussie- c'est-à-dire, de vraiment faire parler les sans-voix, de faire revenir le passé, et de libérer ou d'ausculter des traumatismes profonds.

Les deux livres qui m'attirent?
«Des hommes», de Laurent Mauvignier. Je suis certaine que j'aimerai son roman. Je ne l'ai jamais lu cet auteur. J'ai hâte de faire sa connaissance. Je vous en reparlerai...
«Mon enfant de Berlin», de Anne Wiazemsky. Je vais poursuivre mon «enquête», pour être bien certaine de mon choix.

Hélas, on ne peut pas tout lire, il faut choisir. Quant à moi, j'ai du pain sur la planche... Il faut que je m'assure qu'il reste de la place.

Je vous suggère de voir la vidéo de Jérôme Garcin, sur ObsVideo.com: Rentrée littéraire: les coups de cœur de Jérôme Garcin.
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Psitt! J'adore ce titre sous forme d'apostrophe aux écrivains. J'ai, d'ailleurs, utilisé de pareilles apostrophes dans «Apostille au nom de la rose» de Unberto Eco
*Jérôme Garcin est directeur délégué de la rédaction du «Nouvel Observateur», et plus particulièrement, de ses pages culturelles.
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