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samedi 21 novembre 2009

(2). Bicentenaire. Polémique. Gogol - Le journal d'un fou

(2). Bicentenaire. Polémique. La célébration du bicentenaire de la naissance de Gogol tourne à la foire d'empoigne entre la Russie et l'Ukraine. La pomme de discorde: Gogol est-il russe ou ukrainien? Explication... géographique. Gogol est né en 1809 à Bolchie Sorotchintsy en Ukraine, alors une province russe. À 19 ans, après des études médiocres, il gagne Saint-Péterbourg où il passe une partie de sa vie. Gogol meurt à Moscou en 1852. Aujourd'hui, Sorotchintsy fait partie de l'Ukraine, devenu un pays indépendant en 1991.

Gogol a eu une grande influence sur la littérature russe, comme exemple, Dostoïoski, Bulgarov Soljenitsyne.
«Nous sommes tous sortis du manteau de Gogol»
Dostoïevski


La Russie tire Gogol par une manche du «manteau» et l'Ukraine par l'autre manche. En Russie, outre l'aspect géo-politique, on invoque le fait que c'est en russe que Gogol écrivait. «À en croire Vladimir Yavorivsky, romancier et parlementaire ukrainien. "Il n'y a pas que la langue qui compte, mais aussi les thèmes, les sujets abordés. Les écrits de Gogol sont remplis de l'imaginaire et de la pensée issus des chanson et du folklore ukrainien."»
Pour Vladimir Yavorivky, «diviser Gogol, c'est comme essayer de diviser l'air, l'Éternité ou le ciel. Il a été à la fois un grand écrivain russe et un grand écrivain ukrainien dont le feuillage est en Russie, mais les racines en Ukraine.»
[Baptiste Touverey, Gogol est-il russe ou ukrainien? BibliObs]

Pour fêter le bicentenaire. En Russie: un musée Gogol ; une adaptation télévisuelle de «Taras Boulka», un roman de Gogol. En Ukraine, un musée Gogol à Sorotchintsy ; des traductions en ukrainien des oeuvres de Gogol dans les lesquelles «la grande Russie» est remplacée par «la grande Ukraine.» Voulez-vous savoir ce que je pense? Dans la grisaille du matin, je regardais le saule de mon jardin. À travers ses branches dénudées formant parapluie, j'ai aperçu la figure estompée de Gogol. Posant les yeux sur mon écran, qu'est-ce que j'ai vu... «Le journal d'un fou».

Le journal d'un fou
Que se passe-t-il dans la tête d'un fou? Gogol pénètre dans la tête de Proprichtchine, et lui donne la parole. Je vous le dis, cette nouvelle est bouleversante. De date en date, cet homme à qui l'esprit joue des tours, écrit dans son journal ses pensées, nous raconte ce qu'il fait... Il se rend au Ministère où il travaille. Puis, il accumule les absences, va au théâtre, lit les journaux, réfléchit, étendu sur son lit...

Du 3 octobre au 8 décembre, les 9 entrées dans son journal indiquent que son esprit déraille progressivement jusqu'à prendre contact avec la réalité.
[] Le 8 décembre, il écrit: «J'étais tout à fait décidé à me rendre au ministère, mais différentes raisons et réflexions m'en ont empêché. Les affaires d'Espagne ne peuvent toujours me sortir de l'esprit. (...)»
La simple lecture des entrées suivantes suffit à rendre compte de la dégringolade de l'esprit jusqu'à son abîme.
[] An 2000. 43e jour d'avril, il écrit: «Aujourd'hui est un jour de grande solennité! L'Espagne a un roi. On l'a trouvé. Ce roi, c'est moi. Ce n'est qu'aujourd'hui que je l'ai appris. J'avoue que j'ai été brusquement comme inondé de lumière. Je ne comprends pas comment j'ai pu penser, m'imaginer que j'étais conseiller titulaire. Comment cette pensée extravagante a-t-elle pu pénétrer dans mon cerveau? Encore heureux que personne n'ait songé alors à me faire interner dans une maison de santé. Maintenant, tout m'est révélé. Maintenant, tout est clair... Avant, je ne me comprenais pas, avant, tout était devant dans une espèce de brouillard. (...)»
[] 86e jour de Martobre. Entre le jour et la nuit. Aujourd'hui, l'huissier est venu me dire de me rendre au ministère, car il y avait plus de trois semaines que j'assurais plus mon service. Je suis allé au ministère pour rire. (...) Ce qui m'a amusé plus que tout, c'est quand ils m'ont glissé des papiers, pour que je les signe. Ils s'imaginaient que j'allais écrire tout en bas de la feuille: chef de bureau un tel. Allons donc! J'ai gribouillé, bien en vue, là où signe le directeur du département: «Ferdinand VIII.» Il fallait voir le silence respectueux qui a régné alors! Mais j'ai fait seulement un petit geste de la main, en disant: «Je ne veux aucun témoignage de soumission!», et je suis sorti.
[] Pas de date. Ce jour-là était sans date. Je me suis promené incognito sur la Perspective Newski. Sa majesté l'Empereur a passé en voiture. Toute la ville a ôté ses bonnets et j'ai fait de même; pourtant, je n'ai nullement laissé voir que j'étais le roi d'Espagne. (....)
[] J'ai oublié la date. Il n'y a pas eu de mois non plus. C'était le diable sait quoi. Ma cape est achevée et cousue. Mavra a poussé un cri quand je l'ai mise. Pourtant, je me décide pas encore à me présenter à la Cour. La députation d'Espagne n'est toujours pas là (...)
[] Le 1er. Cette lenteur des députés m'étonne prodigieusement. Quelles sont les raisons qui ont pu les retarder? La France, peut-être? (...)
[] Madrid, 30 février. «Voilà, je suis en Espagne; cela s'est fait si rapidement que j'ai à peine eu le temps de m'y reconnaître. Ce matin, les députés espagnols se sont présentés chez moi, et je suis monté en voiture avec eux. Cette extraordinaire précipitation m'a paru étrange. Nous avons marché à un tel train que nous avions atteint la frontière d'Espagne, une demi-heure plus tard. D'ailleurs, il est vrai que maintenant il y a des chemins de fer dans toute l'Europe et que les bateaux à vapeur vont extrêmement vite. Curieux pays que l'Espagne (...)
"Reste-là -dans une petite chambre- et si tu racontes que tu es le roi Ferdinand, je te ferai passer cette envie.»
C'est l'internement, et le début du calvaire de Proprichtchine. Le «roi Fernand VIII» ne sera plus jamais heureux dans sa douce, et royale, folie.

