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vendredi 20 novembre 2009

(1). Bicentenaire. Gogol - Le nez - Le manteau

Bicentenaire. 2009 marque le bicentenaire de la naissance de Gogol, Nicolas ou Nicolaï de son prénom (1809-1852). «Le plus singulier poète en prose que la Russie ait jamais connu, selon Nobokov», lit-on sur le site de Gallimard Montréal qui présente un «carton d'invitation» pour participer à «une célébration inspirée par la littérature, l'art et la gastronomie», nommée OGogol. «Les coutumes culinaires, repas, foires, bals, et buffets foisonnent dans l'œuvre de Gogol. Celui qui jugeait l'estomac comme le plus noble organe interne a décrit par la panse beaucoup de traits et travers de la culture russe.»À Montréal, en France et ailleurs, on célèbre, dans la joie, ce bicentenaire de Gogol, le peintre de la vaste Russie et de ses habitants. Gogol, un écrivain... enchanteur. Pour nous joindre à cette célébration, j'ai retenu trois nouvelles. Aucune ne vous laissera indifférents. Le nez - Le manteau - Le journal d'un fou.
Aujourd'hui: Le nez - Le manteau. Demain: Le journal d'un fou.
Le nez.
Le 25 mars, il se passa à Saint-Petersbourg un événement extraordinairement bizarre. Le barbier Ivan Iakovlievich (Son nom de famille s'est enseveli dans la nuit des temps, de sorte que, même sur l'enseigne un homme avec une joue couverte de mousse de savon, avec, dessous, cette inscription: «On tire aussi le sang», -ce nom ne se trouve pas)-, Ivan Iakovlievich donc s'éveilla d'assez bonne heure et fut aussitôt frappé par une odeur de pain chaud. Se levant un peu sur son séant, il s'aperçut que son épouse, matrone très respectable, qui avait un goût très prononcé pour le café, sortait du four des pains fraîchement cuits.

- Praskovia, lui dit Ivan Iakovlievich, je ne prendrai pas de café aujourd'hui, parce que j'aime mieux déjeuner avec du pain chaude et de l'oignon (c'est-à-dire qu'Ivan Iakovlievich aurait préféré l'un et l'autre, mais il savait qu'il lui était absolument impossible de demander deux choses à la fois, Praskovia ne tolérant jamais de pareilles fantaisies)

«Qu'il mange du pain, l'imbécile, se dit en elle-même la digne matrone, ce n'en est mieux que pour moi, j'aurai un peu plus de café.» Et elle jeta un pain sur la table. Ivan Iakovlievich, par respect pour les convenances endossa un vêtement par-dessus sa chemise et, ayant pris place à table, posa devant lui deux oignons et du sel; puis, s'emparant d'un couteau, il se mit en devoir de couper le pain. L'ayant divisé en deux, il jeta un regard dans l'intérieur et aperçut avec surprise quelque chose de blanc. Il y plongea avec précaution le couteau, y enfonça un doigt.

«C'est solide! fit-il à part soi, qu'est-ce que cela pourrait bien être?» Il enfonça encore une fois les doigts et en retira... un nez!
Les bras lui en tombèrent, il se mit à se frotter les yeux, à le tâter: c'était en effet un nez et au surplus, lui semblait-il, un nez connu. La terreur se peignit sur le visage d'Ivan Iakovlievich. Mais cette terreur n'était rien en comparaison de l'indignation qui s'empara de son épouse.

-À qui, bête féroce, as-tu coupé le nez comme cela? s'écria-t-elle avec colère. Coquin, ivrogne, je te dénoncerai moi-même à la police. Brigand que tu es! J'ai déjà ouï-dire à trois personne que tu avais l'habitude, en faisant la barbe, de tirer si fort les nez, qu'ils avaient peine à rester en place.

Mais Ivan Iakovlievich était plus mort que vif. Il avait enfin reconnu, dans ce nez, le propre nez de l'assesseur de collège Kovaliov, à qui il faisait la barbe tous les mercredis et dimanches.

Ainsi commence la nouvelle «Le nez». Elle est amusante, spirituelle, pleine de rebondissements. Un vrai plaisir!

Le manteau
«Dans une division de ministère... mais il vaut peut-être mieux ne pas vous dire dans quelle division. Il n'y a, en Russie, pas de plus susceptible que les fonctionnaires des ministères, de l'armée, de la chancellerie. Bref, Pour peu que l'un d'eux se croie froissé, il s'imagine que l'Administration subit une affront dans sa personne.»
Puis, Gogol entame un portrait des fonctionnaires tels qu'on les aime... encore aujourd'hui.

«Notre héros s'appelait de son nom de famille Baschmaschkin (Baschmak=soulier; Bachmaschkin=cordonnier). Il se nommait de son prénom et de celui de son père Akaki Akakievitch.» Prénom obtenu à l'arraché par sa mère lorsque le bébé fut porté aux fonds baptismaux.

