«L'Enfer» - Romy - Clouzot / Bromberg - Medrea / Un film - Un livre

«L'Enfer». Film inachevé de Henri-Georges Clouzot (1964). Un couple vedette dans le rôle de jeunes mariés, Romy Schneider et Serge Reggiani. Un sauveteur: Serge Bromberg, archiviste et restaurateur du cinéma, récupére les vestiges (185 boîtes de bobines) et réalise - avec Ruxandra Medrea- un documentaire, et un livre. Voyons ce qu'il en est de cette aventure cinématographique hors de l'ordinaire

La Columbia juge les premiers rushs «hypnotiques, incandescents, époustouflants» et alloue à Clouzot un budget illimité. Passé maître dans l'art de distiller l'angoisse, Henri-Georges Clouzot veut atteindre le paroxysme de l'obsession. Jusqu'à la folie du mari jaloux...

Au sortir d'une grave dépression, suite à la maladie et la mort de sa femme et égérie Véra, «il veut mettre en images les malaises anxieux qui l'empêchent de dormir. Tout cela va se cristalliser autour du thème de la jalousie.» Il se fixe comme objectif de faire ressentir à chaque spectateur la «terrifiante névrose morbide» du mari... Serge Reggiani .

Comment? La jalousie est fichée en une dizaine de couleurs; chacune correspond à un état d'âme, un moment, une situation. La vie quotidienne est tournée en noir et blanc; «les fantasmes infernaux du mari en couleur» que sa femme... Romy Schneider devait supporter semaines après semaine, en plus d'être enduite d'huile d'olive, couverte de paillettes, grimée de fards multicolores. Le cinéaste est perfectionniste, exigeant, un bourreau de travail insomniaque, capable de réveiller ses proches collaborateurs en pleine nuit. [Paris Match] Épuisant!

L'atmosphère sur le plateau est tendue, les problèmes techniques et humains s'accumulent, Romy Schneider est exténuée, Serge Reggiani craque, prend un congé maladie. Jean-Louis Trintignant est appelé à la rescousse... pour peu de temps. Par une journée torride de juillet, alors qu'on tournait, discrètement, une scène d'amour tout aussi torride entre Romy et Dany Carrel (au fond d'une barque), Henri-Georges Clouzot fait une crise cardiaque sur le plateau. On lui porte secours. On arrête la production. [Paris Match]. Le film restera inachevé et glissera dans les oubliettes. Les projecteurs s'éteignaient sur le rêve de Clouzot*

«L'enfer». «Un film sur le démon de la jalousie, inspiré de sa relation avec son ex-femme, mais portée par le cinéma dans ses confins extrême.» (...) «La genèse de ce film est d'abord celle d'un artiste qui traverse une phase de doute et de dépression. Clouzot a perdu sa première femme, Vera, en 1960, et il en est à un point de sa carrière où il n'a plus grand chose à démontrer, tandis que se profile à l'horizon une vague nouvelle de jeunes gens qui s'apprêtent à révolutionner le cinéma français. Tandis qu'il se remarie en 1963 avec Inès Gonzalès, cet homme de 56 ans veut aussi montrer qu'il peut encore frapper un grand coup esthétique.» [Le Monde]

«L'Enfer». Pour la première fois, Romy Schneider acceptera de tourner nue dans une scène d'un érotisme et d'une violence inouïs. «Romy Schneider, telle que jamais on ne l'a vue: ligotée, dégradée, répulsive, fascinante, dominatrice, fragmentée, scintillante, hybridée, peinte de la tête aux pieds, captive d'un démiurge qui la soumet à ses plus folles visions.» [Le Monde]. Les visions de Clouzot, débridées, ne semblent pas avoir de borne...

«L'Enfer». Serge Bromberg n'a pas seulement récupéré et remis en état le film inachevé de Clouzot, il y a ajoute sa propre création. Ainsi, il met en lecture la partie manquante du scénario dans le film. Une idée originale qui ne met pas en danger les acteurs et qui est, soulignons-le, respectueuse de l'œuvre du Maître. Bérénice Bejo l'exprime nettement dans une entrevue. Elle n'est pas Romy Schneider... Jacques Gamblin n'est pas Serge Reggiani... Catherine Allégret joue également dans cette fiction de Bromberg et Medrea.

«L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, la légende d'un film inachevé». Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici "une recomposition" de l'œuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l'histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d'exister enfin.» [Résumé du film].
D'ailleurs Bromberg, dans une entrevue, récuse la désignation «documentaire». Pour lui, «L'Enfer» est un film qui contient 2 fictions intégrées l'une à l'autre. C'est un «nouveau film»... En passant, rappelons l'adaptation par Claude Chabrol de «L'Enfer» de Clouzot (1994), reprenant le titre original, avec Emmanuelle Béart et François Cluzet.

«L'Enfer!» Un livre. «Romy dans l'Enfer» de Serge Bromberg.

Un album de photos de Romy, tirées de l'œuvre de Henri-Georges Clouzot. Cet ouvrage (160 pages) vient de paraître en France, chez Albin Michel/ Lobster. Disponible dans une librairie près de chez vous, juste à temps pour Noël?**

Des photos inédites d'une grande beauté

«Jamais Romy Schneider n'a jamais été aussi belle.»

Je vous invite à voir 2 vidéos et 13 photos de l'album.

Extrait 3. «L'Enfer» de Clouzot, avec Romy Schneider

«L'enfer... la légende» de Bromberg et Medrea


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* Note. Henri-Georges Clouzot se remettra de sa crise cardiaque. Il tournera, par la suite, un film et des documentaires avec Herbert Von Karajan. Il mourra le 12 janvier 1977. Sa seconde femme, Inès de Gonzalès, raconte: «Il est mort dans notre salon en écoutant "La Damnation de Faust", de Berlioz. La partition qu'il suivait continuellement, était ouverte sur la table basse à la scène XV. Marguerite, l'héroïne de cette légende était en train de chanter ces vers: "Tout me paraît en deuil /Alors ma pauvre tête/Se dérange bientôt/Mon faible cœur s'arrête/Puis se glace aussitôt."»

**Psitt! Pour le savoir...Consultez une boule à neige de Noël, secouez-la jusqu'à ce que le Père, de sa voix tonitruante suivie d'un joyeux rire, vous donne la réponse... Essayez! On sait jamais...

Principales sources:
«Tournage au bout de l'enfer», par Ghislain Loustalot - Paris Match.
«Critique "L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot": regarder Romy et approcher 'L'Enfer', par Jacques Mandebaum, Le Monde.fr
«Bromberg: C'est Romy Schneider comme on ne l'a jamais vue». Interview. Propos recueillis par Sandrine Cochard, 20minutes.fr