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jeudi 26 novembre 2009

(2) Le français a changé ma vie - Lettre à un jeune immigrant - Alain Stanké

«Le français a changé ma vie», livre récent de Alain Stanké (Michel Brûlé). Cet «essai-témoignage»* Alain Stanké nous laisse entendre sa voix, familière et rieuse, qui n'a rien de «facétieux»*. Le rire est le bouclier du malheur! Dans la «Lettre à un jeune immigrant», l'auteur clame son amour pour la langue française et le Québec. Il incite le «jeune immigrant» à apprendre le français, à s'adapter, à s'acclimater, et à aider ses parents dans l'apprentissage de la langue. Deux lectures qui se complètement. Alain Stanké a, peut-être, la tête en France?* -ou ailleurs comme Jules Verne-, mais, chose certaine, il a le cœur au Québec. Et un grand cœur. Laure Conan, Victor-Lévy Beaulieu, Jean-Claude Germain, il les cite dans sa lettre.

Dans son livre «Le français a changé ma vie», en plus de livrer son témoignage, Alain Stanké relève des enjeux majeurs reliés au français. À ce sujet, Louis Cornellier écrit qu'il «refuse de se mouiller franchement sur la plupart des sujets.» Développer ces sujets aurait, à ce que je pense, créé une excroissance, un essai-essai dans l'essai-témoignage... À ce que je comprends, Alain Stanké nous dit, simplement, ce qui le préoccupe. «Le français qui fait vivre au Québec, c'est un combat sociopolitique quotidien...»*. Eh bien soit! Alain Stanké «semble l'ignorer»*... hein! Il n'en parle pas. Pardi, c'est son choix!

Le livre de Alain Stanké vous charmera, vous surprendra, vous fera rire. Bref, un bon moment de lecture! Le 2e extrait de sa «Lettre à un jeune immigrant», datant de 2004, est tout à fait d'actualité... Lisez-la, vous verrez bien...

(2) Lettre à un jeune immigrant

(...) Tiens, moi qui t’écris, lorsque je suis arrivée en France, tout de suite après la guerre, je n’avais que onze ans. Je ne parlais pas un traître mot de français. Je parlais (survie oblige), le lituanien, le polonais, le russe et l’allemand … mais, tu te doutes bien qu’en France, toutes ces langues ne m’étaient pas très utiles. Les petits Français n’allaient tout de même pas les apprendre juste pour me faire plaisir, histoire de me faciliter les communications. Normal : ce n’est pas aux autres de faire l’effort, c’est à nous !

À l’école primaire, lorsque j’ai fait ma première dictée en français, une malheureuse petite dictée d’une page, j’ai récolté 102 fautes. Un record sans doute jamais égalé depuis… C’ÉTAIT LA HONTE ! Tu imagines bien que mes petits copains ne se sont pas gênés pour rire de moi : le petit étranger… le seul blond aux yeux bleus qui avait réussi à battre le record des pires cancres de la classe… Tordus de rire, écroulés qu’ils étaient, les petits camarades!
(...)

(...) Je me souviens avoir pris, à ce moment précis, une des plus importantes décisions de ma vie : celle de convertir ma honte en motivation. Convertir le désespoir et mon abattement en une occasion de devenir meilleur. (...) Tu vas rire : mais je me suis juré de mettre toutes mes forces, toutes mes énergies, toutes mes prières pour apprendre le français de manière à le parler aussi bien et, si possible, encore mieux que les Français eux-mêmes !
(...) Voilà ce que je me suis dit : «Plus tard, je parlerai plus mieux française que vous et je vous merdrai tous… et vous me direz merci d’avoir venu!» Eh bien, tu me croiras si tu le veux, mais, un an plus tard, oui, exactement douze mois après cette flamboyante et… mémorable dictée, je remportais le « deuxième prix de français »-non pas de ma classe, mais de TOUTE l’école St Pierre de Montrouge du XIVe arrondissement de Paris. Et pan !

(...) Pour marquer le coup on m’a remis un beau diplôme enluminé, ainsi qu’un superbe livre relié de couleur rouge, doré sur tranches, sur lequel était écrit : DE LA TERRE À LA LUNE . J’avais l’impression que le grand Jules Verne avait écrit ce livre spécialement pour moi. Le beau livre DE LA TERRE À LA LUNE couronnait parfaitement le chemin que je venais de parcourir. Tu penses bien que ce livre je ne m’en suis jamais défait ! Si tu me le permets, je voudrais ajouter quelque chose à ce propos. Par la suite, quand j’ai débarqué au Québec j’ai exercé plusieurs métiers (sans doute parce qu’en pratiquant plusieurs métiers simultanément je voulais avoir l’impression de vivre davantage, qui sait ?) En tous les cas j’ai toujours cherché à ne pas faire de ma vie quotidienne…une vie de tous les jours. Je suis donc devenu, journaliste, animateur, producteur et éditeur. Il n’y a sans doute jamais rien pour rien dans la vie.
Figure-toi qu’au cours de mes 42 années d’éditeur j’ai publié plus de 2,000 titres, (tout un accouchement !) parmi lesquelles six manuscrits ORIGINAUX de nul autre que… le célèbre Jules Verne ! Des manuscrits qui furent découverts après la mort du grand écrivain et dont la prestigieuse Société Jules Verne de Paris a jugé bon de m’en confier, à moi, petit éditeur québécois, la publication exclusive pour le monde entier. Je te gage que jamais personne n’a vraiment compris à quel point j’étais fier d’être devenu - (exactement 50 ans après avoir reçu mon prix) - « l’éditeur officiel » de ce même de Jules Verne.