«Dans la chancellerie où il était employé, personne ne lui témoignait d'égards. (...) Ses collègues, plus jeunes que lui, en faisaient l'objet de leurs railleries et la cible de leurs traits d'esprit - pour autant que des employés et surtout des employés de chancellerie puissent prétendre à l'esprit. (...) Mais Akaki n'avait pas un mot de réplique à toutes ces attaques ; il faisait comme s'il n'y avait personne autour de lui.»
Mais lorsqu'on l'empêchait d'écrire, il disait:
«"Laissez-moi donc! Pourquoi vouloir absolument me déranger dans ma besogne?"
Et il y avait quelque chose de particulièrement touchant dans ces paroles et dans la manière dont il les prononçait?» (..)

Nulle part on n'eût trouvé d'employé qui remplît ses devoirs avec autant de zèle que notre Akaki Akakievitch. Que, dis-je, zèle, il travaillait avec amour, avec passion. Quand il copiait des actes officiels, il voyait s'ouvrir devant lui, un monde tout beau et tout riant. Le plaisir qu'il avait à copier se lisait sur son visage. Il y avait des caractères qu'il peignait, au vrai sens du mot, avec une satisfaction toute particulière; quand il arrivait à un passage important, il devenait un tout autre homme: il souriait, ses yeux pétillaient, ses lèvres se plissaient et ceux qui le connaissait pouvait deviner à sa physionomie quelles lettres il moulait en ce moment. (...). Il semblait qu'en dehors de la copie, il n'existât pour lui rien, rien au monde.»

À Saint-Peterbourg, les riches, les pauvres, les plus-que-pauvres ont un même ennemi: «le froid du Nord, quoiqu'on le dise favorable à la santé.» L'hiver s'annonçait, et Akaki Akakievitch avait froid. Son manteau était terriblement usé, à ce point qu'«on lui avait même refusé le noble nom de manteau pour le baptiser capuchon.» D'année en année, le collet avait été raccourci, et Akaki Akakievitch l'avait, lui-même et gauchement, rapiécé tant de fois, découpant une partie du manteau pour la coudre ailleurs... Il n'y avait plus qu'une seule solution: demander au tailleur Petrovitch de le rapiécer. Impossible! Il refusa tout ne -c'est une guenille-, et proposa de lui en confectionner un neuf. Akaki Akakievitch n'avait pas le choix. Mais il n'avait pas de quoi payer. Roublard, Petrovitch attendit que Akaki Akakievitch eut en main la somme énorme qu'il avait exigée.

Grâce à la gratification que lui accorda un fonctionnaire de son ministère, et deux ou trois mois de faim, Akaki Akakievitch put amasser l'argent nécessaire. 15 jours plus tard, Petrovitch, tout fier, lui apporta chez lui, un matin, le manteau tant espéré. Plus fier encore, Akaki Akakievitch se rendit au travail avec son manteau neuf «... le manteau était chaud et puis il était beau...». Ses collègues admirèrent son manteau et le comblèrent de félicitations. Un de ses supérieurs invita Akaki Akakievitch et ses collègues à prendre le thé chez lui, le soir même. Toute cette journée fut un jour de fête pour ce pauvre Akaki Akakievitch. Mais...

«Sans une parole de plainte, cet être avait supporté le mépris et la raillerie de ses collègues. Sans qu'il y eût été poussé par un événement extraordinaire, il avait pris le chemin du tombeau et lorsque, à la fin de ses jours, un manteau lui avait donné tous les transports de la jeunesse, le malheur l'avait terrassé.»
«Mais le modeste conseiller titulaire était destiné à faire plus de bruit après sa mort que de son vivant, et ici notre récit prend un tour fantastique. Un jour la nouvelle se répandit... »
Mais, un peu plus loin, c'est un virement de situation. «Revenons maintenant au directeur général la cause première de notre récit fantastique mais absolument vrai.»

La fin de la nouvelle vous charmera. Gogol, un esprit fin, délié, qui glisse dans cette nouvelle des pointes d'ironie, des piques acérées, de l'humour. Une nouvelle triste qui se changera en conte fantastique. Un portrait d'un petit fonctionnaire pauvre, soumis, sans défense et sans protection. Mais il vengera ... après sa mort. Ça fait plaisir à voir!

Demain, je vous présenterai «Le journal d'un journal.» C'est un rendez-vous...

Bonne journée!
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Dans le même livre, on trouve les 3 nouvelles: Le nez - Le manteau - Le journal d'un fou. C'est une édition bilingue, français / russe. Pour plus d'informations, cliquez ici.
Pour vous renseigner sur la célébration «OGogol», je vous transmets 3 adresses: Gallimard Montréal ; Fondation canadienne de la culture russe, fccrmontreal.org ; kapostroff.com
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