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samedi 28 novembre 2009

Cinéma. «The Road» - L'apocalypse - Cormac McCarthy - John Hillcoat

Cinéma. «The Road», l'apocalypse, selon Cormac McCarthy; le film de John Hillcoat. La sortie en salles du film -d'abord présenté à la Mostra de Venise- ramène le roman de Cormac McCarthy, dans l'actualité littéraire et cinématographique. «"The Road" retente le saut périlleux de la littérature au cinéma», écrivait l'envoyé spécial du journal Le Monde, à la Mostra. «Les grands livres sont-ils adaptables au cinéma?», se demandait-t-il. Ce qu'il restait à voir... en voyant le film. Voilà, c'est fait.
Examinons donc, ensemble, ce qu'en disent les critiques de cinéma qui ont vu le film. Mon échantillon comprend 5 comptes rendus, ceux du journal Le Monde et de l'Agence France-Presse (AFP), à Mostra de Venise; et, trois articles récents parus sur Tv5.org, sur Cyberpresse, par Marc Cassivi et dans Le Devoir, par Odile Tremblay.

Les acteurs et l'actrice.
Viggo Mortensen -hagard, le visage émacié- et Kodi Smit-McPhee incarnent respectivement l'homme et l'enfant, le père et son jeune fils. Dans le roman, ils ne portent pas de nom et leur physique n'est pas décrit: ce sont deux «êtres» qui errent dans un monde qui n'existe plus. Ils errent dans un no man's land, obligés de se protéger contre les hordes sauvages. L'humanité a régressé au point de pratiquer le cannibalisme.

Il faut savoir gré à John Hillcoat d'avoir évité de récupérer ce récit en film de genre, avec surenchère de scènes d'horreur et d'effets spectaculaires. Des forfaits qui sont, à mon avis, à la limite de l'insupportable dans le roman. Ces scènes d'horreur, je le précise, sont essentielles dans le roman.

Charlize Theron joue le rôle de la mère de l'enfant. Elle se suicide par désespoir au début du roman. Seuls au monde, le père et l'enfant prennent la route, à pieds et se dirigent vers le Sud, espérant y trouver leur salut. Mais... le bleu du ciel ne sera pas au rendez-vous... Une fin dure, bouleversante, et qui m'a chavirée. Seulement à y repenser, les larmes me montent aux yeux. La route a été longue et pénible, ces deux êtres attachants feront face à un «dead end».

«Robert Duvall, en vieil homme errant, est méconnaissable et «extraordinaire en vieillard aux yeux voilés.

Les images
«Souvent très retouchés par ordinateur ou entièrement numériques, les paysages au ton gris métallique sont d'une grande beauté» (AFP). Le Monde dit que: «L'essentiel de son travail (John Hillcoat) a été de créer un climat visuel.» Odile Tremblay souligne «le travail sur la lumière estompé, les teintes sépia qui baignent le film (malgré certaines scènes où le soleil paraît trop présent). Plusieurs images magnifiques... Un travail immense et méritoire fut accompli pour rendre l'univer de toutes les détresse...»

La musique

«Sobre, mais obsédante, la musique originale composée par Nick Cave contribue avec efficacité à l'atmosphère angoissante du film», lit-on sur Tv5.org. Marc Cassivi est d'avis contraire: «Où le film rend... moins justice au roman de Cormac McCarthy, c'est dans sa musique. Pas celle, métaphorique, de sa réalisation [le roman a sa propre musicalité, et le film a la sienne], mais dans les notes noires, bien concrètes, de sa bande sonore. Le travail d'esthète du romancier commandait à mon sens une musique, sourde, inquiète, aérienne.» Pour lui, la musique de Nick Cave, «en constante rupture avec le récit tend trop souvent vers le sentimentalismeOdile Tremblay exprime de sérieuses réserves: «La musique, surtout au milieu des segments avec l'épouse, met du rose et des violons sur une désolation appelant des accords brisés
L'insertion des images de l'épouse fait justement problème...

Les flashbacks
«Resserrant la narration et ajoutant quelques flashbacks mettant en scène un univers familial harmonieux d'avant la catastrophe qui était absent du roman, il gomme l'ambiance énigmatique tissée par McCarthy.» (AFP) Pour Le Monde: L'homme et l'enfant «traumatisés par le suicide de la mère de famille dont l'obsédante présence est évoquée en flash-backs lumineux (...)».
Lumineux, peut-être, mais ajoutés et sans aucun rapport avec le roman. Un gommage pour alléger le roman?

La conclusion des comptes rendus
L'Agence France Presse. «Mais au final le cauchemar mis en scène par The Road ne bouleverse pas le spectateur.»

Le Monde. «John Hillcoat s'attache aux rapports père-fils, à la veine philosophique de propos, à sa portée métaphorique. Car The Road est une invitation à s'interroger sur les réflexes de l'être humain, ses pulsions de sauvagerie (...)», etc. La veine éducatrice du père, que la situation pousse à partager de façon primaire le monde entre les bons et méchants, est "réformée" par la vision plus charitable du gamin, qui pousse l'adulte à ne pas laisser des innocents démunis au bord du chemin.»

Tv5.org. «Mais au final le cauchemar mis en scène par «The Road», dont certaines séquences flirtent avec le film d'horeur, ne bouleverse pas le spectateur.»

Marc Cassivi. «Ce n'est pas un mauvais film. Mais ce n'est pas non plus un très bon film. Oeuvre moyenne se fondant dans un magma d'œuvres moyennes.» Il pose la question: «Existe-t-il des romans inadaptables au cinéma? Peut-on excuser à un film mineur de s'inspirer d'une œuvre majeure? John Hillcoat, qui n'a rien de Gus Van Sant, risque de l'apprendre à ses dépens.»

Odile Tremblay. «À l'écran, John Hillcoat n'a pas totalement manqué son coup... il a juste évacué l'essentiel: l'immense charge émotive.» Elle ajoute:«Et que dire du happy end à contresens, sur des scènes de famille gentillette, là où la lumière n'avait pas sa place? Le fil, en tâchant d'alléger la charge, en a égaré la portée.»

Ma conclusion
Me basant sur les comptes rendus, j'en arrive à conclure que le film, sans les ajouts, sans le happy end, et sans le gommage, aurait pu réussir -haut le jambe- le saut périlleux de la littérature au cinéma. John Hillcoat n' a pas su aller jusqu'au bout...

Une question se pose: à qui s'adresse le film? À ceux et celles qui ont lu le roman... et qu'il risque de décevoir? Au public qui ne l'a pas lu et que l'on craint d'effrayer? D'ennuyer même...

Je vous le dis, tout de go, un film qui ne rend pas rend pas l'atmosphère (l'ambiance) d'un roman: je déteste. Dans ce cas de «The Road» de Cormac McCarthy: c'est une trahison. Pourtant, John Hillcoat s'était fixé comme objectif de rester le plus fidèle possible à l'esprit du livre» Qu'est-ce que veut dire le «plus fidèle possible»?
J'ai gardé au creux de l'oreille, la réplique de Arletty à Louis Jouvet dans l'Hôtel du Nord (1938), de Prévert et Carné.
__ «J'ai besoin de changer d'atmosphère.» (Monsieur Edmond)
__ «Atmosphère! Atmosphère! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère?» (Raymonde)
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