Je ne connais rien de toi. Je ne sais pas si tu es noir ou si tu es blanc, si tu es catholique ou musulman. Tout ce que je sais c’est que tu es un immigrant. Il se peut même que tes parents fassent partie du groupe des « allophones » et qu’ils éprouvent quelque difficulté à apprendre le français. Il est donc fort probable qu’ils comptent sur toi pour assumer bien des charges. Tout un fardeau pour tes frêles épaules ! Certes, c’est beaucoup te demander mais tu verras, c’est très stimulant et, en fin de compte, pas mal valorisant. Ainsi motivé, tu parviendras, toi, à maîtriser la langue beaucoup plus rapidement.
(...)
(...) c’est PAR CHOIX que je suis devenu Québécois ! » À bien y penser, un être humain n’est rien d’autre qu’un HASARD qui se fait DESTIN. À un moment donné j’avais pris l’habitude de faire savoir aux gens – (qui prisent particulièrement les étiquettes, les frontières et les passeports) – que ma chambre à coucher à moi c’était la terre tout entière.
(...)
Choisir, c’est renoncer à tout le reste ! Et puis, comme dit mon ami Victor-Lévy Beaulieu dans son livre L’HÉRITAGE: «Lorsqu’on ne choisit pas, on ne peut pas aimer ni les choses, ni les êtres. Au mieux peut-on les voir avec indifférence.»
Jean-Claude Germain, lui, a eu la gentillesse de me dire un jour ces mots qui ont eu pour moi, l’effet d’un baume. Je te les répète car ils s’appliquent aussi à toi.
Il a dit: «On peut naître Québécois partout dans le monde… mais on le découvre seulement quand on vient vivre au Québec.» (...)

Il faut que tu le saches que l’on beau être quelque 100 millions *à parler la belle langue française dans le monde, il arrive pourtant qu’on ne se comprenne pas toujours. Il y a parfois des mots qui – même s’ils sont français – n’ont pas la même signification ici qu’en France (et inversement). Tiens, moi qui t’écris, je l’ai expérimenté à mes dépens en arrivant à Montréal. Je te raconte... (...)

Pour bien s’acclimater, il faut pouvoir communiquer avec les autres. Dans ce sens l’écriture est un outil indispensable car L’ILLETTRISME c’est L’EXCLUSION ! Les analphabètes sont gravement perturbés et gênés dans leur vie quotidienne, dans leur
vie professionnelle ainsi que dans leur épanouissement. Ils vivent l’exclusion doublement : par une participation réduite à la vie sociale, et par la carence de tout ce que l’écrit apporte de spécifique. Pour écrire une lettre, trouver un emploi, signer un bail, s’orienter, il faut nécessairement savoir lire et, ne pas le savoir, nous EXCLUT même dans une société d’images comme la nôtre... (....)

Lire est un entraînement. On apprend à lire en lisant ! Et c’est en lisant que se forge l’amour de la langue. (...)
Prends toujours le temps de lire car le livre, vois-tu, c’est comme une partition musicale. (...) Le but de la lecture, ce n’est pas de connaître davantage de livres, mais de mieux connaître la vie. L’écriture c’est ce qu’il y a de plus important dans la vie de tous les jours. (...)
(...)

Je te prie d’agréer, mon cher ami, l’expression de mes sentiments d’espoir en l’avenir : en TON AVENIR !
Signé : Alain Stanké,

P.S. Je voudrais juste te dire qu’ALAIN STANKÉ ce n’est pas mon vrai nom. J’ai pourtant vécu sous ce faux nom la plus grande partie de ma vie. Je peux bien te le dire à toi, ( et ça va sûrement te faire sourire), mais mon vrai nom – (témoin de mes origines) – celui qui est toujours inscrit dans mon passeport canadien, c’est : ALOYZAS-VYTAS STANKEVICIUS. Il est vraiment imprononçable… Crois-moi : on ne renouvelle pas le monde, mon garçon !
On s’adapte ! On s’acclimate !
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Photo: Sculpture de Alain Stanké. «Un coeur se livre». Peuplier, 1994.
Note.
Alain Stanké a de la verve... Sa «Lettre à un jeune immigrant» compte plusieurs pages. C'est en fait une conférence livrée sous forme de lettre. Une idée originale, et fort pertinente dans le contexte, car elle crée des liens amicaux.Les majuscules sont de l'auteur. J'ai mis en rouge ou en bleu des passages pour faire ressortir certains propos et faciliter la lecture de l'extrait.
Source: Les conférences de Alain Stanké, sur son site.
* Critique: Louis Cornellier, «Le français fait vivre», le journal «Le Devoir» des samedi et dimanche 21 et 22 novembre 2009.
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