[] Janvier de la même année, qui a succédé à février. (...) Aujourd'hui, on m'a tondu, bien que j'aie crié de toutes mes forces que je ne voulais pas être moine. Mais je ne peux même plus me rappeler ce qu'il est advenu de moi lorsqu'ils ont commencé à me verser de l'eau froide sur le crâne. Je n'avais jamais enduré un pareil enfer.Pour un peu je devenais enragé, et c'est à peine s'ils ont pu me retenir. Je ne comprends pas du tout la signification de cette étrange coutume. C'est un usage stupide, absurde. La légèreté des rois qui ne l'ont pas encore aboli, me semble inconcevable. Je suppose, selon toute vraisemblance, que je suis tombé entre les mains de l'Inquisition.»
[] Le 25. Aujourd'hui, Le Grand Inquisiteur est venu dans ma chambre, mais je m'étais caché sous ma chaise en entendant son pas. (...) Enfin, il m'a vu et m'a fait sortir de dessous la chaise à coups de bâton. Ce maudit bâton vous fait un mal horrible.»
[] Jo 34e ur Ms nnacée. 349 reirvéF. «Non, je n'ai plus la force d'endurer cela! Mon Dieu! que font-ils de moi! Ils me versent de l'eau froide sur la tête. Ils ne m'écoutent, ne me voient, ne m'entendent pas. Que leur ai-je fait? Pourquoi me tourment-ils? Que veulent-il de moi, Malheureux? Que puis-leur donner? Je n'ai rien.
Je suis à bout, je ne peux plus supporter leurs tortures; ma tête brûle, et tout tourne devant moi. Sauvez-moi! Emmenez-moi! Donnez une troïka de coursiers rapides comme la bourrasque! ....»

Je m'arrête ici... Cet appel de détresse vous transpercera le cœur. Gogol en fait un passage d'une poésie sans égale. Un vrai tableau de Chagall. Pour nous consoler, si je puis dire, il termine par une phrase pirouette dont le dernier mot est... nez.

Gogol, à la plume satirique envers «le système», exprime, dans cette nouvelle, une profonde compassion, une pitié même, pour un fou. La cruauté des hommes envers cet innocent sans défense, sans malice est sans borne. Fou... il est seulement fou. Et seul, si seul...

Le nez. Le manteau. Le journal d'un fou.
J'espère que la présentation de ces trois courtes nouvelles, de 30-40 pages chacune, vous incitera à les lire, ou relire. C'est ce que je souhaite... bien modestement.

Merci de me lire!
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Psitt! Ce tiraillement entre la Russie et l'Ukraine me fait vaguement penser à quelque chose... Mais, je n'arrive pas à me rappeler ce dont il s'agit... Bizarre!
Note. Le roman de Gogol «Les âmes mortes» est une œuvre majeure. J'en ferai éventuellement l'objet d'un billet.
Livre. Nouvelles de Pétersbourg: Le Journal d'un fou, Le Nez, et autres nouvelles. Préface Georges Nivat, Gallimard, Folio classique. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Image. Proprichtchine. Tableau de Ilya Repine (1882)
Polémique. «Gogol est-il russe ou ukrainien?», par Baptiste Touverey, BibliObs
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